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    Albert Farges, L'objectivité de la perception des sens externes et les théories modernes

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Albert Farges, L'objectivité de la perception des sens externes et les théories modernes Empty Albert Farges, L'objectivité de la perception des sens externes et les théories modernes

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 17 Aoû - 0:01

    http://classiques.uqac.ca/classiques/farges_albert/farges_albert.html

    "La question de l'objectivité des sens externes ou de la valeur de leurs perceptions a de tout temps vivement préoccupé les philosophes de toutes les écoles. C'est en effet l'existence du monde extérieur et la possibilité de le connaître qui sont en jeu dans ce redoutable problème, et par conséquent l'existence même et le fondement de toute science expérimentale.

    Mais pour nous, philosophes scolastiques, cette importance est encore plus grande. S'il est vrai, comme nous le croyons, que l'intelligence ne fait que porter à un degré supérieur, en les transformant, les données sensibles, il est clair que la valeur des notions intellectuelles dépend en grande partie de la valeur de ces premières données. Si le monde des corps n'est plus qu'une illusion, le monde des idées pures risque fort d'être pareillement illusoire. Aussi devons-nous prendre soin, avant d'édifier le second étage de la connaissance humaine, de ne pas démolir le premier, et d'en vérifier au besoin, pour les raffermir, les profondes assises." (p.13)

    [Première partie: Les théories de la perception externe.

    Chapitre 1 - Théorie de la perception immédiate d'après Aristote et S. Thomas.]

    "Je touche ce livre qui résiste sous mes doigts, je regarde ces pages blanches, je vois ou j'entends les êtres qui m'entourent : il me semble évident que ce ne sont pas là seulement des idées que je perçois, comme dans la rêverie ou le souvenir, et que je suis vraiment en communication directe avec les réalités extérieures. En effet, dans toutes ces perceptions et surtout dans celle de contact et de résistance, nous avons conscience à la fois du moi et du non-moi par un acte indivisible de connaissance qui les enveloppe tous les deux, tout en les distinguant comme différents et exclusifs l'un de l'autre. Voilà ce que nous dit clairement l'observation psychologique la plus élémentaire." (p.18)

    "Le sujet n'est pas l'âme seule, ni l'organe seul, mais l'organe animé, « virtus corporea », comme le répète S. Thomas, ou si l'on veut, le tissu nerveux des organes sensibles en tant qu'il est substantiellement informé par l'âme. [...]
    Les objets sensibles ne sont pas précisément tous les objets matériels, mais seulement ceux qui ont assez de grandeur et de force pour ébranler nos sens. [...]

    Ce ne sont pas [...] les corps extérieurs qui entrent en nous par leur substance, ni par des émanations matérielles de leur substance. Ce n'est pas cette pierre qui entre dans mon œil pour être vue, pas même une parcelle de cette pierre, si subtile qu'on la suppose. Les effluves matérielles d'Empédocle ἀποῤῥοαί, les corpuscules-images de Démocrite εἴδωλα, que l'on croyait flotter dans les airs et pénétrer par les pores de nos organes, sont tombés dans un juste oubli. Aristote le premier, devançant la science la plus moderne, a combattu énergiquement cette hypothèse de l'émission et donné toutes ses préférences à celle que nous appelons aujourd'hui théorie des ondulations.

    Mais si les corps étrangers ne pénètrent pas en nous par leur substance, ils nous frappent du moins et nous pénètrent par leurs actions, puisque, selon la grande théorie péripatéticienne et thomiste, l'action de l'agent est dans le patient.

    L'action de l'objet, extensive, figurée, résistante, lumineuse, sonore, etc. sera donc l'élément objectif qui pénétrera le sujet corporel et lui manifestera quelque chose de l'objet, car l'action proprement dite est l'expression même et la ressemblance au moins partielle de l'agent : omne agens agit simile sibi, comme l'ont prouvé les expériences vulgaires de l'empreinte du cachet dans la cire, de la photographie ou de l'écho." (pp.19-20)

    "Supposons qu'une pointe ou qu'un relief impressionne notre main. L'action de ce corps informe l'organe du toucher et y produit une passion, c'est-à-dire une impression figurée semblable au relief, comme l'action du cachet dans la cire y reproduit son empreinte. C'est la comparaison employée par Aristote et S. Thomas ; d'ailleurs c'est un principe fondamental de leur métaphysique que la passion est toujours semblable à l'action ; on peut même affirmer que l'action et la passion ne sont qu'un seul et même acte que l'un donne et que l'autre reçoit.

