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    Lukas Aubin & Jean-Baptiste Guégan, Atlas géopolitique du sport

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Lukas Aubin & Jean-Baptiste Guégan, Atlas géopolitique du sport Empty Lukas Aubin & Jean-Baptiste Guégan, Atlas géopolitique du sport

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 14 Mai - 11:19



    "Médailles, tournois, grandes compétitions internationales, le sport est un instrument de mesure de la puissance des États. [...]
    À l’ère de la mondialisation et de l’hyperconnectivité, tous les États de la planète cherchent à se l’approprier. Le nouvel ordre du monde se traduit dans le sport comme le montre l’importance prise par les nouvelles puissances du Golfe persique, la Russie résurgente et l’avènement de la Chine. Nous assistons notamment à une nouvelle guerre froide du sport entre Washington et Beijing qui se traduit par une compétition sportive effrénée pour organiser le sport et triompher. [...]

    Les États affirment par le sport ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent renvoyer comme image à l’intérieur de leurs frontières comme au dehors. Sa force tient à la « puissance de l’imaginaire » qu’il véhicule. Soft power sportif, sport-washing, nation branding, nation building : pour un État, le sport est un support de communication, un outil de cohésion nationale ou un paravent pour dissimuler ses failles. Il sert à modeler le réel et à maîtriser, à son profit, les grands récits.

    En tant qu’instrument malléable, il donne corps aux politiques des États, à leurs doctrines. Jusqu’alors invisibles, elles s’incarnent au travers des sportifs, des compétitions et des représentations qui les accompagnent. [...]

    En 1970, le Comité international olympique (CIO) décide d’exclure l’Afrique du Sud pour faire reculer l’apartheid et permettre la libération de Nelson Mandela. Quelques mois plus tard, les États-Unis et la Chine utilisent « la diplomatie du ping-pong » pour signifier leur rapprochement et l’officialisation de leurs relations, au détriment de l’unité du camp communiste. L’une des premières actions diplomatiques du Soudan du Sud indépendant dès 2011 est d’intégrer la Fédération internationale de football association (FIFA) pour jouer dès l’année suivante ses premiers matchs internationaux, construire son unité nationale et montrer au monde qu’il existe."

    "Entre le VIIIe et le Ve siècle av. J.-C., ils apparaissent dans toute la Grèce. Successivement, les Jeux d’Olympie (-776), de Corinthe (-589), de Delphes (-582) et de Némée (-573) sont créés pour réunir les plus grands athlètes lors de fêtes sportives mémorables. Dès lors, les Jeux antiques sont codifiés, régentés et organisés de façon stricte. Pour pouvoir y participer, il est nécessaire d’être un homme libre d’origine grecque. Esclaves, étrangers et femmes ne peuvent pas concourir. Tous les quatre ans pendant plus d’un millénaire, ils se tiennent à la pleine lune au moment du solstice d’été. Ils réunissent les meilleurs athlètes venus de toutes les cités et sont révélateurs des conflits qui les opposent, devenant alors un symbole géopolitique. Spartiates et Athéniens rivalisent par exemple dans des luttes sans merci. En quête de gloire, certaines cités cherchent également à s’attirer les faveurs des meilleurs athlètes de Grèce, quitte à changer illégalement leur lieu de naissance. Néanmoins, les Jeux sont aussi des moments de trêve sacrée (Ekecheiria) où le politique et le militaire ne doivent pas pénétrer. Quiconque contrevient à cette règle doit payer une amende. Selon Thucydide, la cité de Spartes est par exemple condamnée à payer 2 000 mines pour avoir violé la paix des Jeux lors de la guerre du Péloponnèse en attaquant le fort de Phyrkos de la cité d’Élis. Refusant de se plier aux Éléens, elle est exclue des Jeux entre 420 et 400 av. J.-C."

    "Les principaux pôles émetteurs du sport moderne sont l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon. Les Britanniques sont les premiers à diffuser leurs sports à travers le monde et notamment au sein de leur empire. Football, cricket ou encore polo sont pratiqués dans les public schools au XIXe siècle en pleine révolution industrielle, puis diffusés grâce à la démocratisation du transport ferroviaire. Grâce à un système de prêche, le continent asiatique via le Japon diffuse de nombreux arts martiaux. Sport rationalisé par Jigoro Kano en 1882, le judo se diffuse massivement dans le monde par l’intermédiaire de ses nombreux disciples qui exportent « la voie » du judo. Enfin, l’exception culturelle américaine se traduit par la volonté de développer ses propres sports, codes et méthodes. Le football – appelé soccer – et le rugby sont rejetés au profit du football américain, et le baseball devient le sport national américain. Par ailleurs, la création ex nihilo du basketball (1891) et du volleyball (1895) aux États-Unis par des professeurs de sport illustre la voie spécifique nord-américaine.

    Jusqu’en 1940, la diffusion des sports modernes se limite aux pays développés. Puis, alors que la mondialisation s’installe, les sports se massifient."

    "Lorsque le baron Pierre de Coubertin obtient finalement l’autorisation d’organiser les premiers JO modernes, son objectif est d’en faire une fête de l’amateurisme sportif apolitique et pacifiste destinée à rapprocher les nations plutôt que de les éloigner. Pourtant, dès leur création, les Jeux sont l’objet de rivalités de pouvoir dans le contexte nationaliste intense de l’époque.

    Dans un premier temps, le baron lui-même souhaite que l’événement se tienne à Paris en 1900 pour célébrer l’Exposition universelle. Outrées devant le chauvinisme du Français, les autorités grecques font pression pour que les JO se tiennent à Athènes, dans le berceau de l’olympisme. Sous pression, Coubertin accepte de faire un compromis : la première édition se déroulera à Athènes en 1896 et la deuxième ira dans la capitale française quatre ans plus tard.

    Dès lors, les autorités grecques vont s’attacher à faire de l’événement un moment patriotique fondateur. Le souverain Georges Ier se fixe comme triple objectif de légitimer sa dynastie d’origine danoise, d’unir les masses grecques grâce au sport et de procéder à la réunification panhellénique (Clastres, 2004). Ainsi, la date retenue pour le début des JO est-elle éminemment politique et religieuse. En effet, le 6 avril 1896 correspond au 25 mars dans le calendrier grégorien, soit la fête orthodoxe de l’Annonciation et la date du soulèvement grec contre l’Empire ottoman en 1821. De plus, le gouvernement choisit de rénover entièrement le stade antique d’Athènes pour l’occasion. Devant 80 000 personnes, le Grec Spiros Louÿs devient alors un héros en remportant le premier marathon de l’ère moderne. Une victoire davantage symbolique que sportive qui cimente encore aujourd’hui le nationalisme grec.

    Dans la foulée, la Grèce tente de se réapproprier l’édition suivante et de faire d’Athènes le lieu unique de l’événement. Coubertin s’y oppose et fait graver dans le marbre deux règles fondatrices : les Jeux sont désormais quadriennaux et doivent changer de lieu à chaque édition."

    "L’organisation de la compétition se fait par l’intermédiaire du Comité international olympique (CIO) créé deux ans plus tôt. Composé de 13 membres issus de l’aristocratie et de la bourgeoisie, il représente et défend des valeurs occidentales très prononcées à l’époque. Ainsi, Pierre de Coubertin est-il vivement critiqué pour sa misogynie et son impérialisme, car, avec le concours du CIO, il défend l’interdiction de concourir pour les femmes et les habitants des colonies lors de la première édition. « Impratique, inintéressante, inesthétique et, nous ne craignons pas de le dire, incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-olympiade féminine », dit-il d’ailleurs à propos de l’hypothèse d’une participation des femmes. De plus, en dépit des valeurs universelles prônées par le baron, seuls 14 pays font le déplacement à Athènes dont la majorité est ouest-européenne. Jusqu’en 1920, les participants sont composés principalement d’un cercle restreint d’une petite trentaine de pays majoritairement occidentaux."

    "Comme un symbole de sa volonté hégémonique, le CIO crée les cinq anneaux olympiques en 1920 pour représenter les cinq continents. Dès lors, les olympiades connaissent une croissance exponentielle avec la démocratisation de la radio et l’apparition de la télévision qui leur servent de support.

    Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le CIO s’épaissit par vagues successives à mesure que la décolonisation signe la fin des Empires. En outre, les JO d’hiver de Cortina en 1956 sont les premiers à être retransmis en direct à la télévision dans toute l’Europe. Les années 1960, 1970 et 1980 sont le théâtre de l’arrivée massive des anciennes colonies françaises, belges et espagnoles fraîchement indépendantes symbolisées notamment par l’ensemble du continent africain. Dès lors, les Jeux touchent l’ensemble de la planète. À ce titre, les JO de Tokyo en 1964 deviennent un symbole en étant les premières olympiades asiatiques retransmises sur les cinq continents en mondovision.

    Parallèlement, à partir de 1952, l’URSS intègre les JO et la guerre froide devient sportive. À Helsinki, les Jeux prennent une dimension géopolitique très forte quand le CIO accepte que l’URSS, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Bulgarie et la Pologne fassent bande à part dans un village olympique séparé construit pour l’occasion. Dès lors, l’événement olympique est géopolitique dans la mesure où le territoire de la ville d’Helsinki devient l’expression géographique et symbolique de la guerre froide. Pour Staline, le coup d’essai est presque un coup de maître. À sa première participation, l’URSS finit deuxième derrière les États-Unis. Ce n’est que partie remise. En 1991, elle remporte la guerre froide du sport au classement des médailles, mais s’effondre sur elle-même.

    Pourtant, un siècle après leur création, les JO sont toujours l’apanage des grandes puissances économiques du XXe siècle. Entre 1896 et 1991, 117 villes ont candidaté pour obtenir le droit d’organiser l’événement parmi lesquelles 64 villes européennes, 42 américaines, 5 asiatiques, 3 océaniennes et 3 africaines. En outre, sur les 22 villes organisatrices de l’événement, 18 sont européennes, 5 sont nord-américaines, 2 sont asiatiques et 1 est océanienne. Le XXe siècle olympique est donc le théâtre d’une mondialisation asymétrique qui voit une majorité des peuples de la planète rejoindre un événement organisé par une minorité."

    "La chute de l’URSS entraîne l’arrivée des nations post-soviétiques lors des éditions des JO qui suivent. Le CIO cherche alors à intégrer un maximum de nations pour promouvoir la paix et l’universalité. Symbole de cette volonté : l’intégration d’une équipe mixte avec des athlètes blancs et noirs d’Afrique du Sud après vingt-huit ans d’absence dans le contexte de la fin de l’apartheid.

    Enfin, l’éclatement de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie achève de consacrer une fin de siècle et un début de millénaire sous le signe des revendications nationales diverses. Le sport devient alors un moyen d’affirmer son identité à travers la haute performance. Par conséquent, si les tensions politiques baissent en intensité, les rivalités sportives, elles, s’accroissent et de nouveaux acteurs font leur apparition.

    En 2000, les JO de Sydney accueillent 199 délégations. Si l’événement est retransmis pour la première fois sur Internet, il est également le premier à accueillir davantage de délégations que de pays reconnus par les Nations unies.

    Enfin, de nouveaux acteurs majeurs font leur apparition. Les pays émergents par l’intermédiaire des BRICS et des pays du Golfe s’imposent peu à peu dans le paysage olympique. La Chine fait notamment une entrée fracassante dans le sport de haut niveau au point de venir concurrencer la Russie et les États-Unis en organisant et remportant les JO d’été 2008 à Beijing. Les cartes de la géopolitique du sport mondial sont redistribuées et la guerre froide cède sa place à un nouveau monde multipolaire et fragmenté. En outre, la politisation du sport croît à mesure que l’ère de la mondialisation disparaît au profit de l’ère de l’hyper-connectivité des populations. À l’heure des réseaux sociaux, la massification du sport mute en sport 2.0. Désormais, c’est toute l’humanité connectée qui peut assister et participer aux manifestations sportives de premier plan. Les cérémonies d’ouverture des JO sont régulièrement regardées par la moitié de la planète."

    "Dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, il est utilisé par les alliés pour signifier aux vaincus leur défaite. Jusqu’en 1925, les Empires centraux sont ainsi exclus des grandes compétitions sportives. De surcroît, en 1919, les Américains créent et financent ex nihilo les premiers Jeux interalliés à Paris afin de fêter l’armistice. Dans les médias, on parle alors d’« olympiades militaires » destinées à symboliser la fraternité des vainqueurs et préparer l’après-guerre. Selon les organisateurs, le sport a alors vocation à se substituer au combat en devenant « sa face récréative » (Terret, 2003). Dès lors, il existe un lien intangible entre les deux. En outre, ce procédé participe de l’américanisation des sociétés européennes et de la création de stéréotypes liant pratique sportive et virilité. Face à cela, et dans le contexte des Années folles, certaines femmes s’organisent afin de diffuser la pratique sportive aux deux sexes. Alice Milliat crée en 1921 la Fédération sportive féminine internationale (FSFI) et organise dans la foulée une « olympiade féminine ». Précurseures, ces structures influencent le CIO qui ouvre définitivement les fédérations sportives internationales aux femmes en 1925."

    "Les pays communistes à l’instar de l’URSS décident de créer leur propre mouvement sportif mondial par l’intermédiaire de l’Internationale rouge sportive (IRS) et de ses Spartakiades – compétition quadriennale destinée à concurrencer les JO. Pour Lénine et consorts, les grands événements sportifs organisés par la FIFA ou le CIO sont considérés comme bourgeois et inadaptés, car ils mettent en compétition les athlètes plutôt que de les élever ensemble. Mettant au ban la quête du record et la figure du champion, l’IRS organise les Spartakiades le 12 août 1928 – le jour de la clôture des JO d’Amsterdam – afin de proposer une alternative prolétarienne au sport de compétition. L’objectif ? Promouvoir la saine émulation entre « avant-gardes physiques du prolétariat mondial » (Le Guellec, 2002)."

    "L’édition de Berlin en 1936 marque la première utilisation politique à grande échelle des JO. Adolf Hitler imagine l’événement comme un vecteur de la propagande du régime nazi et le gigantesque stade olympique de Berlin où se tient la cérémonie d’ouverture en est le symbole. 120 000 spectateurs assistent au défilé des jeunesses hitlériennes avant que le Führer ne pénètre l’enceinte au son des « Heil Hitler ». C’est le premier grand événement de l’histoire à être retransmis à la télévision. Si Jesse Owens, le sprinteur noir-américain, est considéré comme un héros après ses quatre médailles d’or, cela ne compense pas la victoire nazie au classement des médailles, loin devant les États-Unis."

    "Staline décide d’intégrer la FIFA en 1946, le CIO en 1951 et est à l’origine de la création de l’Union des associations européennes de football (UEFA) en 1954. L’URSS est désormais représentée sur la scène sportive internationale. Précautionneux, Staline refuse l’invitation aux Jeux de Londres de 1948 par peur d’échouer. À partir de 1952, l’URSS intègre les JO et la guerre froide devient sportive. [...]
    Entre 1952 et 1991, l’URSS participe au total à 18 éditions des JO d’hiver et d’été pour 13 premières places et 5 deuxièmes grâce à un total de 395 médailles d’or, 319 d’argent et 295 de bronze. Quand l’URSS ne finit pas première, ce sont les États-Unis qui s’arrogent le haut du podium.

    Le football devient également un enjeu majeur pour le pouvoir soviétique. En intégrant la FIFA en 1946 après s’y être refusée à plusieurs reprises, l’URSS se voit offrir un poste de vice-président et l’adoption du russe parmi les langues officielles."

    "Le modèle américain est vertical et libéral. Il privilégie les investissements privés et la réussite sportive individuelle. Le modèle universitaire y est très développé et l’État intervient peu. À l’inverse, le modèle soviétique est horizontal et socialiste. L’État est interventionniste et l’ensemble de la machine sportive est public. Ce système privilégie le sport de masse au sein duquel le champion émerge naturellement et par hasard. Les athlètes y sont tous officiellement amateurs.

    Dans ce contexte d’opposition, les années 1980 représentent l’acmé de la guerre froide du sport. Les tensions sont telles qu’elles engendrent le boycott des JO de Moscou par les États-Unis et quelques dizaines de pays occidentaux. Quatre ans plus tard, l’URSS et une partie du bloc de l’Est répondent de la même façon et ne vont pas aux Jeux de Los Angeles."

