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    La nature et l'esprit dans la philosophie de T. H. Green. La renaissance de l'idéalisme en Angleterre au XIXe siècle

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    La nature et l'esprit dans la philosophie de T. H. Green. La renaissance de l'idéalisme en Angleterre au XIXe siècle Empty La nature et l'esprit dans la philosophie de T. H. Green. La renaissance de l'idéalisme en Angleterre au XIXe siècle

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 16 Mai - 12:52



    "Sa philosophie vient à son heure, et elle dépasse son temps. S’insérant entre l’utilitarisme et l’idéalisme absolu, dans la période qui va de Bentham à Bradley, elle marque, dans la pensée anglaise, le moment historique où l’empirisme de Locke, le scepticisme de Hume, le naturalisme en morale, en politique, et en religion, ne satisfont plus les esprits en quête d’un Absolu. Prise en elle-même, la philosophie de Green, telle qu’elle s’exprime dans les Essais réunis dans les trois volumes de ses Œuvres, et dans les Prolegomena to Ethics, représente par une heureuse alliance de rigueur analytique et de vigueur constructrice, un bel ensemble dogmatique. Elle manifeste un effort d’approfondissement dont la philosophie anglaise ne connaissait plus d’exemple depuis Berkeley. [...]

    Le matérialisme avait déjà été battu en brèche; deux isolés, S.-T. Coleridge et Carlyle, avaient déjà mené le combat contre la philosophie officielle, inspirée de la philosophie de la nature et du scepticisme provenant de l’époque des Lumières. Eux aussi voulaient rétablir l’Esprit dans ses droits et montrer, circulant à travers les formes visibles de la Nature, l’efficace divine, la présence de l’Agent universel dont les formes ne sont que le vêtement. Mais leur œuvre, malgré leurs mérites réels, était à moitié littéraire, obscure ou faite d’essais mal coordonnés. Il appartenait à Green de détrôner Locke et Hume comme patrons de la philosophie anglaise." (p.14)

    "Il y a une filiation évidente entre la métaphysique des Prolégomènes et les écoles philosophiques qui apparaissent en Grande-Bretagne vers 1870-1880. Le mouvement de pensée connu sous le nom d'idéalisme absolu, et illustré principalement par Bosanquet et par Bradley procède, autant que de Hegel, de l’impulsion donnée par Green. Des écoles plus récentes se rattachent encore à la même origine, directement ou indirectement. C’est ainsi que les tendances pluralistes de certaines formes de néo-réalisme, tout en s’insurgeant contre un monisme exagéré, n’abandonnent pas toutefois le postulat de la légitimité de la métaphysique. Il n’est pas jusqu’au pragmatisme, qui, malgré son retour bruyant à l’empirisme radical, n’ait une dette envers l’idéalisme : malgré leurs ardeurs iconoclastes, W. James et F.C.S. Schiller respectent l’originalité des valeurs morales et le besoin religieux dans ce qu’il a d’essentiel. Ainsi que le fait observer J. H. Muirhead, des penseurs comme Sidwick [sic], W. James et B. Russel font encore une large place au suprasensible dans l’expérience humaine. Ni les uns ni les autres ne croient possible un retour aux explications mécanistes. Les éléments spirituels leur semblent irréductibles aux éléments purement naturels." (p.15)

    "Green enseigne et écrit entre 1860 et 1880 et son influence s’épanouit en pleine ère victorienne." (p.16)

    "à partir de Locke, on ne veut plus reconnaître dans la Nature quelque chose qui la dépasse, action informatrice de l’Esprit, transcendance ou immanence divine, raisons séminales, idées innées ou quoi que ce soit d’autre que le donné, finalement réduit aux données sensibles. Dès lors, la philosophie s’engage dans la voie du naturalisme, et ne sait plus faire la jonction entre le monde de la pensée, idées, sentiments et valeurs, et le monde des choses et des phénomènes." (p.16)

