https://www.babelio.com/auteur/Francois-Jourdan/133133
"Le père François Jourdan est particulièrement bien formé pour participer à un tel dialogue de façon fructueuse. Le contact concret avec les musulmans est pour lui une évidence quotidienne : il a été missionnaire en Afrique, au contact de l’islam africain ; il a vécu au Maroc ; il a parcouru la Tunisie, l’Égypte, le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Turquie."
"La France ne manque pas, et il faut s’en réjouir, de bons spécialistes de l’islam. Mais ce que l’on appelle islamologie, et qui fait les gros titres des médias, est souvent une sociologie des populations musulmanes, avec un peu d’histoire et parfois un peu de psychologie. Moins nombreux et surtout plus discrets sont les savants qui s’occupent des fondements mêmes, je veux dire du Coran, des récits traditionnels sur Mahomet (hadîth), de la biographie traditionnelle de celui-ci (sira) et de l’histoire des débuts de l’islam. La recherche sur ces domaines est en revanche florissante dans les pays anglo-saxons, en Allemagne et en Israël."
"Contre l’« essentialisme », il y aurait un remède souverain : la mise au pluriel. Dans un studio de radio ou sur un plateau de télévision, quel que soit le sujet de la discussion, celui qui a gagné la partie est le premier qui prend un air pénétré pour asséner doctement : « il n’y a pas un X, il y a des Xs », sous les hochements de tête approbateurs de l’assistance. Ce qui est aussi banalement vrai que peu « schmilblico-propulsant ». Car le problème reste entier : il faut encore se demander pourquoi diable on se réserve le droit de donner à tous ces Xs le même nom, à savoir, justement, celui de X…"
"Pour tous, d’un bout à l’autre du monde islamique, pour les sunnites comme pour les chiites, pour toutes les écoles juridiques, pour toutes les confréries mystiques : 1) Mahomet est l’Envoyé de Dieu ; 2) le Coran est la parole dictée par Dieu à Mahomet, qu’il faut donc entourer d’un grand respect ; 3) la direction de la prière est celle de La Mecque, d’où le terme par lequel les musulmans se désignent au-delà de toutes les divisions : « les gens de la direction (de la prière) » (ahl al-qibla). En conséquence : 4) cette ville est pour tous aussi le but du grand pèlerinage annuel. Quatre points, ce n’est pas beaucoup. Mais c’est essentiel. En effet, si le Coran est la parole divine, et si Mahomet qui l’a reçu est l’envoyé de Dieu et le « bel exemple » (Coran, 33, 21) qu’Il a proposé aux croyants, on peut, au moins en principe, en déduire à peu près tout le comportement que Celui-ci souhaite leur voir adopter.
Qu’ils l’adoptent en réalité est une autre question. Il est exact, mais inutile, de faire remarquer que bien des musulmans boivent de l’alcool et que bien des musulmanes ne se voilent pas, sans pour autant omettre de faire leurs prières, etc., bref, se composent un islam « à la carte ». Sans parler de ceux qui se détachent d’aspects plus importants de cette religion. Reste en effet à se demander pourquoi ils font cela. Est-ce en tant que musulmans ou, si l’on préfère, parce qu’ils sont musulmans ? Ou est-ce au contraire en dépit de leur islam ?"
"Il y a ressemblance et ressemblance. Qu’on me permette une comparaison : rien ne me ressemble plus que mon reflet dans un miroir. Mais en même temps, tout y est inversé : dans le visage qui me fait face, image exacte du mien, ce qui est à droite semble être à gauche, et réciproquement. La ressemblance entre christianisme et islam me semble un peu de cet ordre. Dans l’islam, tout le judaïsme et le christianisme (ou presque) sont là ; mais en même temps tout (ou presque) y a changé de signe."
-Rémi Brague, Préface de François Jourdan, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans. Des repères pour comprendre, Flammarion, 2012 (2008 pour la première édition).
"Peut-être une certaine peur inavouée nous pousse-t-elle à préférer nous en arrêter là : n’abordons surtout pas ce qui nous sépare, car ce sont les questions qui fâchent ! Sans doute aussi, on sent qu’on n’est pas prêt dans la compréhension de l’autre et même de soi-même pour aller plus loin. Ne considérer que ce qui nous rapproche aboutit à créer une situation chaleureuse mais fausse."
"Il ne s’agit pas du même monothéisme : chez les musulmans il est unitaire, et chez les chrétiens il est trinitaire ; les musulmans mettent en doute la réalité de la foi monothéiste des chrétiens. Pour les chrétiens, la Trinité ne porte pas atteinte à la foi en un seul Dieu ; pour les musulmans au contraire, si, et cela constitue une grave différence liée à la divinité de Jésus qu’ils refusent avec force. Inversement, les musulmans croient en l’origine divine du Coran dont Dieu seul est l’auteur ; les chrétiens, avec les autres religions, n’y croient pas. Pourtant le statut du livre est essentiel. Chacun parle de « parole de Dieu » mais pas dans le même sens !
Le grand islamologue chrétien Roger Arnaldez le reconnaissait : « Quand on a dit qu’il n’y a qu’un seul Dieu, on n’a pas encore dit grand-chose. » Pour le chrétien, se dire monothéiste reste insuffisant par rapport à la révélation que Dieu fait de lui-même et au don de lui-même. Pour le musulman au contraire, c’est l’essentiel."
"La Trinité chez les chrétiens est liée à une cohérence dans laquelle Dieu est sauveur, amour, et fait alliance avec les hommes ; il a un dessein de salut pour tous ; par lui nous pouvons entrer dans son Cœur, ouvert à tous les hommes. Cette conception est choquante pour l’islam, car Dieu y est d’une transcendance ombrageuse, tel un tuteur surplombant tout ce qui n’est pas lui, radicalement séparé de toute créature et attendant de l’homme qu’il se rende à lui : c’est le sens du mot arabe muslîm traduit par « musulman » ou « soumis »."
"Pour les musulmans, Jésus et Marie étaient des leurs. On comprend alors pourquoi il leur est facile de trouver que l’islam est dans la continuité : pour eux, les vrais judaïsme et christianisme étaient de l’islam avant la lettre, avant que Mahomet eût fondé l’islam historiquement et de manière avérée. On ne sait plus de quel judaïsme et de quel christianisme on parle : s’agit-il des judaïsme et christianisme coraniques et islamiques avant la lettre, ou bien des judaïsme et christianisme réels, avérés dans l’histoire vérifiable ? De même, parlons-nous des Jésus et Marie musulmans ou bien des Jésus et Marie chrétiens ? Si l’on ne précise pas, c’est la confusion. Le même A. Charfi déclare que « à aucun moment le Coran ne parle de l’abrogation de Moïse et de Jésus », mais à la page suivante, il reconnaît que « les Écritures antérieures au Coran furent tenues en suspicion parce que falsifiées, corrompues, manipulées » (concept coranique de tahrîf [...] Il n’y voit aucune contradiction, alors que la « falsification » rend caducs les Moïse et Jésus des juifs, des chrétiens et de l’histoire.
Tout être humain soumis à Dieu, dans toutes les religions, serait ainsi d’emblée musulman, et donc, en permettant à tout homme d’être soumis, toute religion serait islamique ! Le mot islam au sens large permet alors de récupérer amplement ce qui le précède historiquement.
