"Que la totalité ait toujours existé comme telle ou qu’elle ait surgi d’emblée toute adulte et complète, l’intuition dans les deux cas refait l’acte originel qui a posé ou aurait posé ce tout. Et puisque comprendre est coïncider avec le mouvement créateur ou organisateur, et non point imiter un démiurge, mais reproduire et revivre pour son propre compte le geste démiurgique comme si c’était la première fois, il faut convenir que l’intellection est une forme gnostique de création, autrement dit une recréation ; comprendre, c’est la façon qu’a la créature de créer lorsque, créatrice et créée à la fois, elle s’affirme comme demi-dieu ou du moins comme demi-génie. Si l’intelligence, recomposant après coup ce qu’elle décomposa, s’entortille dans la complication, l’intellection épouse le mouvement même par lequel la simplicité rayonne en complexité. Si l’intelligence rétrospective commence par la fin, la vive intellection, contemporaine d’une naissance qu’elle capte sur le fait, va dans le même sens que la création et prend ainsi les choses par leur commencement ; l’opération intellective intervertit les procédés intellectuels et remet la pensée à l’endroit. [...] L’intuition ressemble au génie créateur lui-même qui devance son siècle et qui fait à lui tout seul le travail d’une génération [...] Une seconde d’intuition vaut des mois d’analyse laborieuse suivis d’une patiente synthèse discursive."
-Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, tome 1 "La manière et l'occasion", Seuil, 1980 (1957 pour la première édition).
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-Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, tome 2 "La méconnaissance. Le malentendu",
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-Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, tome 3 "La volonté de vouloir",