    "En Afrique coloniale, le sport sert de vecteur d’émancipation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Fortement développé à l’initiative des colons eux-mêmes, le football devient une arme politique (Dietschy, 2020). Entre 1958 et 1961, le Front de libération nationale (FLN) d’Algérie constitue une équipe clandestine de football composée de joueurs français d’origine algérienne à Tunis. Contre l’avis de la FIFA, l’équipe effectue des tournées à l’étranger, notamment chez les pays frères, pour promouvoir la cause de l’indépendance (Nait-Challal, 2008). Les JO deviennent également un lieu d’expression de l’indépendance des pays africains colonisés. Dès les Jeux de 1952 et 1956, la Côte-de-l’Or, le Nigéria puis le Kenya et l’Ouganda fraîchement indépendants de l’Empire britannique constituent un CNO et y participent. Déjà indépendants, l’Éthiopie et le Libéria participent pour la première fois aux JO de 1956.

    En pleine guerre froide, c’est véritablement à partir des années 1960 et alors que la décolonisation bat son plein que les éditions des JO commencent à accueillir la grande majorité des États africains. La progression est spectaculaire. Si seules 12 nations africaines participent aux JO d’été de 1960, elles sont 22 en 1964, 25 en 1968 et 30 en 1972. Causes et conséquences, cette arrivée massive provoque des bouleversements géopolitiques que le CIO doit prendre en compte. Face à cela, sa position de juge et partie devient de plus en plus marquée. Dès les JO de 1964, l’Afrique du Sud est officiellement interdite de participation en raison de l’apartheid et ce, jusqu’en 1992. La raison ? Les pays africains menacent le CIO de boycott face à la situation sud-africaine. En effet, si le gouvernement afrikaner avait construit une équipe composée d’athlètes noirs et blancs, il avait refusé de les faire voyager dans le même avion et de les installer dans le même village olympique. Ici, le sport devient un vecteur géopolitique destiné à faire avancer la cause des minorités ethniques à l’échelle planétaire."

    "En 1957, la Confédération africaine du football (CAF) est créée à l’initiative du Soudan, de l’Égypte, de l’Éthiopie et de l’Afrique du Sud. Cette dernière est rapidement évincée en raison de l’apartheid. Pour autant, si la CAF connaît des débuts timides, elle compte, en 2021, 54 membres et elle organise les grandes compétitions panafricaines dont la Coupe d’Afrique des nations (CAN) est l’avatar le plus connu. Puis, en 1965, la France fait organiser les Jeux africains de Brazzaville – auxquels elle ne participe pas – qui regroupent 29 nations africaines pour la plupart fraîchement indépendantes. Le succès est total. Dans la foulée, le Conseil supérieur des sports africains (CSSA) est créé afin de participer à l’essor et au développement de l’Afrique. Loin d’être anodin, le développement du panafricanisme sportif permet de faire contrepoids face au CIO et ainsi de faire progresser les intérêts politiques du continent africain."

    "En 1976, à quelques heures de la cérémonie d’ouverture des JO de Montréal et paralympiques de Toronto, 22 nations africaines décident de boycotter l’événement. Elles reprochent au CIO la présence de la Nouvelle-Zélande dont l’équipe de rugby est accusée d’avoir participé à une tournée en Afrique du Sud quelques mois plus tôt, justifiant ainsi l’apartheid. Surpris de cette décision, car l’Afrique du Sud est exclue des JO depuis 1964 et le rugby n’est pas une discipline olympique, le CIO ne peut que constater les dégâts et doit désormais tenir compte de l’impact de l’Afrique.

    Si le sport dispose d’un pouvoir d’émancipation, il est également un instrument de réconciliation. À sa libération en 1990 et alors qu’il devient président en 1994, Nelson Mandela décide de faire du sport un pilier de la reconstruction de l’Afrique du Sud. Selon lui, « le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’unir les gens d’une manière quasi unique. Le sport peut créer de l’espoir là où il n’y avait que du désespoir. Il est plus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales. Le sport se joue de tous les types de discrimination ». En 1995, l’Afrique du Sud remporte le Mondial de rugby et la communauté internationale célèbre la « nation arc-en-ciel »."

    "Si, entre 1896 et 2008, les États-Unis (2 298 médailles), l’URSS puis la Russie (1 445), et l’Allemagne unifiée (1 260) se partagent l’immense majorité des médailles distribuées aux JO d’été, les JO de Beijing en 2008 voient pour la première fois depuis soixante-douze ans un autre pays que la Russie ou les États-Unis s’approprier la première place au classement des médailles : la Chine."

    "Face à ce monde multipolaire, les instances transnationales du sport hésitent. D’une part, elles saisissent l’opportunité de toucher un nouveau public en acceptant successivement des candidatures issues de pays émergents (BRICS) et du Golfe. L’Afrique du Sud (2010), le Brésil (2014) la Russie (2018) et le Qatar (2022) obtiennent successivement l’organisation d’un Mondial de football de la FIFA. Parallèlement, le CIO accorde l’organisation des Jeux à Beijing (2008 et 2022), Sotchi (2014) et Rio (2016).

    D’autre part, elles se mettent en branle afin de légiférer le sport et d’éviter qu’il ne retombe dans les travers de la guerre froide. L’objectif ? Promouvoir la neutralité du sport en jouant le rôle d’arbitre. Paradoxalement, l’exclusion de la Russie d’une partie du sport mondial peu après le début de l’invasion de l’Ukraine confirme le fait qu’elles ne sont pas apolitiques."

    "Aux JO de Beijing 2008 et 2022, les médias et politiques occidentaux ne cessent de pointer du doigt les manquements chinois aux droits de l’homme et l’arme du semi-boycott est employée. Pour la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, les critiques portent sur les conditions des travailleurs et l’écologie. Peu après les JO de Sotchi, les États-Unis surfent sur l’affaire de dopage russe pour voter le Rodchenkov Act – du nom du lanceur d’alerte Grigory Rodchenkov – afin de légiférer et criminaliser le dopage à l’échelle internationale. Quand la Hongrie fait passer une loi contre la promotion de l’homosexualité dans l’espace public durant l’Euro 2020, la société allemande pare ses stades aux couleurs du drapeau arc-en-ciel LGBT+."

    "Les acteurs du sport mondial sont multiples. Composés d’entreprises, de ligues professionnelles, de fédérations internationales ou même d’États, ils chapeautent l’organisation mondiale des compétitions et fixent les règles du jeu. Publics aussi bien que privés, ils opèrent ensemble, mais avec des moyens différents et des objectifs parfois communs, parfois contraires."

    "Organisation non gouvernementale composée de 150 membres en 2022, le CIO compte 104 membres actifs, 45 membres honoraires et 1 membre d’honneur. Il est composé de sportifs de haut niveau, d’anciens présidents de fédérations et d’agences internationales, de politiques spécialistes du sport et de membres de la société civile, souvent issus des milieux d’affaires influents et de l’aristocratie mondiale. [...]
    Le CIO est organisé principalement autour du mouvement olympique. Selon la Charte olympique, ce dernier est « l’action concertée, organisée, universelle et permanente, exercée sous l’autorité suprême du CIO, de tous les individus et entités inspirés par les valeurs de l’olympisme ». Il est donc constitué des différents comités d’organisation des Jeux olympiques, aussi appelés COJO, de l’ensemble des associations nationales, des clubs et de tous les acteurs du sport mondial au sens large faisant partie des fédérations internationales et des 206 comités nationaux olympiques. Le mouvement olympique regroupe à la fois les organisateurs, les officiels élus, l’ensemble des sportifs et techniciens œuvrant dans le sport olympique, mais aussi les juges, les arbitres et tous ceux qui font et rendent le sport possible, en accord avec les règles olympiques et fédérales."

    "Aux côtés du CIO se trouvent les fédérations internationales (FI) comme la FIFA (Fédération internationale de football association), la FIA (Fédération internationale automobile), l’IAAF (Association internationale des fédérations d’athlétisme) ou le World Rugby (Fédération internationale de rugby). Affiliées dans la majorité des cas au CIO lorsqu’elles ont des statuts, des pratiques et des activités conformes à la Charte olympique, les FI sont dévolues à un sport en particulier. Pour une majeure partie d’entre elles, elles officient avec un board, c’est-à-dire une instance réglementaire chargée du respect et de l’évolution des règles et pratiques des sports concernés.

