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    Robert Linhart, Pour une théorie concrète de la transition : pratique politique des bolcheviks au pouvoir

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Robert Linhart, Pour une théorie concrète de la transition : pratique politique des bolcheviks au pouvoir Empty Robert Linhart, Pour une théorie concrète de la transition : pratique politique des bolcheviks au pouvoir

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 13 Oct - 12:56


    "Obstacles à la connaissance concrète de la formation sociale en transition : principes d’analyse.

    Si une formation sociale stabilisée présente un certain nombre de facteurs d’homogénéité qui facilitent une caractérisation univoque (domination assurée d’un mode de production, ajustement de toutes les instances à cette domination, pénétration généralisée de l’idéologie de la classe dominante, osmose entre la conscience sociale spontanée de la masse et les superstructures juridiques, etc.), il n’en est pas de même dans le cas d’une formation sociale en transition : pendant toute une période de bouleversements, on voit s’affronter en une lutte aiguë pour la domination plusieurs modes de production (certains mêmes qui avaient été subordonnés par un mode de production supérieur reprennent vie et expansion, favorisés par la désorganisation et les catastrophes matérielles ainsi la renaissance du petit capitalisme marchand quand une structure monopoliste est désarticulée par la guerre civile, ou même le retour de zones entières à l’autoconsommation et au troc) ; cette lutte entre modes de production se spécifie et se diversifie aux différents niveaux de la structure (la victoire politique d’un mode de production n’assurant pas immédiatement sa victoire économique, de même qu’une prépondérance idéologique d’un mode de production peut être brisée militairement ou administrativement au niveau des expressions organisationnelles) et s’émiette dans la diversité des conditions locales. La structure sociale en transition apparaît dans ces conditions comme un champ infiniment complexe d’adéquations rompues, de convexions brisées ou déformées de rapports inversés, comme une mosaïque de formes diverses, parcourue et secouée par des ondes de choc antagoniques (les formes d’affrontements entre modes de production).

    Plus expressément, on peut suggérer comment se manifeste cet émiettement, cette diversification, à l’époque d’une révolution sociale : d’innombrables événements surviennent, d’innombrables rapports se développent, qui non seulement ne sont pas sous le contrôle de la direction politique et sociale, ne lui sont pas soumis, mais souvent même sont à peine connus d’elle ; on est impressionné de voir à quel point les dirigeants bolcheviques en étaient souvent réduits, vis-à-vis de la campagne, de la quasi-totalité du pays, à la position d’explorateurs ou d’enquêteurs, réunissant bribes par bribes les éléments d’un tableau d’ensemble toujours mouvant.

    Cet obscurcissement (par multiplication et exacerbation des antagonismes et des contradictions) de la dominante nous contraint à la prudence dans les tentatives de systématisation, et engage à ne pas éliminer trop rapidement de la construction théorique des phénomènes qu’un premier regard pourrait juger atypiques.

    Il va de soi que je ne suggère pas ici que la multiplication des discordances et l’émiettement des formes réelles produisent finalement une formation globale « inqualifiable ». Ce serait renoncer à toute analyse et dénier à la formation sociale en transition son statut de structure. Il y a dans toute structure une dominante ou des dominantes et si nous avons ici un système plus complexe de structures articulées (ou relativement désarticulées), chacune d’elles est susceptible d’une caractérisation aux différents moments du développement de l’ensemble. J’indique simplement les obstacles auxquels se heurte, dans le cas des phases de transition, la détermination des dominantes :

    – ce type de structure sociale est par excellence le lieu des seuils dont le franchissement se traduit, pour une partie ou même pour un élément, par un changement de la nature de la détermination principale (l’instance dominante se déplace : politique, militaire, économique, idéologique ; les rapports de force se modifient, etc.)

    – et si l’on tente d’arrêter l’analyse à un moment donné du développement des contradictions, la caractérisation de la structure réelle (non du type d’organisation que le pouvoir tente d’implanter) se heurte aux innombrables formes d’obscurcissement, de dissimulation des rapports de production, de mondes économiques clandestins, qui sont les produits ou les armes d’une âpre lutte de classes."
    -Robert Linhart, "Pour une théorie concrète de la transition : pratique politique des bolcheviks au pouvoir", paru sous le titre : « La NEP : analyse de quelques caractéristiques de la phase de transition soviétique », in Études de planification socialiste, n°3 (mars 1966) S.E.R., Paris, 1966., repris dans Période, 27 mars 2017: http://revueperiode.net/pour-une-theorie-concrete-de-la-transition-pratique-politique-des-bolcheviks-au-pouvoir/




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