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    Christophe Bouriau, La valeur de la métamorphose. Nietzsche, Pic de la Mirandole, Montaigne

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Christophe Bouriau, La valeur de la métamorphose. Nietzsche, Pic de la Mirandole, Montaigne Empty Christophe Bouriau, La valeur de la métamorphose. Nietzsche, Pic de la Mirandole, Montaigne

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 11 Fév 2024 - 15:56

    https://journals.openedition.org/noesis/432

    "Reprise systématique, par Nietzsche, des « valeurs nobles » de la Renaissance : enthousiasme pour l’Antiquité, mise en valeur du corps, de la beauté plastique, de la créativité, sens de la fête, quête d’un perfectionnement de soi et d’un bonheur terrestre, indépendance d’esprit, etc. Parmi ces « valeurs nobles qui affirment la vie », Nietzsche accorde une importance particulière à la métamorphose entendue comme recréation incessante de soi. Il se réapproprie ainsi un thème cher à Jean Pic de la Mirandole qui, parmi les premiers, a interprété la capacité de métamorphose, « de devenir tout ce que nous voulons être », comme la marque de la noblesse humaine.

    Même s’il ne cite pas Jean Pic de la Mirandole, Nietzsche le connaissait au moins par son professeur et ami Jacob Burckhardt, qui en brosse un rapide portrait dans son célèbre ouvrage sur la Renaissance italienne paru en 1860. Dans de nombreux passages de son œuvre, Nietzsche reprend le thème cher au grand humaniste, celui de l’homme initialement indéterminé, sculpteur de sa propre forme."

    "Pic de la Mirandole envisage la métamorphose, c’est-à-dire la puissance d’adopter telle ou telle forme de vie, comme une simple capacité ou possibilité proprement humaine. Pour lui, l’homme atteint sa suprême dignité non dans l’exploration de diverses formes de vie, mais dans son union à Dieu. Cette union, qui est l’unique but de nos efforts, précise Jean Pic, nous rend « digne de la divinité » que nous portons en nous. Tandis que les autres espèces finies ont l’homme pour fin (au sens où elles lui sont subordonnées), l’homme a pour fin ultime de se diviniser, en s’unissant à Dieu par la contemplation intellectuelle.

    À l’inverse, Nietzsche valorise la métamorphose pour elle-même, sans privilégier une forme particulière de vie."

    "L’espièglerie désigne une vivacité et une malice sans méchanceté, un sens du jeu, une certaine agilité face aux différentes embûches de l’existence. La première chose que Nietzsche tient de Montaigne, c’est une conception de la vie humaine comme vivacité et agilité. C’est une profonde défiance à l’égard de tout ce qui pourrait arrêter ce que Montaigne nomme le « mouvement inégal, irrégulier et multiforme » de la vie.

    Montaigne préconise en effet l’« accoutumance » de changer d’habitudes, afin d’éviter la fixité qui exténue la vie."

    "Devançant Nietzsche, Montaigne fonde cette puissance de métamorphose sur la possession d’une certaine forme de « santé ». Cette santé consiste, pour Montaigne, dans la capacité d’intégrer le mal, la souffrance, la maladie, par une attitude qui permet encore à la vie de se continuer dans l’aisance et la souplesse."

    "Comme le disait Montaigne, le sage n’est pas le détenteur d’une vérité définitive, mais celui qui « manie son âme à tout sens et à tout biais » (II-12), et qui sait se remettre sans cesse en question."

    "La « grande santé », c’est non seulement la souplesse, c’est aussi la surabondance, l’excès de force, qui permet de ne pas se ménager, d’accepter le risque de tel ou tel changement de régime."

    "Pour Montaigne (comme pour Nietzsche), la volupté n’est pas la finalité de l’existence humaine, mais le critère d’une existence saine : « L’extrême fruit de ma santé c’est la volupté »."

    "Pourquoi la plupart des grands philosophes du XVIIe siècle s’attaquent-ils à l’imagination, dénoncée comme « la folle du logis » ? Il me semble que Nietzsche et Montaigne, indirectement, apportent une réponse à cette question : comme puissance de toutes les métamorphoses, l’imagination est la puissance de l’âme qui met en cause la promotion d’un idéal ou d’une norme unique de vie humaine. Ce qui caractérise l’époque moderne par rapport à la Renaissance, en effet, c’est précisément le projet de normaliser la conduite humaine, d’ériger une norme universelle de bonne conduite, reliée la plupart du temps à une certaine conception de la destinée humaine."

    "Chez Montaigne, l’imagination est tout d’abord le moyen de la « déprise » de soi. Elle est la puissance d’élargir la perception sensible dans l’espace et le temps, au-delà du donné immédiat. Par l’imagination, je peux me représenter la nature tout entière, avec ses paysages et ses peuples variés, et relativiser ainsi ma propre importance. [...]
    En nous soustrayant aux limites étriquées de notre culture et de notre milieu, l’imagination nous ouvre du même coup à tout le genre humain."

    "L’imagination permet non seulement d’élargir la perception au-delà de notre environnement immédiat, mais également de nous projeter en autrui. Si l’homme parvient à échapper à lui-même, aux limites de sa propre expérience, c’est en se mettant « par imagination » à la place d’autrui."

    "La première fonction de l’imagination, selon Nietzsche, est de transfigurer le monde afin de le rendre supportable. La grandeur des premiers Hellènes, selon lui, fut la volonté de « mettre en image », d’esthétiser tout ce qui est terrible. [...]
    Nietzsche le montre sur lui-même, lorsqu’il présente l’art d’écrire comme l’instrument privilégié de ses propres métamorphoses. Loin de prétendre à la moindre neutralité, Nietzsche revendique comme Montaigne une démarche et une écriture qui sont mises en forme et enfantement de soi-même."

    "Selon Montaigne du reste, aucun critère de séparation, qu’il soit naturel, social, culturel, ne justifie un quelconque mépris d’autrui. Mépriser, selon lui, c’est précisément déchoir de l’humanité, c’est se rendre « inhumain ». [...]
    Nietzsche justifie la subordination d’une partie de l’humanité jugée « commune » aux intérêts d’une élite. [...] Dans L’Antéchrist, Nietzsche préconise cette fois non plus la simple subordination des faibles aux forts, mais la disparition pure et simple des « déshérités de la vie ». À l’opposé de Montaigne, il voit dans la pitié comme vertu chrétienne un obstacle à l’affirmation d’une vie humaine souple et créatrice. En préservant les « déshérités et condamnés de la vie », la pitié empêche selon lui le perfectionnement de la vie humaine."
    -Christophe Bouriau, « La valeur de la métamorphose. Nietzsche, Pic de la Mirandole, Montaigne », Noesis [En ligne], 10 | 2006, mis en ligne le 02 juillet 2008, consulté le 11 février 2024. URL : http://journals.openedition.org/noesis/432




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