https://fr.wikipedia.org/wiki/Medell%C3%ADn
"« Plus de 80% des clients de l'hôtel sont là pour ça. » Andrés, réceptionniste dans le quartier El Poblado à Medellín, parle des touristes qui ont réservé une chambre dans l'optique d'acheter des services sexuels. Nous sommes à une centaine de mètres du Parque Lleras, la nouvelle zone de tolérance de la deuxième ville colombienne. L'ancienne « zona rosa » (« zone rose ») est devenue un lieu ouvertement dédié à l'exercice de la prostitution, un terrain de jeu pour les rabatteurs.
Depuis mars dernier, ce « bordel à ciel ouvert » –pour reprendre l'expression de l'écrivaine Carolina Sanín– est quadrillé par des barrières et surveillé par la police afin d'empêcher l'entrée des mineurs et de garantir un cadre sécurisé aux touristes. Il n'en fallait pas moins pour agrandir l'espace au-delà les barrières, dans la célèbre Calle 10, où prostituées, proxénètes, mendiants, dealers déguisés en vendeurs de bonbons et touristes, se partagent le trottoir sous l'œil complice des taxis jaunes, faisant partie intégrante de l'ensemble.
Cet univers de petits trafics et de prostitution n'est pas nouveau en Colombie. À l'époque du conflit armé, il profitait aux hommes politiques, aux mafieux et aux entrepreneurs. Aujourd'hui, il fait aussi et surtout le bonheur des étrangers. Le tourisme a en effet explosé dans le pays et de surcroît à Medellín, la ville de l'éternel printemps. Au premier semestre 2023, on y enregistrait 56% de tourisme en plus par rapport à 2019 et 13% en plus par rapport à 2022.
« Le tourisme est arrivé avec Netflix. Les séries montrent des belles femmes aux cheveux lisses, de la prostitution, que tout a un prix », raconte l'enseignante-chercheuse Jazmín Santa. Il ne s'agit pas que de Netflix, mais des produits audiovisuels en général, comme le feuilleton à succès Sin tetas no hay paraíso («Sans tétons pas de paradis») produit en 2006.
Le programme a véhiculé un certain imaginaire autour des femmes latines, et en particulier des «paisas» (nom donné aux femmes d'Antioquia, le département où se trouve Medellín). « Depuis ce feuilleton, quand une femme colombienne s'assoit dans un aéroport, elle reçoit une proposition », relate Maria, ancienne travailleuse sexuelle.
Le profil type, c'est une jeune universitaire cherchant à financer ses études et appartenant à une classe sociale moyenne ou supérieure.
La musique aussi a joué un rôle déterminant. Laura Figueroa, membre de l'ONG Putamente Poderosas, raconte: « Medellín est la ville du reggaeton, musique qu'elle exporte et qui génère une propagande sexualisant le corps de la femme paisa. »
Les étrangers venant acheter du sexe à partir de cet imaginaire sont principalement originaires des États-Unis et, dans une moindre mesure, du Mexique, de Puerto Rico, d'Espagne et d'ailleurs. L'une des modalités en vogue est de commander un « paquet » sur internet, incluant pour deux ou trois jours une « finca » (maison de campagne), des jeunes filles et de la drogue. « Ils viennent, dépensent, consomment et repartent », résume Maria. Certains viennent aussi sans ce « paquet ». D'autres enfin sont déjà sur place, Medellín regorgeant de nomades digitaux pour sa qualité de vie bien reconnue.
Stimulé par l'augmentation continue du tourisme mais aussi par l'arrivée massive de Vénézuéliennes depuis 2015, le commerce de la prostitution bat son plein dans la ville de l'éternel printemps. De plus, les conséquences sociales de la pandémie lui ont servi d'accélérateur. Il opère dans le cadre de la criminalité organisée mais aussi en dehors. Ses modalités sont diverses: dans la rue, les bars, les discothèques, sur les plateformes...
Le phénomène se banalise et est chaque fois plus visible. Il n'est pas isolé du reste de la société mais, au contraire, la traverse. Car la prostitution ne dit pas toujours son nom. « Quand un étranger invite une femme à sortir, lui paie le taxi, le restaurant et plusieurs verres, certes il n'y a pas de versement d'argent mais il y a clairement une transaction », argumente Jazmín Santa.