    Si les FI régissent et administrent leur sport à l’échelle globale, elles délèguent aussi leur organisation à des confédérations régionales qui rassemblent des fédérations nationales, dans le cadre d’un système pyramidal fonctionnant par zone géographique.

    Dès lors, les clubs professionnels sont soumis aux structures sus-citées. Pourtant, certains disposent d’une puissance financière quasi étatique qui leur confère une influence à l’échelle planétaire.

    En outre, les partenaires et acteurs privés comme les sponsors, les équipementiers ou les entreprises sont les véritables financeurs du sport mondial et des décideurs incontournables.

    Enfin, tous ces acteurs doivent se conformer au même droit : le droit du sport. Il désigne l’ensemble des règles des droits et des devoirs appliqués aux sportifs. Dans ce contexte, des structures internationales comme le Tribunal arbitral du sport (TAS) ou l’Agence mondiale antidopage (AMA) ont été conçues afin de cadrer la pratique sportive. Pourtant, certains États cherchent à s’y soustraire – la Russie et l’affaire de dopage – ou à s’en emparer – les États-Unis et le Rodchenkov Act qui permet à la justice américaine de légiférer sur le dopage dans le monde."

    "Les sièges juridiques de plus de 59 institutions transnationales du sport se situent à Lausanne, en Suisse. CIO, AMA, et autres FI se partagent un petit territoire dont les grands bénéfices s’élèvent à plus d’un milliard d’euros par an selon différents rapports. Le choix de ce lieu est la résultante d’une décision du baron de Coubertin qui décida en 1915, durant la Première Guerre mondiale, d’y transférer le CIO pour user de la neutralité suisse et ainsi protéger le monde du sport. Aujourd’hui, les institutions transnationales des sports y trouvent surtout une fiscalité avantageuse plus qu’un intérêt géostratégique."

    "Grâce à leur économie de rente (Qatar, Russie) ou leur croissance économique exceptionnelle (Chine), ces puissances font du sport une affaire d’État qui doit servir d’outil pour – pêle-mêle – rayonner, signifier une intention positive ou négative, faire office de diplomatie publique, montrer la bien-portance et/ou la domination de leur modèle sociétal, émerger, exister sur la carte ou encore solidifier leur nation."

    "Massification du sport. À partir des années 1980, le sport devient un vecteur de la mondialisation. Il n’est désormais plus réservé à une élite, mais est bien destiné à l’ensemble de la population mondiale. Il touche toute la planète connectée et modifie les modes de vie de tous. Dès lors, le sport fait partie intégrante de l’espace public. Les magasins spécialisés fleurissent pour vendre du matériel de professionnel aux amateurs. Montagnes, mers, airs, le monde devient un terrain de jeu pour des sportifs en quête de sensations fortes. Peu à peu, les sports traditionnels mutent en sports de masse et deviennent un « fait social total »."

    "À l’aune de l’apparition d’Internet, des réseaux sociaux et des smartphones, le sport change encore de forme à partir du milieu des années 2000. Le système du sport se complexifie et de nouvelles ramifications apparaissent. Désormais, l’individu l’emporte sur  le collectif. Chacun peut exister sur les réseaux avec ses propres caractéristiques et passions. S’inspirant des héros grecs et de l’ultra-médiatisation des compétitions sportives, l’individu devient l’acteur de son propre sport. Il peut désormais traverser l’Atlantique à la voile, se construire le corps de ses rêves à la salle de fitness, ou jouer au basket dans le stade d’à côté. En pénétrant l’espace public, le sport devient un « habitus », touchant l’ensemble de la population. C’est ainsi que naît l’ère libérale du sport-aventure où chacun peut s’affranchir des règles et construire sa propre pratique sportive. Désormais, l’homo sporticus est l’entrepreneur de son sport et de son corps."

    "Si le sport de haut niveau demeure un vecteur d’ascension sociale lié directement aux sports de masse et pratiqué partout dans le monde, le sport-aventure ou sport de loisir reste l’apanage des pays riches. Perçue comme une alliée sportive en Occident, la nature est peu à peu aménagée partout sur la planète pour répondre aux besoins de ces populations en quête de sensations fortes. Ainsi, le monde est-il constitué de réseaux de migrations asymétriques favorables aux Occidentaux. Si les Européens et les Nord-Américains s’envolent annuellement par milliers à Katmandou pour gravir l’Everest, l’inverse n’est pas vrai. Aujourd’hui encore, la mondialisation du sport est révélatrice des inégalités qui subsistent à l’échelle planétaire."

    "Avatars de la nouvelle division internationale du travail sportif, les athlètes sont devenus des biens marchands. Depuis les années 1990, l’étude des migrations des joueurs révèle les mutations de l’ordre mondial. En 1995, l’arrêt Bosman relatif au sport professionnel rend illégale l’existence de quotas de sportifs communautaires et non communautaires en Europe alors que seuls trois joueurs étrangers étaient autorisés sur le terrain auparavant. Cette jurisprudence ouvre la porte aux flux migratoires des sportifs dans le monde entier."

    "Les migrations liées au football de haut niveau permettent de constater des flux à sens unique depuis l’Amérique du Sud et l’Afrique vers l’Europe où se tiennent les championnats les plus riches et aux niveaux les plus élevés. Néanmoins, le basketball révèle des migrations à la fois européennes vers les États-Unis où se déroule la très populaire NBA et américaines vers les championnats européens où les postes sont moins compétitifs. En 2022, l’immense majorité des athlètes professionnels évolue en Occident où les infrastructures sont de qualité, le niveau de jeu élevé et les salaires supérieurs.

    Pourtant, depuis le début des années 1990, les clubs les plus fortunés des pays émergents cherchent à s’attirer les faveurs de grands joueurs en dépit d’un niveau relativement peu élevé. En Chine, Russie ou dans les pays du Golfe, certains propriétaires cherchent à attirer les meilleurs athlètes de la planète pour faire rayonner leur pays et augmenter leur performance. Cette stratégie se révèle difficile à manier. Le club russe de football du FK Anji Makhatchkala en est l’illustration. Racheté en 2011 par l’oligarque Suleyman Kerimov, ce club inconnu se voit projeter sur le devant de la scène internationale avec la venue en grande pompe du footballeur camerounais Samuel Eto’o pour un salaire annuel de 20,5 millions d’euros par an, soit le joueur le mieux payé de la planète. Deux ans plus tard, le faramineux projet est un échec à la fois sportif et financier."

    "Officiellement, le mouvement olympique est fermement opposé au commerce des passeports. Néanmoins, à mesure que l’importance géopolitique du sport grandit, les États cherchent à naturaliser les meilleurs athlètes de la planète pour pallier tel ou tel déficit sportif. Ainsi, certains pays sont-ils devenus spécialistes de la naturalisation afin de faire performer leur équipe nationale très vite au très haut niveau. L’un des exemples les plus frappants en la matière est probablement le Championnat du monde de handball 2015 au Qatar. Cette année-là, le pays hôte constitue une équipe faite en grande majorité de joueurs naturalisés. Sur 17 joueurs, seuls 4 sont qatariens, les autres viennent d’Espagne, d’Afrique du Nord, du Monténégro ou de France. Créée de toutes pièces, l’équipe qatarie atteint la finale avant de perdre contre l’équipe de France.

    Comment un tel processus est-il possible ? Concrètement, il existe deux sortes de nationalité : la nationalité administrative et la nationalité sportive. La Lex sportiva – ou loi du sport – permet ainsi à chaque Fédération internationale de statuer sur la question. Pour le rugby, le football ou encore le handball, les règles diffèrent et engendrent une succession d’imbroglios juridiques sur lesquels les États en quête de reconnaissance et les athlètes à la recherche de temps de jeu tentent de surfer. Et ça marche. En 2014, la Russie obtient la première place au classement des médailles des JO d’hiver de Sotchi grâce aux médailles obtenues par 5 athlètes naturalisés dans les années précédant l’événement.

