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    Dominique Weber, Grandeur civique et économie dans la pensée politique de Francis Bacon

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Dominique Weber, Grandeur civique et économie dans la pensée politique de Francis Bacon Empty Dominique Weber, Grandeur civique et économie dans la pensée politique de Francis Bacon

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 3 Jan - 12:00

    "Selon Oakeshott, Bacon penserait l'État comme « un territoire circonstanciellement distinct dont les habitants, engagés dans l'exploitation sans relâche de ses ressources, ont un intérêt commun au succès continuel de l'entreprise », de sorte que « le gouvernement d'un État » serait « le gardien de cet intérêt commun et le directeur et le gestionnaire [manager] de l'entreprise » [Michaël Oakeshott, De la conduite humaine (1975), trad. fr. O. Sedeyn, Paris, PUF, 1995, p. 289]. [...] Le projet de dominer la nature soit tributaire de sa mise en œuvre par l'État. De sorte que ce dernier se voit accorder une fin distincte de la préservation de la paix, puisqu'il lui revient d'assurer le progrès du savoir en vue du bien commun. Bref, Bacon serait ici fort proche, dans son projet de prise en charge de la recherche scientifique par l'État, des théoriciens de la raison d'État, qui développèrent une conception de l'État administratif soucieuse de la diversité des richesses, de leur production et de leur croissance." (p.324)

    "La conceptualisation baconienne de l'État est peut-être moins simple. C'est ce qu'indique le rôle joué au sein de la pensée politique de Bacon par la notion, de provenance machiavélienne mais aussi boterienne, de « grandeur » (greatness) de l'État." (p.324)

    "Le silence de Pocock s'explique par le fait que c'est tout particulièrement au cours du règne de Jacques Ier (1603-1625) que la notion de « grandeur » étatique est devenue centrale dans l'œuvre de Bacon. Or, pour Pocock, ultimement, c'est bien « l'effondrement de la monarchie et la guerre civile » qui permirent de franchir cette « étape » : celle conduisant, dans l'Oceana de James Harrington (1656) ainsi que dans les Discourses Concerning Government d'Algernon Sidney (1698), à une reconceptualisation des institutions de la monarchie anglaise territoriale et juridictionnelle dans les termes de l'humanisme civique républicain." (p.325)

    "L'expression « true greatness » signifie chez Bacon « expansive power » : elle désigne donc la « puissance » (power) et les « forces » (forces) d'un État pour acquérir et pour conserver de nouveaux territoires [...] Pour Bacon, comme pour Machiavel, la liberté ne se conçoit en réalité que par la grandeur : cette dernière n'est pas seulement le moyen de conserver la liberté, mais aussi, et avant tout, la finalité qui lui donne sens. L'aspiration à la grandeur, en effet, est ce qui empêche la liberté de se dissoudre en intérêts uniquement particuliers." (pp.326-327)

    "Vers la fin du XVI siècle, la conceptualisation de la grandezza héritée de l'humanisme civique italien, notamment florentin, a été très sévèrement remise en cause, et cela par des auteurs qui ont aussi participé à la mise en cause de l'héritage latin (Cicéron, Salluste, Tite-Live) célébrant la participation active à la vie de la cité et le dévouement au bien public. Au premier rang de ces auteurs se trouvent en particulier le Piémontais Giovanni Botero et le Flamand Juste Lipse." (p.327)

    "Entre 1580 et 1700, plus de cent auteurs écrivirent des commentaires sur Tacite, et la majorité de ces commentaires furent des commentaires politiques ; les Annales et les Histoires connurent édition sur édition." (note 16 p.327)

