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    J. Hyppolite, La signification de la Révolution Française dans la « Phénoménologie » de Hegel

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    J. Hyppolite, La signification de la Révolution Française dans la « Phénoménologie » de Hegel Empty J. Hyppolite, La signification de la Révolution Française dans la « Phénoménologie » de Hegel

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 22 Nov - 21:15



    "Il a connu à la fois les dénigrements systématiques des adversaires (son propre père par exemple, fonctionnaire des Finances dans le Wurtemberg) et les enthousiasmes naïfs des adeptes de la nouveauté pour la nouveauté, ces ultra-révolutionnaires auxquels il fait allusion dans la préface de la Phénoménologie." (p.322)

    "On peut selon ses dispositions propres ou reprocher à Hegel d'avoir présenté une logomachie, d'avoir réduit toute l'histoire concrète à des oppositions logiques, ou encore lui reprocher d'avoir contaminé les idées avec les accidents de l'histoire. En fait ces deux genres de reproches négligent précisément ce qui fait l'originalité de cette œuvre, le plus grand effort qui ait été tenté pour relier le singulier et l'universel qui pour la conscience commune se juxtaposent sans se pénétrer." (p.323)

    "Pendant les années de Tübingen, Hegel, étudiant en théologie, a pris contact avec le monde spirituel de son temps, Schiller et Lessing aussi bien que la pensée française du XVIIe siècle. Il connaît bien Montesquieu dont l'œuvre lui paraît « immortelle » ; il s'enthousiasme avec son ami Hölderlin pour Rousseau dont la lecture l'a aidé à comprendre la succession des événements dans la Révolution Française." (p.323)

    "Dans les travaux hégéliens de cette époque (Tübingen et Berne) il nous semble entrevoir le germe de deux conceptions fort différentes de cette liberté. En langage moderne nous parlerions volontiers d'une liberté en dehors de l'Etat, et d'une liberté dans l'Etat. Tantôt en effet, Hegel exalte la Cité antique dans laquelle, selon lui, le citoyen réalise pleinement son destin sans chercher un au delà, tantôt il voit dans le christianisme une religion privée qui permet à l'individu de rejoindre l'Universel et de s'élever au-dessus de son monde social. Cette antithèse peut se présenter à propos du problème de l'Église et de l'État, « Hegel combat l'Église au nom de l'État, et l'État au nom de l'Église », mais prenons-y garde, le problème ainsi posé est plus vaste ; et dans l'hésitation du jeune Hegel, dans l'ambiguïté de quelques-unes de ses formules, nous découvrons deux conceptions peut-être inconciliables. Selon l'une d'entre elles, l'individu est vraiment libre quand il se réalise dans un État qui est son propre État. Il n'y a plus d'au delà, l'esprit est immanent à son œuvre terrestre, la volonté particulière est réalisée dans la volonté générale, dans une nation, et dans une nation particulière, car l'amour qui cimente l'union des citoyens ne peut s'étendre à l'infini sans se perdre. L'homme est uniquement citoyen. Selon l'autre, l'État n'est pas la réalisation complète de l'homme, qui doit se réserver une liberté particulière en dehors de l'État. Dans le premier cas, la Religion tend à disparaître dans la Cité terrestre, œuvre de l'homme qui ne tente pas de « fuir ce monde » et de « sauver ce qui lui est propre » ; dans Te second, l'État n'est qu'un moyen au service de l'individu qui seul peut atteindre en lui-même l'Universel." (pp.324-325)

    "Hegel est d'abord réformiste, il n'est pas révolutionnaire, et cela sans doute par caractère, mais les réformes qu'il demande, inspirées par ce qui se passe en France, sont tout à fait radicales Dans une lettre écrite à son ami Schelling, le 16 avril 1795, Hegel dénonce avec précision et minutie les tares du petit État de Berne dans lequel il vit. Il a vu de très près les dessous de cette société si vertueuse en apparence. L'état de choses injuste doit disparaître sous l'influence des idées nouvelles. La philosophie moderne insiste sur l'idée, sur ce qui doit être. Elle oppose le devoir-être (sollen) à l'être, et par là réveille les âmes engourdies « en montrant comment tout doit être, l'indolence des gens qui prennent toute chose éternellement comme elle est, disparaîtra ». Quand on connaît la critique implacable que Hegel fera plus tard de ce « sollen » et des utopistes en général, on s'étonne de sa position si radicale à cette date." (p.326)