En réalité, sur le fond doctrinal de référence (et non plus sur les apparences ou la succession chronologique), l’islam n’est pas dans la suite des judaïsme et christianisme attestés par l’histoire. La vision biblique (juive et chrétienne) de Dieu n’est pas la vision coranique, surtout dans le Nouveau Testament. De même, la conception d’Ibrâhim n’est pas celle d’Abraham, et celle de ‘Îsâ n’est pas celle de Jésus. Pour le théologien François Varillon, « le Coran n’est pas la suite de la Bible ». Ni la confusion ni l’occultation d’une partie importante des personnages ne sont bénéfiques si nous voulons nous respecter et nous comprendre."
"Aux yeux de l’islam comme du christianisme, Jésus est né miraculeusement de Marie vierge et mère (21, 91). L’islam atteste ce miracle sans lui reconnaître un sens. Le christianisme sait qu’il est intimement lié à l’identité de Jésus pleinement homme et pleinement Dieu, à sa divinité que refuse de toutes ses forces l’islam ; ainsi l’islam ne voit aucune raison à ce miracle. De plus, Jésus ne s’appelle pas ainsi dans le Coran mais ‘Îsâ, alors que chez les chrétiens de culture arabe, il se nomme Yasû‘, dérivé linguistique direct de l’hébreu Yéshû‘, Jésus, lui-même diminutif de Yéhôshua‘, Josué, qui veut dire « Dieu sauve ». Or, en islam, Dieu n’est pas Sauveur, et le Jésus musulman ‘Îsâ a perdu son nom de Sauveur. Nous développerons ce point au chapitre Ier de la troisième partie, mais, dans les traductions du Coran, on devrait respecter le nom coranique de « ‘Îsâ » et ne pas traduire en français par « Jésus », ce qui est une « biblisation » et une christianisation du Coran."
"L’islam, le christianisme et le judaïsme sont des religions à livre puisqu’elles reconnaissent des livres comme saints. Mais d’autres religions, plus éloignées par leur doctrine et même considérées comme païennes, reconnaissent aussi de tels livres : l’Avesta du mazdéisme de Zarathoustra, les Sutras de Bouddha, les Upanishads des anciens sages rishis de l’Inde, la Bhagavad-Gîtâ hindoue, le Granth de Guru Nanak chez les Sikhs et de nombreux autres textes. À part les religions des anciennes civilisations purement orales et sans écriture, toutes les religions sont des religions à livre. Il ne s’agit donc pas de cela !
Alors de quel « Livre » s’agit-il ? Question embarrassante pour les usagers de cette formule dangereuse. Si nous posons la question à des juifs ou à des chrétiens, ils répondent : la Bible. Si nous la posons à des musulmans, ils disent : le Coran. Il y a désaccord sur le « Livre » qui ne peut pas être à la fois la Bible et le Coran ; nous n’avons pas de Livre commun.
En fait, il s’agit d’une expression dérivée du Coran : « les gens du Livre » (5, 59 et bien d’autres), désignent les juifs, les chrétiens et éventuellement les énigmatiques « sabéens ». Cette expression est liée à la cohérence doctrinale islamique de la « descente » (tanzîl), depuis la « Mère du Livre » au ciel (3, 7 ; 13, 39), mère de tous les livres dont le Coran se présente comme le dernier, dans sa conception spécifique. Le terme « religions du Livre » est une conception islamique étrangère au monde biblique, puisque la Bible n’est pas descendue du ciel, mais est le fruit de l’Alliance de Dieu et des hommes. Or cette idée d’Alliance n’est pas familière à l’islam. Il y a là une sorte d’islamisation inconsciente de la culture. Constatons que les meilleurs s’y laissent prendre."
"— le catholicos Timothée Ier, patriarche des nestoriens, répondait au calife Al Mahdi en 781 qui l’interrogeait sur Muhammad : « Il a marché sur le chemin des prophètes et des amis de Dieu ; car, comme les autres prophètes ont enseigné l’unité de Dieu, ainsi en a fait Mahomet ; il a donc suivi le chemin des prophètes. » La tournure est habile : Timothée ne reconnaît pas Muhammad comme prophète, mais il ne risque pas pour autant la survie de sa communauté.
— Pour saint Thomas d’Aquin, « aucune prophétie divine ne témoigne en sa faveur », mais l’islam, selon la relecture du traité sur la prophétie de saint Thomas par le père Charles Ledit, est tout au plus « directif » au sens d’une pierre d’attente plus ou moins orientée vers le Christ."
"Comment le Coran peut-il être parole de Dieu après l’envoi et le don du Fils par le Père ? Pour le chrétien, la plénitude de la révélation est Jésus-Christ ; le dernier prophète était Jean-Baptiste qui annonçait le Christ. Le Coran ne reconnaît pas le don du Fils ; il ne peut donc approfondir ce que Jésus nous a révélé. Le concile Vatican II a reconnu l’action de l’Esprit-Saint au-delà des limites de l’Église et dans tous les plans de l’activité humaine (Gaudium et Spes 22, 5) ; mais il n’accorde pas le statut de révélation, de prophétie, et de Parole de Dieu, au sens biblique, à d’autres textes que ceux de la Bible…"
"Il est vrai que sous Abderrahman III (mort en 961), ce fut le cas. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt ; bien des faits vont à l’inverse du caractère pacifique de cette coexistence : le martyre des chrétiens de Cordoue, lors des persécutions des années 850 contre ceux qui refusaient l’islamisation ; l’internement de tout le clergé de Cordoue pendant plusieurs mois ; la rigueur du grand intellectuel Ibn Hazm de Cordoue (994-1064) contre les juifs et les chrétiens ; le massacre des juifs de Grenade en 1066 ; l’expulsion des mozarabes (chrétiens arabisés) en 1120 ; l’intolérance de dynasties berbères, les Almoravides et les Almohades, avec leurs déportations à répétition ; l’interdiction de construire des églises ; l’enterrement d’Averroès avec ses livres en 1198 ; la fuite du grand penseur juif du Moyen Âge, Maïmonide, forcé de se convertir à l’islam et mort au Caire en 1204 ; l’exil du grand mystique andalou, Ibn ‘Arabî, mort à Damas en 1240… Sans parler des exactions guerrières de la conquête islamique, puis de la reconquista chrétienne qui ont duré des siècles chacune. [Alain de Libera] a pu parler du « mythe andalou »."
"Autre référence historique facile : la civilisation arabo-islamique. Il est vrai qu’elle s’est développée sous domination politique islamique à la suite du siècle omeyyade des conquêtes (VIIe et VIIIe siècles). Mais il faut rétablir la vérité historique. Beaucoup des conquérants n’étaient pas arabes mais sous tutelle arabe ; ceux qui ont fait la civilisation d’alors furent essentiellement des non-Arabes et des non-musulmans, c’est-à-dire les peuples conquis, les persans, les juifs et les nombreux chrétiens nestoriens, jacobites et byzantins, qui étaient pénétrés, en particulier, par l’héritage grec antique. Longtemps, les médecins des grands califes de Bagdad furent des nestoriens. Si beaucoup de musulmans, non arabes mais arabisés, ont pu continuer le développement culturel en astronomie, médecine, philosophie ou mathématiques, c’est parce que les peuples conquis étaient de brillante culture depuis des siècles, de l’Égypte à la Perse avec son voisin l’Inde, en passant par la Mésopotamie avec la route de la soie et le monde grec. Ni Avicenne ni Averroès ne connaissaient la langue de Platon ou d’Aristote. Anne-Marie Delcambre va jusqu’à écrire : « Cette brillante civilisation était le fait de non-Arabes devenus la majorité. Le pouvoir se trouvait entre les mains d’une armée étrangère et vomie, d’une administration également étrangère et honnie et d’un calife fantoche. […] L’islam-religion refusait cette civilisation d’origine étrangère, née dans l’ombre de l’islam mais qui n’avait rien de musulman. »."