    "Contre Machiavel [et sa critique du lieu commun antique "L'argent est le nerf de la guerre", qu'on retrouve chez Quinte-Curce, Diogène Laërce, Cicéron, Plutarque ou Tacite], Lipse affirme au contraire très nettement que « les gens de guerre et l'argent [sont] les deux moyens qui acquièrent], gard[ent] et f[ont] accroître l'État » (Les Politiques, IV, VII, 2, p. 299), car, ajoute-t-il, « l'argent est l'esprit vital de la guerre » (Les Politiques, V, VI, 1, p. 457) ; il consacre même tout le second livre de son ouvrage Admiranda, sive de magnitudine Romana à l'économie de la Rome impériale en général et à son système de taxation en particulier. Quant à Botero, il soutient lui aussi que les forces financières et les richesses constituent des éléments fondamentaux de la puissance des États. Un grand État, c'est à la fois un État riche et un État peuple." (p.329)

    "Les pauvres n'ont pas intérêt au repos public. De sorte qu'il faut les mettre au travail et, de façon plus générale, développer l'industrie humaine sous toutes ses formes. C'est à l'intérieur de cette visée d'« intéressement » qu'il faut situer la pratique du gouvernement économique de la société proposée par Botero : la conversion du bien-vivre en bien-être matériel introduit le gouvernement économique dans la sphère politique elle-même. [...] L'écho de ces ouvrages et de ces thèses, en Angleterre, fut très grand." (p.330)

    "Bacon admet en outre la nécessité, lorsque l'occasion le demande, de passer outre les conventions morales, soutenant qu'« une juste crainte » (a just fear) est « une juste cause de guerre préventive » (Considerations touching a War with Spain, 1624, Sp., XIV, p. 477 ; voir aussi The Essays, XIX, Sp., VI, p. 421 / p. 101). Dans la même perspective, Bacon soutient également que, dans les négociations et dans les traités politiques, il n'existe qu'« une seule garantie de la parole donnée vraie et certaine » : Non pas une des divinités célestes, mais la Nécessité (grande divinité des puissants), le péril de l'État et la communauté d'intérêts (De Sapientia Veterum, 1609, V, Sp., VI, p. 634 / trad. fr. Jean-Pierre Cavaillé, Paris, Vrin, 1997, p. 76).

    La « prudence politique » (prudentia civilis), selon un mot que Lipse contribua grandement à diffuser, doit même se faire de la « défiance » une « règle » et « conjecturer en pire [in deterius] sur les affaires humaines »(Novum Organum, I, 92, Sp., I, p. 199 / p. 154). En 1614, au Parlement, l'auteur de la Nouvelle Atlantide affirme même que « nous ne vivons pas dans la république de Platon, mais en des temps où les abus ont le dessus » (Speech upon the Case of Sir Thomas Parry, charged with Unlawful Interference in an Election, Sp., XII, p. 52). Bref, Bacon ne recule aucunement, dans l'art de gouverner, devant la nécessité de faire droit à une nécessaire « ambiguïté morale ». En 1605, Bacon peut ainsi écrire :

    Quant à la science du gouvernement, c'est une partie du savoir qui est secrète [secret] et gardée à part [retired], pour les deux raisons qui font que certaines choses sont vouées au secret. En effet, certaines sont celées parce qu'elles sont difficiles à connaître et d'autres parce qu'il ne convient pas de les déclarer. Nous voyons que tous les gouvernements sont mystérieux [obscure] et invisibles [invisible] (The Advancement of Learning)." (pp.331-332)

    "Bacon semble bien estimer lui aussi que la caractéristique la plus importante d'un grand État réside dans la discipline martiale. La grandeur civique, écrit-il dans une veine de pensée fort proche, en première approximation, de celle de Lipse, consiste ainsi dans « la valeur et la disposition militaire du peuple » [...] Il ajoute dans les Essays, en 1625 :

    Pour la grandeur et la domination, il importe avant tout qu'une nation fasse du métier des armes l'essentiel de son honneur, de son étude et de son occupation [their principal, honour, study, and occupation] [...]. La force d'une armée de vétérans constamment sur pied, ou du moins la réputation qu'elle possède chez les nations voisines, est ce qui confère d'ordinaire la suprématie ; comme on le voit bien par l'Espagne qui, depuis maintenant soixante ans, a eu presque continûment une armée de vétérans dans une région ou une autre (The Essays, XXIX)." (p.332)

