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    Bruno Paleni, Italie 1919-1920. Les deux années rouges

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Bruno Paleni, Italie 1919-1920. Les deux années rouges Empty Bruno Paleni, Italie 1919-1920. Les deux années rouges

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Aoû - 22:20



    "Dès 1920 en Italie, les bandes de Chemises Noires, d’abord par escouades de quelques dizaines d’hommes, puis par colonnes de plusieurs milliers de squadristi armés, s’abattent sur les villes et les villages, s’attaquant systématiquement aux sièges des organisations ouvrières, aux Bourses du travail, aux municipalités socialistes, blessant et assassinant des milliers de personnes. Deux ans plus tard, les fascistes conduits par Mussolini commencent à installer un régime de dictature qui durera plus de deux décennies. Ils seront les inspirateurs du nazisme et ouvriront la voie à une période de réaction qui touchera toute l’Europe.

    Alors que la Première Guerre mondiale faisait rage, une révolution ouvrière éclata en Russie, en octobre 1917, qui vit pour la première fois la classe ouvrière, unie à la paysannerie pauvre, s’emparer du pouvoir [...] L’immense espoir que représentait la [situation] russe propagèrent la révolution : en Finlande, puis en Allemagne et en Hongrie. Et dans d’autres pays d’Europe, si le mécontentement n’aboutit pas à l’insurrection, il se traduisit par des mutineries dans l’armée, des grèves et des mouvements plus ou moins profonds.

    En Italie, les années 1919 et 1920 virent se succéder de larges mouvements de grève, avec occupations d’usines et de terres, qui ébranlèrent le pays. Ce fut le biennio rosso, autrement dit les « deux années rouges » qui, si elles n’aboutirent pas à une révolution, inspirèrent néanmoins aux classes possédantes une frayeur telle qu’elle fut un élément déterminant dans le soutien qu’elles apportèrent à la réaction fasciste."

    " En 1858, la France de Napoléon III s’allie cette fois au Piémont-Sardaigne contre l’Autriche, remportant les batailles de Magenta et Solferino. Le Piémont peut ainsi s’agrandir de la Lombardie, de la Toscane et de l’Émilie, tout en devant céder à la France, pour prix de son soutien, la Savoie et le comté de Nice. Il reste alors, pour parfaire l’unité de l’Italie, à conquérir la Vénétie, le royaume des Deux-Siciles et Rome, où la France continue à protéger le pouvoir papal.

    Le Risorgimento (la renaissance, ou la résurrection), nom donné à ce processus de réalisation de l’unité italienne, est ainsi fait d’avancées et de reculs. Pour naître, l’État italien doit combattre sur divers fronts, contre les puissances européennes et, à l’intérieur, contre une partie des vieilles classes possédantes et en particulier contre le pouvoir de l’Église. C’est le Piémont-Sardaigne et la monarchie constitutionnelle qui le dirige qui réussissent à prendre la tête du processus d’unité. Le Risorgimento, mouvement qui donne naissance à un État moderne et à la révolution bourgeoise de l’Italie, est une révolution menée d’en haut, par une monarchie conservatrice. Celle-ci veut parvenir à ses objectifs, mais sans risquer de donner le signal d’un processus révolutionnaire dans lequel les classes exploitées commenceraient à agir pour leur propre compte.

    Les « héros » des patriotes italiens, tout républicains qu’ils soient, ont d’ailleurs leurs limites. Mazzini se déclare partisan d’une révolution pour fonder une République italienne à l’échelle de la péninsule, mais hostile à la lutte des classes. Garibaldi, quant à lui, a combattu aux côtés de Simon Bolivar pour l’indépendance des colonies espagnoles en Amérique du Sud et en est revenu auréolé d’une réputation révolutionnaire. Mais cette réputation est basée sur ses exploits et son audace en matière militaire, non sur une politique visant un bouleversement social.

