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    Willy Pelletier & Laurent Bonelli, L'État démantelé

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Willy Pelletier & Laurent Bonelli, L'État démantelé Empty Willy Pelletier & Laurent Bonelli, L'État démantelé

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 17 Jan - 18:30

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Bonelli

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Willy_Pelletier

    "La crise de 1929 avait déjà rendu nécessaires un certain nombre d’interventions publiques, de réglementations économiques et financières, de grands travaux, de planifications, et même de nationalisations. Cela dura une cinquantaine d’années. En 1933, par exemple, la loi Glass Steagall rendit incompatibles les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement, une séparation abolie en 1999 par un président Clinton d’autant plus ivre de déréglementation financière que son parti était soutenu par l’argent des banques. La crise actuelle trouve son origine dans cette décision américaine de 1999. Au lieu de prêter à leurs déposants sur la base d’actifs bien réels, les banques comme les institutions financières ont multiplié les produits dérivés, les investissements risqués, les coups de Bourse. Jusqu’au jour où l’exubérance du marché a remplacé la discipline de la main invisible, où le risque parut s’évanouir derrière l’écran des bulles spéculatives, où les agences de notation furent prises en main par les secteurs industriels qu’elles devaient noter. Jusqu’au jour où les dépôts, mais aussi la retraite, de millions d’épargnants se trouvèrent menacés."

    "En France, la grande réforme des marchés financiers eut le socialiste Pierre Bérégovoy et son directeur de cabinet au ministère des Finances Jean-Charles Naouri (plus tard président du groupe Casino) pour parrains. Le discours dominant devint alors presque partout celui de l’autorégulation du marché, de la gestion du risque."

    "Les caisses demeureront d’autant plus vides qu’on s’emploie à ne rien y laisser ni traîner ni venir. La coalition au pouvoir à Berlin a promis 24 milliards d’euros supplémentaires d’allégements d’impôts, alors que le déficit allemand atteignait déjà près de 6,5 % du PIB en 2010 (plus de deux fois le taux maximum autorisé par le pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne). Les conservateurs britanniques se sont engagés à diminuer l’impôt sur les sociétés. En France, depuis l’élection de M. Nicolas Sarkozy, la droite a successivement supprimé l’imposition des heures supplémentaires, dressé un « bouclier fiscal » autour des revenus du capital, réduit les droits de succession et éliminé la taxe professionnelle acquittée par les entreprises. Rien qu’en divisant par trois le montant de la TVA reversée par les cafetiers et restaurateurs, le gouvernement français a sacrifié 2,4 milliards d’euros de recettes en 2009. C’est cinq fois la somme que rapportera au Trésor le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite."

    "Pour les hauts revenus, l’opération d’ensemble est miraculeuse : on réduit leur contribution, ce qui crée une impasse fiscale qu’on les presse de combler (qui d’autre en aurait les moyens ?) en achetant la dette publique. Ils y consentent en échange d’un taux d’intérêt d’autant plus lucratif que celle-ci est élevée… La « politique des caisses vides » est d’abord une politique de classe."
    -Serge Halimi, préface à Willy Pelletier & Laurent Bonelli (dir.), L'État démantelé. Enquête sur une révolution silencieuse, Paris, La Découverte, 2010.

    "Entre 2007 et 2010, 100 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés en France et l’on ne compte plus les restructurations des services publics et des entreprises publiques."

    "Jusqu’à la fin des années 1970, les « grands commis » venus de Sciences-Po, de l’École nationale d’administration (ENA) gaullienne, puis des grands corps (Inspection des Finances, Conseil d’État, Cour des comptes, etc.), étaient formés à croire en un « intérêt général » qui légitimait leur propre autorité. Le périmètre d’action étendu de l’État autorisait l’étendue des interventions des élites d’État et renforçait leur position dans les relations (éventuellement conflictuelles) qu’elles entretenaient avec les autres espèces d’élites. Tout a changé dès que les « juniors de la classe dominante » composant les cabinets ministériels ont tous ou presque été formés aux lois de l’entreprise à Sciences-Po et l’ENA, une fois ces écoles devenues des Business Schools. Lorsque, de plus en plus, ils sont passés par l’ESSEC ou HEC avant l’ENA, si bien que se trouve redéfini le cursus honorum des aspirants aux positions de pouvoir [...] Ces dernières années, fut aussi abolie la distance entre haute administration d’État et managers des grandes entreprises. Passer par un cabinet ministériel offre des carrières de haut niveau en grande entreprise, cependant que ces postes de direction dans le privé autorisent à revenir plus « hautement » dans l’État… et à répéter l’opération, chaque fois à un degré supérieur, en augmentant son crédit et son portefeuille de relations. Après ces parcours et ces va-et-vient, il semble alors très « naturel » d’appréhender, comme modèle d’efficacité, le management privé."

    "Parler du « démantèlement de l’État » revient à décrire les mille processus par lesquels des domaines complets d’activité, historiquement soustraits aux logiques marchandes, sont progressivement reversés dans le jeu concurrentiel du marché — et comment les modes d’évaluation propres à ce dernier tendent à être imposés comme normes universelles."