    Ces « migrations de riches » ne sont pourtant pas les plus courantes. Généralement, elles sont subies par des athlètes qui utilisent le sport pour fuir leur pays. Ils peuvent échapper à la guerre, au totalitarisme ou encore à la misère durant un événement sportif ou grâce à un transfert dans un club étranger. Durant les JO de Tokyo 2021, la sprinteuse biélorusse Krystina Tsimanouskaya s’est vu offrir un visa humanitaire par la Pologne pour éviter d’avoir à retourner dans son pays où elle était en danger."

    "« Capable de concurrencer le football, la NBA est l’exemple à suivre. Déjà tournée vers l’Europe et son vivier de joueurs et de consommateurs, la NBA a su investir la Chine. Avec la NBA Africa, elle a initié la Basketball Africa League (BAL) à laquelle s’associent des personnalités comme Barack Obama ou des stars du jeu venant du continent comme Dikembe Mutombo. La NBA est aussi la ligue la plus ouverte sur le monde par sa diffusion, son déploiement et ses talents. Longtemps cantonnée aux seuls joueurs nord-américains, la mondialisation de la ligue se mesure à son contingent de joueurs étrangers. Lors de la saison 2020-2021, 107 joueurs étrangers venant de 41 pays ont gagné la ligue (Rudy Gobert, Luka Doncic, etc.). Une tendance nette et de plus en plus affirmée depuis 2000. La NBA illustre à merveille l’idée de muscle drain (Soppelsa, 2010) qui caractérise la capacité des États-Unis à attirer les talents sportifs, précoces ou confirmés, pour faire rayonner la ligue, mais aussi son modèle sportif.
    Plus que toutes les autres ligues majeures, la NBA défend les valeurs qu’elle porte. Son positionnement est marqué par l’engagement politique et la responsabilité sociale. Les programmes NBA Cares et NBA Together en sont des exemples. Avec plus de deux tiers de joueurs afrodescendants (74 %), la NBA offre aussi une autre image des États-Unis. Elle est l’exemple d’une Amérique progressiste, postraciale, ouverte à la diversité du monde. Ayant unanimement soutenu le mouvement Black Lives Matter dès 2020, elle a inscrit sur ses terrains et sur les maillots des joueurs son engagement contre l’administration Trump, les discriminations raciales et sociales et leurs violences. »
    « la NBA exporte un sport typiquement américain, un mode de vie alimenté par des marques (Jordan Brand) et la culture du « rêve américain » qui les accompagne. Pourvoyeuse de rôles modèles, la ligue inspire et influence plus qu’on ne le croit. Elle a même failli servir la diplomatie américaine dans ses rapports avec la Corée du Nord. Le Département d’État avait réfléchi un temps à mobiliser Steve Kerr, l’ancien coéquipier de Michael Jordan, en tant qu’ambassadeur pour échanger avec Kim Jong-un, fan des Chicago Bulls. »
    « La FIFA est l’exemple d’une fédération internationale dont l’activité dépasse le cadre du sport. Premier acteur mondial du premier des sports, elle a entre ses mains le destin du football de sélection et de clubs. Des règles aux formats des compétitions, elle règne sur le ballon rond. L’imposition de l’arbitrage vidéo (VAR) avec l’aide de l’IFAB, l’International Football Association Board, l’illustre, tout comme les projets repoussés de Mondial tous les deux ans ou de Super Ligue mondiale des clubs.
    La FIFA concentre à la fois le pouvoir de décision et d’action et les capacités de financement. Non sans critiques ni oppositions, elle est l’archétype d’une association à but non lucratif devenue, sous la férule de João Havelange notamment, l’équivalent d’une firme transnationale en quelques décennies. Comment cela a-t-il pu se produire ? La raison est simple. Elle organise la plus attirante et la plus médiatisée des compétitions sportives avec les Jeux d’été : la Coupe du monde de football FIFA. Or, cette dernière lui rapporte près de 80 % de ses revenus. Sur le cycle 2015-2018 comprenant le Mondial russe et avant la pandémie de Covid-19, l’organisation chargée du football mondial a généré un chiffre d’affaires de 5,65 milliards d’euros, lui permettant de disposer de réserves en fonds propres de 2,42 milliards d’euros.
    L’autre caractéristique majeure de la FIFA, c’est la mondialité du sport qu’elle administre, organise et sur lequel elle exerce sa gouvernance. Avec plus de 300 millions de pratiquants officiels, le football est pratiqué sur tous les continents. Aucun pays n’y échappe et c’est elle qui en a la charge. Directement et indirectement via les confédérations régionales ou les fédérations nationales, la FIFA est partout concernée et gagne en importance. »
    « Cette « autre religion mondiale » procure à l’institution et à sa présidence une capacité d’information et d’influence manifeste. La FIFA pourrait être comparable en cela au Vatican. Gianni Infantino est reçu comme un chef d’État à chacune de ses visites à l’étranger. Prompt à se rapprocher des puissants et des dirigeants des régimes autoritaires, il sait en tirer avantage. »
    « Le FIFA Gate, le scandale de corruption systémique qui a affecté l’institution en 2015, a conduit à un changement brutal d’organigramme et de gouvernance sous la pression des justices suisse et américaine. 11 membres de l’institution ont été condamnés, posant la question de l’intégrité au sein de l’organisation.
    S’affichant indépendante et apolitique par commodité, la FIFA n’est rien de tout cela. L’institution zurichoise et son président ont servi lors du Mondial 2018 les intérêts de la Russie et de Vladimir Poutine, en matière d’image internationale et de storytelling. Quant à l’obtention de la Coupe du monde 2026 par le trio États-Unis-Mexique-Canada face au Maroc, elle a souligné la fébrilité de l’institution et la fragilité de son indépendance. La FIFA avait notamment modifié ses règles d’attribution en cours de procédure, sans pour autant réagir au tweet de la présidence Trump menaçant ceux qui ne soutiendraient pas la candidature nord-américaine. »
    « Plateforme diplomatique, instrument de rayonnement, outil de soft power, le méga-événement sportif est devenu une arme protéiforme instrumentalisée par les États et visionnée par la moitié de la planète. Depuis les années 1990, la plupart des dirigeants cherchent à se l’approprier afin de signifier une intention et construire un narratif. Paradoxalement, il permet également de dévoiler la réalité des régimes hôtes. Dès lors, il est une arme à double tranchant.
    Un instrument politique
    Alors que l’hyperpuissance militaire ne peut compenser l’hyperpopularité et que la course à l’armement a cédé sa place au rayonnement culturel, le caractère mondovisuel des méga-événements sportifs peut permettre à chaque nation de se façonner une image et « d’étendre son influence idéologique en augmentant son espace vital » (Boniface, 2014). Ainsi, le méga-événement participe-t-il à la construction de l’image de marque d’une nation (nation branding), de son édification et de son unité (nation building). Il est donc un vecteur de soft power idéal, car il est à la fois populaire et symbolique de la puissance. À l’heure de la globalisation et de l’importance des opinions publiques – notamment à travers les réseaux sociaux –, la domination passe par le rayonnement médiatique. Réunissant régulièrement la moitié de la planète lors d’un match ou d’une cérémonie d’ouverture, les méga-événements sont devenus de véritables instruments géopolitiques d’exaltation de la « puissance de l’imaginaire ». La plupart des États les abordent comme des instruments de marketing destinés à présenter leur nation à la façon d’une entreprise qui modèlerait son image. Selon le géographe Pascal Gillon, ils sont « un phénomène social instrumentalisé par des acteurs qui établissent des stratégies pour en prendre le contrôle et/ou s’en servir » (Gillon, 2011). Dans ce contexte, les États à autorité verticale ont cette particularité de pouvoir mettre en branle l’ensemble de l’économie, du politique et de la société pour obtenir le résultat escompté (JO de Beijing en 2008, JO de Sotchi en 2014, ou encore Coupe du monde 2022 au Qatar). »
    « le méga-événement présente un risque terroriste inhérent à son ultra-médiatisation. L’attentat des JO de Munich de 1972 en est l’illustration. »
    « Le méga-événement s’impose donc comme un outil diplomatique de communication entre les États qui leur permet de continuer ou de reprendre le dialogue lorsque celui-ci est tendu ou rompu. En outre, la diplomatie moderne de ces dernières années se caractérise par une modification toujours croissante du protocole. Il est fréquent que des rencontres formelles et informelles se tiennent entre les hauts fonctionnaires de différents États.
    Le sport permet donc de comprendre les intentions et les stratégies des États entre eux, à travers l’étude des discours et des symboles mis en avant dans ses différents usages politiques. »
    « obtenir un Mondial de la FIFA pour un État, c’est s’offrir l’opportunité de marquer les mémoires collectives, d’attirer des touristes, d’améliorer l’image de son pays et de faire des affaires. »
    « Le football est un sport jeune. Ses règles sont écrites en Angleterre en 1863. Avant, footballeurs et spectateurs déambulaient dans un espace rural aux contours flous et aux chronomètres inexistants. Pour le football, le passage de l’époque traditionnelle à l’époque moderne est donc marqué par la « fixation des limites, spatiales, temporelles et d’interactions » qui pose les bases du sport contemporain. Désormais, « chaque rencontre respecte les principes du théâtre classique : unité de lieu (le terrain), de temps (la durée du match) et d’action (la totalité de la partie se déroule devant le public) » (Correia, 2018). À mesure que les routes maritimes s’ouvrent et que le ferroviaire gagne du terrain, les « passeurs » britanniques diffusent leurs sports favoris. En France, le cuir des ballons traverse la Manche en 1872 avec la naissance du Havre Football Club qui devient le premier club omnisport de l’histoire de France. »