"« Pas de contrainte en religion » (2, 256). Ce verset daterait du début de l’Hégire, l’arrivée de Muhammad à Médine, donc de 622. Le « modernisant » Tunisien francophile Mohammed Talbi peut écrire : « Quatorze siècles avant la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Coran est le seul texte sacré où le respect des consciences est clairement affirmé. » La réalité historique ne donne pas cette impression. De même, dans son livre Islam, les questions qui fâchent, Bruno Étienne rappelle au moins trois fois ce verset. Mais il omet de dire que ce verset est contraire à plus d’une centaine d’autres versets arrivés après lui dans la prédication de Mahomet et qu’il est abrogé. L’abrogation est le principe de l’exégèse coranique classique en cas de contradiction (2, 106 : « Dès que nous abrogeons un verset ou dès que nous le faisons oublier, nous le remplaçons par un autre, meilleur ou semblable – Ne sais-tu pas que Dieu est puissant sur toute chose ? », cf. 16, 101 ; 22, 52). Par contre, les versets plus tardifs qui abrogent les autres ne sont jamais cités, alors que ce sont eux qui sont valides : « La religion est, pour Dieu, l’islam » (3, 19), ou « Le culte de celui qui recherche une religion en dehors de l’islam n’est pas accepté » (3, 85), ou encore « C’est Lui qui a envoyé son Messager avec la direction et la religion vraie pour la faire prévaloir sur toute autre religion – Dieu suffit comme témoin » (48, 28). C’est cet esprit qui anime le « modernisant » français Malek Chebel lorsqu’il affirme : « L’avenir est à l’islam. Entre 2020 et 2050, du fait de sa force démographique, l’islam sera la première religion monothéiste. » Lorsque le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, pour organiser le culte musulman, demanda une reconnaissance de la liberté religieuse sans restriction, y compris la liberté de changer de religion conformément à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et à la Convention européenne, ratifiée par la France le 31 décembre 1973, les musulmans, en particulier l’UOIF, refusèrent cette clause, et le ministre laïque s’est exécuté en retirant l’article sur le changement de religion ! Pour l’honneur des musulmans, Leïla Babès et Michel Renard protestèrent publiquement mais sans succès. De manière réitérée depuis 1970, des collectifs de pays musulmans ont pris position pour des Déclarations islamiques des droits de l’homme, parce qu’ils sont en désaccord avec la Déclaration universelle, sur le changement de religion s’il s’agit de l’islam, sur les droits de la femme musulmane, notamment d’épouser un non-musulman, et sur l’existence des syndicats et du droit de grève."
"Nous entendons : « Le voile islamique n’est pas une prescription du Coran. » C’est rassurant. L’affaire du voile a fait grand bruit et provoqué la société française. Cependant, même en terre islamique, la question n’est pas résolue [...] Mohammad Tantaoui, shaykh de la grande université islamique d’El Azhar, au Caire, déclarait, lors de la visite du ministre de l’Intérieur, J.-P. Chevènement : « Si l’État estime que le port du voile n’est pas compatible avec ses lois, il faut s’y plier ou partir. » Mais, devant le tollé et le désaveu du Grand mufti de la République, il s’était repris quelques jours plus tard à la BBC : « Le hidjab est obligatoire et fondamental dans l’islam. Toute musulmane pubère doit le porter. En terre non musulmane, si la justice ne lui donne pas gain de cause, elle doit quitter le pays. » Se plier à la loi locale avait disparu (Actualité religieuse, n° 166, 15 mai 1998)."
"Aujourd’hui, le voile progresse en Turquie et en Tunisie, pays connus pour se prétendre « laïques » ; beaucoup d’autres pays connaissent aussi ce phénomène. Le 17 mai 2006, un juge au Conseil d’État d’Ankara a été abattu et quatre autres blessés par un avocat islamiste pour avoir sanctionné une institutrice, parce qu’elle portait le voile. Le clan laïc a manifesté contre le Premier ministre islamiste. Du Maroc à l’Indonésie, en France même, ces femmes couvertes, parfois visage compris, ne cessent d’interroger sur la gestion sociale de la sexualité en islam. Le conseil européen de la Fatwa, présidé par le cheikh Youssouf Qaradhawi, très écouté en France par l’UOIF, le précise clairement : « Porter le voile est pour la femme musulmane une pratique et une obligation religieuses et ne constitue pas un simple signe religieux ou politique. C’est pour elle une partie importante de l’exercice légitime de sa religion, qui ne dépend pas du lieu où elle se trouve, que ce lieu soit un lieu de culte ou qu’il soit un lieu privé ou public. Les préceptes islamiques ne supportent pas la contradiction ni les cloisonnements dans la vie de l’individu fidèle à la pratique de sa religion. » Y. Qaradhawi a encore récemment rappelé à Istanbul l’obligation du voile, y compris en Europe, en précisant : « Nous voulons vivre sur cette terre comme des musulmans. » À cette même conférence de musulmans européens, le Français Mohamed Mestiri dénonçait « une véritable réticence politique en Europe à reconnaître la visibilité des musulmans dans l’espace citoyen », appuyé par T. Ramadan qui soulignait : « Notre nouvelle visibilité soulève des questions légitimes pour nos concitoyens, nous devons y répondre. » L. Babès le reconnaît : « Pour la plupart des musulmans pratiquants, le port du voile est un commandement divin et un critère d’islamité. » Plus loin elle continue le constat : « Les discours qui tendent à accuser les femmes non voilées de mécréance sous prétexte qu’elles n’obéissent pas à un “ordre de Dieu” sont de plus en plus répandus. Le schéma est simple : je te désire parce que tu montres tes atours ; et au lieu d’obéir à Dieu qui m’ordonne de me contrôler, je te condamne, toi, pour ne pas Lui obéir. » [...]
Pourtant M. Talbi, s’appuie sur la sourate 24, 31 : « Dis aux croyantes : de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines, de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux ou à leurs pères […] » Et il en conclut : « Le foulard dit islamique n’est pas coranique : aucun verset du Coran ne fait obligation à la femme de se couvrir les cheveux. » Mais il oublie le verset plus général, invoqué en sens opposé par le recteur de la grande mosquée de Paris, D. Boubakeur, devant la commission Bernard Stasi préparant la loi contre le voile à l’école publique, votée à une très large majorité, toutes tendances confondues, en mars 2004 : « Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles : c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées » (33, 59) ? Ce verset est également omis dans le dialogue sympathique d’une musulmane et d’une juive « libres », qui pourtant posait bien le problème : « À quoi sert le foulard ? — À protéger les filles du regard de convoitise des hommes […]. — Mais alors pourquoi ne changent-ils pas plutôt leur regard ? […] Le voile sert à ne pas éveiller le désir des hommes. C’est une manière de les déresponsabiliser et de nous rendre potentiellement coupables, ce que je ne peux accepter, précise Meryem, vingt-trois ans, étudiante à Paris. J’ai envie de croire que les hommes musulmans sont parfaitement capables de se montrer respectueux devant une femme la tête découverte, comme les chrétiens, les bouddhistes, les athées et tous les autres hommes. Être sain d’esprit, maître de soi, n’est pas une question de religion. » Comment choisir entre M. Talbi et D. Boubakeur qui, ni l’un ni l’autre, ne sont des musulmans fermés mais soutiennent des positions contradictoires ?"