    "Le droit positif existant -cette positivité dénoncée par Hegel à cette époque comme une chose morte au sein de l'activité vivante- oppresse les âmes. Si l'on veut éviter une révolution violente comme en France, il faut donc concéder tout de suite les réformes indispensables." (p.327)

    "Dès la fin de la période de Francfort et pendant la période d'Ièna, on constate un changement complet d'attitude chez Hegel. Il ne veut plus réformer le monde actuel ; il cherche plutôt à le comprendre et à reconnaître en lui un destin nécessaire. [...]
    A la fin de 1794, Hegel déjà avait exprimé à Schelling son dégoût de la tyrannie sanglante de Robespierre. Les guerres des armées de la République, puis de l'Empire avaient fait réfléchir les utopistes. Hegel a vu de près cette guerre : les villages à moitié en ruines, les églises réduites à des murs nus. Des idées nouvelles enfin se faisaient jour sur la Révolution Française. Le livre du conservateur anglais Burke, si important pour la conception organique et romantique de l'État qui s'élabore, avait été traduit en allemand par Gentz en 1793.

    Sans doute Hegel a-t-il subi comme les autres cette vague de réaction, mais il l'a subie à sa façon, et son attitude nouvelle n'est pas une pure attitude conservatrice. C'est dans son étude sur la constitution de l'Allemagne que nous trouvons l'expression la plus nette de sa nouvelle position. L'État ne lui apparaît plus maintenant comme le résultat d'une association contractuelle. Il s'impose aux individus comme leur destin. C'est par la force et par l'action des grands génies politiques -tel Richelieu en France- et non d'idéologues, que peut se faire l'unité d'un État. On connaît l'analyse pénétrante et parfois prophétique que Hegel fait de la situation du Reich allemand, État de pensée, incapable de soutenir la guerre décisive pour un peuple." (pp.327-328)

    "D'une attitude réformiste à une attitude contemplatrice du « Sollen », à la « compréhension de ce qui est », telle nous semble être l'évolution de Hegel avant la Phénoménologie. C'est pourquoi dans cette œuvre qui reprend tous les thèmes et tous les essais de sa jeunesse, il va tenter de comprendre l'évolution qui a nécessairement conduit à la Révolution Français." (p.329)

    "La fin du monde antique entraîne le grand déchirement du monde moderne. La conscience a maintenant un double objet, elle vit en même temps dans « deux mondes » qui se sont rendus étrangers l'un à l'autre. L'un de ces mondes est celui de la réalité sociale et politique ; là l'esprit s'aliène et constitue une dure réalité qui se dresse en face de la conscience de soi : « Le premier est le monde de la réalité effective dans lequel l'esprit s'est fait étranger à lui-même, mais le second est le monde que l'esprit, s'élevant au-dessus du premier, se construit dans l'éther de la pure conscience. » Ce dédoublement est tel que la « présence » est désormais sans essence, et que l'essence est un au-delà sans présence. Temporel et spirituel sont coupés l'un de l'autre. C'est pourquoi le monde de l'au-delà n'est qu'une « fuite », un refuge de la conscience croyante qui s'élève au-dessus du présent. Ces deux mondes qui ne sont que l'un par l'autre, sont l'objet d'une de ces « révolutions silencieuses » qui précèdent les grands bouleversements apparents, et le résultat de ces deux évolutions parallèles est la tentative d'unification que constitue la Révolution Française. Le monde de la présence est conduit à sa dissolution, le monde de l'au-delà est l'occasion d'un conflit dramatique dans la pure conscience. « L'Aufklarung » qui est la pure pensée du XVIIIe siècle, sous prétexte de combattre la superstition, prépare la « réconciliation » des deux patries de l'homme. Au terme de ces deux mouvements que nous allons tenter de présenter ici, « les deux mondes sont réconciliés et le ciel est descendu sur la terre »." (pp.329-330)