    "Bien que le XVIIIe siècle ne cesse de parler de la Nature et de l’invoquer, on peut dire qu’il ne l’a pas connue; il ne Ta pas prise au sérieux. Cela premièrement parce qu’il la prend non comme un système de relations unies par un lien interne, mais comme une pure donnée, comme une sorte de substance dont les phénomènes de la vie, de la pensée, de la société, ne sont que les accidents. De cette donnée, l’esprit reçoit tout sans lui imprimer sa marque. Sorte d’empire où nul principe caché n’est souverain, elle apparaît livrée à des forces aveugles, soustraite aux entreprises de la pensée et de l’action morale. L’action de l’esprit s’y applique du dehors sans y pénétrer. Deuxièmement et corrélativement, la faiblesse spéculative de la plupart des penseurs du XVIIIe siècle ne leur permet déjà plus de maîtriser les éléments d’un savoir qui, en peu d’années, vient de s’étendre d’une manière surprenante. Devant cette masse de connaissances, si rapidement accrue, l’homme est envahi d’une légère ivresse et d’un enthousiasme naïf; mais il s’y mêle une certaine inquiétude : l’esprit est en train de se laisser déborder. Ne sachant plus comme Descartes ou Leibniz trouver un petit nombre de principes simples et féconds auxquels tout se ramène, la philosophie du XVIIIe siècle croit pouvoir tenir en main la masse des phénomènes en en dressant un inventaire aussi complet que possible, une sorte de tableau synoptique : c’est le moment historique de l’Encyclopédie, qui, en réalité, ne s’achève qu’avec Comte." (p.17)

    "Après Waterloo, l’Angleterre entre dans une ère nouvelle de son histoire; elle connaît une insolente prospérité; mais celle-ci favorise l’esprit mercantile, elle décompose l’esprit public en installant un matérialisme officiel. D’autre part, l’inadaptation des cadres sociaux et politiques de la nation à un état de choses nouveau devient manifeste : le brusque essor de la grande industrie, en faisant passer la richesse et le pouvoir réel des mains des landlords à celles des commerçants et des chefs d’entreprises, modifie l’équilibre des forces et la structure sociale du pays tout entier. Il ne peut pas ne pas en résulter une crise. Le transfert de propriété opère pacifiquement une révolution de fait; mais la richesse, en changeant de nature et en transférant le pouvoir à une autre classe, déplace le centre de gravité de la nation. La concentration des richesses se déplace, mais elle demeure un fait; de là ce paradoxe, que jamais le pays n’a été aussi riche et le peuple aussi pauvre. La richesse corrompt les mœurs et, par le brusque développement du salariat, plonge le pays dans la plus effroyable misère, le mettant à deux doigts d’une révolution. C’est dans cette société que K. Marx et Engels puiseront les premiers éléments de leur réquisitoire contre le capitalisme." (pp.20-21)

    "Les considérations qui précèdent permettent de comprendre la tendance de l’utilitarisme de Bentham, dans lequel la société en question trouve une expression digne d’elle. Il s’agit toujours de s’emparer des forces naturelles pour les mobiliser à son profit, d’appliquer à la conduite humaine les procédés des sciences physiques; l’idéal mathématique d’exactitude trouve son application non dans la spéculation pure ou dans la formation de l’esprit, mais dans la science économique et dans la science pénale, où l’évaluation quantitative du tarif des peines va servir d’occasion à l’« arithmétique des plaisirs ». Ricardo, James Mill et John Stuart Mill spéculent sur l’homo œconomicus, Malthus sur l’épuisement des richesses naturelles comparativement à l’accroissement de la population. Dans tout cela, c’est un point de vue abstrait sur l’homme qui domine. Tous ces plans de réforme sociale ne supposent aucune réforme de l’homme intérieur. Il ne s’agit point d’un idéal à promouvoir, mais simplement d’un aménagement technique du monde matériel. Ce qui compte, c'est le bonheur du plus grand nombre. La théorie des besoins évince celle des devoirs et suffît à tout." (pp.21-22)

    "
    (pp.22-24)

    "
    (pp.25-28)

    "
    (p.28)

