https://fr.wikipedia.org/wiki/Lord_Byron
https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:George_Gordon_Byron
http://fr.wikisource.org/wiki/Les_T%C3%A9n%C3%A8bres
"C’était un de ces hommes à hautes conceptions, à idées généreuses et progressives, aux violentes passions, à une âme tout à la fois sensible et magnanime, bizarre en un mot ; lord Byron, c’était le fils du siècle.
Il ne croyait à rien, si ce n’est à tous les vices, à un Dieu vivant, existant pour le plaisir de faire le mal ; il ne croyait à rien, si ce n’est à l’amour de la patrie, à la puissance de son génie et à la fascination des yeux de sa maîtresse ; au delà, tout dans le monde n’était pour lui que préjugés, ambition, avarice.
L’honneur d’une femme lui semblait une rose, mais une rose dont chacun en passant pouvait prendre le parfum, le faner et le flétrir. Il eut cent maîtresses, n’en aima qu’une, et encore, celle-là, il la rudoyait et la dédaignait pour son amour fou et effréné. Il avait constamment une vingtaine de chevaux dans son écurie, il les adorait tous. Il n’aimait pas la France, parce qu’en France il ne fait pas assez de brouillards ni assez de neige ; en France on ne respire pas, comme à Venise, l’air embaumé de quelque villa.
C’était un athée, et il restait des journées entières dans une église, plongé dans une contemplation muette ou une méditation profonde.
Quand il était en Angleterre, il sortait seul, à cheval, et il aimait à faire blanchir d’écume sa gentille jument arabe, en contemplant la fumée de sa cigarette qui s’envolait au souffle du vent et qui se mêlait au brouillard de décembre.
Il fréquentait les tavernes, les écuries et les cochers ; souvent, sur la place, on le vit boxer avec les grooms. Il était chéri du peuple et haï de la noblesse. Plusieurs fois il fut sur le point d’adresser des discours à la multitude.
À Venise, souvent, le soir, il prenait un gondolier et faisait ainsi plusieurs lieues en mer, se laissant ballotter par le roulis ; rentré chez lui, il se défaisait de ses habits de deuil et restait toute la nuit à regarder une tête de mort posée au milieu de sa cheminée. Il aimait l’Italie, il l’adorait comme une mère ou une amante ; il l’aimait, parce que là on y trouve des cœurs qui aiment ou qui haïssent, des yeux qui vous lancent des éclairs d’amour ou de passion ; là on y trouve toujours quelque femme belle et inconnue, comme un songe doré de jeune homme ; là on y trouve ou amour ou poignard ; là on y trouve toujours quelques sons d’une guitare et d’une voix suave, qui résonnent le soir au clair de lune sur les eaux blanches du lac voisin ; là on y trouve enfin toujours quelque sujet de drame ou de roman.
Byron ne trouvait rien de beau comme la liberté, rien de hideux comme l’or. Plusieurs fois il affronta le danger par plaisir ou par vanité, et, en Grèce, il préféra la mort à une saignée. Il y alla pour concourir à la renaissance d’un pays mort par l’esclavage ; il alla pour relever le char de la Liberté de la fange où l’avaient enfoncé les tyrans, mais cette fange-là elle ennoblit, elle immortalisa Byron, le fils du siècle."
-Gustave Flaubert, "Portrait de lord Byron", in Œuvres de jeunesse, I, Conard, 1910, p. 25-26.
https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:George_Gordon_Byron
http://fr.wikisource.org/wiki/Les_T%C3%A9n%C3%A8bres
"C’était un de ces hommes à hautes conceptions, à idées généreuses et progressives, aux violentes passions, à une âme tout à la fois sensible et magnanime, bizarre en un mot ; lord Byron, c’était le fils du siècle.
Il ne croyait à rien, si ce n’est à tous les vices, à un Dieu vivant, existant pour le plaisir de faire le mal ; il ne croyait à rien, si ce n’est à l’amour de la patrie, à la puissance de son génie et à la fascination des yeux de sa maîtresse ; au delà, tout dans le monde n’était pour lui que préjugés, ambition, avarice.
L’honneur d’une femme lui semblait une rose, mais une rose dont chacun en passant pouvait prendre le parfum, le faner et le flétrir. Il eut cent maîtresses, n’en aima qu’une, et encore, celle-là, il la rudoyait et la dédaignait pour son amour fou et effréné. Il avait constamment une vingtaine de chevaux dans son écurie, il les adorait tous. Il n’aimait pas la France, parce qu’en France il ne fait pas assez de brouillards ni assez de neige ; en France on ne respire pas, comme à Venise, l’air embaumé de quelque villa.
C’était un athée, et il restait des journées entières dans une église, plongé dans une contemplation muette ou une méditation profonde.
Quand il était en Angleterre, il sortait seul, à cheval, et il aimait à faire blanchir d’écume sa gentille jument arabe, en contemplant la fumée de sa cigarette qui s’envolait au souffle du vent et qui se mêlait au brouillard de décembre.
Il fréquentait les tavernes, les écuries et les cochers ; souvent, sur la place, on le vit boxer avec les grooms. Il était chéri du peuple et haï de la noblesse. Plusieurs fois il fut sur le point d’adresser des discours à la multitude.
À Venise, souvent, le soir, il prenait un gondolier et faisait ainsi plusieurs lieues en mer, se laissant ballotter par le roulis ; rentré chez lui, il se défaisait de ses habits de deuil et restait toute la nuit à regarder une tête de mort posée au milieu de sa cheminée. Il aimait l’Italie, il l’adorait comme une mère ou une amante ; il l’aimait, parce que là on y trouve des cœurs qui aiment ou qui haïssent, des yeux qui vous lancent des éclairs d’amour ou de passion ; là on y trouve toujours quelque femme belle et inconnue, comme un songe doré de jeune homme ; là on y trouve ou amour ou poignard ; là on y trouve toujours quelques sons d’une guitare et d’une voix suave, qui résonnent le soir au clair de lune sur les eaux blanches du lac voisin ; là on y trouve enfin toujours quelque sujet de drame ou de roman.
Byron ne trouvait rien de beau comme la liberté, rien de hideux comme l’or. Plusieurs fois il affronta le danger par plaisir ou par vanité, et, en Grèce, il préféra la mort à une saignée. Il y alla pour concourir à la renaissance d’un pays mort par l’esclavage ; il alla pour relever le char de la Liberté de la fange où l’avaient enfoncé les tyrans, mais cette fange-là elle ennoblit, elle immortalisa Byron, le fils du siècle."
-Gustave Flaubert, "Portrait de lord Byron", in Œuvres de jeunesse, I, Conard, 1910, p. 25-26.