    On le voit en 1860 avec l’expédition qu’il conduit en Sicile, restée dans l’histoire comme « l’expédition des Mille ». Garibaldi met le roi de Piémont-Sardaigne, Victor-Emmanuel II, et son Premier ministre Cavour devant le fait accompli en organisant cette expédition pour aller conquérir le royaume des Deux-Siciles. La suite des événements leur montrera qu’ils n’ont pas à en craindre de débordements populaires. Le débarquement des troupes de Garibaldi est accueilli comme le signal de leur libération par les paysans siciliens, qui se révoltent et occupent les terres. Mais l’objectif du général est la chute des Bourbons de Naples et l’annexion du Sud par le Piémont, et non une révolution. Se proclamant dictateur au nom du roi d’Italie, il se retourne contre les masses et organise la répression de la révolte. Pour les paysans de Sicile et de tout le Sud, chez qui la haine pour le régime bourbonien est étroitement associée à leurs aspirations sociales, la déception est profonde. Elle entraîne des années de révoltes et de rébellions : en Calabre, c’est le point de départ du « brigandage » de bandes de paysans révoltés. En Sicile, les propriétaires ont recours à des bandes armées aux ordres de leurs régisseurs pour mater les paysans. Elles sont à l’origine du développement de la Mafia.

    Contrairement aux paysans, les grands propriétaires du Sud sont rassurés sur leur avenir : la chute du régime des Bourbons de Naples, en cédant la place à l’État et à l’armée piémontais, ne remet pas en cause leur puissance sociale. Ils changent juste de protecteur. La mise en place de l’État piémontais, en Sicile et dans tout le Sud, se fait sur la base d’une alliance entre la bourgeoisie et les vieilles classes aristocratiques, d’accord entre elles pour s’opposer, au besoin par la force, aux revendications populaires.

    Non seulement la révolution sociale attendue n’a pas lieu, mais le Sud, jusque-là à peine moins développé que le Nord, se retrouve dans une situation de semi-colonie. Ses habitants sont condamnés au sous-développement et à la pauvreté. Les profits tirés de l’exploitation des paysans du Sud sont investis par les grands propriétaires, non pas pour moderniser leurs exploitations, mais dans l’industrie et les banques du Nord, dont l’essor assure un bon rendement. Les paysans pauvres méridionaux doivent également supporter le poids des lourds impôts qui servent à financer les infrastructures nécessaires au développement de l’industrie au nord du pays. La plus-value extorquée aux paysans du Sud est ainsi drainée pour accumuler le capital indispensable à la révolution industrielle qui a lieu dans la partie septentrionale du pays.

    Il faut attendre 1870, après la guerre franco-allemande et la défaite de Napoléon III, protecteur du pape, pour que l’armée italienne puisse entrer à Rome et en faire la capitale du royaume unifié d’Italie. Construction fragile sur le plan politique, elle l’est encore plus sur le plan social. Si les classes possédantes ont de quoi être satisfaites du nouveau cadre politique, il n’en est pas de même des classes populaires qui attendaient une révolution qui n’a pas eu lieu.

    L’Italie de la fin du XIXe siècle connaît ainsi une série de mouvements populaires, dont le plus notable est celui des fasci siciliani dei lavoratori en Sicile, en 1892-1893. Fascio ou faisceau, terme courant dans les organisations politiques de l’époque, peut être traduit par « ligue » ou « cercle », et ces premiers « fasci » siciliens sont des organisations d’inspiration socialiste qui regroupent paysans, ouvriers, mineurs, artisans. Ils se heurtent à une répression violente. Il en va de même dans les autres régions d’Italie, jusqu’à Milan dans le Nord, où la révolte populaire de 1898 est écrasée par l’armée."

    "Dans l’Italie unifiée de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, la condition des paysans est partout misérable. La malaria et la pellagre sévissent. L’analphabétisme touche la moitié de la population dans les régions agricoles du Sud, comme la Basilicate et les Pouilles. En 1918, 55 % de la population active italienne travaille toujours dans l’agriculture, contre 35 % en Allemagne et 12 % en Angleterre.

    L’Italie demeure un pays de grandes propriétés où la terre est cultivée de façon archaïque : les machines agricoles et les engrais industriels sont rares, les rendements faibles, les terres laissées en friche nombreuses. La misère est telle qu’entre 1876 et 1914 plus de huit millions d’Italiens émigrent : en Amérique pour les méridionaux ; en Europe du Nord et en France pour les septentrionaux.

    Les grands propriétaires sont pour moitié des aristocrates. À leurs côtés s’est constituée une nouvelle couche de propriétaires. Il s’agit d’avocats, de commerçants, de hauts fonctionnaires qui ont racheté les terres ecclésiastiques vendues lors de la saisie d’une partie des biens de l’Église. Ces galantuomini (gentilshommes) de la ville épousent les filles et les fils de la noblesse en même temps que leurs conceptions archaïques des rapports sociaux.