    "En philosophie, Coleridge prend en tout le contre-pied de l’empirisme et du matérialisme. L’empirisme recompose le tout à l’aide des parties, il descend du tout aux parties pour en montrer la solidarité. L’empirisme pose le sujet en face de l’objet ; il suppose que ni l'objet ni le sujet ne se suffisent à eux-mêmes; qu’ils procèdent également d’une unité ontologique antérieure aux deux (il se défend à ce propos d’avoir été influencé par Schelling qu’il n’a lu, dit-il, qu’une fois ses idées formées). L’empirisme fait de la conscience un simple reflet. Coleridge soutient qu’elle possède un pouvoir essentiellement actif, et qu’on retrouve dans l’Univers perçu les caractères d’une conscience, notamment la durée et la simultanéité qui constituent les événements." (pp.30-31)

    "Deux idées maîtresses de Carlyle : l’Esprit caché dans la Nature et l’Ame humaine qui en a le pressentiment ou la vision claire. Par là, Carlyle opérait un retournement de l’individualisme : à l’individualisme égoïste, où s’affirmait la rivalité des moi, il opposait l’individualisme généreux, l’esprit d’héroïsme chevaleresque et combatif, la croisade de l’Idéal; à l’esprit’ de calcul, le don de la personne; à la division des intérêts et aux conflits passionnels, la communion des âmes qui, unies dans une même tâche constructive à travers toute l’histoire de l’humanité, se rejoignent par dessus les différences de civilisations.

    Toutefois, l’influence de Carlyle est due plus à sa personnalité qu’à son œuvre. Dans son style torturé, raboteux, plein de néologismes bizarres, les Anglais ne reconnaissent pas leur langue. Souvent il choque et déconcerte par l’affectation, par l’abus des invectives. La rudesse de son tempérament, les excès de son humeur intraitable, l’allure polémique de sa pensée n’attirent guère." (p.33)

    "Dès le début du XIXe siècle, il se produit en Angleterre un mouvement de curiosité pour Kant, Fichte, et plus tard pour Hegel. L’histoire générale du kantisme et de l'hégélianisme en Angleterre est encore à écrire [...]
    Les écrivains à tendances idéalistes comme Coleridge et Carlyle se sentent attirés par la pensée germanique. [...]
    On peut faire dater du célèbre Secret of Hegel (1865) de Hutchison Stirling, la période des travaux précis et approfondis qui, grâce aux frères Caird, à Green, A. Seth, Wallace, Baillie et McTaggart, donneront au public anglais une image de plus en plus fidèle et complexe de l’idéalisme allemand, en particulier de Hegel. Dans cette période se mêlent les ouvrages purement historiques et les œuvres personnelles inspirées plus ou moins des philosophes allemands. Parmi ces dernières, on peut mettre à part comme les plus saillantes les œuvres de Green, Bradley, Bosanquet et McTaggart." (pp.35-37)

    "Le mouvement de pensée de la Métaphysique des Prolégomènes est d’inspiration kantienne au moins au départ, tant qu’il s’agit de mettre en évidence que l’Esprit ne saurait sortir de la Nature, puisque celle-ci est au contraire une expression de l’Esprit : « l’entendement fait la nature ». Mais ce premier point acquis. Green franchit les bornes assignées par la Critique de la Raison pure à la connaissance humaine, et, suivant cette fois les post-kantiens, il érige le Moi en conscience éternelle, affirmant que les opérations de la connaissance comme l’action morale impliquent une métaphysique de la participation. En morale, Green adopte la notion de bonne volonté, mais il l’infléchit résolument dans le sens personnaliste, en rejetant le formalisme. Malgré quelques indications dans ce sens de Fichte et de Hegel, sa théorie de la liberté par la motivation lui appartient en propre, par les importants développements et les approfondissements qu’il lui donne. En philosophie politique, et dans sa philosophie de l’histoire, Green emprunte à Hegel l’idée de l’Esprit se réalisant graduellement dans les événements et les institutions, mais il est hostile aux tendances étatistes et maintient vigoureusement les droits de la personne." (p.37)

    "On ne saurait faire une morale qui vaille sans accepter à la base l’opposition entre le naturel et le moral [...] Le « je dois » (ought) ne peut sortir des lois naturelles, de l’appétit vers le plaisir, ni du calcul intéressé." (p.39)

