"Platon est représentatif de la pensée antique et même de la philosophie « traditionnelle » jusqu'à Kant [...] puisqu'il conçoit d'une manière statique l'objet de la connaissance." (p.45)
"Ravaisson voit dans le sensible, défini par Platon, une dégradation de l'intelligible. Cette conception confère à l'intuition intellectuelle la primauté sur la perception du sensible ou l'intuition du vécu. Mais Ravaisson voit dans l'aristotélisme un effort de spiritualisation du sensible, qui résulte en une promotion de la démarche intuitive, en tant qu'appliquée à celui-ci. Bergson [...] reprend à son compte l'attitude de Ravaisson à l'égard de Platon mais non pas son interprétation de l'aristotélisme. Pour Bergson, Aristote est condamné à être platonicien, et la différence entre Platon et Aristote ne dépasse pas le niveau du langage. [...]
L'unité de la pensée antique est, pour Bergson, celle d'un champ magnétique [...] Elle se définit par la tendance à la conceptualisation [...] et la compréhension du sensible en tant que degré inférieur de l'intelligible. La pensée platonicienne offre donc un raccourci des mouvements philosophiques antérieurs. Ceux-ci déjà aspiraient à réduire le vécu au conçu, le dynamique au statique, le mouvement à une succession d'états [...] Platon précise et fonde méthodologiquement cette tendance.
La précision, que Platon apporte, se manifeste dans la séparation non seulement du réel et du sensible, mais aussi du réel et du vécu. Le réel est identique à l'intelligible, dont le sensible et le vécu constituent une dégradation. L'intelligence contemplative est donc supérieure à la vie et au mouvement en général [...] Pour Platon, comme pour Plotin [...] La vie active est une dégradation de la contemplation. Son principe ontologique [...] est la chute de l'âme dans un corps. En définitive, le mouvement, pour Platon comme pour Plotin, se réduit selon Bergson en une dégradation." (p.45)
"Il s'agit, selon Bergson, d'une pensée a priori [...] Elle appartient à la jeunesse de la philosophie. Elle réfléchit non pas directement sur les évidences sensibles ou vécues, mais indirectement sur les formes verbales qui résultent d'une manipulation pratique de ces évidences. Ce « manque de maturité philosophique » est dû à une attitude de « peur » à l'égard de la vie et de la durée [...] En définitive, nous naissons platoniciens selon Bergson." (p.46)
"Pour Bergson, la méthode platonicienne est viciée dans son principe [...] à cause de la séparation du sujet et de l'objet de la démarche dialectique [...] Ainsi, l'intuition platonicienne [...] est connaissance objective de valeurs permanentes, tandis que l'intuition bergsonienne est saisie subjective d'états vécus. Pour Bergson, « la méthode philosophique doit être calquée sur l'expérience vécue » [...] La « méthode métaphysique » ne diffère donc pas de la saisie intuitive du vécu [...] le sujet et l'objet étant, pour Bergson, inséparable. [...]
"L'image spatiale est à l'origine de l'Idée. Celle-ci donc n'est « qu'une vue stable prise sur l'instabilité des choses » [...] « Ramener les choses aux Idées consiste à ramener le devenir en ses principaux moments. »
Ce fractionnement propre au mécanisme de l'intelligence cinématographique de la durée résulte du processus de « découpage ». Il en résulte une multiplicité d'absolus. Ceux-ci correspondent de type mathématique à une science du discontinu et de l'immuable, dont la réflexion sur le langage est le point de départ.
Ces absolus sont, selon Bergson [...] des qualités, des formes ou essences, des desseins. La qualité correspond au moment du devenir. L'équivalent verbal en est l'adjectif. La forme correspond au moment de l'évolution. L'équivalent verbal en est le substantif. Le dessein correspond à ce vers quoi tend l'évolution et devient dessin en s'accomplissant. Il équivaut au verbe." (p.47)
"L'ensemble du réel est créateur pour Bergson. L'Intelligible seul l'est pour Platon. La puissance créatrice est libre, ouverte et se manifeste sous une forme imprévisible chez Bergson. Elle est réalisation close, statique, de caractère mathématique chez Platon. La notion de divin à laquelle la pensée antique, Platon en particulier, se sont élevés en est la conséquence.
Le divin platonicien se présente, selon Bergson, comme une puissance disposant hiérarchiquement les Idées, ou éléments détachés de la durée concrète par l'intelligence. Les éléments idéaux tendent vers le principe divin en tant que modèle immuable de leur perfection. L'Idée du Bien ou le Premier Moteur d'Aristote (pp. 266-268) sont des expressions, nullement différentes de nature, selon Bergson, de ce principe. Leur relation à l'univers est comparable à celle de l'Idée au sensible." (p.48)
"La vision bergsonienne du platonisme répondrait en somme à la nécessité doctrinale de constitution d'un type idéal de la « mauvaise philosophie », à une intuition juste du caractère prédominant de l'aspiration à l'intelligibilité dans le platonisme, à la certitude de Bergson que sa propre pensée (et non le kantisme) représente la vraie « révolution copernicienne » en philosophie." (p.49)
-Auguste Bayonas, compte-rendu de E. Moutsopoulos, La critique de la philosophie platonicienne chez Bergson, Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 162 (1972), pp. 44-49.