L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique

Le deal à ne pas rater :
Code promo Nike : -25% dès 50€ d’achats sur tout le site Nike
Voir le deal

    Arnaud Milanese, Principe de la philosophie chez Hobbes

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 20770
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Arnaud Milanese, Principe de la philosophie chez Hobbes Empty Arnaud Milanese, Principe de la philosophie chez Hobbes

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 24 Aoû - 16:35

    http://anthropos.ens-lyon.fr/arnaud-milanese-186318.kjsp

    "D'une telle physique [mécaniste], il paraît difficile de déduire la psychologie des passions et de l'insociable sociabilité [...] A la suite de Leo Strauss [...] on a souvent tenté de supprimer cette difficulté en réduisant le matérialisme et le mécanisme à des façons de parler ou de connaître, à des modèles auxquels les savants seraient contraints de recourir pour expliquer un univers qui, en son fond, leur resterait étranger. Arnaud Milanese propose une autre voie. Il montre que Hobbes, dans le De Corpore, part d'une expérience antérieure à l'invention du langage et de la science, antérieure à la logique, aux mathématiques et à la mécanique: notre esprit se connaît comme miroir du monde."
    -Jean Terrel, préface à Arnaud Milanese, Principe de la philosophie chez Hobbes. L'expérience de soi et du monde, Paris, Classique Garnier, 2011, 366 pages.

    "Bacon donne à la méthode inductive [la tâche de réaliser] un "mariage vrai et légitime entre la faculté empirique et la faculté rationnelle" (Instauratio Magna, préface). Le théoricien dogmatique croit que l'institution de la vérité théorique peut en droit précéder la connaissance des faits. L'empiriste croit que la connaissance des faits peut précéder en droit toute position théorique. Le véritable philosophe ne doit, quant à lui, être ni une "araignée" purement rationaliste tirant sa toile de son propre fonds (feindre le monde plutôt que le connaître) ni une "fourmi" empiriste accumulant aveuglément les expériences (se disperser dans les faits plutôt que les connaître), mais une "abeille": il construit le savoir avec un matériau tirée du monde (Novum Organum, livre I, aph.95)." (note 2 p.15)

    "Amender le pouvoir de connaître suppose de refonder le savoir parce qu'il faut reconstruire les principes de la science, ce qui implique qu'ils sont construits, qu'il y a quelque chose d'arbitraire, d'institué, dans le rapport à la vérité. [...] Tel est le contexte intellectuel de Hobbes: l'idée que la crise des savoirs provient, non de la nature de l'esprit, mais d'un certain nombre de constructions, d'artefacts mentaux, que Bacon appelle les "idoles" de l'entendement, fruits des caractéristiques de l'espèce humaine, des désirs, des modes de vie et de l'histoire, et susceptibles de faire obstacle à la science. Cette notion d' "idole" mentale est forte en ce qu'elle décrit un esprit susceptible de vénérer ses propres productions, de contempler ses constructions ou ses fictions comme des réalités, voire de leur donner le statut de principe. Dans ce processus, certes, l' "idole" est puissante lorsque la raison est faible, mais ce qui frappe avant tout, c'est l'inscription de l'image, du concept et de l'affect dans un même dispositif mental qui, pour n'être pas pure et simple perception ou connaissance de la réalité, peut bien être qualifié d'imaginaire. L'imagination est classiquement définie comme une disposition à se représenter ce qui n'est pas ou au moins pas présent, et en ce sens elle implique la mémoire, mais cette disposition se mêle aux autres facultés de l'esprit et les complique de ce fait : l'imaginaire se mêle à la sensation et en augmente l'impact, la puissance d'agir et de fasciner, voire s'y substitue, comme dans les hallucinations, et il se mêle aussi aux concepts si, comme Bacon le soutient, un principe apparemment rationnel peut n'être qu'une figure imaginaire non perçue comme telle. En ce sens, cette définition classique de l'imagination cerne un phénomène dérivé parce qu'il procède d'une distinction entre ce qui est et ce qui n'est pas. Or, si l'esprit est ainsi porté à contempler ses propres fictions comme des réalités, la possibilité d'une telle distinction n'est pas une évidence, mais un problème. L'imaginaire désignerait en ce sens un rapport originaire et problématique au monde, indissociablement cognitif et affectif." (pp.15-16)