    « Contrairement au CIO, la FIFA fait rentrer très tôt le football dans la sphère du professionnalisme. Jusqu’à présent, le football était avant tout une discipline olympique. Néanmoins, entre 1925 et 1936, le CIO et la FIFA se confrontent sur la question de l’amateurisme. Le CIO refuse catégoriquement que les sportifs de haut niveau rémunérés participent aux JO. Pourtant, les « amateurs marron » (i.e. rémunérés illégalement) se multiplient tandis que les discours du CIO s’éloignent de la réalité du terrain.
    Après plusieurs années de débats, la FIFA officialise le professionnalisme des footballeurs en 1931. Dans la foulée, le football est exclu des JO de 1932. Dès lors, « l’amateurisme incarne le parangon du sport olympique, alors que la FIFA devient le porte-parole de tous les professionnels » (Carpentier, 2005). La FIFA se transforme en concurrent du CIO sur son propre terrain : l’organisation du sport mondial. »
    « À l’aube du nouveau millénaire, elle octroie l’organisation du Mondial à la Corée du Sud (2002), à l’Allemagne (2006), à l’Afrique du Sud (2010), au Brésil (2014), à la Russie (2018) et au Qatar (2022), soit 4 continents sur 5. »
    « S’il connaît une croissance forte depuis les années 2000, le football féminin reste le parent pauvre de la FIFA. En 2020, la Fédération française de football (FFF) recense par exemple 200 000 licenciées contre 1,9 million chez les hommes.
    Enfin, à l’aune des mutations géopolitiques liées notamment à la guerre en Ukraine, la FIFA est à la croisée des chemins. Jusqu’à présent, elle prônait la neutralité et était peu regardante au sujet des régimes organisateurs. Sa décision politique d’exclure la Russie du Mondial 2022 marque un tournant dans son histoire. »
    « En 1936, le CIO choisit pour la première fois l’Asie par l’intermédiaire de la ville de Tokyo afin d’accueillir l’édition estivale des JO quatre années plus tard. Néanmoins, la guerre entre la Chine et le Japon marque leur annulation. Ce n’est que vingt-huit ans plus tard, en 1964, que la capitale japonaise accueille finalement les Jeux d’été. Très vite, le succès est au rendez-vous. Premiers JO à être diffusés en direct à la télévision, ils réunissent 94 nations et symbolisent l’arrivée de l’Asie sur le devant de la scène sportive. Le Japon finit 3e au classement des médailles.
    Dès lors, le plus grand continent de la planète accueille modestement une édition olympique par décennie : Sapporo 1972, Séoul 1988 et Nagano 1998. Néanmoins, la chute de l’URSS et l’émergence d’un monde multipolaire voient le nouveau millénaire placé sous le signe de l’Asie. Forte de son économie en plein essor, la Chine part à la conquête des olympiades alors que l’Occident rechigne à candidater pour des événements jugés trop coûteux. En 2008, Beijing accueille ses premiers JO d’été et célèbre la « renaissance » de la Chine. Tout un symbole, le pays remporte l’événement devant les États-Unis au classement des médailles.
    Par la suite, c’est l’effet papillon. Entre 2018 et 2022, l’Asie accueille trois éditions olympiques : Pyeongchang en 2018, Tokyo en 2021 et à nouveau Beijing en 2022. Cette triade de méga-événements en seulement quatre ans consacre l’émergence d’un nouvel ordre mondial et met l’Asie sur le devant de la scène. »
    « En Asie du Sud-Est, la tendance est légèrement différente. Longtemps située au centre de la mondialisation du sport, la région s’est trouvée à sa marge suite à la décolonisation en construisant un microcosme sportif traditionnel : c’est l’« asianisation » (Horton, 2011). Créés en 1959, les Jeux d’Asie du Sud-Est sont l’illustration de cette tendance locale. Ils se tiennent tous les deux ans dans une ville différente et réunissent les 11 pays de la région. Au total, en 2021, 49 sports différents avaient été représentés au cours des 25 éditions existantes parmi lesquels de nombreux sports traditionnels locaux qui n’ont jamais été reconnus par le CIO comme le bateau-dragon, le dacau, les échecs, le muay thai, le pencak silat, le wushu ou encore le sepak takraw. La présence de ces sports est révélatrice d’une situation géopolitique locale où les autorités font la part belle aux traditions régionales au détriment d’une exposition médiatique importante en dehors de leurs frontières. Difficile pour le moment de savoir à quel degré ceux-ci pourraient s’exporter dans le futur. Néanmoins, la multiplication de la pratique des arts martiaux en Occident ces dernières années laisse penser que l’« asianisation » du sport mondial a déjà commencé. »
    « Le pôle asiatique commence à peser dans la balance des succès olympiques. En 1988, les médaillés asiatiques représentaient 11 % du total. Aujourd’hui, ils sont un peu plus de 20 %. Si les résultats ne sont toujours pas proportionnels au poids démographique de l’Asie dans le monde, la tendance de ces trente dernières années laisse penser que nous sommes à l’aube d’une révolution sportive planétaire. »
    « Depuis leur création en 1950 jusqu’au début des années 2000, la majorité des courses automobiles se tient en Europe. Les Grands Prix d’Italie, de Grande-Bretagne ou de Monaco connaissent une grande popularité auprès des audiences occidentales. Parallèlement, les constructeurs automobiles les plus populaires sont également issus du Vieux Continent. Les marques comme Ferrari, Williams ou Mercedes représentent une certaine idée d’un sport qui a des difficultés à s’exporter. »
    « Au milieu des années 1970, l’homme d’affaires Bernie Ecclestone prend la tête des aspects commerciaux de la F1. Pendant une quarantaine d’années, il s’attache à promouvoir la discipline à travers le monde. Sous son règne, elle devient un méga-événement sportif populaire sur les cinq continents.
    À son initiative, au début des années 2000, les Grands Prix de F1 extra-européens se multiplient. Son objectif est de diversifier son audience, d’avoir un impact mondial et d’augmenter ses revenus. Dès lors, le Bahreïn (2004), la Chine (2004), Singapour (2008), Abu Dhabi (2009), la Russie (2014), la Corée du Sud (2010), l’Inde (2011), l’Arabie saoudite (2021) ou encore le Qatar (2021) créent leur propre Grand Prix et achèvent de mondialiser une discipline en quête de reconnaissance. Pour Ecclestone, le boom économique des pays émergents est une aubaine. Dès lors, le coût des courses varie en fonction de l’économie du pays concerné. Abu Dhabi doit débourser 55,4 millions de dollars en 2009 quand Montà en Italie se contente de 9,7 millions de dollars en 2015.
    Néanmoins, pour de nombreux pays émergents, cette ouverture de la F1 sur le monde est primordiale. Parmi eux, les pays du Golfe n’hésitent plus à investir dans une compétition à la popularité croissante. L’Arabie saoudite, le Bahreïn, le Qatar et les Émirats arabes unis disposent désormais de leur propre course. Dès lors, étant donné sa taille, la région possède la plus forte concentration de Grands Prix de la planète. Pour les monarchies du Golfe, l’objectif est déjà de préparer l’après-pétrole tout en utilisant le sport pour se construire une réputation positive à la fois en Asie et en Europe. C’est le sportwashing.
    Officiellement neutre, Formula One Group déclare ne pas être regardant sur les régimes politiques des États qui accueillent de nouveaux Grands Prix. Pourtant, la FIA a toujours son mot à dire. En mars 2022, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, elle décide d’annuler le Grand Prix de Russie à Sotchi. Elle prend par là même une position politique contre le régime de Vladimir Poutine. »
    « Depuis 2017, la F1 connaît une autre révolution. Cette année-là, l’entreprise américaine Liberty Media rachète Formula One Group. Le constat des nouveaux dirigeants est clair : le sport automobile est vieillissant, il faut le rajeunir. Dès lors, l’objectif du consortium est de rendre la F1 plus spectaculaire, plus attractive et plus diversifiée. Un plan de marketing est mis en place pour valoriser Grands Prix, écuries, pilotes et championnats du monde sur les réseaux sociaux. La percée est spectaculaire. En 2021, la F1 connaît une augmentation de 40 % par rapport à l’année 2020 sur l’ensemble des plateformes numériques sur lesquelles elle est présente.
    Parallèlement, Liberty Media et Netflix signent un partenariat en 2018 pour la création d’une série documentaire intitulée « Drive to Survive » sur les coulisses de la F1. Diffusée pour la première fois en mars 2019, elle connaît un succès fulgurant et contribue à populariser la discipline auprès de la jeunesse et des femmes.
    Tout un symbole, l’émirati Mohammed Ben Sulayem est élu à la tête de la FIA en décembre 2021. Porteur d’un projet révolutionnaire pour la discipline, il souhaite notamment rendre le sport automobile plus accessible au niveau local pour créer une culture du sport automobile qui irait au-delà du numérique.
    Enfin, l’arrivée du premier pilote chinois en Formule 1, Zhou Guanyu, début 2022 au Grand Prix de Bahreïn consacre un peu plus la mondialisation d’une discipline qui connaît une seconde jeunesse. »
    -Lukas Aubin & Jean-Baptiste Guégan, Atlas géopolitique du sport, Autrement, 2022.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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    Lukas Aubin & Jean-Baptiste Guégan, Atlas géopolitique du sport Empty Re: Lukas Aubin & Jean-Baptiste Guégan, Atlas géopolitique du sport