"Abderrahim Lamchichi se voulait lucide : « Pourquoi justifier l’injustifiable en persistant à nier que l’islam (comme les autres religions d’ailleurs, à qui, faut-il le rappeler, la laïcité s’est, historiquement, imposée) contient des dispositions incompatibles avec les lois de la République (infériorité de la femme, polygamie, discriminations sociales et sexuelles, refus de la mixité, intolérance religieuse – surtout à l’égard des « renégats » – non-reconnaissance de l’universalité des droits de l’homme, confusion du politique et du religieux, opposition aux libertés fondamentales – parmi lesquelles celle de changer de religion ou de ne pas en avoir, celle d’expression et de création) ? »"
"« Jihâd ne veut pas dire “guerre sainte” mais “effort contre ses mauvais penchants” » dit-on souvent dans les rencontres islamo-chrétiennes. Le courant spirituel soufi a pu en effet développer peu à peu ce sens spirituel et intérieur parce que, lexicalement, jihâd veut dire « lutte, effort » (et non « guerre », ni « sainte »). Cette interprétation est minoritaire, mais beaucoup de non-musulmans la reprennent en écho. Cependant un auteur prudent et mesuré le reconnaît : « Les livres de la sîra (biographie du Prophète) et des maghâzi (ses campagnes et expéditions) font peu de cas du “jihâd intérieur”. […] C’est le hadîth (propos attribués au Prophète) qui proclamera l’importance et la supériorité du “jihâd le plus grand”, c’est-à-dire le jihâd intérieur. » Et la constitution des hadîths est tardive. Un spécialiste, Alfred Morabia, s’explique : « Le jihâd dénommé “mineur” occupe l’essentiel, la quasi-totalité des pages consacrées par les traités juridiques au “combat dans la voie d’Allah”. L’intérêt porté au “jihâd spirituel” est manifestement postérieur à l’époque où furent posés les fondements du dogme et de la Loi. » Ainsi le soufisme a pu s’appuyer sur un hadîth célèbre mais dont l’authenticité est discutable (particulièrement tardif, probablement du IXe siècle). Voici ce hadîth. Au retour d’une expédition militaire, Muhammad dit : « Nous voici revenus du petit jihâd pour nous engager dans le grand jihâd, l’effort de l’âme. » Il y a un mot arabe spécifique pour parler de guerre : harb, mais, dans ce hadîth même, l’expédition guerrière est qualifiée de « jihâd ». Ghaleb Bencheikh s’efforce de dénoncer « l’abus de langage inconséquent et scandaleux » de la traduction de jihâd par « guerre sainte ». « L’équivalence isomorphe entre jihâd et guerre sainte est donc on ne peut plus erronée. » Mais sa thèse est contredite par l’islamologie classique avec Dominique et Janine Sourdel. Il faut même aller plus loin : chez les grands philosophes arabes, « le mot jihâd, quand ils l’utilisent, signifie “guerre” en général ». Au grand public, M. Chebel dit : « Dans le Coran, il y a autant de versets qui prônent la paix que la guerre. Que les musulmans demandent à leurs théologiens de substituer à la guerre sainte (jihâd) l’ascèse intérieure » ! C’est ce que réclame aussi l’islamologue et ami des musulmans au Caire, le père Christian Van Nispen : « Il serait bon que les musulmans clarifient ce que veut dire jihâd et s’élèvent plus clairement contre toute possibilité d’interprétation violente. L’interprétation est un processus toujours en mouvement. Cette question de l’herméneutique est la plus sensible pour les musulmans aujourd’hui. »
Par ailleurs, on dit souvent que l’islam est la religion de la paix puisque « le mot islam est de la même racine que le mot “paix” » (salâm). Avoir une racine commune en arabe n’est pas suffisant pour conclure que le sens est le même. En fait, les grands traités médiévaux de jihâd sont des traités d’art militaire. Et le sens dominant du mot jihâd en arabe aujourd’hui, et depuis fort longtemps – y compris par des musulmans au fait de leur foi comme le livre classique La voie du musulman –, est bien « guerre sainte », c’est-à-dire une guerre sacrée parce que « sur le chemin de Dieu, ils tuent et ils sont tués » (9, 111) : il s’agit d’une guerre où l’on tue avec la caution de Dieu. Au moins une quarantaine de versets du Coran sont explicites à cet égard. Pourquoi donc G. Bencheikh, dans la troisième et dernière partie de son livre De la violence et de la guerre (près de soixante pages) ne cite-t-il que ce seul verset de jihâd guerrier (9, 111, p. 285) et pour l’interpréter dans le sens du martyre ? Comment explique-t-il que ce martyr tue ? Il veut faire mentir, à juste titre, la constatation de Farhad Khosrokhavar sur « la relative apathie des musulmans à dénoncer l’islamisme ». Certes, toutes les religions doivent faire un gros effort sur le sujet de la violence « juste », qu’elles admettent ; et les Églises chrétiennes plus que les autres, elles qui ont souvent vécu avec l’Évangile dans une main et leur théorie non évangélique de la guerre juste, dans l’autre. Mais, pour les chrétiens, Dieu n’est pas mêlé à la « guerre juste » qui n’est pas dans le texte religieux, la plus haute et ultime référence."
"Les attentats islamistes du 7 juillet 2005 à Londres ont dévoilé les graves négligences et naïvetés installées depuis longtemps dans l’administration et la société britanniques. Derrière le quolibet d’islamophobie se cache le rejet de la lucidité et de la liberté critique moderne."
"80 % des musulmans ne sont pas arabophones ; beaucoup d’arabophones connaissent leur dialecte ou l’arabe moderne, mais sont démunis devant l’arabe coranique dont les constructions de phrase, l’usage des formes verbales ou le vocabulaire ont évolué. De plus le style « elliptique » du Coran, allusif et évasif, rend problématique la compréhension de nombre de versets, tant en traduction qu’en arabe même. Les commentaires musulmans donnent souvent « leur langue au chat » par la formule : « Et Dieu seul sait ! » (wa Allahu a‘lam). Ce que le Coran lui-même avoue : « Il n’y a de Dieu que Lui, le Puissant, le Sage ! C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre. On y trouve des versets clairs – la Mère du Livre – et d’autres équivoques […] Mais nul autre que Dieu ne connaît l’interprétation du Livre » (3, 7) ; en effet : « Dieu sait, et vous, vous ne savez pas » (2, 216). Alors qui peut prétendre y comprendre quelque chose ?"
-François Jourdan, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans. Des repères pour comprendre, Flammarion, 2012 (2008 pour la première édition).