    "Comme Lipse et Botero, Bacon semble accorder une certaine importance à la grandeur de la population. On notera toutefois que Bacon, sur ce point, se réfère à Machiavel et non à Botero. Défendant en 1603 l'union anglo-écossaise, Bacon écrit ainsi :

    The authority of Nicolas Machiavel seemeth not to be contemned ; who enquiring the causes of the growth of the Roman empire, doth give judgement, there was not one greater than this, that the state did do easily compound and incorporate with strangers (A Brief Discourse touching the Happy Union of the Kingdoms of England and Scotland, Sp., X, p. 96).

    On notera aussi qu'à travers cette question de l'accroissement de la population, c'est en réalité plus exactement le « droit de cité » (jus civitatis) des Romains que vise Bacon et qu'il entend prendre comme modèle pour le projet d'union anglo-écossaise. À cette fin, Bacon, exactement comme Botero (Delia Ragion di Stato, VIII, 7[...]), s'inspire de Tacite. Mais les raisons qu'avance Bacon pour souligner l'importance de la question de la naturalisation ne sont en réalité pas du tout les mêmes que celles avancées par Botero. Alors qu'il s'agit avant tout pour Botero de penser les « moyens d'enrichir de l'autrui » (Delia Ragion di Stato, VIII, 6[...]), il s'agit pour Bacon de montrer que le droit de cité implique nécessairement le droit de vote et le droit aux fonctions publiques, c'est-à-dire une participation active au bien public ; bref, le droit de cité n'est tel qu'à l'être dans toute sa plénitude :

    II faut pourvoir par tous les moyens à ce que l'arbre de Nabuchodonosor de la monarchie ait le tronc assez robuste pour supporter les branches et les rameaux ; j'entends que les sujets natifs du royaume ou de la république soient dans un rapport convenable aux sujets étrangers qui en dépendent. Aussi tous les États qui accordent libéralement la naturalisation aux étrangers sont-ils faits pour la domination. Croit-on en effet qu'un peuple d'hommes, même avec le plus grand courage et la plus habile politique, pourra embrasser un empire d'une trop vaste étendue ? Cela peut durer un moment, mais s'évanouira brusquement [...]. Jamais aucune nation ne fut à cet égard si portée à incorporer les étrangers que les Romains, et le résultat fut qu'ils devinrent la plus considérable des monarchies. Leur procédé fut d'accorder la naturalisation (qu'ils dénommaient jus civitatis), et de l'accorder dans toute sa plénitude [in the highest degree], c'est-à-dire non seulement le jus commercii, le jus connubii, le jus haereditatis, mais encore le jus suffragii et le jus honorum. Et ceci non seulement à des individus, mais à des familles entières, voire à des cités, parfois à des nations [...]. On peut dire que ce n'étaient pas les Romains qui envahissaient l'univers, mais l'univers qui envahissait les Romains ; et c'était le chemin assuré de la grandeur (The Essays, XXIX)."(pp.332-333)

    "Un quatrième point de convergence semble, en apparence, se dégage : à l'ancien gouvernement des âmes et des corps semble en effet parfois se substituer chez Bacon un véritable « gouvernement des choses » :

    La grandeur d'un État pour l'étendue et le territoire est susceptible d'être mesurée [fall under measure], et l'ampleur des ressources et des revenus d'être comptée [fall under computation]. La population peut se connaître par des recensements ; le nombre et l'importance des cités par des cartes et des plans (The Essays, XXIX).