En Colombie, les dames de compagnie sont chaque fois plus nombreuses et portent d'ailleurs un nom bien particulier: les « prepagos » («prépayées»). Dans les années 1990, c'était les femmes des mafieux, ces derniers subvenaient à leurs besoins, de l'université à la chirurgie esthétique et elles devenaient leur petite amie. Aujourd'hui, le profil type de la « prepago », c'est une jeune universitaire cherchant à financer ses études et appartenant à une classe sociale moyenne ou supérieure.
« Beaucoup d'étrangers ne veulent plus coucher avec une pauvre, ils préfèrent une jolie universitaire », soutient Carmen, ancienne escort au service des bandes criminelles. On ne les trouve pas dans la rue mais dans les bars, les discothèques, sur les applications de rencontre ou les plateformes de webcam.
« Certaines disent qu'elles font seulement de la webcam mais elles passent à l'acte aussi. La mentalité à Medellín est que si l'homme paie, elles acceptent », argumente Maria. Les chiffres sont vertigineux et pas seulement à Medellín. Depuis la pandémie, les activités de webcam à caractère sexuel ont augmenté de 400% à l'échelle du pays.
« La ville s'est transformée en raison et en faveur du tourisme sexuel, pour faire en sorte que les étrangers continuent à venir. » Laura Figueroa, militante féministe
Si la prostitution est légale en Colombie, tout comme la vente de contenu sexuel sur internet, leur développement incontrôlé crée un cadre propice à la commission des délits sexuels, en particulier celui d'exploitation sexuelle commerciale des enfants et adolescents. Les mineures ne se considèrent généralement pas comme des victimes et ne portent donc pas plainte. Les hôtels contrôlent les pièces d'identité pour empêcher qu'elles entrent, mais les touristes optent de plus en plus pour Airbnb afin de passer inaperçus, rendant plus difficile la découverte du délit par les autorités.
En Colombie, il est par ailleurs légal d'avoir des relations sexuelles à partir de 14 ans, ce qui complique une fois de plus la caractérisation du délit. « Si un couple se balade dans la rue, que lui en a 80 et elle 14, ils disent qu'ils sont en couple, eh bien on ne peut rien faire. Car rien ne prouve qu'il y ait prostitution », déplore avec découragement Jazmín Santa.
Sur ce marché, ce sont les mineurs qui valent le plus d'argent; comme le précise Maria, «le touriste ne vient pas forcément dans l'idée de coucher avec des mineurs, mais quand l'occasion se présente, après quelques verres, il peut prendre la décision de le faire ».
Lorsque l'exploitation sexuelle est forcée, elle porte un nom: la traite. Selon un rapport du ministère colombien de la Défense, les cas de traite ont bondi de 70% entre 2022 et 2023. Pis, « les cas recensés sont bien inférieurs à la réalité car il est très difficile de prouver devant le juge la perte d'autonomie de la personne exploitée, le fait qu'elle ne puisse pas partir », se lamente Betty Pedraza, directrice de l'ONG Espacios de Mujer.
Dans ce domaine, la Colombie était surtout un pays d'origine (les femmes colombiennes étaient avant tout exploitées à l'étranger, au Mexique ou au Panama par exemple). Mais elle est aussi devenue un pays de transit et de destination, eu égard à la grande quantité de femmes vénézuéliennes exploitées sur son sol.
La militante féministe Laura Figueroa considère que les autorités publiques sont responsables de l'aggravation générale de la situation: «La ville s'est transformée en raison et en faveur du tourisme sexuel, pour faire en sorte que les étrangers continuent à venir.» Elle ajoute: « Les barrières au Parque Lleras, c'est une mesure esthétique qui est loin de régler le fond du problème. »
La problématique est en effet profonde, lointaine et questionne toute la sociologie colombienne. Comme le dit Jazmín Santa: « Imaginez une fille qui vient d'un milieu pauvre et qui a été violentée dans son enfance par son père alcoolique. Un soir, elle sort, boit, mange, fait la fête, se fait offrir des vêtements, gagne plein d'argent et le lendemain elle le raconte à sa copine, puis la recrute. »."