"Le père François Jourdan est particulièrement bien formé pour participer à un tel dialogue de façon fructueuse. Le contact concret avec les musulmans est pour lui une évidence quotidienne : il a été missionnaire en Afrique, au contact de l’islam africain ; il a vécu au Maroc ; il a parcouru la Tunisie, l’Égypte, le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Turquie."
"La France ne manque pas, et il faut s’en réjouir, de bons spécialistes de l’islam. Mais ce que l’on appelle islamologie, et qui fait les gros titres des médias, est souvent une sociologie des populations musulmanes, avec un peu d’histoire et parfois un peu de psychologie. Moins nombreux et surtout plus discrets sont les savants qui s’occupent des fondements mêmes, je veux dire du Coran, des récits traditionnels sur Mahomet (hadîth), de la biographie traditionnelle de celui-ci (sira) et de l’histoire des débuts de l’islam. La recherche sur ces domaines est en revanche florissante dans les pays anglo-saxons, en Allemagne et en Israël."
"Contre l’« essentialisme », il y aurait un remède souverain : la mise au pluriel. Dans un studio de radio ou sur un plateau de télévision, quel que soit le sujet de la discussion, celui qui a gagné la partie est le premier qui prend un air pénétré pour asséner doctement : « il n’y a pas un X, il y a des Xs », sous les hochements de tête approbateurs de l’assistance. Ce qui est aussi banalement vrai que peu « schmilblico-propulsant ». Car le problème reste entier : il faut encore se demander pourquoi diable on se réserve le droit de donner à tous ces Xs le même nom, à savoir, justement, celui de X…"
"Pour tous, d’un bout à l’autre du monde islamique, pour les sunnites comme pour les chiites, pour toutes les écoles juridiques, pour toutes les confréries mystiques : 1) Mahomet est l’Envoyé de Dieu ; 2) le Coran est la parole dictée par Dieu à Mahomet, qu’il faut donc entourer d’un grand respect ; 3) la direction de la prière est celle de La Mecque, d’où le terme par lequel les musulmans se désignent au-delà de toutes les divisions : « les gens de la direction (de la prière) » (ahl al-qibla). En conséquence : 4) cette ville est pour tous aussi le but du grand pèlerinage annuel. Quatre points, ce n’est pas beaucoup. Mais c’est essentiel. En effet, si le Coran est la parole divine, et si Mahomet qui l’a reçu est l’envoyé de Dieu et le « bel exemple » (Coran, 33, 21) qu’Il a proposé aux croyants, on peut, au moins en principe, en déduire à peu près tout le comportement que Celui-ci souhaite leur voir adopter.
Qu’ils l’adoptent en réalité est une autre question. Il est exact, mais inutile, de faire remarquer que bien des musulmans boivent de l’alcool et que bien des musulmanes ne se voilent pas, sans pour autant omettre de faire leurs prières, etc., bref, se composent un islam « à la carte ». Sans parler de ceux qui se détachent d’aspects plus importants de cette religion. Reste en effet à se demander pourquoi ils font cela. Est-ce en tant que musulmans ou, si l’on préfère, parce qu’ils sont musulmans ? Ou est-ce au contraire en dépit de leur islam ?"
"Il y a ressemblance et ressemblance. Qu’on me permette une comparaison : rien ne me ressemble plus que mon reflet dans un miroir. Mais en même temps, tout y est inversé : dans le visage qui me fait face, image exacte du mien, ce qui est à droite semble être à gauche, et réciproquement. La ressemblance entre christianisme et islam me semble un peu de cet ordre. Dans l’islam, tout le judaïsme et le christianisme (ou presque) sont là ; mais en même temps tout (ou presque) y a changé de signe."
-Rémi Brague, Préface de François Jourdan, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans. Des repères pour comprendre, Flammarion, 2012 (2008 pour la première édition).
"Peut-être une certaine peur inavouée nous pousse-t-elle à préférer nous en arrêter là : n’abordons surtout pas ce qui nous sépare, car ce sont les questions qui fâchent ! Sans doute aussi, on sent qu’on n’est pas prêt dans la compréhension de l’autre et même de soi-même pour aller plus loin. Ne considérer que ce qui nous rapproche aboutit à créer une situation chaleureuse mais fausse."
"Il ne s’agit pas du même monothéisme : chez les musulmans il est unitaire, et chez les chrétiens il est trinitaire ; les musulmans mettent en doute la réalité de la foi monothéiste des chrétiens. Pour les chrétiens, la Trinité ne porte pas atteinte à la foi en un seul Dieu ; pour les musulmans au contraire, si, et cela constitue une grave différence liée à la divinité de Jésus qu’ils refusent avec force. Inversement, les musulmans croient en l’origine divine du Coran dont Dieu seul est l’auteur ; les chrétiens, avec les autres religions, n’y croient pas. Pourtant le statut du livre est essentiel. Chacun parle de « parole de Dieu » mais pas dans le même sens !
Le grand islamologue chrétien Roger Arnaldez le reconnaissait : « Quand on a dit qu’il n’y a qu’un seul Dieu, on n’a pas encore dit grand-chose. » Pour le chrétien, se dire monothéiste reste insuffisant par rapport à la révélation que Dieu fait de lui-même et au don de lui-même. Pour le musulman au contraire, c’est l’essentiel."
"La Trinité chez les chrétiens est liée à une cohérence dans laquelle Dieu est sauveur, amour, et fait alliance avec les hommes ; il a un dessein de salut pour tous ; par lui nous pouvons entrer dans son Cœur, ouvert à tous les hommes. Cette conception est choquante pour l’islam, car Dieu y est d’une transcendance ombrageuse, tel un tuteur surplombant tout ce qui n’est pas lui, radicalement séparé de toute créature et attendant de l’homme qu’il se rende à lui : c’est le sens du mot arabe muslîm traduit par « musulman » ou « soumis »."
"Pour les musulmans, Jésus et Marie étaient des leurs. On comprend alors pourquoi il leur est facile de trouver que l’islam est dans la continuité : pour eux, les vrais judaïsme et christianisme étaient de l’islam avant la lettre, avant que Mahomet eût fondé l’islam historiquement et de manière avérée. On ne sait plus de quel judaïsme et de quel christianisme on parle : s’agit-il des judaïsme et christianisme coraniques et islamiques avant la lettre, ou bien des judaïsme et christianisme réels, avérés dans l’histoire vérifiable ? De même, parlons-nous des Jésus et Marie musulmans ou bien des Jésus et Marie chrétiens ? Si l’on ne précise pas, c’est la confusion. Le même A. Charfi déclare que « à aucun moment le Coran ne parle de l’abrogation de Moïse et de Jésus », mais à la page suivante, il reconnaît que « les Écritures antérieures au Coran furent tenues en suspicion parce que falsifiées, corrompues, manipulées » (concept coranique de tahrîf [...] Il n’y voit aucune contradiction, alors que la « falsification » rend caducs les Moïse et Jésus des juifs, des chrétiens et de l’histoire.
Tout être humain soumis à Dieu, dans toutes les religions, serait ainsi d’emblée musulman, et donc, en permettant à tout homme d’être soumis, toute religion serait islamique ! Le mot islam au sens large permet alors de récupérer amplement ce qui le précède historiquement.