    [...] Le gouvernement ne semble pas tant s'exercer sur des volontés que sur des quantités et des forces collectives. Dans l'essai Of Seditions and Troubles, Bacon peut ainsi recommander aux « pasteurs de peuples » (shepherds of people) de « bien connaître les calendriers des tempêtes de l'État, qui sont d'ordinaire plus fortes quand les choses sont à égalité, comme les tempêtes de la nature sont plus fortes autour de l'équinoxe » [...] Le problème politique semble donc se résumer ici à l'utilisation quantitative des forces disponibles."(pp.333-334)

    "Le premier point de rupture de Bacon avec la théorie de la grandeur civique issue des livres de Lipse et de Botero concerne le rôle accordé aux forces financières de l'État. Dans « le discours populaire » (popular discourse) concernant la grandeur de l'État, note Bacon, « beaucoup trop est attribué au trésor et aux richesses." [...]

    Pour Bacon, fidèle en cela à Machiavel, les richesses ne doivent pas du tout être considérées comme le facteur décisif de la grandeur civique :

    Je sais bien que la plupart des gens auraient mis [la richesse] au premier rang, car la richesse est d'une utilité générale qui répond à toute la variété des circonstances. Je me permets de récuser cette opinion au nom de la raison pour laquelle Machiavel a récusé celle selon laquelle l'argent est le nerf de la guerre : il dit que le vrai nerf de la guerre, c'est le bras nerveux des hommes, c'est-à-dire une nation vaillante, peuplée et guerrière [...]. On peut en vérité assurer que le nerf de la réussite n'est pas l'argent mais les nerfs et l'acier de l'esprit, c'est-à-dire l'intelligence, le courage, l'audace, la fermeté, le caractère, la capacité d'être industrieux, etc. (The Advancement of Learning, II. [...]

    Les forces financières ne contribuent à augmenter la puissance de l'État que si :

    First [...], that they be joined with martial prowess and valour.
    Secondly, That treasure doth then advance greatness, when it is rather in mediocrity
    than in great abundance. And again better when some part of the state is poor, than
    when all parts of it are rich.
    And lastly, That treasure in a state is more or less serviceable, as the hands are in
    which the wealth chiefly resteth [...]

    Si ces conditions ne sont pas remplies, les États, dilapidant leur énergie en « husbandlike considerations of profit », ne sont, dit Bacon, que des États « efféminés » (effeminate) et « marchands » (merchant- like) [...] Bacon écrit encore à Jacques Ier, le 30 août 1617, que la « prospérité » rend de façon regrettable les États « sans inquiétude » (secure) et « détachés des périls » (underweighers of perils) (Sp., XIII, p. 246). En somme, le commerce et l'art d'accumuler les richesses, loin d'appartenir à l'art de la guerre, sont bien plutôt pour Bacon ce qui vient affaiblir et corrompre les vertus et la discipline militaires." (pp.334-336)

    "Dans les « discours populaires » concernant la grandeur de l'État, beaucoup trop est également attribué, selon Bacon, à « la fertilité du sol » ou à « l'abondance des denrées » [...] alors que la vraie grandeur naît de la pauvreté et de sols arides [...] De façon qui peut sembler quelque peu provocatrice, Bacon ajoute même que tous les États grands n'ont eu « no other wealth but their adventures, nor no other title but their swords, nor no other press but their poverty » (Of the True Greatness of the Kingdom of Britain [...] Bacon retrouve en réalité certaines thèses proprement machiavéliennes au sujet de l'instauration de nouvelles cités :

    II y a plus de vertu là où le choix est moins libre, il faut considérer que, pour l'édification d'une cité, il vaut mieux choisir un lieu stérile, afin que les hommes, contraints d'être industrieux et moins paresseux, soient plus unis (Discours sur la Première Décade de Tite-Live, I [...] La faim et la pauvreté rendent les hommes industrieux et les lois les rendent bons [ibid]" (p.336)

    "Bacon, s'inspirant cette fois de Guichardin, écrit enfin dans les Essays : "Je ne saurais mieux dénommer les richesses que les bagages de la vertu. Le mot latin est meilleur encore : impedimenta, entraves ; car la richesse est pour la vertu ce que sont à une armée ses bagages. On ne peut s'en passer, ni les abandonner, mais ils empêtrent la marche ; et parfois même le soin qu'on y accorde fait perdre ou dérange la victoire [...]. Comme le dit Salomon : « La richesse est une forteresse, dans l'imagination du riche» [Pr 18, 11]. Mais cette phrase dit excellemment que c'est dans l'imagination et pas toujours dans la réalité. Car, sans contredit, les grandes richesses ont livré plus d'hommes qu'elles n'en ont délivré [...]