-David Zana, Medellín, « bordel à ciel ouvert » où les mineures sont les plus demandées, Slate.fr, 3 janvier 2024 : https://www.msn.com/fr-fr/voyage/actualite/medell%C3%ADn-bordel-%C3%A0-ciel-ouvert-o%C3%B9-les-mineures-sont-les-plus-demand%C3%A9es/ar-AA1mob4F?ocid=msedgntp&pc=DCTS&cvid=744487c6ef2b47f7aac8a57675104846&ei=19
"« Plus de 80% des clients de l'hôtel sont là pour ça. » Andrés, réceptionniste dans le quartier El Poblado à Medellín, parle des touristes qui ont réservé une chambre dans l'optique d'acheter des services sexuels. Nous sommes à une centaine de mètres du Parque Lleras, la nouvelle zone de tolérance de la deuxième ville colombienne. L'ancienne « zona rosa » (« zone rose ») est devenue un lieu ouvertement dédié à l'exercice de la prostitution, un terrain de jeu pour les rabatteurs.
Depuis mars dernier, ce « bordel à ciel ouvert » –pour reprendre l'expression de l'écrivaine Carolina Sanín– est quadrillé par des barrières et surveillé par la police afin d'empêcher l'entrée des mineurs et de garantir un cadre sécurisé aux touristes. Il n'en fallait pas moins pour agrandir l'espace au-delà les barrières, dans la célèbre Calle 10, où prostituées, proxénètes, mendiants, dealers déguisés en vendeurs de bonbons et touristes, se partagent le trottoir sous l'œil complice des taxis jaunes, faisant partie intégrante de l'ensemble.
Cet univers de petits trafics et de prostitution n'est pas nouveau en Colombie. À l'époque du conflit armé, il profitait aux hommes politiques, aux mafieux et aux entrepreneurs. Aujourd'hui, il fait aussi et surtout le bonheur des étrangers. Le tourisme a en effet explosé dans le pays et de surcroît à Medellín, la ville de l'éternel printemps. Au premier semestre 2023, on y enregistrait 56% de tourisme en plus par rapport à 2019 et 13% en plus par rapport à 2022.
« Le tourisme est arrivé avec Netflix. Les séries montrent des belles femmes aux cheveux lisses, de la prostitution, que tout a un prix », raconte l'enseignante-chercheuse Jazmín Santa. Il ne s'agit pas que de Netflix, mais des produits audiovisuels en général, comme le feuilleton à succès Sin tetas no hay paraíso («Sans tétons pas de paradis») produit en 2006.
Le programme a véhiculé un certain imaginaire autour des femmes latines, et en particulier des «paisas» (nom donné aux femmes d'Antioquia, le département où se trouve Medellín). « Depuis ce feuilleton, quand une femme colombienne s'assoit dans un aéroport, elle reçoit une proposition », relate Maria, ancienne travailleuse sexuelle.
Le profil type, c'est une jeune universitaire cherchant à financer ses études et appartenant à une classe sociale moyenne ou supérieure.
La musique aussi a joué un rôle déterminant. Laura Figueroa, membre de l'ONG Putamente Poderosas, raconte: « Medellín est la ville du reggaeton, musique qu'elle exporte et qui génère une propagande sexualisant le corps de la femme paisa. »
Les étrangers venant acheter du sexe à partir de cet imaginaire sont principalement originaires des États-Unis et, dans une moindre mesure, du Mexique, de Puerto Rico, d'Espagne et d'ailleurs. L'une des modalités en vogue est de commander un « paquet » sur internet, incluant pour deux ou trois jours une « finca » (maison de campagne), des jeunes filles et de la drogue. « Ils viennent, dépensent, consomment et repartent », résume Maria. Certains viennent aussi sans ce « paquet ». D'autres enfin sont déjà sur place, Medellín regorgeant de nomades digitaux pour sa qualité de vie bien reconnue.
Stimulé par l'augmentation continue du tourisme mais aussi par l'arrivée massive de Vénézuéliennes depuis 2015, le commerce de la prostitution bat son plein dans la ville de l'éternel printemps. De plus, les conséquences sociales de la pandémie lui ont servi d'accélérateur. Il opère dans le cadre de la criminalité organisée mais aussi en dehors. Ses modalités sont diverses: dans la rue, les bars, les discothèques, sur les plateformes...
Le phénomène se banalise et est chaque fois plus visible. Il n'est pas isolé du reste de la société mais, au contraire, la traverse. Car la prostitution ne dit pas toujours son nom. « Quand un étranger invite une femme à sortir, lui paie le taxi, le restaurant et plusieurs verres, certes il n'y a pas de versement d'argent mais il y a clairement une transaction », argumente Jazmín Santa.