En réalité, sur le fond doctrinal de référence (et non plus sur les apparences ou la succession chronologique), l’islam n’est pas dans la suite des judaïsme et christianisme attestés par l’histoire. La vision biblique (juive et chrétienne) de Dieu n’est pas la vision coranique, surtout dans le Nouveau Testament. De même, la conception d’Ibrâhim n’est pas celle d’Abraham, et celle de ‘Îsâ n’est pas celle de Jésus. Pour le théologien François Varillon, « le Coran n’est pas la suite de la Bible ». Ni la confusion ni l’occultation d’une partie importante des personnages ne sont bénéfiques si nous voulons nous respecter et nous comprendre."
"Aux yeux de l’islam comme du christianisme, Jésus est né miraculeusement de Marie vierge et mère (21, 91). L’islam atteste ce miracle sans lui reconnaître un sens. Le christianisme sait qu’il est intimement lié à l’identité de Jésus pleinement homme et pleinement Dieu, à sa divinité que refuse de toutes ses forces l’islam ; ainsi l’islam ne voit aucune raison à ce miracle. De plus, Jésus ne s’appelle pas ainsi dans le Coran mais ‘Îsâ, alors que chez les chrétiens de culture arabe, il se nomme Yasû‘, dérivé linguistique direct de l’hébreu Yéshû‘, Jésus, lui-même diminutif de Yéhôshua‘, Josué, qui veut dire « Dieu sauve ». Or, en islam, Dieu n’est pas Sauveur, et le Jésus musulman ‘Îsâ a perdu son nom de Sauveur. Nous développerons ce point au chapitre Ier de la troisième partie, mais, dans les traductions du Coran, on devrait respecter le nom coranique de « ‘Îsâ » et ne pas traduire en français par « Jésus », ce qui est une « biblisation » et une christianisation du Coran."
"L’islam, le christianisme et le judaïsme sont des religions à livre puisqu’elles reconnaissent des livres comme saints. Mais d’autres religions, plus éloignées par leur doctrine et même considérées comme païennes, reconnaissent aussi de tels livres : l’Avesta du mazdéisme de Zarathoustra, les Sutras de Bouddha, les Upanishads des anciens sages rishis de l’Inde, la Bhagavad-Gîtâ hindoue, le Granth de Guru Nanak chez les Sikhs et de nombreux autres textes. À part les religions des anciennes civilisations purement orales et sans écriture, toutes les religions sont des religions à livre. Il ne s’agit donc pas de cela !
Alors de quel « Livre » s’agit-il ? Question embarrassante pour les usagers de cette formule dangereuse. Si nous posons la question à des juifs ou à des chrétiens, ils répondent : la Bible. Si nous la posons à des musulmans, ils disent : le Coran. Il y a désaccord sur le « Livre » qui ne peut pas être à la fois la Bible et le Coran ; nous n’avons pas de Livre commun.
En fait, il s’agit d’une expression dérivée du Coran : « les gens du Livre » (5, 59 et bien d’autres), désignent les juifs, les chrétiens et éventuellement les énigmatiques « sabéens ». Cette expression est liée à la cohérence doctrinale islamique de la « descente » (tanzîl), depuis la « Mère du Livre » au ciel (3, 7 ; 13, 39), mère de tous les livres dont le Coran se présente comme le dernier, dans sa conception spécifique. Le terme « religions du Livre » est une conception islamique étrangère au monde biblique, puisque la Bible n’est pas descendue du ciel, mais est le fruit de l’Alliance de Dieu et des hommes. Or cette idée d’Alliance n’est pas familière à l’islam. Il y a là une sorte d’islamisation inconsciente de la culture. Constatons que les meilleurs s’y laissent prendre."
"— le catholicos Timothée Ier, patriarche des nestoriens, répondait au calife Al Mahdi en 781 qui l’interrogeait sur Muhammad : « Il a marché sur le chemin des prophètes et des amis de Dieu ; car, comme les autres prophètes ont enseigné l’unité de Dieu, ainsi en a fait Mahomet ; il a donc suivi le chemin des prophètes. » La tournure est habile : Timothée ne reconnaît pas Muhammad comme prophète, mais il ne risque pas pour autant la survie de sa communauté.
— Pour saint Thomas d’Aquin, « aucune prophétie divine ne témoigne en sa faveur », mais l’islam, selon la relecture du traité sur la prophétie de saint Thomas par le père Charles Ledit, est tout au plus « directif » au sens d’une pierre d’attente plus ou moins orientée vers le Christ."
"Comment le Coran peut-il être parole de Dieu après l’envoi et le don du Fils par le Père ? Pour le chrétien, la plénitude de la révélation est Jésus-Christ ; le dernier prophète était Jean-Baptiste qui annonçait le Christ. Le Coran ne reconnaît pas le don du Fils ; il ne peut donc approfondir ce que Jésus nous a révélé. Le concile Vatican II a reconnu l’action de l’Esprit-Saint au-delà des limites de l’Église et dans tous les plans de l’activité humaine (Gaudium et Spes 22, 5) ; mais il n’accorde pas le statut de révélation, de prophétie, et de Parole de Dieu, au sens biblique, à d’autres textes que ceux de la Bible…"
"Il est vrai que sous Abderrahman III (mort en 961), ce fut le cas. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt ; bien des faits vont à l’inverse du caractère pacifique de cette coexistence : le martyre des chrétiens de Cordoue, lors des persécutions des années 850 contre ceux qui refusaient l’islamisation ; l’internement de tout le clergé de Cordoue pendant plusieurs mois ; la rigueur du grand intellectuel Ibn Hazm de Cordoue (994-1064) contre les juifs et les chrétiens ; le massacre des juifs de Grenade en 1066 ; l’expulsion des mozarabes (chrétiens arabisés) en 1120 ; l’intolérance de dynasties berbères, les Almoravides et les Almohades, avec leurs déportations à répétition ; l’interdiction de construire des églises ; l’enterrement d’Averroès avec ses livres en 1198 ; la fuite du grand penseur juif du Moyen Âge, Maïmonide, forcé de se convertir à l’islam et mort au Caire en 1204 ; l’exil du grand mystique andalou, Ibn ‘Arabî, mort à Damas en 1240… Sans parler des exactions guerrières de la conquête islamique, puis de la reconquista chrétienne qui ont duré des siècles chacune. [Alain de Libera] a pu parler du « mythe andalou »."
"Autre référence historique facile : la civilisation arabo-islamique. Il est vrai qu’elle s’est développée sous domination politique islamique à la suite du siècle omeyyade des conquêtes (VIIe et VIIIe siècles). Mais il faut rétablir la vérité historique. Beaucoup des conquérants n’étaient pas arabes mais sous tutelle arabe ; ceux qui ont fait la civilisation d’alors furent essentiellement des non-Arabes et des non-musulmans, c’est-à-dire les peuples conquis, les persans, les juifs et les nombreux chrétiens nestoriens, jacobites et byzantins, qui étaient pénétrés, en particulier, par l’héritage grec antique. Longtemps, les médecins des grands califes de Bagdad furent des nestoriens. Si beaucoup de musulmans, non arabes mais arabisés, ont pu continuer le développement culturel en astronomie, médecine, philosophie ou mathématiques, c’est parce que les peuples conquis étaient de brillante culture depuis des siècles, de l’Égypte à la Perse avec son voisin l’Inde, en passant par la Mésopotamie avec la route de la soie et le monde grec. Ni Avicenne ni Averroès ne connaissaient la langue de Platon ou d’Aristote. Anne-Marie Delcambre va jusqu’à écrire : « Cette brillante civilisation était le fait de non-Arabes devenus la majorité. Le pouvoir se trouvait entre les mains d’une armée étrangère et vomie, d’une administration également étrangère et honnie et d’un calife fantoche. […] L’islam-religion refusait cette civilisation d’origine étrangère, née dans l’ombre de l’islam mais qui n’avait rien de musulman. »."