    Les braccianti – ouvriers agricoles – mettent en valeur les grandes propriétés. Dans le Nord, ils sont majoritaires principalement dans la plaine du Pô. Au Sud, dans la région des Pouilles, ils représentent 60 % de la population active. Ces journaliers sont pour une part recrutés au jour le jour par l’intendant sur la place du village pour des journées de quatorze heures et plus. Ils ne peuvent espérer travailler plus de cent vingt à cent trente jours par an à cause de la pléthore de main-d’œuvre. Les femmes ont un salaire inférieur de moitié à celui des hommes. Battista Santhià, fils de journalier agricole et futur dirigeant communiste, décrit cette misère, même dans la riche plaine du Pô où il a passé son enfance : « Les habitations des schiavandai [ce mot ayant pour étymologie schiavo : esclave était la dénomination courante des salariés, utilisée même dans les contrats de travail – NDLR] étaient alors malsaines : constructions basses, sombres, privées de fenêtres, au sol en terre battue. Je me rappelle que les animaux eurent bien avant nous dans les étables des pavements de pierre. De lit, il n’en était pas question. Quatre planches de bois sur des tréteaux avec une paillasse de feuilles de maïs : voilà notre lieu de repos. »

    Dans le Sud, l’agriculture et les rapports sociaux sont encore plus arriérés. Dans ce Mezzogiorno – Midi en italien – prévaut le système latifundiaire : l’ancienne aristocratie règne sur de très grands domaines. Ces propriétaires se satisfont d’une exploitation extensive de la terre et d’une exploitation intensive des paysans pauvres. Qui plus est, une partie de leurs domaines est laissée à l’abandon.

    Dans le centre du pays, les paysans pauvres, exploités eux aussi par de grands propriétaires, sont métayers. Dans le Latium, la région de Rome, où les rapports sociaux sont restés longtemps archaïques sous la domination papale, les métayers doivent reverser la moitié de leur récolte au propriétaire. Ils sont contraints à des servitudes et des dons en nature, leurs enfants ne peuvent se marier sans le consentement du patron. Leur contrat d’exploitation de la parcelle est précaire, fixé à l’année. Ici, le propriétaire ne s’occupe pas d’investir et le métayer n’en a pas les moyens. Le rendement dans le cadre de ce rapport social hérité du bas Moyen Âge est donc très faible.

    En 1911, sur une population rurale de dix millions de personnes âgées de plus de dix ans, on compte en Italie 3,2 millions de métayers et de fermiers locataires de leurs terres et 4,4 millions de journaliers. Les propriétaires sont au nombre de 1,8 million, mais la plupart ne possèdent qu’une parcelle exiguë de moins d’un hectare. La quasi-totalité des terres fertiles est accaparée par une petite minorité de grands propriétaires.

    Les paysans, écartés du droit de vote jusqu’en 1912, car analphabètes, sont dédaignés par les politiciens. Dans le Sud, ils sont écrasés par le travail et la misère et à l’écart des grands courants d’idées nouvelles.

    Dans les grandes plaines du Nord, les ouvriers agricoles sont très nombreux et concentrés sur de vastes exploitations. La condition sociale de ces travailleurs salariés des champs est proche de celle de leurs frères des villes, les ouvriers d’usine. Dans la plaine du Pô à partir des années 1880, les paysans s’organisent en ligues (nom donné aux syndicats paysans). De 1882 à 1885, explosent des mouvements spontanés qui impliquent des centaines de milliers d’ouvriers agricoles. L’armée rétablit l’ordre, 51 000 personnes sont arrêtées, mais plus rien n’entrave l’organisation des journaliers en ligues. Celles-ci sont souvent impulsées par les militants des Bourses du travail des villes voisines. Un lien fort se crée ainsi entre les travailleurs des villes et ceux des campagnes. Les prêtres tentent d’empêcher les prises de parole des militants en tournée, organisant le chahut et faisant sonner à toute volée les cloches, les carabiniers arrêtent les orateurs, mais rien n’y fait : les ligues se répandent dans tout le nord du pays.

