L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique

Le Deal du moment :
LEGO Icons 10331 – Le martin-pêcheur
Voir le deal
35 €

    Françoise d'Eaubonne, Le féminisme ou la mort + Écologie, féminisme. Révolution ou mutation ?

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 20764
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Françoise d'Eaubonne, Le féminisme ou la mort + Écologie, féminisme. Révolution ou mutation ? Empty Françoise d'Eaubonne, Le féminisme ou la mort + Écologie, féminisme. Révolution ou mutation ?

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 2 Nov - 15:47

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_d%27Eaubonne

    "« le féminisme n’est pas seulement — ce qui lui a déjà donné sa dignité fondamentale — la protestation de la catégorie humaine la plus anciennement écrasée et exploitée, puisque « la femme était esclave avant que l’esclave fût». Mais que le féminisme, c’est l’humanité tout entière en crise, et c’est la mue de l’espèce; c’est véritablement le monde qui va changer de base. Et beaucoup plus encore : il ne reste plus le choix; si le monde refuse cette mutation qui dépassera toute révolution comme la révolution a dépassé l’esprit de réforme, il est condamné à mort. Et à une mort à la plus brève échéance. Non seulement par la destruction de l'environnement, mais par la surpopulation dont le processus passe directement par la gestion de nos corps confiée au Système Mâle.
    Il est temps de démontrer que l’échec du socialisme à fonder un nouvel humanisme (donc à éviter cette destruction de l’environnement et cette inflation démographique) passe directement par le refus de mettre en cause le sexisme que maintient aussi bien, sous des formes différentes, le camp socialiste que le bloc capitaliste.
    Et que ce n’est pas la libération des femmes qui passe par l’édification du socialisme, mais le surgissement d’un socialisme de type entièrement nouveau, mutationnel, qui passe par la prise en main des femmes et de leur propre destin et de la destruction irréversible du patriarcat.
    Enfin, en conclusion, c'est une urgence que de souligner la condamnation à mort, par ce système à l’agonie convulsive, de toute la planète et de son espèce humaine, si le féminisme, en libérant la femme, ne libère pas l’humanité tout entière, à savoir, n’arrache le monde à l’homme d’aujourd’hui pour le transmettre à l’humanité de demain. »
    « Que d’heures passées, dans ma jeunesse, avec les filles de ma génération, pour chercher à classer les mille têtes de l’hydre, discutant à perdre haleine, y passant les heures que, selon les psychologues et fins connaisseurs de ce temps, nous eussions dû employer à rêver et flirter, nous préparer pour le bal, contempler la photo d’un beau garçon ou changer de coiffure ! Nous cherchions à percer le mystère. Ce mal d’être femme, quelle en était l’origine ? Était-elle religieuse ? Economico-sociale ? Biologique ? Métaphysique ? Chacune avait sa solution et se moquait de celle des autres ; les plus hardies parlaient d’un « mélange inextricable d’un peu tout ça». Que de temps « perdu » à trier ces saloperies pour les connaître, nous en défendre, voire nous en consoler. Notre seul accord demeurait sur ce point : ce n’était pas une « conformation », c’était un malheur ; c’était peut-être une promesse, mais certainement une punition. Notre condition de femme (on ne disait pas encore féminitude) pouvait être glorieuse, revendiquée, persécutée ou carrément reniée (vieilles filles et bonnes sœurs), elle n’était jamais aisée, elle ne ressemblait à rien de naturel ; elle était, avant tout, carence et étrangeté. Nous la vivions dans l’angoisse d’une vague indignation, comme la certitude d’une malédiction dont le moindre mal était la paralysie, l’amputation, la limitation ; angoisse et malédictions retransmises de mère en fille, soit dans le silence, soit dans la confidence chuchotée, mais également sensible dans tout ce qui nous entourait et nous sustentait, les récits, les lectures, le spectacle du monde, la religion ou le laïcisme, les expériences, le folklore et le regard des mâles. »