"« Pas de contrainte en religion » (2, 256). Ce verset daterait du début de l’Hégire, l’arrivée de Muhammad à Médine, donc de 622. Le « modernisant » Tunisien francophile Mohammed Talbi peut écrire : « Quatorze siècles avant la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Coran est le seul texte sacré où le respect des consciences est clairement affirmé. » La réalité historique ne donne pas cette impression. De même, dans son livre Islam, les questions qui fâchent, Bruno Étienne rappelle au moins trois fois ce verset. Mais il omet de dire que ce verset est contraire à plus d’une centaine d’autres versets arrivés après lui dans la prédication de Mahomet et qu’il est abrogé. L’abrogation est le principe de l’exégèse coranique classique en cas de contradiction (2, 106 : « Dès que nous abrogeons un verset ou dès que nous le faisons oublier, nous le remplaçons par un autre, meilleur ou semblable – Ne sais-tu pas que Dieu est puissant sur toute chose ? », cf. 16, 101 ; 22, 52). Par contre, les versets plus tardifs qui abrogent les autres ne sont jamais cités, alors que ce sont eux qui sont valides : « La religion est, pour Dieu, l’islam » (3, 19), ou « Le culte de celui qui recherche une religion en dehors de l’islam n’est pas accepté » (3, 85), ou encore « C’est Lui qui a envoyé son Messager avec la direction et la religion vraie pour la faire prévaloir sur toute autre religion – Dieu suffit comme témoin » (48, 28). C’est cet esprit qui anime le « modernisant » français Malek Chebel lorsqu’il affirme : « L’avenir est à l’islam. Entre 2020 et 2050, du fait de sa force démographique, l’islam sera la première religion monothéiste. » Lorsque le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, pour organiser le culte musulman, demanda une reconnaissance de la liberté religieuse sans restriction, y compris la liberté de changer de religion conformément à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et à la Convention européenne, ratifiée par la France le 31 décembre 1973, les musulmans, en particulier l’UOIF, refusèrent cette clause, et le ministre laïque s’est exécuté en retirant l’article sur le changement de religion ! Pour l’honneur des musulmans, Leïla Babès et Michel Renard protestèrent publiquement mais sans succès. De manière réitérée depuis 1970, des collectifs de pays musulmans ont pris position pour des Déclarations islamiques des droits de l’homme, parce qu’ils sont en désaccord avec la Déclaration universelle, sur le changement de religion s’il s’agit de l’islam, sur les droits de la femme musulmane, notamment d’épouser un non-musulman, et sur l’existence des syndicats et du droit de grève."
"Nous entendons : « Le voile islamique n’est pas une prescription du Coran. » C’est rassurant. L’affaire du voile a fait grand bruit et provoqué la société française. Cependant, même en terre islamique, la question n’est pas résolue [...] Mohammad Tantaoui, shaykh de la grande université islamique d’El Azhar, au Caire, déclarait, lors de la visite du ministre de l’Intérieur, J.-P. Chevènement : « Si l’État estime que le port du voile n’est pas compatible avec ses lois, il faut s’y plier ou partir. » Mais, devant le tollé et le désaveu du Grand mufti de la République, il s’était repris quelques jours plus tard à la BBC : « Le hidjab est obligatoire et fondamental dans l’islam. Toute musulmane pubère doit le porter. En terre non musulmane, si la justice ne lui donne pas gain de cause, elle doit quitter le pays. » Se plier à la loi locale avait disparu (Actualité religieuse, n° 166, 15 mai 1998)."
"Aujourd’hui, le voile progresse en Turquie et en Tunisie, pays connus pour se prétendre « laïques » ; beaucoup d’autres pays connaissent aussi ce phénomène. Le 17 mai 2006, un juge au Conseil d’État d’Ankara a été abattu et quatre autres blessés par un avocat islamiste pour avoir sanctionné une institutrice, parce qu’elle portait le voile. Le clan laïc a manifesté contre le Premier ministre islamiste. Du Maroc à l’Indonésie, en France même, ces femmes couvertes, parfois visage compris, ne cessent d’interroger sur la gestion sociale de la sexualité en islam. Le conseil européen de la Fatwa, présidé par le cheikh Youssouf Qaradhawi, très écouté en France par l’UOIF, le précise clairement : « Porter le voile est pour la femme musulmane une pratique et une obligation religieuses et ne constitue pas un simple signe religieux ou politique. C’est pour elle une partie importante de l’exercice légitime de sa religion, qui ne dépend pas du lieu où elle se trouve, que ce lieu soit un lieu de culte ou qu’il soit un lieu privé ou public. Les préceptes islamiques ne supportent pas la contradiction ni les cloisonnements dans la vie de l’individu fidèle à la pratique de sa religion. » Y. Qaradhawi a encore récemment rappelé à Istanbul l’obligation du voile, y compris en Europe, en précisant : « Nous voulons vivre sur cette terre comme des musulmans. » À cette même conférence de musulmans européens, le Français Mohamed Mestiri dénonçait « une véritable réticence politique en Europe à reconnaître la visibilité des musulmans dans l’espace citoyen », appuyé par T. Ramadan qui soulignait : « Notre nouvelle visibilité soulève des questions légitimes pour nos concitoyens, nous devons y répondre. » L. Babès le reconnaît : « Pour la plupart des musulmans pratiquants, le port du voile est un commandement divin et un critère d’islamité. » Plus loin elle continue le constat : « Les discours qui tendent à accuser les femmes non voilées de mécréance sous prétexte qu’elles n’obéissent pas à un “ordre de Dieu” sont de plus en plus répandus. Le schéma est simple : je te désire parce que tu montres tes atours ; et au lieu d’obéir à Dieu qui m’ordonne de me contrôler, je te condamne, toi, pour ne pas Lui obéir. » [...]
Pourtant M. Talbi, s’appuie sur la sourate 24, 31 : « Dis aux croyantes : de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines, de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux ou à leurs pères […] » Et il en conclut : « Le foulard dit islamique n’est pas coranique : aucun verset du Coran ne fait obligation à la femme de se couvrir les cheveux. » Mais il oublie le verset plus général, invoqué en sens opposé par le recteur de la grande mosquée de Paris, D. Boubakeur, devant la commission Bernard Stasi préparant la loi contre le voile à l’école publique, votée à une très large majorité, toutes tendances confondues, en mars 2004 : « Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles : c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées » (33, 59) ? Ce verset est également omis dans le dialogue sympathique d’une musulmane et d’une juive « libres », qui pourtant posait bien le problème : « À quoi sert le foulard ? — À protéger les filles du regard de convoitise des hommes […]. — Mais alors pourquoi ne changent-ils pas plutôt leur regard ? […] Le voile sert à ne pas éveiller le désir des hommes. C’est une manière de les déresponsabiliser et de nous rendre potentiellement coupables, ce que je ne peux accepter, précise Meryem, vingt-trois ans, étudiante à Paris. J’ai envie de croire que les hommes musulmans sont parfaitement capables de se montrer respectueux devant une femme la tête découverte, comme les chrétiens, les bouddhistes, les athées et tous les autres hommes. Être sain d’esprit, maître de soi, n’est pas une question de religion. » Comment choisir entre M. Talbi et D. Boubakeur qui, ni l’un ni l’autre, ne sont des musulmans fermés mais soutiennent des positions contradictoires ?"