    En 1908, une grève paralyse plusieurs mois durant la campagne de Parme. Elle est dirigée par Alceste De Ambris, secrétaire de la Bourse du travail de cette ville, et Arturo Labriola. La quasi-totalité des journaliers de la plaine du Pô est alors organisée dans les ligues affiliées à la Federterra (la Fédération de la terre), elle-même membre de la confédération syndicale CGL d’inspiration socialiste. En 1912, sur les 400 000 syndiqués que compte la CGL, 160 000 sont des travailleurs agricoles. L’Église, qui exerce une énorme influence dans les campagnes, tente d’enrayer ce phénomène en créant les ligues « blanches », qui plus tard, en 1919, fourniront une base au Parti populaire italien, d’inspiration catholique."

    "Au tournant du siècle, le développement économique s’accélère. Entre 1896 et 1913, la production industrielle augmente de 245 %. Les capitaux français et allemands sont attirés par un pays où la main-d’œuvre est bon marché et où de nombreuses infrastructures restent à créer. L’industrie des biens de consommation se modernise, notamment l’industrie textile. Le façonnage à domicile est abandonné au bénéfice de concentrations manufacturières autour de Naples et aussi dans le Nord, en Piémont et Lombardie. L’industrie alimentaire connaît un essor avec la production de pâtes et l’émergence de marques comme Martini, Cinzano, Campari. Dans la chimie, Pirelli bâtit son empire du pneu à Milan.

    Mais c’est l’industrie lourde et la construction mécanique qui connaissent le développement le plus spectaculaire. La prospérité exceptionnelle de la sidérurgie est liée à l’intervention de l’État, qui met en place des tarifs douaniers élevés pénalisant la concurrence des aciers étrangers et qui passe d’importantes commandes d’armement et de matériel ferroviaire à des prix au-dessus de ceux du marché mondial. Deux grands cartels de l’acier se constituent : l’Ilva à Naples et l’Ansaldo, sous la direction des frères Perrone, à Gênes. Enfin, au mois d’août 1899, Giovanni Agnelli fonde la Fabrique italienne d’automobiles de Turin, la Fiat. Milan, Turin et Gênes deviennent les capitales économiques du pays. Le fossé continue de se creuser entre le Nord, riche et industriel, et le Sud, pauvre et agricole."

    "À la veille de la Première Guerre mondiale, les usines italiennes emploient quatre millions de salariés, soit 27 % de la population active (l’Italie compte 36,5 millions d’habitants en 1914). L’ouvrier italien est l’un des plus mal payés d’Europe occidentale. La loi de 1902 fixe l’âge minimum pour travailler à douze ans. La journée de travail atteint généralement quatorze ou quinze heures. La condition ouvrière, en matière d’alimentation et de logement, fait penser à celle qui existait en Angleterre ou en France un demi-siècle plus tôt.

    Dans le Piémont ou en Lombardie en revanche, la concentration dans des usines qui comptent parfois plusieurs milliers d’ouvriers favorise les échanges d’idées, l’organisation syndicale et politique, et crée un autre rapport de forces avec le patronat. Peu à peu, de meilleures conditions de travail sont imposées."

    "L’épicentre du mouvement anarchiste se situe en Émilie-Romagne. Les anarchistes y organisent, avec de petits groupes de militants, plusieurs tentatives insurrectionnelles, espérant soulever la population. En 1894, des militants anarchistes prennent la tête de l’insurrection des mineurs des carrières de marbre de Carrare en Toscane. Plusieurs divisions de l’armée sont nécessaires pour venir à bout des insurgés armés, qui laissent sur le carreau douze morts et des dizaines de blessés. 464 d’entre eux sont condamnés à la prison. L’appareil d’État organise la répression à l’encontre des anarchistes : arrestations en masse, années de prison ou assignations à résidence surveillée dans les îles.

    L’influence des anarchistes s’exerce à travers la confédération syndicale USI (Union syndicale italienne), au sein de la Fédération des travailleurs de la mer et du Syndicat des cheminots, mais elle reste moindre dans les grands centres industriels. Là, ce sont les idées socialistes qui se développent à grands pas."

    "Bourses et Fédérations fusionnent en 1906 pour donner naissance à la Confédération générale du travail, la CGL (Confederazione generale del lavoro). La puissance des Bourses du travail et des ligues permet d’arracher des hausses sensibles de salaire pour les ouvriers qualifiés et les journaliers du nord du pays. Le gouvernement libéral de Giolitti, dans ses tentatives de donner aux syndicats une place institutionnelle, promulgue quelques lois sociales. Cela renforce la tendance réformiste des dirigeants syndicaux, partisans d’une amélioration et d’une transformation graduelles de la société.