    Dans La Nouvelle Atlantide, texte probablement rédigé en 1623, l'imaginaire de la prolifération et de l'opulence matérielles doit être interprété, par conséquent, avec une certaine prudence. Dans l'île utopique, l'opulence matérielle a bien rendu les habitants généreux et ils accueillent bien les étrangers avec largesse. Et « comme il est arrivé à Bacon de lier la question de l'intolérance religieuse à celle de la pénurie, il n'est pas impossible de comprendre que la thèse de l'utopie, c'est que l'opulence fait la concorde, la philia et une certaine xénophilie, ou produit une sorte de philanthropie générale ». [...] Commentant ce texte, James Harrington écrira :« La noblesse d'Océana est de cette dernière espèce ; elle est la meilleure de toutes, car, n'ayant point d'armoiries dont elle tire sa valeur, elle ne peut avoir de prix que par son mérite intrinsèque »." (pp.336-337)

    "Il faut mettre place une régulation du commerce. Surtout, il faut refuser tous les phénomènes qui, « privatisant » l'homme et l'enfermant dans la sphère des jouissances privées, lui font oublier le destin de la patrie et le bien public : une société n'est pas qu'un vaste marché où les hommes sont livrés à l'empire de la Fortune ; les hommes ne sont pas de simples appendices passifs des processus matériels qu'ils ont mis en mouvement, les coupant des fonctions politiques et militaires qui sont seules susceptibles de satisfaire leurs besoins humains essentiels ; bref, pour Bacon, les hommes ne sont pas seulement des animaux marchands et producteurs, n'attendant de la politique que la protection de leurs intérêts privés." (p.338)

    "Pour lui, un accroissement de la population est un risque redoutable pour les États, un danger grave que seule une expansion indéfinie des ressources pourrait conjurer :

    En règle générale, il faut veiller à ce que la population d'un royaume (surtout si elle n'est pas fauchée par les guerres) n'excède pas la production du pays qui doit la maintenir. Et la population ne doit pas être évaluée seulement par le nombre, car un nombre moindre, dépensant plus et gagnant moins, use une nation plus vite qu'un nombre supérieur vivant plus frugalement et produisant davantage (The Essays, XV [...]

    Bacon, contre Botero, défait ici la corrélation entre augmentation de la richesse et augmentation de la population. Ni le niveau des richesses matérielles ni la grandeur de la population ne peuvent constituer pour Bacon les vrais principes de la grandeur de l'État.

    3) Le troisième point de rupture de Bacon avec Lipse et Botero concerne la théorie du peuple en armes. Là où Lipse met tout particulièrement l'accent sur le rôle considérable joué par les équipements et les matériels militaires, Bacon souligne avant tout le rôle de la vertu militaire dans l'esprit civique :

    There is too much ascribed to the strength and fortifications of towns or holds (Of the True Greatness of the Kingdom of Britain, Sp., VII, p. 48).

    Walled towns, stored arsenals and armories, goodly races of horse, chariots of war, elephants, ordnance, artillery, and the like ; all this is but a sheep in a lion1 sskin [Mt 7, 15], except the breed and disposition of the people be stout and warlike (The Essays, XXIX, Sp., VI, p. 445 / p. 153).

