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    Jacques Rolland de Renéville, Genèse du sens et aristotélisme

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jacques Rolland de Renéville, Genèse du sens et aristotélisme Empty Jacques Rolland de Renéville, Genèse du sens et aristotélisme

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 25 Mai - 12:33

    https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1975_num_37_1_1617

    "Plotin affirme ne pouvoir décrire le commencement absolu de la procession que par analogie : à partir de l'Un imaginé comme surabondance ontologique, comme trop plein d'être, se produit une sorte d'écoulement d'être : « le Premier est la puissance de toutes choses... en ce sens que l'Un produit ». Mais Lui-même, d'où vient-Il ? Qu'est-Il ? Ici comme chez Platon l'Un est déclaré au delà des essences, au delà même de l'Esprit [...] ce qui revient à déclarer le problème insoluble. Insoluble encore, telle apparaît chez Kant la question de savoir si le monde a ou n'a pas de commencement dans le temps et l'espace (premier conflit des idées transcendantale)." (p.201)

    "Descartes n'apparaît-il pas par excellence le seul philosophe qui se soit avisé de poser en termes formels le problème d'une radicalité absolue conçue non plus du tout comme celle de l'être, mais comme celle de la certitude ?" (p.202)

    "C'est « quelque chose de certain » que recherche Descartes dans la Méditation seconde, et non plus comme les péripatéticiens ses prédécesseurs, le plus réel, l'être « en acte »." (note 2 p.202)

    "Dès lors la voie était tracée, où s'engageraient Kant, Fichte, Hegel, Husserl, au bout de laquelle même l'ancien problème d'un commencement absolu du monde paraît en même temps liquidé. Si, en effet, le monde est constitué, s'il n'est que « l'éclairement de l'être dans lequel l'homme surgit de son essence jetée » [Heidegger], si « c'est la réalité humaine qui fait que cet être qui l'assiège se dispose autour d'elle sous forme de monde » [Sartre], alors est enfin tenu le pari qu'avaient ouvert [selon Victor Brochard] Socrate et Platon : désormais comprendre non plus l'homme à partir du monde, mais le monde à partir de l'homme. Bref le problème philosophique après Descartes est par excellence celui non plus d'une genèse de l'être, mais d'une genèse du sens. L'ignora-t-on totalement avant les Méditations métaphysique ?"(p.203)

    "Selon le Théétète, Protagoras n'admet qu'un pur apparaître, mais ne faut-il pas que celui-ci apparaisse, que donc il soit, qu'il y ait un être de l'apparaître ? Ainsi récusé partout, l'être semble reprendre partout ses droits. Cependant quelque chose, dans l'énoncé du problème philosophique fondamental, a été changé, une révolution a éclaté. Vainement les réfutateurs de la pensée sophistique s'efforceront-ils de la nier ; vainement Platon et Aristote tenteront-ils de réduire le champ de ce bouleversement -il progresse malgré eux jusqu'au centre de leurs propres systèmes- et parviendront-ils à en faire oublier jusqu'à Descartes l'énorme portée. Il faudra bien en revenir une fois pour toutes à reconnaître que l'être en soi et par soi est un mythe, ou du moins rien qu'un pôle, une catégorie-limite, que s'il y a place pour une science de l'être, l'objet d'une telle science ne peut pas être l'être en soi et par soi, dont Parménide et les éristiques enseignaient déjà qu'il n'y a rigoureusement rien à dire, mais seulement l'être de ce à partir de quoi un Gorgias a nié l'être, à partir de quoi un Protagoras a réduit tout à un pur apparaître. S'il y a commencement radical, ce ne peut être que de ce à partir de quoi il y a négation ou absence, de ce à quoi il y a présence ou apparition. Il ne peut y avoir une genèse de l'être en soi, puisque étant avant l'être elle ne serait point, ou qu'étant être, elle ne serait point genèse ; bref il ne peut y avoir genèse que de l'être pour nous, c'est-à-dire de son sens." (p.204)

    "La philosophie platonico-aristotélicienne du concept apparaît, en effet, dans son ensemble un gigantesque effort en vue d'établir contre les sophistes et les éristiques que ce qu'il y a de plus réel, ou de seul réel, est l'εΤδος. Que ce terme désigne la forme en soi au sens platonicien du terme ou bien, selon Aristote, l'être le plus déterminé, le plus actualisé, le plus riche en consistance ontologique, l'είδος est toujours l'opposé du changeant, du flux, du devenir, de l'altération ; bref il est ce qui demeure, ce en quoi s'achève toute γένεσις ; d'où une formule qui, à elle seule, suffirait à résumer cette philosophie, et que d'ailleurs Aristote reproduit textuellement de Platon : « la genèse (γένεσις) est en vue de l'existence (ουσία), et non l'existence en vue de la genèse »." (p.205)

    "Dans le Phédon, l'ουσία apparaît ce qui fait que la grandeur, la santé, la force sont ce qu'elles sont, ce que les scolastiques nommeront la quiddité. L'oùaia est non point l'être en général, mais tel être, celui-là dont il y a définition, le sujet de tels attributs, et lorsque la langue grecque veut exprimer ce que nous appelons l'essentiel c'est le mot ουσιώδης qu'elle emploie. En résumé il s'agit de l'essence, mot qui d'ailleurs figure parmi les traductions françaises usuelles de ce terme, et s'il y a genèse de quelque chose qui soit c'est de l'essence. Rencontre bien significative : le mot εϊδος, dont usent Platon et Aristote pour établir contre les héraclitéens que le flux de l'altération s'achève et s'immobilise dans une forme, renvoie lui aussi à la notion d'essence, puisque l'εϊδος d'une chose, exprimant d'abord son aspect visuel, finalement désigne sa forme particulière, ce qui la distingue en propre, ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est et non autre chose. [...] Ainsi même la philosophie construite tout entière pour réfuter ceux qui allaient à découvrir qu'il n'y a genèse que du sens en vient finalement à reconnaître aussi qu'il y a genèse seulement de l'essence, cette structure arrêtée de la signification. Là est une acquisition définitive." (p.206)