    Les idées socialistes sont diffusées largement dans la jeunesse estudiantine par des intellectuels comme Antonio Labriola, professeur de philosophie à l’université de Rome, et Filippo Turati, fondateur de la revue Critica sociale en 1891. Tous deux correspondent activement avec Engels et Kautsky.

    Un parti marxiste voit le jour à Milan en 1892, prenant le nom de Parti des travailleurs avant de se rebaptiser Parti socialiste italien – PSI – l’année suivante. Il regroupe plusieurs formations locales : le Parti socialiste révolutionnaire romagnol, le Parti ouvrier, les groupes de socialistes humanistes (médecins philanthropes, petits bourgeois agitateurs dans les campagnes du nord), les Ligues de paysans et les Bourses du travail ainsi que les animateurs de journaux socialistes locaux. Le parti est dirigé par des journalistes comme Filippo Turati, Leonida Bissolati et Claudio Treves. La plupart appartiennent au courant réformiste, qui s’appuie aussi sur les dirigeants syndicaux, également responsables socialistes, et un groupe parlementaire qui comptera jusqu’à une cinquantaine de députés en 1913. Même si le courant des socialistes révolutionnaires, les intransigeants, dirigé par Lazzari et Labriola, est majoritaire au congrès de Bologne entre 1904 et 1907, puis à partir de 1912, l’influence des conceptions réformistes reste extrêmement forte.

    En 1913, le PSI compte 40 000 adhérents, bien moins que les partis ouvriers français, anglais et surtout allemand. La CGL, qui lui est intimement liée, totalise 400 000 adhérents en 1912."

    "À partir de 1905 seulement, l’expansion industrielle permet aux gouvernements italiens d’infléchir leur politique. Giovanni Giolitti, président du Conseil des ministres à de nombreuses reprises, politicien libéral, met en place des lois sociales : interdiction du travail de nuit pour les femmes et les enfants, confirmation du droit de grève, admission des coopératives ouvrières aux adjudications des travaux publics. Les industriels accordent des augmentations de salaire et une journée de travail plus courte aux ouvriers qualifiés. Il s’agit, à l’image de ce qui se passe au même moment dans les pays les plus avancés d’Europe, de faire quelques concessions à une fraction de la classe ouvrière et à ses représentants syndicaux ou politiques.

    En liant les couches supérieures de la classe ouvrière au régime, Giolitti tente d’acheter la paix et la stabilité sociales. C’est ainsi qu’il convainc la composante la plus réactionnaire des classes dirigeantes – épouvantées par les révoltes populaires – qu’il est plus sage d’instaurer le suffrage universel pour les hommes (1912) plutôt que d’employer uniquement la répression. Il s’agit de donner un semblant de représentation aux masses ouvrières et paysannes qui s’agitent et de tenter de déplacer le lieu de la confrontation, de la rue vers l’arène feutrée de l’hémicycle où il est plus aisé d’apprivoiser leurs chefs."

    "À une époque où la France et l’Angleterre se taillent la part du lion du dépeçage colonial, la bourgeoisie italienne aspire elle aussi à conquérir des territoires. En 1911, son armée occupe la Libye. Mais la guerre pour contrôler cette dépendance de l’Empire ottoman s’avère plus difficile que prévue. Face à la forte résistance, l’armée italienne se lance dans une guerre coloniale qui se traduit par un véritable massacre de la population libyenne.

    Cependant, en Italie, le mécontentement consécutif à la guerre grandit. Le Parti socialiste organise de nombreuses manifestations pour s’y opposer. Souvent les rails sont déboulonnés et des femmes se couchent sur les voies pour tenter d’empêcher les soldats de partir. Le PSI exclut ceux de ses dirigeants qui se sont déclarés favorables à la guerre : Labriola, Bissolati et Bonomi. Les réformistes perdent la direction du parti. Au congrès du PSI de 1912 triomphent Mussolini, jeune militant socialiste à cette époque, organisateur des manifestations contre le départ des soldats, et Lazzari, vieux socialiste intransigeant. Le premier devient directeur du grand journal socialiste l’Avanti ! et le second est élu secrétaire général du parti."
    -Bruno Paleni, Italie 1919-1920. Les deux années rouges, Les bons caractères, 2011.



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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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