    Comme Machiavel, mais aussi, sur ce point, comme Lipse et comme Botero, Bacon souligne les dangers des troupes formées uniquement de mercenaires ou d'auxiliaires :

    Quant aux armées mercenaires [...], il est prouvé par tous les exemples que toute république ou royaume qui se repose sur elles « peut faire parade quelque temps de son plumage, mais ne tardera pas à muer » (The Essays, XXIX [...]

    Mais, à la différence de Lipse et de Botero, Bacon rejette entièrement l'idée de troupes militaires « professionnelles ». Il est bien en faveur d'une armée permanente :

    Un corps, physique ou politique, ne saurait être en bonne santé que par l'exercice ; et pour un royaume ou une république, une guerre honorable et juste [a just and honourable war] est sans contredit l'exercice requis [the true exercise]. Une guerre civile, en effet, est comme l'ardeur d'une fièvre ; mais une guerre étrangère est comme la chaleur de l'exercice, qui sert à maintenir le corps en bonne santé ; vu que dans une paix indolente les courages deviennent efféminés et les mœurs corrompues. Mais, laissant de côté le bonheur, il est incontestablement utile pour la grandeur d'un État d'être presque toujours sous les armes (The Essays, XXIX [...]

    Toutefois, comme Machiavel, Bacon estime que « every common subject by the poll » doit être en mesure de prendre les armes pour la défense de l'État." (pp.338-339)

    "Bacon préconise alors de résoudre ce problème social en constituant, parallèlement à l'armée des sujets politiques, une sorte d'armée de travailleurs étrangers :

    Ce qui s'en rapproche le plus est de laisser tous les métiers aux étrangers [strangers] (qui doivent être accueillis d'autant plus volontiers à cette fin) et de confiner le gros de la classe inférieure des nationaux [the principal bulk of the vulgar natives] dans ces trois catégories [kinds] : laboureurs du sol ; domestiques libres ; et ouvriers des métiers virils et vigoureux, comme les forgerons, les maçons, les charpentiers, etc. (The Essays, XXIX [...]

    En somme : les « fabrications délicates » doivent être laissées aux étrangers ; les sujets politiques en armes, comme les fermiers romains, peuvent quant à eux exercer des « métiers virils et vigoureux »." (p.341)

    "Pour Bacon, il est surtout essentiel que les fermiers ne deviennent pas dépendants de façon disproportionnée de leurs seigneurs. En effet, si les fermiers perdaient la propriété de leurs terres, ils deviendraient des journaliers (hirelings), de sorte qu'ils ne combattraient plus pour le bien commun mais, au mieux, pour leurs propriétaires. Bacon ne se contente pas ici de faire allusion à l'émancipation de la yeomanry à l'égard de sa dépendance militaire envers les seigneurs, mais discute l'idée selon laquelle l'infanterie est le « nerf d'une armée » (The Essays, XXIX [...] Il puise à la source de la tradition -formulée avec la plus haute autorité par Sir John Fortescue - qui opposait la robustesse des yeomen anglais à la pauvreté des paysans français :

    Ce que je dis ici ne s'est vu nulle part mieux confirmé que par la comparaison de l'Angleterre et de la France ; car l'Angleterre, très inférieure en étendue et en population, lui a néanmoins damé le pion, vu que la classe moyenne [middle people] en Angleterre fournit de bons soldats, et les paysans de France non. Et sur ce point ce fut une politique admirablement profonde que celle du roi Henry VII (dont j'ai parlé tout au long dans l'Histoire de sa vie) d'instituer des domaines et des fermes d'un même modèle -c'est-à-dire possédant une proportion fixée de terres capables de nourrir et de maintenir les sujets dans une aisance suffisante et dans une condition libre, et de laisser la charrue aux mains des propriétaires au lieu de simples journaliers (The Essays, XXIX [...]

