"Que le personnage ait été célèbre en son temps, qu'il ait de son vivant, et pendant quelques dizaines d'années après sa mort, été tenu pour l'égal de Descartes, voire son supérieur, est-ce un motif valable de recours contre le jugement de l'histoire ? L'oubli profond qui, dès la fin du 17e siècle, a recouvert l'œuvre du chanoine de Digne peut-il être le seul effet du hasard ? Peut-il être, même, le seul fait la prévention qu'encourt le matérialisme philosophique, s'il est vrai que les hommes qui, dans le siècle suivant, ont marqué le développement de ce courant de pensée, ne se sont pas réclamés spécialement de celui qui, à tort ou à raison, a souvent été donné comme leur prédécesseur, contribuant par là eux aussi à cet oubli ?" (p.XIII)
"La pensée de Gassendi ne forme assurément pas système [...] Nous avons donc été amené d'abord à rechercher, dans une première partie, les constantes qui peuvent se manifester à travers l'œuvre et la philosophie gassendistes dans leur ensemble, au niveau des structures de pensée, des aspirations intellectuelles et des vues globales sur l'être et la connaissance. C'est à partir de l'examen de ces constantes que nous avons tenté de saisir ensuite la façon dont ont pu s'y articuler les deux orientations divergentes qui nous paraissent incontestablement présentes dans l'œuvre gassentiste, et sur lesquelles se fonde la divergence des interprétations: orientation scientifique, à résonances matérialistes, qui se manifeste dans sa physique et son épistémologie [...] orientation métaphysique, d'inspiration religieuse, qui s'exprime à travers les procédés divers par lesquels il a cru possible de borner l'étendue, la portée ou le sens même de ce "matérialisme"." (p.XVI)
"Chercher à dégager [...] ce que sa "philosophie épicurienne", ou de quelque nom qu'il ait entendu l'appeler, apporte d'original par rapport à la tradition qu'il redécouvrait." (p.XVII)
"Privilégier les passages qui se distinguent par une fermeté inhabituelle, des développements où l'utilisation des sources manifeste une liberté d'interprétation qui révèle l'expression d'idées personnelles par le biais de l'exposé historique, d'autres, au contraire, où l'absence, assez exceptionnelle, de toute référence et de toute citation, paraît impliquer le passage à des prises de position originales dégagées de tout souci d'érudition. [...]
On s'attache à la différence de structure des exposés, aux modifications, parfois minimes en apparence, mais qui peuvent se révéler lourdes de signification, subies par la terminologie ainsi que par la présentation et l'enchaînement des idées, aux hésitations et repentirs que manifestent les ratures, aux références omises ou rétablies." (pp.XVIII-XIX)
"En 1642 Gassendi déplorait, dans une lettre à son noble protecteur, Louis de Valois, comte d'Alais, gouverneur de Provence, de n'avoir pu percer le mystère de la vision, et prenait cet échec pour typique de notre impuissance à pénétrer le "fond" des choses. [...] Pourquoi donner une telle importance au problème de la vision, lui conférer, presque, derrière la modestie du propos, une sorte de priorité absolue, en souhaitant éclaircir au moins "ce seul point" ?" (p.6)
"
(pp.7-
-Olivier René Bloch, La Philosophie de Gassendi. Nominalisme, Matérialisme et Métaphysique, La Haye, Martinus Nijhoff, 1971, 525 pages.