    "Le problème est donc le suivant : justifier le contenu de la morale traditionnelle par une méthode rigoureuse qu’elle n’a pas connue jusqu’ici." (p.40)

    "Green est avant tout moraliste, et c’est pour en tirer une morale qu'il constitue une métaphysique; son objet, ainsi qu’il le dit, est d’écrire une métaphysique de la morale. Ce point de départ suffît déjà à le distinguer de Kant." (pp.44)

    "Il y a deux manières typiques de déformer les rapports entre la Nature et l’Esprit : la première est celle de l’empirisme; elle consiste à renverser l’ordre de dépendance des faits, en présentant la pensée comme tributaire des sens et à faire du concept un abstrait de la matière sensible, de la pensée logique (thought) un instrument à extraire l’intelligible du sensible par voie de dépouillement. La seconde consiste à prendre la pensée comme un mécanisme fonctionnant à vide, et faisant sortir la vérité d’un jeu automatique de notions. L'une triomphe avec Locke et Hume; l’autre avec les Scolastiques et leurs adeptes contemporains, les philosophes de l’école écossaise (Hamilton et Mansel) qui s’adonnent à la logique formelle et semblent lui prêter une vertu intrinsèque. Erreurs aussi dangereuses l'une que l'autre et qui procèdent d’une même erreur fondamentale : on sépare la pensée de son objet pour les considérer à part. Dès qu’on pose la nature comme se suffisant à elle-même, non seulement la pensée ne saurait rien y ajouter, mais elle se bornera à l’observer du dehors, à en manipuler les éléments en les regroupant de diverses façons (tel est, selon Green, l’esprit de Bacon). Dès que, d’autre part, on met l'esprit au-dessus de la nature sans croire qu’il est déjà en elle, il est légitime pour le philosophe d’organiser sa vie et sa réflexion en dehors de l’expérience ; la vérité ne fait plus corps avec elle ; l’exercice de la pensée devient un jeu formel." (pp.44-45)

    "L’empirisme étant le défaut principal des Anglais, c’est surtout cet aspect qui a frappé les esprits, mais replace-t-on cette critique dans son contexte et tout s’éclaire. L’évolution historique de la philosophie depuis l'antiquité prend un sens. Aristote n'a-t-il pas été en même temps qu’un empiriste, le père de la Scolastique et de la logique formelle ? Et Locke n’oscille-t-il pas perpétuellement entre les deux équations Réel = Sensible, et Vérité = propositions abstraites ? Enfin, malgré la justesse de son inspiration générale, n’observe-t-on pas chez Kant lui-même un glissement qui pourrait devenir dangereux, tantôt vers un réalisme empirique, tantôt vers un formalisme vide ? Nous retrouverons cette idée à propos de la critique de l’hylémorphisme kantien." (p.45)

    "A plusieurs reprises, Green dénonce le dualisme établi par la pensée antique entre la pensée et la réalité. Sans doute, la dette de la philosophie moderne envers la pensée antique est-elle considérable ; mais elle n’est pas sans contre-partie. Une distinction comme celle entre « présentation » et « représentation » ou entre « intuition » et « concept » répond rigoureusement à celle entre le « monde sensible » et le « monde intelligible ». Procédant d’une même erreur, elle est justiciable d’une même critique, et il faut la reprendre dès l’origine. La recherche socratique des définitions se justifiait par le désir de clarifier la pensée, de fixer le sens des termes pour savoir de quoi l'on parle. Mais qu’en a-t-on fait ? Une théorie dualiste de l’être et de la connaissance. Quand bien même Platon se serait borné à montrer que le pur sensible est indéterminable, qu’on n’en peut rien dire, et qu’ « un sensationnalisme cohérent doit être muet », il aurait droit à la reconnaissance éternelle des philosophes. Il n’en est pas moins responsable d’une erreur dont les conséquences devaient peser lourdement sur l’avenir de la philosophie. En laissant croire que le progrès de la connaissance va dans le sens du dépouillement des particularités concrètes, que les objets « intelligibles » sont autre chose que les « sensibles », et en s’exprimant comme s’il y avait réellement « deux mondes », Platon léguait à la philosophie une redoutable erreur qui, transmise par la Scolastique, est arrivée jusqu’à nous. Erreur de traduire la distinction juste entre la « pure impression » (pure feeling) et le travail de la pensée (thought) en une distinction entre la « chose sensible » et la « chose conçue ». [...]
    Il s’est trouvé que le réveil de l’intérêt pour les recherches physiques au temps de Bacon a fait abandonner l’idée d’une réalité consistant en abstractions, mais la vieille notion de la pensée correspondant à cette définition est restée à titre de survivance : « de là l’antithèse qui a gouverné la pensée anglaise moderne entre le travail de la pensée et la réalité ». Cette distinction insoutenable règne encore chez Locke [...]