    "Le « new public management », initié en Grande-Bretagne [...] s’exprime en France de manière particulièrement radicale dans la révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée en Conseil des ministres le 20 juin 2007, qui accélère (et met en cohérence) les entreprises antérieures enserrant l’activité publique dans des impératifs budgétaires, fixés a priori. Six mois plus tard seulement, 96 mesures programment fusions, regroupements et suppressions de services d’État [...] Dès octobre 2007, les hauts fonctionnaires de la Chancellerie, nonobstant leurs réticences, modernisent à marche forcée la carte judiciaire et projettent que, au 1er janvier 2011, 178 tribunaux d’instance et 23 tribunaux de grande instance seront supprimés au nom de l’« efficacité ». L’Éducation nationale ferme les collèges de moins de 200 élèves, jugés trop coûteux. Conformément aux souhaits de son ancien ministre, Claude Allègre, elle « dégraisse le mammouth », et élimine plus de 15 000 postes d’enseignants par an."

    "À La Poste, comme d’ailleurs dans les chemins de fer [...] les transferts d’activité vers le privé furent plus lents, plus insensibles, et réalisés par morcellement (filialisation et délégation au privé) suivant les types de missions. Des mécanismes proches déterminent les trajectoires de GDF et d’EDF. Le « retrait de l’État » passe également par le transfert de charges vers les collectivités territoriales. La décentralisation de 1982 et son acte II, impulsé dès 2002 par Jean-Pierre Raffarin (qu’il qualifiait de « mère de toutes les réformes »), ont donné aux élus locaux nombre de compétences nouvelles. Formation professionnelle, transports, gestion des locaux et des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) des lycées et collèges, action sociale relèvent désormais largement des conseils généraux et régionaux. Sans bien souvent que les moyens qui ont été alloués par l’État ne couvrent l’ensemble de ces missions."

    "Ce rétrécissement multiforme de la surface de l’État s’accompagne, parallèlement, d’un mouvement moins visible de caporalisation de l’action publique, c’est-à-dire de renforcement des hiérarchies et du contrôle pesant sur les agents du service public."

    "Récemment, ont accédé aux plus hautes positions d’autorité dans l’État de purs produits des filières d’ascension politique (exclusivement promus par et dans l’activité politique). Cette nouvelle élite travaille à dévaluer les autorités anciennes, celles qui procédaient d’autres filières de consécration : l’école, certaines compétences professionnellement reconnues (médecins, juges, professeurs, hauts fonctionnaires), devenues par trop autonomes vis-à-vis des professionnels de la politique. Et cette lutte prend les formes les plus variées : désignations politiques à des postes clés en ignorant les commissions de déontologie (comme pour François Pérol) ; nomination d’un patron du privé cumulant sa fonction ancienne avec la direction d’une entreprise publique, au mépris des traditions de promotion interne (Henri Proglio) ; renvoi, à grand renfort de publicité, des préfets en cas de troubles lors des tournées du président de la République en province ; suppression du classement de sortie dans les grandes écoles, notamment à l’ENA ; encouragements à la fusion des grands corps et autres dispositions pour les affaiblir (la RGPP invite à la fusion des ingénieurs des Mines et des télécommunications). À chaque fois se trouve réaffirmée l’autorité brute du pôle politique des dirigeants d’État, contre l’autorité ancienne des hauts fonctionnaires « techniques » ou « administratifs » les plus élevés.

    La caporalisation « gestionnaire » de l’action publique doit ainsi une part de sa formulation (et son efficacité) à la rencontre « à toutes fins utiles » des hauts fonctionnaires des Finances et des professionnels de la politique qui aujourd’hui dominent l’État. Elle se traduit par un resserrement des « chaînes de commandement » observable dans les secteurs les plus divers. À l’hôpital, par exemple. À la tête des nouvelles Agences régionales de santé, responsables de toute la question sanitaire au niveau des régions, se trouve maintenant un véritable « préfet sanitaire », désigné en Conseil des ministres. Quant aux directeurs d’hôpitaux, ils ont désormais le pouvoir de fixer les objectifs et de gérer directement le personnel. La logique de cogestion antérieure, qui associait les médecins aux décisions, semble désormais révolue."

    "Le mouvement est étonnamment semblable dans l’enseignement supérieur. La loi Liberté et responsabilité des universités (LRU) qui instaure l’« autonomie » affaiblit tout pouvoir collégial. Elle confère aux présidents d’université, qui y sont pour l’essentiel favorables, des pouvoirs considérables face à leurs pairs universitaires. Ils peuvent notamment recruter des fonctionnaires ou des contractuels, ou casser les décisions collectives des commissions et des conseils de l’université [...]