"Abderrahim Lamchichi se voulait lucide : « Pourquoi justifier l’injustifiable en persistant à nier que l’islam (comme les autres religions d’ailleurs, à qui, faut-il le rappeler, la laïcité s’est, historiquement, imposée) contient des dispositions incompatibles avec les lois de la République (infériorité de la femme, polygamie, discriminations sociales et sexuelles, refus de la mixité, intolérance religieuse – surtout à l’égard des « renégats » – non-reconnaissance de l’universalité des droits de l’homme, confusion du politique et du religieux, opposition aux libertés fondamentales – parmi lesquelles celle de changer de religion ou de ne pas en avoir, celle d’expression et de création) ? »"
"« Jihâd ne veut pas dire “guerre sainte” mais “effort contre ses mauvais penchants” » dit-on souvent dans les rencontres islamo-chrétiennes. Le courant spirituel soufi a pu en effet développer peu à peu ce sens spirituel et intérieur parce que, lexicalement, jihâd veut dire « lutte, effort » (et non « guerre », ni « sainte »). Cette interprétation est minoritaire, mais beaucoup de non-musulmans la reprennent en écho. Cependant un auteur prudent et mesuré le reconnaît : « Les livres de la sîra (biographie du Prophète) et des maghâzi (ses campagnes et expéditions) font peu de cas du “jihâd intérieur”. […] C’est le hadîth (propos attribués au Prophète) qui proclamera l’importance et la supériorité du “jihâd le plus grand”, c’est-à-dire le jihâd intérieur. » Et la constitution des hadîths est tardive. Un spécialiste, Alfred Morabia, s’explique : « Le jihâd dénommé “mineur” occupe l’essentiel, la quasi-totalité des pages consacrées par les traités juridiques au “combat dans la voie d’Allah”. L’intérêt porté au “jihâd spirituel” est manifestement postérieur à l’époque où furent posés les fondements du dogme et de la Loi. » Ainsi le soufisme a pu s’appuyer sur un hadîth célèbre mais dont l’authenticité est discutable (particulièrement tardif, probablement du IXe siècle). Voici ce hadîth. Au retour d’une expédition militaire, Muhammad dit : « Nous voici revenus du petit jihâd pour nous engager dans le grand jihâd, l’effort de l’âme. » Il y a un mot arabe spécifique pour parler de guerre : harb, mais, dans ce hadîth même, l’expédition guerrière est qualifiée de « jihâd ». Ghaleb Bencheikh s’efforce de dénoncer « l’abus de langage inconséquent et scandaleux » de la traduction de jihâd par « guerre sainte ». « L’équivalence isomorphe entre jihâd et guerre sainte est donc on ne peut plus erronée. » Mais sa thèse est contredite par l’islamologie classique avec Dominique et Janine Sourdel. Il faut même aller plus loin : chez les grands philosophes arabes, « le mot jihâd, quand ils l’utilisent, signifie “guerre” en général ». Au grand public, M. Chebel dit : « Dans le Coran, il y a autant de versets qui prônent la paix que la guerre. Que les musulmans demandent à leurs théologiens de substituer à la guerre sainte (jihâd) l’ascèse intérieure » ! C’est ce que réclame aussi l’islamologue et ami des musulmans au Caire, le père Christian Van Nispen : « Il serait bon que les musulmans clarifient ce que veut dire jihâd et s’élèvent plus clairement contre toute possibilité d’interprétation violente. L’interprétation est un processus toujours en mouvement. Cette question de l’herméneutique est la plus sensible pour les musulmans aujourd’hui. »
Par ailleurs, on dit souvent que l’islam est la religion de la paix puisque « le mot islam est de la même racine que le mot “paix” » (salâm). Avoir une racine commune en arabe n’est pas suffisant pour conclure que le sens est le même. En fait, les grands traités médiévaux de jihâd sont des traités d’art militaire. Et le sens dominant du mot jihâd en arabe aujourd’hui, et depuis fort longtemps – y compris par des musulmans au fait de leur foi comme le livre classique La voie du musulman –, est bien « guerre sainte », c’est-à-dire une guerre sacrée parce que « sur le chemin de Dieu, ils tuent et ils sont tués » (9, 111) : il s’agit d’une guerre où l’on tue avec la caution de Dieu. Au moins une quarantaine de versets du Coran sont explicites à cet égard. Pourquoi donc G. Bencheikh, dans la troisième et dernière partie de son livre De la violence et de la guerre (près de soixante pages) ne cite-t-il que ce seul verset de jihâd guerrier (9, 111, p. 285) et pour l’interpréter dans le sens du martyre ? Comment explique-t-il que ce martyr tue ? Il veut faire mentir, à juste titre, la constatation de Farhad Khosrokhavar sur « la relative apathie des musulmans à dénoncer l’islamisme ». Certes, toutes les religions doivent faire un gros effort sur le sujet de la violence « juste », qu’elles admettent ; et les Églises chrétiennes plus que les autres, elles qui ont souvent vécu avec l’Évangile dans une main et leur théorie non évangélique de la guerre juste, dans l’autre. Mais, pour les chrétiens, Dieu n’est pas mêlé à la « guerre juste » qui n’est pas dans le texte religieux, la plus haute et ultime référence."
"Les attentats islamistes du 7 juillet 2005 à Londres ont dévoilé les graves négligences et naïvetés installées depuis longtemps dans l’administration et la société britanniques. Derrière le quolibet d’islamophobie se cache le rejet de la lucidité et de la liberté critique moderne."
"80 % des musulmans ne sont pas arabophones ; beaucoup d’arabophones connaissent leur dialecte ou l’arabe moderne, mais sont démunis devant l’arabe coranique dont les constructions de phrase, l’usage des formes verbales ou le vocabulaire ont évolué. De plus le style « elliptique » du Coran, allusif et évasif, rend problématique la compréhension de nombre de versets, tant en traduction qu’en arabe même. Les commentaires musulmans donnent souvent « leur langue au chat » par la formule : « Et Dieu seul sait ! » (wa Allahu a‘lam). Ce que le Coran lui-même avoue : « Il n’y a de Dieu que Lui, le Puissant, le Sage ! C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre. On y trouve des versets clairs – la Mère du Livre – et d’autres équivoques […] Mais nul autre que Dieu ne connaît l’interprétation du Livre » (3, 7) ; en effet : « Dieu sait, et vous, vous ne savez pas » (2, 216). Alors qui peut prétendre y comprendre quelque chose ?"
-François Jourdan, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans. Des repères pour comprendre, Flammarion, 2012 (2008 pour la première édition).