    Une reprise du problème nous amène à reconnaître que l’individuel réduit aux références spatio-temporelles (le « ici-maintenant », la thisness et la thatness) est déjà chargé des déterminations posées par la pensée, puisqu’une réalité, si pauvre qu’on la suppose, est déjà qualifiée par des relations élémentaires.
    Sans doute, la sensation est éphémère : je regarde ma table, puis je tourne la tête : il n’y a plus rien, la sensation est partie [...]

    Pourtant, la table existe toujours, puisque je juge qu’elle existe, et que je puis me redonner ses aspects visuels et tactiles. Mais cela ne veut pas dire « comme Platon le rêvait », qu’ a il y a deux tables », l’une perçue, l’autre pensée. Il n’y a pas deux mondes. Sans ma pensée (thought) il n’y aurait pas plus de relations pour moi « que le temps n’existe pour une méduse qui se dilate et se contracte à des moments successifs ». La table n’est pourtant pas éternelle, mais corruptible ; elle se corrompt, il est vrai, mais « conformément à des lois éternelles ». Ou encore : « le tout de la nature ne change pas, mais seulement la distribution de ses parties, et cette relation au tout de la nature qui fait de cette table ce qu’elle est à présent détermine aussi sa corruption, corruption dans laquelle il n’y a pas perte, mais seulement transfert matériel. » Où commence la faute ? Quand s’opère le glissement de la « sensation » à la « chose sentie » qui substantialise à nouveau la sensation ? On redonne d’un côté à celle-ci la consistance illusoire qu’on lui refuse de l’autre. En réalité, il est inexact que le progrès de la connaissance aille du concret à l’abstrait. En étendant notre connaissance des choses, nous ne les appauvrissons pas, nous les enrichissons, puisque nous resserrons graduellement le réseau multiple des relations qui les composent dans une marche sans terme.

    Contrairement à l’idée qui devait faire la fortune de la Scolastique et de l’empirisme moderne, nous partons du jugement « quelque chose est » et la tâche de la science revient non à abstraire, mais à concrétiser progressivement son objet; non que l’objet soit pauvre à l’origine, il est la plénitude même; seulement la connaissance initiale que nous en avons doit être indigente avant de s’enrichir par une série indéfinie de jugements. Processus à la fois analytique et synthétique, puisque nous isolons tour à tour par l’attention chaque qualité pour lui faire un sort, et que nous la replaçons dans le réseau des relations qui s’entrecroisent en elle.

    La connaissance sensible (knowledge) aussi bien qu’intellectuelle (thought) satisfont à cette condition, et s’il y a vraiment « deux stades » de pensée, ce ne peuvent être que l’un dans lequel je sais que je sais et je pense que je pense sans faire réflexion sur mon savoir et ma pensée. Non qu’il y ait, comme certains le croient, une « pensée inconsciente » qui serait la nature, mais un savoir et une pensée non réfléchis. C’est ce qui a lieu chez la plupart des hommes qui ne sont pas nés à la réflexion. Mais alors, quand l’œuvre de la réflexion leur est révélée, ils s’imaginent que la tâche de la pensée se borne à recevoir une vérité toute faite. Rien de plus trompeur que cette notion de réceptivité. C’est l’esprit qui fait de la nature ce qu’elle est." (pp.46-48)
    -Jean Pucelle, La nature et l'esprit dans la philosophie de T. H. Green. La renaissance de l'idéalisme en Angleterre au XIXe siècle, vol 1, Louvain, Éditions Nauwelaerts, 326 pages.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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