    Le premier effet du contact de l'objet sur le sujet sera donc de reproduire en lui son empreinte figurée, et de se l'assimiler non pas substantiellement mais au point de vue de la figure. [...] Mais il est clair que l'impression dont nous parlons doit avoir lieu à la fois dans le corps et dans l'âme ou pour mieux dire dans l'organe animé. Toute action assurément pénètre à la fois la matière et la forme du patient, puisqu'elles ne forment qu'une seule et même substance, mais si cette forme n'était pas vivante et sensible, la sensation ne pourrait avoir lieu, autrement les membres d'un cadavre et même tous les corps bruts sentiraient lorsqu'on les touche. Pour que l'impression purement matérielle devienne sensible il faut en outre que l'action de l'objet ait un certain degré d'intensité et que le sujet soit normalement disposé à la recevoir." (pp.20-21)

    "Sous cette provocation, le sujet ne peut rester passif, puisqu'il est essentiellement vivant et actif ; d'ailleurs pour connaître il faut agir. L'activité sensible va donc passer de la puissance à l'acte, et cet acte est une attention [...] ou une intuition de l'action extensive et figurée dont elle a reçu l'empreinte. Le sujet perçoit cette figure tout en l'exprimant (species expressa) et la reproduisant au dedans de lui-même, dans l'imagination. En sorte que la perception externe tient le milieu entre deux effets : l'espèce impresse qui est l'effet de l'objet sur le sens, et l'espèce expresse qui est l'effet du sens déterminé par l'objet.

    Il est tout naturel qu'en réagissant le sens se conforme à l'objet senti dans la mesure où l'objet le premier l'a conformé à lui. D'ailleurs c'est un fait d'expérience : toute perception est finalement un phénomène d'ordre représentatif.

    L'espèce impresse disparaît d'ordinaire promptement —nous verrons des exceptions lorsque le nerf a été trop fortement ébranlé ;— mais l'espèce expresse au contraire se conserve dans l'imagination à l'état d'habitude, et peut revivre soit spontanément, soit par un effort volontaire de la mémoire, et même par une excitation mécanique des nerfs afférents." (p.22)

    "Revenons à l'acte si important de l'intuition pour bien saisir la distinction essentielle entre la perception externe et la perception interne que nos modernes s'obstinent à confondre.

    a) Nous les distinguons tout d'abord, dans le temps. Le sujet sentant perçoit en premier lieu la figure ou si l'on veut l'action extensive et figurée de l'objet extérieur dont il reçoit l'empreinte, avant de percevoir cette impression elle-même. C'est encore l'observation qui nous le démontre. Lorsque je touche du bout du doigt un relief, c'est le relief même que je perçois en premier lieu et non pas l'impression de mon doigt qui est en creux ; et si c'est un creux que je palpe, c'est bien le creux que je perçois tout d'abord, et non pas mon impression cutanée qui est en bosse. Lorsque je touche attentivement une pointe d'aiguille pour en connaître la forme, c'est elle que je perçois avant l'impression de douleur qu'elle a pu me causer.

    Une contre épreuve saisissante de ce fait nous est fournie par « la biographie mentale d'un enfant », c'est-à-dire l'ordre dans lequel se développent ses connaissances. Il vit à l'extérieur avant de vivre à l'intérieur ; c'est par le contact avec le monde externe, v. g. en se heurtant contre les obstacles, que le petit enfant acquiert la conscience de sa personne et de ses membres ; il sait localiser les objets du dehors avant de savoir localiser ses souffrances ou ses plaisirs. Qu'est-ce qui te fait mal ? lui demande sa mère. Il hésite ; il ne sait rien dire de précis, tandis qu'il vous montrera du doigt la direction de la lampe ou de la lune. Dans cette première période les mots de « sens », de « sensations », de « conscience sensible », lui sont complètement inconnus, alors qu'il connaît depuis longtemps et distingue les objets extérieurs. Aussi Spencer s'est-il vu contraint de revenir sur ce point à la théorie ancienne et d'affirmer que la connaissance externe précède la connaissance interne de nos sensations." (p.23-24)
    -Albert Farges, L'objectivité de la perception des sens externes et les théories modernes, Paris, Berche et Tralin, 1913, 242 pages.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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