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 14 Mai - 18:30

    « En quelques décennies, l’e-sport ou sport électronique s’est démocratisé comme jamais un sport ne l’avait fait. Et pour cause, il est né dans les années 1990 à l’ère de la mondialisation. Trois décennies plus tard, il est devenu l’un des sports les plus rentables de la planète en regroupant des dizaines de millions de spectateurs et autant de millions de dollars de recettes à chaque événement. Public toujours plus important, tournois toujours plus nombreux, gains toujours plus élevés, l’e-sport est désormais en plein essor et de plus en plus médiatisé.

    Pourtant, comme pour les échecs, le caractère sportif de la discipline fait toujours débat. Pour certains, il ne peut être considéré comme un sport, car l’effort physique n’est pas suffisamment développé. Pour d’autres, il est l’archétype de la pratique sportive en regroupant compétition, stratégie, entraînement ou travail d’équipe. Un nombre grandissant de recherches met en valeur les bienfaits de la pratique du jeu vidéo concernant l’aspect cognitif, l’orientation spatiale, la mémoire à court ou à long terme. Si l’e-sport a longtemps été ostracisé, la tendance lui est désormais favorable. »

    « La logique de diffusion de l’e-sport est atypique. Né aux États-Unis, il se propage lentement dans quelques pays développés. En tant que figure de proue des avancées technologiques, l’Amérique du Nord renoue avec l’Angleterre du XIXe siècle en devenant le principal pôle de diffusion d’un nouveau sport. Pourtant, la démocratisation d’Internet dans les années 2000 engendre une révolution. Jusqu’alors, les sports modernes se diffusaient grâce à des moyens de locomotion physique (trains, bateaux) ; l’arrivée d’Internet supprime ces contraintes et offre la vision de plusieurs foyers d’e-sport qui naissent concomitamment en Europe de l’Est (Russie), en Amérique du Nord (États-Unis) et en Asie (Corée du Sud, Chine, Japon).
    Pays précurseur, la Corée du Sud est le premier pays à faire de l’e-sport une affaire d’État par l’intermédiaire de la création en 1999 de la Korea e-Sports Player Association. Dans la foulée, des dizaines de pays font de même dans les années 2000. Les premières compétitions internationales voient alors le jour. La popularité d’Age of Empires, de Starcraft ou encore de Warcraft III engendrent les premiers tournois avec 1 million de dollars de prix.
    En 2008, la Fédération internationale d’e-sport (IeSF) voit le jour à l’initiative de neuf fédérations de sport électronique : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Corée du Sud, le Danemark, les Pays-Bas, la Suisse, Taïwan et le Vietnam. Quatorze ans plus tard, l’organisation recense 123 pays. Ces derniers organisent des compétitions internationales à la portée planétaire. De plus, l’apparition de plateformes de streaming comme Twitch en 2011 participe de l’explosion de l’e-sport dans le monde. Depuis, amateurs comme professionnels peuvent montrer l’étendue de leurs talents auprès de leur communauté. Néanmoins, la diffusion de l’e-sport n’est pas encore mondiale. Le Moyen-Orient et l’Afrique sont les deux zones géographiques les plus délaissées par le sport virtuel, à l’exception de l’Afrique du Sud et des Émirats arabes unis. »
    « La question de l’intégration de l’e-sport aux JO revient régulièrement à l’ordre du jour du CIO. Depuis 2019, Thomas Bach a adopté une approche à deux vitesses. D’une part, l’intégration de l’e-sport en tant que discipline olympique est impossible, car les jeux violents ne sont pas conformes à la charte prônée par Coubertin. D’autre part, le CIO est pragmatique et considère l’e-sport comme un bon moyen d’attirer la jeunesse vers la pratique sportive. Seules les simulations de sport sont perçues de manière favorable par les autorités olympiques.
    Pourtant, les Jeux d’Asie du Sud-Est 2019 et 2021 marquent un tournant. Ils accueillent l’e-sport pour la première fois en tant que discipline à part entière. Les très populaires Jeux asiatiques font de même et contribuent à « asianiser » la diffusion du sport virtuel à travers le monde.
    Au fait de cette régionalisation, le CIO décide de réagir. En 2021, il organise les Olympic Virtual Series en prélude des JO de Tokyo avec la pratique de jeux populaires comme Gran Turismo. Fort de ce succès, il annonce que la pratique de sports virtuels aux JO 2028 de Los Angeles est désormais sur la table. »
    « Le CIO et la FIFA sont les détenteurs des droits de retransmission mondiaux de leur compétition. Dès lors, plus l’événement a d’audience, plus les prix des droits télévisuels augmentent. En 2006, le Mondial allemand regardé par 3 milliards de téléspectateurs a rapporté 1,4 milliard de dollars quand le Mondial russe de 2018 regardé par 3,4 milliards de personnes a rapporté 3 milliards de dollars.
    Certaines inégalités territoriales subsistent, les pays occidentaux détenant la majorité des capitaux. En 2016, le continent nord-américain possédait environ 51 % des droits de diffusion des JO d’été, l’Europe 23 %, l’Asie 16 % et l’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Océanie représentaient 10 %. Dans ce contexte, les standards de retransmission sont toujours avant tout occidentaux.
    En outre, cette croissance n’est pas exponentielle. Les Jeux de Tokyo en 2021 ont connu une baisse des droits en raison de la crise du Covid-19 et une chute des audiences à la télévision. Cependant, ces Jeux ont également été les plus suivis de l’histoire d’Internet et ont signé le début d’une reconfiguration médiatique du sport.
    Au début des années 2000, le déploiement à grande échelle d’Internet et du téléphone mobile partout dans le monde a engendré la révolution du numérique. Consécutivement, la mise en circulation du premier iPhone en 2006 a offert au spectateur la possibilité de suivre les événements sportifs partout où il allait. À la télévision du salon succédèrent la rue, les transports en commun ou la chambre. Dès lors, si les audiences télévisuelles semblent stagner voire baissent, la multiplication des canaux de retransmission du sport moderne touche peu à peu l’ensemble de la planète. »
    « Le CIO choisit tous les quatre ans peu ou prou une dizaine de sponsors partenaires. Ainsi, les recettes du CIO s’élèvent-elles à 96 millions de dollars en 1985, 663 millions en 2001 et 1 milliard en 2013. Coca-Cola, Visa, Panasonic ou Samsung deviennent indissociables de la « marque olympique ».
    L’évolution de l’origine géographique des sponsors entre 1985 et 2024 est révélatrice des mutations économiques du monde. Si elle montre une domination nord-américaine avec le plus grand nombre de sponsors pour chacun des plans quadriennaux (entre 6 et 9 en fonction des éditions), l’Asie s’est peu à peu imposée comme un concurrent sérieux avec 5 sponsors entre 2017 et 2024. Loin derrière, l’Europe oscille entre 1 et 3 sponsors depuis 1985.
    L’influence financière grandissante du sponsoring dans l’événementiel sportif engendre des conséquences géopolitiques. Coca-Cola et Nike ont par exemple été à l’origine des choix des villes d’Atlanta pour les Jeux de 1996 et d’Eugene pour les Championnats du monde d’athlétisme en 2019. »
    « Les États fantômes ou États non reconnus naissent d’une sécession, mais n’acquièrent pas de reconnaissance internationale massive (Merle, 2018). Néanmoins, ils s’apparentent généralement à un acteur étatique classique en répondant à trois des quatre conditions de la Convention de Montevideo de 1933 : avoir un territoire, une population permanente et des institutions. Dès lors, le sport est un moyen d’obtenir la quatrième : entrer en relation avec les autres États. […]
    « les États non reconnus comme Hong Kong, Aruba ou Guam peuvent s’apparenter à une nation le temps d’une rencontre sportive par l’intermédiaire d’un hymne, d’un drapeau et d’une équipe. En effet, il est fréquent que les institutions sportives supranationales marquent une différence entre géographie sportive et géographie politique, car il leur est primordial d’unifier leur pratique sportive du point de vue des règles, du jeu ou de l’organisation à l’ensemble des territoires de la planète. Pour les États fantômes, le sport constitue alors un moyen de cimenter l’identité nationale et un premier pas dans leur quête de reconnaissance internationale. Conséquemment, le sport moderne est parfois l’avant-garde de la création des États-nations. »
    « À l’heure de la mondialisation, où le contrôle de la perception des informations est devenu un enjeu clé à l’échelle mondiale, le sport est un instrument de pouvoir qui permet de façonner l’image d’un pays et de le faire exister. On parle alors de « nation branding » ou d’« image de marque nationale ». Composante du soft power, « le nation branding est un phénomène par lequel le gouvernement engage volontairement des activités pour produire une certaine image de l’État-nation » (Bolin et Stahlberg, 2010). »
    « Citons également le cas du Kosovo qui n’est pas admis à l’ONU, mais dont les athlètes sont reconnus par le CIO. En vertu de leur statut, ils peuvent par exemple participer aux championnats du monde de judo en 2014 en Russie, un pays qui refuse pourtant de reconnaître leur indépendance. Lors de cette compétition, la judokate kosovare Majlinda Kelmendi remporte une médaille d’or et, en montant sur le podium, voit son pays exister au sein d’un État qui ne le reconnaît pas. »
    « Le rôle de la Confédération des associations de football indépendantes (ConIFA) est édifiant. Créée en 2013, la ConIFA a pour objectif de réunir les « nations de facto, les régions, les peuples minoritaires et les territoires sportifs isolés » qui disposent d’associations de football non reconnues par la FIFA lors de compétitions sportives internationales. En 2022, la ConIFA compte 52 membres et représente plus de 700 millions de personnes dans le monde. Zanzibar, le peuple rom ou encore les Rohingyas peuvent concourir lors d’événements à la portée mondiale. Souvent perçues comme un premier pas pour obtenir l’indépendance, les compétitions de la ConIFA offrent aux États fantômes la possibilité d’exister le temps de l’événement via leur drapeau, leur hymne ou leur identité, faisant ainsi vivre des représentations qu’on croyait oubliées.
    Enfin, le sport peut transcender les nations et faire exister des peuples au-delà des frontières et des territoires. Depuis 2015, le CIO autorise une équipe olympique des réfugiés à se présenter aux JO. Constituée d’athlètes de haut niveau issus de divers pays souvent en guerre, elle permet de faire office de porte-voix pour les déplacés du monde entier. »
    [America first]