    « Nous ne pouvons plus croire à l’essentialité sexuelle ou substantielle : la métaphysique est devenue un fantôme. On sait qu’il n’existe pas plus de femme « essentielle » que de prolétaire prédisposé à l’être, ou de « criminel-né » ailleurs que dans les fantasmes fascinants de Lombroso. »
    « C’est au contraire cette crainte toujours entretenue par l’Histoire qui contribue à cet anxieux et illogique comportement, d’une part l’angoisse de l’opprimé, de l’autre ces conduites frivoles qui tendent à masquer éperdument l’angoisse ; c’est la société mâle, la place que j’y occupe, l’idée qu’elle se fait de moi, et fait parfois accepter par moi, qui provoque une attitude masochiste là où il n’y avait pas masochisme au départ […]
    « Car le bourreau ne se lasse pas ; sans sadisme, en général, avec la seule conscience de son bien à lui et l’inconscience de l’Autre que donne un parfait manque d’imagination, il poursuivra, prudent, sage et calme ennemi / n’exagérant jamais sa victoire à demi son œuvre de destruction jusqu’à nos derniers jours. »
    « Le fait misogynique, comme toute relation répressive, n’a que faire des bonnes volontés de Piotr, Jim ou Jacques. Il déborde cruellement les individus. Il fait partie des institutions, il sous-tend les structures mentales. […] Il est l’air que nous respirons. »
    « Je suis née dans cette culture mâle, comme tout le monde ; je l’ai assimilée, je l’ai respectée, je l’ai parfois aimée ; me révolter contre elle est plus déchirant qu’on peut le croire, car c’est me révolter contre toute une partie de moi. Que ceux qui ont fait cette culture et me l’on enseignée soient mes ennemis en tant qu’oppresseurs, que tous, y compris les lucides, les amis, les alliés, participent au malheur qui écrase toute femme en tant que femme, ce n’est pas une vérité que je crie avec triomphe, c’est une constatation que je formule dans la douleur et la consternation. […] Car enfin, c’est à un homme que je dois la vie, et j’ai un fils qui me la doit ; les poètes à qui je suis redevable d’une seconde naissance étaient des hommes ; la plupart des héros que j’ai admirés, aussi ; les chefs-d’œuvre et les ravissements de mon destin portent presque partout la marque masculine ; pourquoi voudrait-on que je me déchaîne gratuitement contre l’approximative moitié de l’humanité ? Par quelle perversité étrange ? Pourquoi refuser a priori que mes raisons soient « bonnes », si ce n’est par crainte de découvrir, dans la réponse que nous tentons, votre propre visage d’ombre ? »
    « Les conduites de haine et de dédain, la gynophobie, le mépris distrait ou virulent, la dérision même, tout est toujours là, tous les thèmes du discours misogynique. »
    « Je ne connais que trop, et trop en détail, cette dialectique : toute séparation renforce une différence qu’elle souligne, et la crée même si elle n’existe pas. »
    « Renoncer à son profit est presque aussi difficile que de renoncer aux préjugés qui permettent de vivre sans la malédiction d’avoir à penser. Je l’ai déjà écrit ; les arguments ne changent pas les situations ; ils provoquent tout au plus une crise de conscience. »
    « Égalité dans la différence ! Mon Dieu, mon Dieu, ce vieux rafiot qui fait eau de partout surnage encore ! […] si l’homme se prouve intuitif, ingénieux, plein de goût et de sensibilité, il n’en glorifiera pas moins son sexe : philanthrope, grand couturier, grand cuisinier, nul n’ira lui reprocher de « singer la femme » ; il n’a pas besoin, lui de « corsaires de la reine ». Au contraire, on en fera un triomphal argument contre nous : « même les grands cuisiniers sont des hommes ». Ce qui est grand, donc incarne l’universel, est obligatoirement le fait du non-femme. Plus question de différence s’il s’agit du mâle. »
    « Nous écoutions avec respect les grandes voix de l’humanité qui avait édifié le monde où nous vivions ; et voici ce qu’elles nous disaient :