    "Le monde de la présence est le monde d'une dure réalité que la conscience forme se cultivant elle-même. Cette culture (Bildung) doit être entendue ici dans sa signification la plus générale. L'individu renonce à sa liberté naturelle, il se fait l'homme d'un monde social et politique qu'il constitue par cette aliénation même ; mais en échange de ce renoncement - « la culture est pouvoir » - il réussit à se rendre maître de cette réalité. Les deux éléments de ce monde sont le « pouvoir de l'État » et la « Richesse ». Le premier est d'abord l'essence, mais en se réalisant complètement, il passe en fait dans son opposé, la richesse. Cette évolution générale des éléments de ce monde prend tout son sens, si nous considérons les deux types de conscience de soi qui portent ce monde, l'actualisent, et en l'actualisant complètement, le conduisent à sa dissolution : la conscience noble et la conscience basse (ou infâme).

    La conscience noble se définit par son adéquation au monde politique et social réel, elle se montre adéquate aux deux puissances qui dominent ce monde : le pouvoir de l'Etat et la richesse. La conscience basse au contraire, est toujours dans un état d'inégalité, elle est l'élément de la révolte, et, si l'on veut, le ferment révolutionnaire de tout le développement. La conscience basse est sans doute contrainte d'obéir au pouvoir constitué, mais si elle plie, c'est avec le sentiment d'une secrète révolte intérieure. Elle cherche bien la richesse qui permet la jouissance, mais elle hait le bienfaiteur. Or, de même que la vérité du maître était l'esclave -ou qu'en fait le maître était l'esclave sans le savoir- de même la vérité de la conscience noble est la conscience basse. On ne peut nier ici le caractère révolutionnaire aperçu par Marx, de la dialectique hégélienne." (p.331)

    "L'étude que fait ici Hegel de la conscience déchirée fait penser à l'analyse antérieure de la conscience sceptique ou de la conscience malheureuse ; mais le caractère original de cette conscience déchirée [...] tient ici à ce qu'elle est proprement la conscience d'une civilisation en train de périr, une conscience malheureuse pré-révolutionnaire. Ainsi le neveu de Rameau, négligeant les apparences immédiates de ce monde, peut dire : « Vanité, il n'y a plus de patrie, je ne vois d'un pôle à l'autre que des tyrans et des esclaves. »" (p.337)

    "Pour Hegel ce sont vraiment des idées incarnées dans certaines visions du monde qui mènent l'histoire. Ces « visions du monde », l'Aufklärung, l'Utilitarisme, la Liberté absolue sont explicitées par les philosophes dans des systèmes plus ou moins abstraits, mais elles prennent naissance dans le développement de la substance sociale. Étroitement liées certes aux réalités concrètes, à la culture dans le sens que Hegel donne à ce terme, elles ne sont pas des supra-structures, mais des idéologies vivantes qu'il faut comprendre comme telles. Le moment concret en elles -par exemple le genre de vie des hommes, le système social qui leur correspondent- ne doit pas en être artificiellement séparé. Marx, en prétendant remettre la philosophie hégélienne sur ses pieds, bouleverse en fait toute la pensée hégélienne." (p.340)

    "L'action de l'Aufklärung ne peut être une action sur les consciences déformées des prêtres et des despotes, elle est donc une action directe sur la masse qu'elle entreprend de transforme. [...]
    L'utilitarisme [bourgeois] est l'inconsistance d'une pensée qui n'a pas encore rassemblé ses moments en elle-même, qui a conservé une objectivité devant elle, comme une pellicule superficielle qu'elle s'acharne à nier pour la voir toujours reparaître : « L'utilité n'est que prédicat de l'objet, elle n'est pas elle-même sujet. » C'est pourquoi l'inconsistance doit disparaître, et la grande vérité des temps nouveaux doit être proclamée : « L'homme est volonté libre. » II s'élève au-dessus du monde plat de l'utilité sociale, dont il est la profondeur, et découvre l'absolu dans sa « conscience de soi universelle ». De cette révolution intérieure jaillit la révolution effective de la réalité effective, jaillit la nouvelle figure de la conscience, la « Liberté absolue ». En elle les deux mondes jusque là séparés sont enfin réconciliés." (pp.341-343)