    Une même dynamique est à l’œuvre dans la Justice. Au Parquet, d’abord, avec la loi du 9 mars 2004, qui place les procureurs sous l’autorité hiérarchique de leur ministre, conférant à ce dernier un pouvoir d’intervention et d’orientation de la procédure dans chaque affaire. Chez les juges du Siège, ensuite, dont il s’agit de limiter l’indépendance par la « mobilité ». S’ils ne peuvent être mutés géographiquement, ils peuvent se voir affectés à des fonctions diverses en fonction des impératifs de gestion du tribunal. Et, pour couronner l’édifice, depuis 2009 les magistrats sont minoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), chargé de leur nomination et de leur discipline, face à des personnalités extérieures, désignées par l’Élysée et par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat [...]

    Le renforcement du contrôle passe ainsi par la reprise en main de secteurs qui jouissaient d’une relative autonomie. C’est ainsi que le paritarisme ancien qui réglait l’ancien mode de gestion des chômeurs, se trouve objectivement « liquidé » depuis la fusion entre l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et les Assedic dans le nouvel ensemble Pôle Emploi, en janvier 2009, dont le délégué général — actuellement Christian Charpy, en poste au cabinet du Premier ministre de 2003 à 2005 puis directeur de l’ANPE—est nommé directement par le gouvernement [...] Une sorte d’« étatisation » homologue est observable avec la gestion des fonds du 1 % logement, qui échappe aujourd’hui largement aux « partenaires sociaux » pour passer sous tutelle de l’administration.

    Les candidats à ces nouveaux postes de managers publics ne manquent pas. Pour y accéder, sont déterminants les liens personnels avec le Prince ou ses conseillers — qui par là se constituent une clientèle d’obligés. Ces nominations ne sont pas seulement des rétributions symboliques : primes, salaires indexés sur les « objectifs » viennent compléter ou remplacer les grilles indiciaires de la fonction publique."

    "La construction de l’État moderne s’appuya sur l’émergence d’une vision du service public comme activité « désintéressée », orientée vers des fins universelles. C’est précisément cette représentation des fonctions de l’État qui est actuellement au centre des tirs. Avec les redéfinitions des métiers (aux impôts, pour les conseillers des agences pour l’emploi, parmi les enseignants ou ailleurs) se défait le rapport à des professions hier vécues comme « service rendu ». Bien des fonctionnaires vivent désormais leur fonction douloureusement, dans une situation de porte-à-faux qui enveloppe toute leur activité professionnelle. Le sens de sa tâche (et de soi-même l’accomplissant) entre en contradiction avec les nouveaux critères d’évaluation."

    "L’efficacité du démantèlement de l’État tient à ce paradoxe : la situation antérieure d’accomplissement du service public — la relation au métier, les dispositions sociales (de dévouement, d’implication) constitutives de celle-ci — permet l’application des réformes qui détruisent les formes habituelles de son exercice et les raisons de s’y impliquer.

    Les transformations de l’État ne peuvent donc être réduites à la mobilisation des noblesses d’État qui les promeuvent et s’en font gloire, de plaquettes d’instructions en bilans satisfaits. Bien sûr, les compétitions « pour plaire » — au ministre, au chef de cabinet, au président de la République — et les rivalités qui les traversent, de même que leur incessante circulation du public au privé et inversement, y contribuent. Mais l’avènement d’un État manager résulte aussi, chaque jour, de l’activité incessante et cumulée des milliers d’agents publics, qui peut-être n’en veulent pas, mais qui, réalisant leur métier quoi qu’il en coûte, « font avec », et intègrent aux « choses à faire », comme ils peuvent, les injonctions nouvelles qui leur sont adressées.

    Certes, les protestations abondent. Magistrats, avocats, greffiers se sont mobilisés contre la carte judiciaire. Près de 46 000 salariés de Pôle Emploi étaient en grève en octobre 2009. Les enseignants du supérieur ont longuement refusé la réforme de leur métier. Les médecins hospitaliers défilaient au printemps 2009 pour sauver l’hôpital public. Les professeurs du primaire et du secondaire multiplient les journées d’action, tout comme les personnels des musées nationaux ou les cheminots. Mais, dans leurs soucis professionnels, dans leurs patrimoines (économiques et culturels), dans leurs origines sociales et leurs façons d’agir (même pour se mobiliser), les professeurs de médecine ne sont pas des postiers, des conseillers pour l’emploi, des greffiers ou des policiers. Comment les uns se soucieraient-ils des autres, spontanément, et a fortiori pratiquement ? S’affirmer (pour des causes diverses) rétif aux réformes, ou plutôt à la réforme qui concerne son propre secteur d’activité, n’abolit ni la distance sociale ni la distance spatiale entre les populations qui protestent. Personne ne semble alors pouvoir soutenir personne, ce qui alimente le sentiment général d’écrasement."

    "Est en jeu l’avenir d’un mode d’organisation public qui socialisait richesses et risques de l’existence. C’est-à-dire un modèle de civilisation."
    -Willy Pelletier & Laurent Bonelli, introduction à Willy Pelletier & Laurent Bonelli (dir.), L'État démantelé. Enquête sur une révolution silencieuse, Paris, La Découverte, 2010.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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