    « La femme est naturelle, donc abominable. La jeune fille est une petite imbécile et une petite salope » (Baudelaire, notre Baudelaire des Fleurs du Mal) Saint Augustin : « La femme ne peut ni enseigner, ni témoigner, ni compromettre, ni juger ». (Malheureusement, elle peut encore éduquer. Exemple : sainte Monique, mère du philosophe.) Hésiode : « Qui se fie aux femmes se fie aux voleurs ». Saint Jean Chrysostome : « Souveraine peste que la femme ». (Rappelons que c’est notre Église qui l’appelait « Bouche d’Or ».) Saint Antonin : « Quand vous voyez une femme, songez que ce n’est ni un être humain ni une bête féroce, mais le diable lui-même ». Tertullien : « Tu devrais toujours aller en deuil et en haillons pour avoir perdu le genre humain ». Saint Jean de Damas : « Affreux ténia qui a son siège dans le cœur de l’homme, fille du mensonge, sentinelle avancée de l’enfer ». Saint Paul, le gérant de notre Église : « Je veux que la femme se tienne en silence ; femmes, soyez soumises à vos maris, etc. etc. » Quittons ces bigots, dites-vous ? J’y consens. Voici donc leur ennemi qualifié, le bon géant de notre humanisme occidental, le jupitérien, le sceptique, le premier champion de l’égalité des hommes et de la liberté sexuelle, Rabelais : « Quand je dis femme, je dis un sexe tant fragile, tant variable, tant muable, tant inconstant et imparfait... » Venons-en au classicisme. Racine : « Elle flotte, elle hésite, en un mot elle est femme ». Corneille : « Mon père, je suis femme et connais ma faiblesse ». Beaumarchais : « O femme, créature faible et décevante ! » Vigny : « La femme, enfant malade et douze fois impur ». Proud’hon, après Molière et son célèbre chrysalisme, qu’une femme en sait toujours assez : « Ménagère ou courtisane ». Et plus tard : « Nous vous trouvons laides, bêtes venimeuses, qu’avez-vous à répliquer à cela ? » Ce socialiste, ce révolutionnaire, cet auteur de l’adage «la propriété, c’est le vol », en tire les conséquences : « L’homme sera le maître et la femme obéira ». Avant Freud, il décrète « qu’il lui manque un organe pour devenir autre chose qu’un éphèbe ». Et Auguste Comte, dans la lettre annonçant son mariage à un ami : « La femme la plus spirituelle et la plus raffinée n’équivaut au bout du compte qu’à un homme assez secondaire, avec seulement beaucoup de prétention en plus. »
    Tout ceci n’est que culture française. Soit. Passons à l’Islam où le Coran donne la femme à l’homme « comme champ à labourer ». A moins que vous ne préfériez le Bushido, code d’honneur des samouraïs, parallèle éclatant de la culture grecque homosexuelle où il est appris au noble Japonais qu’il est honteux d’aimer une femme alors qu’il y a tant de jeunes hommes. Serait-ce à l’Allemagne que vont vos préférences ? Pour Schopenhauer, je suis un animal à cheveux longs et à idées courtes ; pour Nietzsche, « le sous-homme est supérieur à la surfemme » ; pour Freud, le titan, nous sommes toutes des hommes ratés, jalouses dès l’enfance du pénis de notre petit frère.
    Tout cela n’est que livresque ; on le sait ; la culture est le contraire de la vie. Bien ! Scrutons la sagesse des nations ; voyons comment s’expriment par proverbes ceux qui ne savent ni a ni b. Scandinavie : « Le cœur de la femme a été fait comme la roue qui tourne ; ne te fie donc pas à ses promesses ». Hongrie: «Femme, ton nom est silence ». « L’argent est bon à compter et la femme à battre. » Pologne : « La bonne femme descendue, les chevaux tirent mieux la voiture ». « Si le mari ne bat pas sa femme, son foie pourrit ». France : « Bats ta femme comme tu bats ton blé ; t’auras de bon froment, t’auras de beaux enfants » (Dauphiné). Afrique du Nord : « Bats ta femme, tu ne sais pas pourquoi, mais elle sait, elle ». Faut-il allonger la liste ? Faut-il faire appel aux plus lointaines religions, au bouddhisme, au zen, aux Vedas, aux cosmogonies précolombiennes, et le diable et son train ?