    "C'est grâce à la distinction entre puissance et acte qu'Aristote résoud une à une, imperturbablement, toutes les difficultés. Celle de l'attribution, par exemple : l'animal et le bipède sont non point deux êtres, mais un seul, lequel est d'abord indéterminé (le genre animal comme puissance) puis déterminé (l'espèce bipède comme acte) (Métaph. Z, 12, 1037 b, 8-27). Celles, aussi, du mouvement, puisque l'infini dressé par Zénon devant le mobile comme un obstacle insurmontable n'a d'existence qu'en puissance, à titre de possible : il pourrait empêcher le mouvement s'il passait à l'acte, mais il n'est qu'une infinité d'arrêts possibles (Phys. VIII, 8, 263 a 4-263 b 6). Celles, encore, qui résultent de l'antinomie entre l'être et le connaître, car si en principe il n'y a d'être qu'inconnaissable et de connu qu'inexistant (Métaph. K, 2, 1060 b 20), du moins la distinction du genre comme puissance et de l'espèce comme acte permet-elle d'affirmer connaissables ces substances secondes, les genres et les espèces, qui sont aussi de l'être, et dans le champ ontologique desquelles la connaissance peut pénétrer (Catég. V, 2 b, 7-25). Ainsi peut être fondée même la théorie de la connaissance [...] si l'on regarde la connaissance universelle en acte comme actualisée à partir d'une connaissance en puissance dans la sensation." (note 1 p.210)

    "Quant au principe de non-contradiction, c'est son énoncé même qui frôle la pétition de principe, car enfin s'il faut, pour déterminer l'appartenance d'un attribut, que ce soit à la fois « au même moment, à un même sujet et sous le même rapport » (Métaph. Γ, 3, 1005 b 15), autant s'accorder tout de suite que A soit A lorsqu'il n'est pas non-Α. L'être est, telle est la signification finalement parménidienne de ce principe, ce qui revient à adopter décisoirement la philosophie parménidienne comme description privilégiée d'une région d'être, celle où l'être est, où il est ce qu'il est, où il est - comme le dit Aristote - en acte, et à nier le reste en tant qu'être pour le déclarer sous-être, rapport à l'être, puissance, possible, etc.. On conçoit dès lors qu' « en puissance... la même chose soit en même temps les contraires, mais en acte ce n'est pas possible » (Γ, 5, 1009 a, 33-37), ce qui signifie objectivement que le principe de non-contradiction décrit une région d'être impliquée par le postulat d'une distinction entre puissance et acte." (note 2 p.212)

    "Cette exquise région ontologique qui n'est point l'être mais rapport à l'être, cette perspective qui n'en finit pas de s'ouvrir sur lui, ne fait-elle pas songer irrésistiblement à l'autre platonicien, qui est autre à la fois que l'être et que soi, à cette présence à soi qui est en même temps distance à soi et dont chacun a -ou plutôt dont chacun est- immédiatement l'expérience, à cette radicalité absolue qui se situe toujours en deçà et par rapport à quoi tout est toujours au delà, transcendance, bref, à la conscience ?" (p.213)

    "'Aux yeux d'Aristote la pensée qui se pense elle-même, la pensée de la pensée, ce n'est rien d'autre que Dieu : en Lui Seul, acte pur, réalisation absolue, se rencontre Γούσία par excellence, ce qui n'est plus tributaire d'aucune γένεση ; et comment en serait-il autrement puisque seule cette Divine Pensée n'a plus rien d'autre à penser que Soi, seule Elle n'a plus d'autre objet qu'Elle-même, alors qu'en revanche la sensation, l'opinion, la διάνοια, la science, ayant toujours un objet différent d'elles-mêmes, ont toujours à s'arracher à soi vers lui, à devenir ?" (p.213)

    "Conclura-t-on que, s'il y a chez Aristote quelque chose comme un Cogito, celui-ci apparaît aussitôt manqué, puisqu'il consiste à poser tout au plus que Dieu seul se pense, donc seul réellement il est ?"(p.214)

    "É. Bréhier a signalé, en effet, chez Aristote : « Une forme archaïque du Cogito ergo Sum », en se fondant sur ce passage du De Sensu où Aristote écrit : « si quelqu'un se perçoit lui-même (lui ou quelqu'un d'autre) en un temps continu, il n'est pas possible alors qu'il ne sache pas qu'il existe »." (p.215)

    "Dans le quatrième livre de la Physique, après avoir défini le temps par « le nombre du mouvement selon Γ antérieur-postérieur », Aristote observe que, la seule puissance nombrante étant l'âme, « il ne peut y avoir de temps sans l'âme »." (p.216)

    "Aristote, après Platon et les sophistes, disposa de toutes les ressources nécessaires pour ôter à l'être -en vue de la rendre comme son dû à la conscience constituante, ou donatrice de sens - toute la perspective sous laquelle il faut bien que l'être apparaisse : l'ensemble de ses recherches l'y conduisait." (p.217)
    -Jacques Rolland de Renéville, "Genèse du sens et aristotélisme", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 154 (1964), pp. 201-218.


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