"Dans la philosophie du XVIIIe siècle, morale et théorie de la connaissance se fondent sur une conception « sensualiste » de la nature humaine : c'est à partir de la sensation que s'expliquent les réactions fondamentales qui se trouvent toujours orientées vers la conservation de soi et le désir du bonheur ; la connaissance du monde extérieur et de l'homme est guidée par l'expérience, c'est-à-dire par la découverte des relations entre les impressions et les mouvements qu'elles suscitent. Sensibilité et intelligence fondées sur un même principe unificateur de la nature humaine, qui est l'aptitude à éprouver des impressions. Cependant, chez les philosophes qui se réclament du sensualisme sans être pour autant matérialistes, tels que Condillac et d'Alembert, la sensation apparaît comme un principe unificateur autant « logique » qu' « existentiel » ; elle se trouve définie comme la réaction humaine la plus simple et, à ce titre, la plus explicative de la nature humaine, du point de vue logique. Au contraire, dans la philosophie matérialiste de d'Holbach, l'accent mis sur la primauté de l'idée de sensation exprime moins une volonté de comprendre l'homme à partir d'éléments simples que celle de le saisir à partir de l'idée de « Nature » envisagée comme une totalité matérielle dans laquelle s'intègre la nature humaine. Selon la perspective sensualiste, la sensation est à la fois un concept et une réaction vivante : elle est concept, en tant qu'elle peut expliquer logiquement, par une réduction analytique, toutes les opérations de l'esprit et toutes les actions humaines ; dans le matérialisme de d'Holbach, la sensation est un mouvement réel, matériel, elle se trouve identifiée à une force matérielle physique.
En affirmant que la nature de l'homme peut être intelligible à la condition seulement de l'envisager « en rapport » avec le monde extérieur, la philosophie sensualiste et le matérialisme de d'Holbach s'accordent sur la définition de l'homme : il est essentiellement un être sensible. Mais cette définition se trouve néanmoins prendre une signification chez deux des principaux représentants du matérialisme français du XVIIIe siècle, d'Holbach et Helvétius - les rapports entre l'être sensible et le monde extérieur désignant des réponses mécaniques à des impressions reçues, dans le système d'Holbach, et des réactions complexes à des totalités culturelles (telles, par exemple, que l'opinion publique ou les mœurs propres à une société déterminée) dans la pensée d'Helvétius." (pp.211-212)
-M. Ansart, "Note sur le sensualisme et le matérialisme dans la pensée de d'Holbach", Revue Philosophie de la France et de l'Étranger, 1966, pp.211-215.