    Je le demande : quel homme, devant un tel concert, n’aurait dès son enfance la réaction d’une épouvante ? Lequel se jugerait sans appel digne d’être un humain à part entière ? Lequel ne se sentirait pas séparé, différent, condamné ? Peut-être que, seuls, les Juifs peuvent le comprendre. »
    « Montaigne, plus éclairé […] a écrit : « Les femmes n’ont pas du tout tort quand elles refusent les règles qui ont cours dans le monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles. ». »
    « Et ce hippie que cite le Women’s Lib : « Je n’ai pas le sens de la propriété, je prête tout, même ma femme ». »
    « « Nous sommes vos nègres », protestent les épouses des Panthères Noires. »
    « A l’heure actuelle, le refus de procréation des femmes lucides correspond à la plus saine résistance à ce génocide par étouffement que comporte la démographie galopante. Il est impossible de se soucier des générations futures sans chercher à les limiter au maximum pour la simple possibilité d’exister. »
    « La femme la plus ignorante regarde autour d’elle avec crainte, se cherche des excuses, respire en prévenue perpétuelle. Pas besoin d’avoir lu Tertullien ni Nietzsche. Une femme doit se justifier à chaque instant de sa vie. »
    « Nous avions perdu le monde, tué le Christ, apporté la mort à la terre, nous corrompions les âmes, nous épuisions les porte-monnaie, nous bavardions au lieu d’écouter, nous étions tantôt la Fatalité du sphinx sanglant, tantôt la médiocrité de bobonne ; en gros, nous infestions la planète. On nous avait beaucoup brûlées au Moyen Age, comme les Juifs ; mais nous étions toujours là. Qu’y faire ? Nous faire toutes petites ! Nous faire oublier ; moyennant quoi, on nous permettrait de travailler douze heures par jour, à taper sur une machine sous la dictée d’une voix mâle, torchonner, repasser, ravauder, cuire, éplucher, raccommoder, astiquer, élever et déformer nos enfants ; préparer les filles à la même chose, et les fils à la guerre. A part quelques privilégiées qui n’auraient rien à fiche qu’à bridger, montrer leurs fesses, mixer un cocktail, se pavaner en voiture, changer de robe et écarter les cuisses. Tels furent les messages des Sages de ce monde. »
    « Joseph de Maistre soutiendra que nous n’avons rien découvert ni inventé : ce morceau de littérature figurait au programme de mon bachot. »
    « Pourquoi devait-il être moi, ce quelqu’un dont on riait avec mépris, avec indulgence, avec tendresse même, mais dont on riait comme d’un accident de la nature, non d’un fait de la nature elle-même ? […] Pourquoi étais-je en surplus, en trop ? Pourquoi la terre entière me crachait-elle à la figure ? »
    « Nous avons parlé plus haut de l’obligation faite à une femme de plaire et le grief que, parallèlement, on lui en faisait. Une de mes amies me conta un jour comment elle l’éprouva personnellement. C’était une fille forte, sportive et intellectuelle. On la morigénait pour son absence de « féminité » […] Un jour, pour se rendre à une soirée, elle se fit belle : robe, coiffure, maquillage. En chemin, elle passa devant un chantier. Les ouvriers s’arrêtèrent de travailler et ricanèrent à son passage : « Oh là là ! Vise-moi ça!» en se trémoussant avec de petits cris mièvres.
    — Quoi que je fasse, j’ai donc tort, me dit l’héroïne de cette anecdote. »
    « « C’est vraiment une idée condamnée à l’avance que de vouloir lancer les femmes dans la lutte pour la vie», prêche Freud dans une lettre à sa fiancée.
    Tous ces défenseurs de la féminité compromise oublient très aisément que jadis les filles de quinze ans travaillaient comme mineurs de fond ; qu’on voyait dans certaines campagnes comme encore aujourd’hui en pays sous-développés les femmes tirer la charrue à la place des chevaux ou des bœufs, comme le rapporte l’auteur de Jacquou le Croquant ; qu’enfin, fait absolument occulté aujourd’hui, on voyait encore au XIXe siècle des galères de femmes. Que devenait donc leur fragile et exquise féminité ? Que devenait le naturel, le biologique, leur destin de plaire ?