    "Toute institution humaine est pour Hobbes un changement de situation historique [...] La science apporte les lumières de la raison, mais aussi la vanité intellectuelle, l'esprit de secte et domination, et la république rend possible la paix mais aussi l'ambition, les querelles de pouvoir et le loisir, lui-même pourvoyeur du meilleur et du pire [...] Cette idée d'institution donne une dimension nouvelle à l'imagination, puisqu'elle montre que cette capacité à se représenter ce qui n'est pas (au moins présentement) produit des représentations organisatrices, structurant la vie mentale et la vie sociale. Les hommes en sont donc à la fois les causes et les produits. On comprend mieux qu'ils restent en partie aveugles à ce qu'ils instituent: ils exercent leur imagination, mais surtout ils sont formés par elle. Il pourrait en être de même de cette situation de refondation. La puissance de tromperie de l'imagination que Bacon souligne pourrait indiquer que l'imagination est aussi puissance de connaître, ce que Hobbes va soutenir." (p.17)

    " [Selon Hobbes] Aristote aurait lui-même, dans la Métaphysique, forgé des monstres théoriques pour se concilier la religion de son temps, craignant de subir le sort de Socrate." (p.18)

    "Le système de Hobbes projeté dès 1636 articule philosophie naturelle, anthropologie (fondant la disposition humaine au religieux) et philosophie politique: De Corpore (1655), De Homine (1658) et, la partie la mieux connue, De Cive (1642 et 1647), l'ensemble formant les Elementa philosophiae." (p.19)

    "Cette étude part donc de l'hypothèse que l'imagination ainsi comprise est le centre de gravité du système de Hobbes. Tous les domaines auxquels il se consacre y ramènent, et d'abord sa théorie de la connaissance. Qu'on y voit un phénoménisme, un nominalisme radical (et l'on verra que les deux sont le plus souvent liés), ou qu'on y voie une conception réaliste de la science, force est de constater que, si Hobbes a bien une théorie du concept, celui-ci n'est pas séparé en nature de l'imagination : il n'y a pas d'extériorité radicale de la raison par rapport à l'imagination. [...] On a voulu par ailleurs réduire l'anthropologie hobbesienne à un mixte de crainte et d'ambition démesurée. Mais, là aussi, une lecture attentive montre que l'essentiel est dans l'imagination, en tant qu'elle détermine et amplifie les passions. Les désirs indéfinis de l'homme en font un être de projection qui n'observe pas des faits et des individus, mais des pouvoirs et des acteurs, des personnes, donc des masques animés d'intentions invisibles et imaginables. [...] Si Hobbes lui-même a d'abord vu, dans le De Cive (1642), la crainte comme source du religieux, et une crainte qui n'est que partiellement redressé par la raison, le "naturel religieux" devient, dans le Léviathan (1651), le fruit d'une interaction entre la crainte et l'imaginaire de manière à faire du désir le premier moteur du religieux, avant d'être, dans le De Homine (1658), le fruit de la puissance d'imagination humaine: l'homme ne peut s'empêcher d'imaginer plus qu'il ne perçoit et cette puissance d'imagination projette des objets à craindre. Ce dernier moment est l'aboutissement du précédent: la puissance d'imagination, en majeure partie immaîtrisée, est la ressource des désirs, mus par la représentation d'un état présent et son association à un état anticipé -autant d'opérations de l'imagination. Ainsi, l'imagination est, pour Hobbes, source tout à la fois de la science, de la perception des rapports humains donc de la politique (il y a une part irréductible et légitime de fiction dans la détermination et la compréhension des actions humaines et des phénomènes historiques) et du phénomène religieux [...] Ces sphères sont donc liées, non par contingence historique, mais parce qu'elles ont une source commune, ce qui se traduit par une possible unité du système et par des phénomènes transversaux: craindre des fantômes, croire en l'existence de substances immatérielles et respecter la légitimité d'un pouvoir spirituel séparé du pouvoir souverain [...] relèvent d'un même imaginaire qui pose une réalité hors de l'espace et du temps de la matière. Cette intuition conduit Hobbes, dans le De Homine, au concept d'ingenium, disposition du caractère procédant de l'histoire individuelle et collective, mais surtout indissociablement cognitive et affective. [...]
    L'imagination construit dans la fiction, mais déconstruit également. Il peut s'opérer dans la pensée ce qui, durant les années de formation de Hobbes, a lieu dans le théâtre de Shakespeare qui s'ouvre à un univers dont les repères se brouillent : les distinctions entre le vrai et le faux, le bien et le mal ou l'apparence et la réalité peuvent y vaciller à tout instant. Le théâtre montre l'intrication irréductible de l'imaginaire dans la perception même de la réalité (particulièrement de la réalité sociale et politique), jusqu'au renversement même de toute distinction entre imaginaire et réalité en suggérant que cette dernière peut être un produit de l'imagination. Il a ainsi le pouvoir de déconstruire la réalité comme Hobbes déconstruit en l'observant l'unité du sujet: en deçà de la conscience, la vie mentale est un chaos de pensées et de désirs quasi-personnifiés, et ces ressorts inconscients de l'humain, la folie, l'ivresse et les crises collectives les révèlent. Construction et représentation semblent n'être qu'une seule et même fonction de l'imagination.