    "Être libre, c'est pour chaque citoyen se retrouver lui-même d'une façon indivisible dans la volonté générale, c'est-à-dire dans l'État. L'homme substitue aux impulsions particulières de l'appétit, l'obéissance à la Loi que lui-même s'est prescrite [...] Mais cette rencontre immédiate de l'Universel et de l'individuel est une abstraction ; elle ne considère en l'homme que le citoyen et non le bourgeois, l'homme privé comme tel. Or Hegel, depuis ses premiers travaux de Tübingen, a pris conscience de cette société organique qui s'interpose nécessairement entre l'État et l'individu. C'est pour avoir négligé ce monde concret que l'œuvre de Rousseau est insuffisante et conduit à une impasse. L'identité immédiate entre la volonté singulière et la volonté générale a pu exister selon Hegel dans la Cité antique, elle n'est plus possible aujourd'hui. L'individu doit nécessairement aliéner sa volonté, et comme le dit Hegel, « se faire chose » ou se faire un moment particulier d'un Tout qui le dépasse infiniment. La volonté générale ne se réalise qu'à travers ce Tout organisé, divisé en sphères concrètes et particulières. C'est pourtant le droit absolu de la conscience de soi de participer directement et consciemment à l'œuvre totale. La lutte contre toute aliénation de la volonté, contre toute limitation de la conscience de soi fait la grandeur de la Révolution Française, mais elle aboutit à un échec. Saint-Just déclarait : « La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n'avions point pensé. » Cette force des choses que Hegel nommera plus tard la ruse de Dieu est la véritable épreuve de l'idée. Elle livre au philosophe qui considère le mouvement de l'histoire la signification exacte de l'idée qui s'actualise dans le cours du monde. La Révolution Française est comme une vaste expérience métaphysique." (pp.343-344)

    "La démocratie intégrale apparaît et elle se montre l'antithèse de ce qu'elle prétendait être ; elle est le régime totalitaire dans le sens littéral du terme, la démocratie antilibérale, et elle est cela parce qu'elle a absorbé complètement l'homme privé dans le citoyen, la religion de l'au-delà dans la religion de l'État." (p.348)

    "Hegel distingue du petit bourgeois honnête qui jouit surtout de la considération qu'on a pour son honnêteté et sa situation aisée dans sa ville, le grand négociant qui vit dans l'abstraction et étend ses affaires dans l'espace et dans le temps. Habitué à manier de l'argent, cet universel abstrait - et non les choses, il pratique le droit abstrait et ne connaît que la rigueur de l'échange ; les conséquences humaines ne comptent pas pour lui : « Fabriques, manufactures fondent leur subsistance sur la misère d'une classe. » Certes l'État s'élève au-dessus de ce monde économique qui est comme « un animal sauvage » ; il est le coup d'œil universel, mais « son intervention doit être aussi invisible que possible, on ne doit rien vouloir sauver de ce qui n'est pas à sauver, mais occuper autrement les classes souffrantes », chercher des débouchés nouveaux. A côté de la noblesse qui conserve encore une place, apparaît le grand fonctionnaire, dont le modèle est fourni à Hegel par le conseiller d'État de Napoléon. Ce sont ces fonctionnaires qui ont le sens du devoir et qui, avec les savants, expriment « l'opinion' publique »." (p.350)

    "Dans aucune autre de ses œuvres, Hegel n'a été aussi loin de l'Étatisme que dans la Phénoménologie." (note 2 p.351)

    "L'échec de la Révolution Française paraît enregistré comme un fait nécessaire, et « l'Esprit passe dans une autre terre », c'est-à-dire en Allemagne où la liberté absolue, au lieu d'être réalisée pratiquement, est intériorisée dans un monde moral et religieux : Kant, Fichte et le Romantisme. Dans la Philosophie de l'Histoire, Hegel dira : « cela demeura paisible théorie chez les Allemands, mais les Français voulurent l'exécuter pratiquement »." (p.351)
    -Jean Hyppolite, "La signification de la Révolution Française dans la « Phénoménologie » de Hegel", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 128, No. 9/12 (SEPT.-OCT ET NOV.-DÉC. 1939), pp. 321-352.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Mar 26 Nov - 5:02