    Balzac était beaucoup plus conséquent dans la division qu’il faisait des femmes en deux groupes :
    D’une part, les ouvrières qui n’ont aucun droit à prétendre à la féminité : ce sont des êtres asexués par le travail comme les abeilles de la ruche. Et d’autre part les bourgeoises et les dames nobles du faubourg Saint-Germain, qui sont de vraies femmes, elles. »
    « Toutes les satires, d’Hésiode à Montherlant en passant par Boileau ou les Pères de l’Eglise, contre le haïssable féminin, ne sont que tirades du même acteur qui change sa voix : l’homme qui ordonne à la femme de le séduire, pour ensuite l’en châtier, comme l’Eglise médiévale confisquant ses biens au Juif après l’avoir confiné dans l’usure. »
    « Comment ne se sentirait-elle pas en perpétuel porte à faux, incitée à ce caractère « oblique » et « équivoque » qui fournira un grief de plus contre elle ? »
    « Le travail est-il, peut-il être une libération quand il s’agit de postes subalternes, sans qualification et sans avenir ? En est-il, peut-il en être une, lorsqu’il se double d’une journée de travail ménager, même atténuée par l’automation, et dans les grandes villes et centres urbains d’un temps harassant de transports obligeant à un réveil matinal inhumain et à une fatigue avilissante, avant même d’avoir commencé à travailler ? En est-il, peut-il en être une, quand le seul mot de « promotion » paraît une incongruité à l’employeur quand il l’entend dans la bouche d’une femme ?
    Nous avons dit plus haut que peu de secteurs s’offrent pratiquement à l’emploi féminin, même si en principe ils s’offrent tous à lui, même si parmi eux se trouvent de très larges domaines devenus presque exclusivement féminins comme le secrétariat, qui a presque remplacé aujourd’hui l’ancien emploi féminin du travail de l’aiguille.
    En France, le tiers des travailleurs sont des femmes. Or, en 1968 elle ne représentaient que 8 % des cadres.
    Sur 303 800 contremaîtres, il n’y a que 18 000 femmes. Sur 139 000 ingénieurs, il n’y a que 3 % de femmes (rarement admises dans le secteur production, dit P. Sartin).
    Sur 371 000 cadres supérieurs, 45 200 femmes, qui ne touchent qu’environ 68 à 70 % des traitements réservés aux collègues masculins.
    Dans le Barreau : 19 % de femmes. Dans la Médecine : 7 %. Dans l’Architecture... 1%. Il y a une femme à la Cour des Comptes, et une femme sous-secrétaire d’État. Les femmes ne peuvent accéder aux postes de préfet, d’inspecteur des finances, ni entrer dans la carrière diplomatique. Et ceci en dépit de la loi du 10 octobre 1946 : « Aucune distinction ne peut être faite entre les deux sexes pour le recrutement aux emplois de l’État. »
    Il est intéressant du reste de signaler la mystification de la fausse promotion féminine dans d’autres pays que le nôtre : par exemple l’U.R.S.S., où 75 % des médecins sont des femmes parce qu’il s’agit d’une des professions les plus ingrates et mal payées depuis la fonctionnarisation. »
    « Les mêmes réactionnaires qui s’indignent de voir les Soviétiques (aux fortes musculatures pourtant), trimballer des rails sur l’épaule, ou les Chinoises conduire des locomotives, ne s’attendrissent guère sur le sort des mécanographes qui font quinze mille perforations à l’heure sur machine (et pour quel salaire!) ou des ajusteuses électroniques qui, ne sachant comment employer leur C.A.P., travaillent à la loupe en maintenant des normes élevées, menacées par l’épuisement nerveux spectaculaire et par l’abaissement rapide de la vue autant que les dentellières d’autrefois; ne sont-ce pas là des « travaux légers »? Si légers qu’aucun homme n’en veut. […] Or, ce sont les plus mal payées, souvent au-dessous du SMIG, alors qu’ils exigent une acuité visuelle, une sûreté de gestes, un rythme dont seul un homme exceptionnel serait capable. »
    « Pierrette Sartin raconte comment, au cours d’une visite dans une usine de l’Est, elle vit de jeunes femmes qui n’étaient nullement Soviétiques ni Chinoises cisailler des barres de fonte en fusion et les soulever ensuite par paquets de plusieurs kilos pour les charger sur des chariots que les hommes, les bras ballants, attendaient qu’elles aient remplis pour les rouler. Le chef d’entreprise expliqua que « pas un homme ne voulait faire ce travail » et proclamait bien haut son admiration ; mais il les rémunérait au taux de manœuvre sans spécialité, qui est le plus bas. Un dqjs patrons qui visitaient cette entreprise ne partagea nullement l’admiration pourtant si platonique de son pair ; il se contenta de conclure :