    Cette double dimension spectaculaire et déconstructive de l'imagination est au cœur de l'œuvre postérieure au Léviathan (1651), à laquelle cette étude s'intéresse principalement [...] Avec le Léviathan, le rôle de l'imaginaire dans l'histoire, à travers le religieux, rend l'homme pratiquement et théoriquement irréductible au concept, et l'expérience de la guerre civile anglaise a été décisive pour en arriver à cette conclusion. Cette limite est en même temps la ressource du savoir: Hobbes ne se résout jamais à décrire la réalité comme un jeu d'apparences sans objet, même lorsque cette possibilité affleure, puisqu'une réalité extérieure aux constructions mentales s'impose, en tant qu'extériorité, précisément par résistance à ces constructions, et aussi bien comme leur ressource.

    Outre l'expérience de l'histoire, écrite et vécue, le rapport à Bacon noué dans les années 1620, jamais explicité par Hobbes et pleinement actif après 1651, permet aussi de dégager l'imagination comme principe d'unité du système. La biographie intellectuelle de Hobbes commence par une découverte du mécanisme et une vraie adhésion aux principes mathématiques et coperniciens de la science moderne. En cela, Hobbes s'éloigne de celui dont il fut un temps le secrétaire. Mais une telle découverte n'explique pas le projet des Elementa, et sa ressemblance avec celui que Bacon formule trente ans plus tôt dans l'Advancement (1605) ne pouvait pas échapper à Hobbes. Jusqu'à l'époque du quasi-achèvement du système, sa possibilité est justifiée par une image [...] dont les accents baconiens sont évidents: l'esprit est un "miroir" où le monde se reflète
    tout entier. Donc, si multiple que soient les choses, l'esprit étant un, la science est une. Pour Bacon, la diversité des savoirs saisit une réalité une parce qu'ils viennent d'un même esprit, comme des veines et des lignes renvoyant à une source commune. De même, pour Hobbes, la philosophie a diverses "branches", ce qui sous-entend qu'elles appartiennent à un même arbre [image que Raymond Lulle, Pierre de la Ramée ou Bacon utilisent avant Descartes]." (pp.20-24)
    -Arnaud Milanese, Principe de la philosophie chez Hobbes. L'expérience de soi et du monde, Paris, Classique Garnier, 2011, 366 pages.


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Lun 25 Nov - 12:22