En Colombie, les dames de compagnie sont chaque fois plus nombreuses et portent d'ailleurs un nom bien particulier: les « prepagos » («prépayées»). Dans les années 1990, c'était les femmes des mafieux, ces derniers subvenaient à leurs besoins, de l'université à la chirurgie esthétique et elles devenaient leur petite amie. Aujourd'hui, le profil type de la « prepago », c'est une jeune universitaire cherchant à financer ses études et appartenant à une classe sociale moyenne ou supérieure.
« Beaucoup d'étrangers ne veulent plus coucher avec une pauvre, ils préfèrent une jolie universitaire », soutient Carmen, ancienne escort au service des bandes criminelles. On ne les trouve pas dans la rue mais dans les bars, les discothèques, sur les applications de rencontre ou les plateformes de webcam.
« Certaines disent qu'elles font seulement de la webcam mais elles passent à l'acte aussi. La mentalité à Medellín est que si l'homme paie, elles acceptent », argumente Maria. Les chiffres sont vertigineux et pas seulement à Medellín. Depuis la pandémie, les activités de webcam à caractère sexuel ont augmenté de 400% à l'échelle du pays.
« La ville s'est transformée en raison et en faveur du tourisme sexuel, pour faire en sorte que les étrangers continuent à venir. » Laura Figueroa, militante féministe
Si la prostitution est légale en Colombie, tout comme la vente de contenu sexuel sur internet, leur développement incontrôlé crée un cadre propice à la commission des délits sexuels, en particulier celui d'exploitation sexuelle commerciale des enfants et adolescents. Les mineures ne se considèrent généralement pas comme des victimes et ne portent donc pas plainte. Les hôtels contrôlent les pièces d'identité pour empêcher qu'elles entrent, mais les touristes optent de plus en plus pour Airbnb afin de passer inaperçus, rendant plus difficile la découverte du délit par les autorités.
En Colombie, il est par ailleurs légal d'avoir des relations sexuelles à partir de 14 ans, ce qui complique une fois de plus la caractérisation du délit. « Si un couple se balade dans la rue, que lui en a 80 et elle 14, ils disent qu'ils sont en couple, eh bien on ne peut rien faire. Car rien ne prouve qu'il y ait prostitution », déplore avec découragement Jazmín Santa.
Sur ce marché, ce sont les mineurs qui valent le plus d'argent; comme le précise Maria, «le touriste ne vient pas forcément dans l'idée de coucher avec des mineurs, mais quand l'occasion se présente, après quelques verres, il peut prendre la décision de le faire ».
Lorsque l'exploitation sexuelle est forcée, elle porte un nom: la traite. Selon un rapport du ministère colombien de la Défense, les cas de traite ont bondi de 70% entre 2022 et 2023. Pis, « les cas recensés sont bien inférieurs à la réalité car il est très difficile de prouver devant le juge la perte d'autonomie de la personne exploitée, le fait qu'elle ne puisse pas partir », se lamente Betty Pedraza, directrice de l'ONG Espacios de Mujer.
Dans ce domaine, la Colombie était surtout un pays d'origine (les femmes colombiennes étaient avant tout exploitées à l'étranger, au Mexique ou au Panama par exemple). Mais elle est aussi devenue un pays de transit et de destination, eu égard à la grande quantité de femmes vénézuéliennes exploitées sur son sol.
La militante féministe Laura Figueroa considère que les autorités publiques sont responsables de l'aggravation générale de la situation: «La ville s'est transformée en raison et en faveur du tourisme sexuel, pour faire en sorte que les étrangers continuent à venir.» Elle ajoute: « Les barrières au Parque Lleras, c'est une mesure esthétique qui est loin de régler le fond du problème. »
La problématique est en effet profonde, lointaine et questionne toute la sociologie colombienne. Comme le dit Jazmín Santa: « Imaginez une fille qui vient d'un milieu pauvre et qui a été violentée dans son enfance par son père alcoolique. Un soir, elle sort, boit, mange, fait la fête, se fait offrir des vêtements, gagne plein d'argent et le lendemain elle le raconte à sa copine, puis la recrute. »."
-David Zana, Medellín, « bordel à ciel ouvert » où les mineures sont les plus demandées, Slate.fr, 3 janvier 2024 : https://www.msn.com/fr-fr/voyage/actualite/medell%C3%ADn-bordel-%C3%A0-ciel-ouvert-o%C3%B9-les-mineures-sont-les-plus-demand%C3%A9es/ar-AA1mob4F?ocid=msedgntp&pc=DCTS&cvid=744487c6ef2b47f7aac8a57675104846&ei=19