    — Bah, si elles ne faisaient pas ça, elles feraient le trottoir. »
    « Le traité de Rome (d’où le Marché Commun est issu) a décrété cette égalité des salaires qui reste partout lettre morte, même dans les pays de « socialisme bourgeois » comme la Scandinavie. »
    « En France, au cours du réajustement des salaires qui suivit l’agitation de Mai 68, on découvrit avec horreur qu’un nombre important de travailleurs étaient payés très au-dessous du SMIG ; mais ce que l’on ne publia pas, dit la même Evelyne Sullerot, c’est que 75 % de ces prolétaires surexploités étaient des femmes ! »
    « Si, prenant les devants, elles défient leur condamnation en provoquant ce désir du mâle qu’on leur apprend de partout à considérer comme l’essence même de leur condition : « Ah, les salopes, pas une once de pudeur ! ». »
    « Lorsque des dispositions sont prises pour « alléger le double fardeau des femmes », si cher aux discours de la législation du Travail, elles ne le sont jamais que sur le plan de la profession, et non sur celui du domestique, comme si ce dernier était, encore une fois, « naturel », et celui du travail fortuit et surajouté. Au lieu d’augmenter le nombre des crèches et des jardins d’enfants ou de faciliter l’équipement ménager, on préfère allonger les congés de maternité, permettre à la jeune mère de quitter son emploi un an sans licenciement, avancer la retraite à cinquante-cinq ans. Toutes ces réformes, comme celle si fallacieuse du « travail à mi-temps », applaudies à grands cris par les paternalistes, les gouvernementaux, les phallocrates libéraux, n’ont pour but réel que de décourager les employeurs de prendre des femmes, et inciter celles-ci à retourner à leur foyer. »
    « Rappelons qu’environ 3 500000 jours de congé maternité ne sont pas pris par les bénéficiaires. Pourquoi ? Parce que la fameuse indemnité journalière versée par la Sécurité Sociale et qui, dit-elle, « grève lourdement son budget », est tout à fait insuffisante. »
    « On remarque également que la femme doit souvent changer d’emploi, même si cet emploi l’intéresse, lorsque son mari en change. Quand donc l’inverse se produit-il ? »
    « Pierrette Sartin cite ces deux autres ouvrières :
    — Quand j’ai une discussion avec mon mari, je peux toujours lui répondre que je gagne autant que lui.
    — Mon mari m’a dit un jour en tapant sur la table qu’il commandait, que c’était lui le maître. Je lui ai répondu sans me fâcher que j’avais un métier, un bon salaire et que je n’avais pas besoin de lui pour me faire vivre. Ça lui a donné à réfléchir. […]
    Il est réconfortant de voir que, de moins en moins, les femmes ne cultivent le rêve de retour au foyer […] il faut remarquer quelque chose de très significatif. Les répliques citées ci-dessus appartenaient précisément au monde prolétarien et n’étaient pratiquement pas pensables dans le domaine supérieur du travail ; combien de femmes cadres ou secrétaires de direction auraient pu répondre à leur mari qu’elles gagnaient autant que lui ? Plus on s’élève dans la pyramide professionnelle, plus le nombre de femmes diminue, et proportionnellement plus l’écart entre les traitements s’agrandit. Malgré l’inégalité des salaires, il se peut, selon le secteur de l’industrie, qu’une femme gagne autant qu’un homme ; c’est exceptionnel dès que le niveau de l’emploi s’élève. Quand on revendique pour l’égalité des salaires, on oublie souvent que cette égalité est encore plus bafouée à l’échelon supérieur des traitements, honoraires, indemnités, etc. »
    « La loi de plaire, plus écrasante encore en société dite de consommation, la très simple et très naturelle réification de la femme réduite à son aspect qui apparaît dans les réponses à Fanny Deschamp ou dans les suggestions du patronat aux vendeuses en grève, le refus persistant de considérer le droit au travail ou aux études, chez la femme, comme allant de soi ainsi que chez l’homme, tous les exemples que nous avons cités plus haut démontrent que l’idée de la femme vendue, soit à un seul (le mariage) soit à la communauté mâle (le trottoir) est une des structures mentales les plus résistantes de notre société.