    Pour Bacon, l'Angleterre possède une solide infanterie parce que Henri VII a réalisé l'étroite connexion entre la position économique du fermier et sa capacité à agir en tant que soldat. Surtout, le citoyen-propriétaire-guerrier apparaît aux yeux de Bacon comme le modèle même du sujet politique : d'une part, à cause de l'indépendance que confère la libre propriété de la terre ; d'autre part, à cause de cette vertu civique qu'est la vertu martiale, conçue comme vertu de participation active à la direction des affaires publiques." (pp.341-342)

    "La grandeur d'un État, écrit-il, « consisteth in the temper of the government fit to keep subjects in heart and courage, and not to keep them in the condition of servile vassals » (Of the True Greatness of the Kingdom of Britain, Sp., VII [...] Défendant la naturalisation des Écossais, Bacon soutient à la Chambre des Communes en 1607 que les Écossais et les Anglais forment des peuples semblables en ce sens qu'ils ne sont pas des peuples « dociles » (tractable) dès lors qu'il s'agit de les gouverner. Cette dernière qualité appartient à tous les peuples guerriers, ainsi que le montre selon Bacon l'exemple des Romains, lesquels étaient comme des « chevaux furieux »: « de meilleur service que les autres, ils sont néanmoins les plus difficiles à guider et à diriger » (A Speech in the Lower House of Parliament concerning the Article of Naturalization, Sp., X, p. 315). La grandeur civique exige donc un peuple libre, qui ne se laisse pas gouverner aisément sans son consentement." (pp.342-343)

    "Pour Bacon, l'homme est un sujet politique avant d'être un marchand et un producteur, et son existence sociale est subordonnée à son existence politique. Si l'homme doit être propriétaire, c'est précisément pour être sujet politique, parce que seule la possession de la terre lui assure l'indépendance nécessaire pour exercer de manière autonome le métier de sujet politique. Le but de la politique est l'indépendance, mais également la vertu, c'est-à-dire la maîtrise collective que le groupe parvient à exercer sur son destin grâce à un ordre institutionnel dans lequel les sujets peuvent participer et se reconnaître. L'essentiel est la défense de l'autonomie, ce qui suppose un contrôle étroit sur l'ensemble des rapports d'interdépendance que le commerce et les activités sociales et privées tissent entre les hommes, ainsi qu'une méfiance vis-à-vis des rapports marchands, qui menacent de saper les fondements de l'indépendance des sujets politiques en transformant la terre en marchandise ; cela suppose également une vigilance à l'égard de la multiplication des objets de consommation et de jouissance, qui risquerait d'inverser les rapports de subordination entre le social et le politique. L'essentiel, pour Bacon, est d'éviter que chacun ne se soucie plus que de ses propres affaires et de ses intérêts privés, confiant le gouvernement et la défense à des spécialistes, car, alors, se développera une désastreuse indifférence à l'égard de la vertu collective :

    Tout rapporter à soi est plus excusable chez les princes souverains, parce qu'ils ne sont pas seulement eux-mêmes, mais parce que la fortune publique [the public fortune] est en jeu s'ils font bien ou mal ; mais c'est un mal funeste chez le sujet d'un prince ou le citoyen d'une république, car toutes les affaires qui lui passent par les mains se trouvent déviées vers ses propres intérêts, qui souvent sont excentriques à ceux de son maître ou de l'État (The Essays, ΧΧΙII [...]

    Bref, pour Bacon, fidèle en cela aux leçons de Machiavel, la liberté signifie essentiellement la maîtrise collective du destin par le contrôle de la Fortuna :

    On ne saurait nier que les accidents extérieurs contribuent pour une grande part à notre succès : la faveur, le moment, la mort d' autrui, l'occasion qui fait valoir la vertu. Mais c'est à nos mains surtout de façonner notre fortune (The Essays, X)." (pp.343-344)
    -Dominique Weber, "Grandeur civique et économie dans la pensée politique de Francis Bacon", Revue de Métaphysique et de Morale, No. 3, Mercantilisme et philosophie (JUILLET-SEPTEMBRE 2003), pp. 323-344.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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