    « Une région du monde s’est emparée du sport plus qu’aucune autre. Elle en a fait un moyen de sa reconnaissance internationale, un levier de son développement, mais aussi un marqueur de son influence et un vecteur de sa puissance nouvelle. Cette région, c’est le Moyen-Orient. Avec Israël, les États de la péninsule arabique et du golfe Persique que sont le Qatar, Brunei, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sont les acteurs majeurs de cette mutation.
    Dans leurs programmes de planification à l’horizon 2030, ils ont tous identifié et priorisé le sport. Au travers d’une très grande diversité d’actions et de stratégies et grâce à leurs moyens, les États du Golfe s’en sont emparé sans contestation. Ils ont fait du sport un outil géopolitique et géoéconomique de premier ordre, en renouvelant et repensant ses usages.
    Le Qatar de Tamim Al Thani, les Émirats arabes unis de Mohammed ben Zayed et l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane sont aujourd’hui parmi les premiers investisseurs étatiques dans le sport via leurs fonds souverains nationaux (QIA et QSI, PIF, Mubadala…). Profitant de la manne énergétique des énergies fossiles, ces États rentiers opposent une concurrence réelle aux grandes puissances sportives traditionnelles sur la diffusion du sport, son financement, sa gouvernance et l’organisation des grands événements sportifs internationaux (GESI). Ils agissent tous azimuts et investissent sans compter. Aucun sport n’échappe à leur influence directe ou indirecte. […]
    Le sport participe à leur stratégie de visibilisation, de développement et de croissance. Il doit contribuer à construire une économie de substitution post-rente carbonée. Entre diversification économique, aménagement des territoires et modèle de développement alternatif pour le futur, le sport constitue un outil. »

    « Avec le Qatar, les Émirats arabes unis ont été les premiers à investir le sport pour d’autres raisons que la victoire sportive. La politique émiratie de soft power a choisi le sport comme un de ses supports d’influence. Avec réussite. Les retombées en matière d’images, de visibilité et d’opportunités ont renforcé le rôle, le poids et l’attractivité des Émirats arabes unis. Pour accompagner ce mouvement né des programmes successifs de planification (UAE Vision 2021, Vision 2030), la fédération émiratie a favorisé le développement de territoires dédiés sur le sol national : les sports cities. Loin d’être des villes entièrement dédiées au sport, ces espaces constituent plutôt des quartiers spécialisés et orientés majoritairement vers la pratique sportive et le divertissement au sein des villes. C’est le cas à Dubaï avec le Dubaï Sports City (DSC). Lancé en 2004, mais laissé inachevé à la suite de la crise des subprimes, ce quartier mixte abrite habitations résidentielles, zones commerciales et espaces récréatifs dédiés aux loisirs. Même s’il ne remplit pas toutes les attentes, il n’en reste pas moins pensé autour d’espaces dédiés aux sports de premier plan : le rugby ; le football ; le cricket avec le Dubaï International Stadium et des facilités dépendant de la Fédération internationale, l’ICC ; le golf avec le Jumeirah Club House et le Els Club. À proximité se trouvent Motor City et l’autodrome de Dubaï. La crise de 2008 a eu raison du projet initial et l’Arena multifonction qui devait l’accompagner n’a pas été construite. Inaboutie, DSC est une des tentatives pour sportiviser Dubaï de manière volontariste. Aujourd’hui, la Coca-Cola Arena a été construite, mais dans le quartier de City Walk. Cette enceinte complète une capacité d’accueil appréciable (Hamdan Sports Complex, Dubai Tennis Stadium…) pour prétendre organiser de grands événements sportifs internationaux. »"
    -Lukas Aubin & Jean-Baptiste Guégan, Atlas géopolitique du sport, Autrement, 2022.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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