    C’est ainsi que toute femme vit à la frange de ce possible, sait jusqu’au tréfonds de son être que la question peut un jour se poser pour elle, que toute sa vie la prostitution lui sera présence invisible, comme le paradigme de sa condition. La dévalorisation des interdits moralistes d’hier sera même une barrière de moins entre cette abjection et son destin personnel; les petites ménagères des H.L.M. et des grandes banlieues verront beaucoup plus facilement qu’autrefois une solution pour « arrondir leur fin de mois » dans ce que les mâles appellent hypocritement le plus vieux métier du monde; de jeunes mères abandonnées ou à la pension alimentaire insuffisante, appartenant parfois à la plus haute société ou à l’élite intellectuelle, n’hésiteront pas à participer à un réseau de call-girls, quitte à tomber entre les mains du chantage ou de la police, à se faire marquer ou abattre. »
    « Ce n’est donc pas par le seul jeu du travail sous-payé que le fait social de la prostitution est présent au cœur de la féminitude ; il se trouve partout, y compris chez celle de la privilégiée bourgeoise, de l’intellectuelle la plus estimée, de la mère de famille la plus respectable, de la religieuse, de la lesbienne ; la malédiction de ce possible que tant de facteurs poussent à rendre probable naît avec toute femme comme un second péché originel. Même sa vieillesse ne l’en sauvera pas ; les personnes qui ont assisté à une visite médicale de prostituées ont pu constater, à leur grand ébahissement, l’énorme proportion de vieilles, très vieilles femmes qui s’y présentaient. (« Comment voulez-vous que je vive avec ce que me donne l’Etat : 90.000 anciens francs par trimestre ? » me demandait l’une d’elles.).
    Nous savons donc que ni la naissance, ni les principes, ni le travail, ni le mérite, ni les qualités intellectuelles, ni même les divergences érotiques ne peuvent sauver une femme de façon sine qua non ; le suicide - ou le meurtre, comme dans le cas du crime récent des jeunes auto-stoppeuses - peuvent être les derniers remparts contre cette menace jamais absolument écartée d'une vie de femme.
    Si la grande majorité des femmes meurent sans avoir connu cette déchéance, il n’en est aucune qui ne se soit vu rappeler, tout au long de sa vie ou à certains moments, qu’elle y pouvait tomber. « Putain ! » est la première insulte qui vient à la bouche d’un homme en conflit avec une femme ; ensuite, les coups sont mieux justifiés. Les plus concernées sont évidemment celles qui connaissent déjà, par le salariat, le travail en tant que prostitution ; obligées de vendre à un patron […] le spectacle de leur sourire, de leur coiffure, le frôlement de leur jupe, ou à toute une clientèle de magasin leurs ongles rutilants et leur discret parfum […] il est peu de métiers féminins où une femme ne doive pas se vendre en effigie, même si elle résiste à l’incitation de se vendre en chair et en os. Ce refus sera-t-il même possible demain ? Quel coup du sort ne la dépossédera de ce moindre mal, la « prostitution imaginaire »? Il n’est en tout cas aucun atout, aucune distinction flatteuse qui l’en mette définitivement à l’abri ; en Emily Brontë, en Marie Curie, en Simone de Beauvoir ont existé une prostituée éventuelle. A plus forte raison chez toute femme « ordinaire », c’est-à-dire moins irrévérencieuse que celles-ci qui osèrent être quelqu’un, étant femmes ; si c’est au tutoiement que commence la torture, c’est au respect du système que commence la putain. Sartre a fortement exprimé, par le titre de sa pièce, la Putain Respectueuse, le lien de la prostitution à la déférence.
    Ces femmes sont châtiées de dénoncer la contradiction de la société mâle qui modèle plus ou moins toute femme à leur image, mais cependant leur interdit de l’être sans alibi, sans justification, sans équivoque. […] Kate Millet a raison : les putains, nos têtes de mort, sont aussi nos prisonnières politiques. »
    « Lorsque, en 1930, j’étais en classe mixte au cours Hattmer, j’entendis le même discours dans la bouche de notre directeur faisant honte aux garçons parce que je me trouvais dans les premières places. Assistait à ce cours ma mère, élève de Mme Curie, qui avait dû dans sa jeunesse faire le coup de poing pour pouvoir s’asseoir à la Faculté des Sciences où les étudiants faisaient barrage. (En Médecine, ils brûlaient en effigie les premières étudiantes.) » "
    -Françoise d'Eaubonne, Le féminisme ou la mort, 1974.

    "
    -Françoise d'Eaubonne, Écologie, féminisme. Révolution ou mutation ?,



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Ven 22 Nov - 19:41