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    Sophie Wahnich, L'Impossible Citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Sophie Wahnich, L'Impossible Citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française Empty Sophie Wahnich, L'Impossible Citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 3 Nov - 9:25



    "Depuis les élections de septembre 1792, ce baron prussien qui s’est déclaré «orateur du genre humain» en 1790 est le représentant de l’Oise à la Convention nationale. Depuis le 26 août 1792, cet étranger bénéficie de l’honneur de porter le titre de citoyen français. C’est ce qu’avait demandé et obtenu Marie-Joseph Chénier qui voulait que « l’élite des hommes réunie de tous les points de la terre » constitue « le congrès du monde entier » et réalise « cette fraternité universelle, premier vœu des philosophes, premier but de l’ordre social ».

    Le 26 avril 1793, Anacharsis Cloots, attaché intimement à la nation française en étant un de ses représentants, attaché plus intimement encore à la cause politique de cette nation qui est aussi pour lui celle de la Grande Nation du genre humain, déclare : « J’occupe la tribune de l’univers. »

    Au moment où l’on débat de la constitution française à l’horizon de l’universalité du droit, Anacharsis Cloots, cet étranger devenu français, affirme au sein de la Convention nationale des représentants du peuple français, cette tribune de l’univers, que l’histoire de la Révolution française et de l’univers est entièrement décrite par cette capacité des Français à devenir hommes universels, à signifier ainsi la barbarie du vocable, comme de l’être, étranger. Ce faisant, Anacharsis Cloots a défait le couple traditionnel Français étrangers et lui a substitué le couple humanité civilisée/sauvagerie." (pp.7-8 )

    "Le magnifique impératif de Saint-Just [26 germinal an II] : « Il faut que vous fassiez une cité, c’est-à-dire des citoyens qui soient amis, qui soient hospitaliers et frères », nous conduit très vite de la cité aux étrangers puisque ce mot d’ordre d’amitié, d’hospitalité et de fraternité côtoie celui de l’exclusion des nobles et des étrangers." (p.10)

    "Raviver sur la question de l’étranger l’expérience fondamentale de la Révolution et, pourrait-on dire, son fondement, la tension entre l’universalité de l’humanité et la nécessité de l’ancrage citoyen, la tension entre une conception du politique qui vise à l’universalité du droit et une reconnaissance communautaire du citoyen. Cette expérience-là permet au moins l’étonnement face à la logique humanitaire qui affirme une nécessité toute contemporaine, dissocier la qualité d’homme de celle de citoyen.

    Il n’empêche que le passé xénophobe, le passé d’exclusion de l’étranger est inscrit au cœur de l’épisode révolutionnaire. Le 3 août 1793, Garnier de Saintes propose le décret suivant : « [Les étrangers] qui obtiendront un certificat d’hospitalité seront tenus de porter au bras gauche un ruban tricolore sur lequel sera tracé le mot hospitalité et le nom de la nation chez laquelle ils sont nés. » Le 6 nivôse an II, Thuriot rédige le décret qui exclut les étrangers Thomas Paine et Anacharsis Cloots de la Convention : « Tous individus nés en pays étranger sont exclus du droit de représenter le peuple français. » [...]

    Le sort de l’étranger est loin d’être enviable pendant la Révolution, et les persécutions qu’il subit ne peuvent toutes être imputées à la simple situation de guerre. L’étranger pendant la Révolution n’est bien accueilli que s’il participe à l’esthétisation de la cité universelle, mais les rapports politiques ne laissent aucune autre place à cette figure suspecte de trahir le genre humain. On théorise les limites de la souveraineté nationale et l’exclusion de l’étranger. On en fait une nécessité pour atteindre, entre peuples souverains, l’idéal des relations réciproques que devraient connaître les citoyens.

    A contrario, la société de correspondance de Londres, qui participe au dialogue international réglé établi au sein de la Convention et soutient régulièrement de ses louanges les révolutionnaires français, avait déclaré que le nombre de ses membres serait illimité, que l’esthétique de la politique ne pouvait se concevoir que dans un rapport à l’illimité. Société politique illimitée et clôture de la souveraineté nationale. D’un côté, le sujet politique illimité, grand inspirateur de cette fameuse dissolution de toutes les classes, de l’autre, la nation souveraine, la recherche incertaine d’une communauté déterminée, fut-elle, comme le disait Saint-Just, communauté des affections qui se déclarent dans la proximité des corps, ces corps parlants qui partagent le même quotidien au village ou dans le quartier. D’un côté, le pur déni de l’exclusion, de l’autre, l’exclusion comme nécessité de la souveraineté nationale." (pp.10-11)

    "Dès 1789, les révolutionnaires définissent les règles de la circulation légitime des discours sur la loi, en adoptant le principe de la primauté de la centralité législative. Il faut sans aucun doute savoir que des groupes politiques concurrents comme les Cordeliers s’opposent à la centralité législative, que des administrateurs ont tenté de trouver une autonomie vis-à-vis de l’Assemblée, mais ces pratiques politiques ont été désignées comme fédéralistes, c’est-à-dire, nous le verrons, étrangères, de fait, à la nation unie. L’Assemblée est donc le lieu par excellence de la traduction légitime de toutes les émissions discursives, paroles, rumeurs et textes écrits par des citoyens, membres ou non des sections, clubs et sociétés populaires, administrations. Ils forment des députations pour porter la parole à la barre de l’Assemblée et soumettre leurs opinions au débat législatif. Lorsqu’on ne peut députer, on utilise l’écrit. Sont ainsi adressés aux représentants des pétitions, des adresses de louanges ou de mises en garde, des propositions, des récits, des lettres de requêtes, des procès-verbaux de conseil d’administration. Chaque jour la séance débute par la lecture de quelques-uns des textes qui sont parvenus, l’Assemblée prend ainsi le temps de rester sensible à l’opinion qui s’y déploie et d’être toujours en prise avec le pays. A ce titre, la critique du corpus parlementaire comme corpus d’une Révolution vue d’en haut manque ce qui caractérise le dispositif d’assemblée pendant la période révolutionnaire. Ce ne sont pas les seuls représentants du peuple mais tous les acteurs révolutionnaires qui acceptent les règles d’un dispositif original pour déployer la souveraineté de la nation, qui peuvent prendre la parole en ce lieu.

    « L’activité de la puissance législative est nulle en elle-même », « les députés ne font (...) qu’un acte de sujet et non de souverain » [Lavicomterie, Du peuple et des rois, Paris, 1790]. Le législateur ne peut faire que des « actes conservateurs de la souveraineté »." (pp.15-16)

    "
    (pp.23-25)
    -Sophie Wahnich, L'Impossible Citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1997, 407 pages.



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