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    Philippe Haddad, Pour expliquer le judaïsme à mes amis

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Lun 3 Juin - 20:41



    "L’histoire d’Israël a commencé avec un berger nomade qui se nommait Avram fils de Térah. Né à Haran au nord-est de la Mésopotamie, il s’installa pour des raisons économiques, avec sa femme Saraï et ses parents, à Ur, l’antique capitale de Sumer. Avec ses 300 000 habitants, Ur avait atteint un haut niveau de civilisation développant une agriculture, un artisanat et un commerce importants. Térah était marchand d’idoles ce qui pour l’époque était une fonction honorable et lucrative.

    Mais Avram ne pouvait se contenter de ces simples bonheurs terrestres et de ce confort matériel. Sa soif spirituelle l’amena à se poser des questions sur le sens de l’existence et sur la véracité des divinités qu’il côtoyait dans sa maison paternelle. Idolâtre comme son père au début de sa vie, il finit par rejeter le paganisme sumérien. Son génie religieux l’amena à découvrir le Créateur des cieux et de la terre. Cette révélation fut une révolution, pour lui et pour toute la pensée humaine.

    La foi d’Avram était fondée sur quelques principes qui allaient changer la perception du divin et donc de l’homme. Tout d’abord, il n’existait qu’un seul et unique Dieu, Père de l’humanité tout entière. Ce monothéisme tranchait nettement avec le polythéisme ambiant. Ce Dieu en étant reconnu comme Père-Créateur ne pouvait être identifié à aucune force de la nature. Contrairement à Anu, Mardouk ou Shémech, les grandes divinités suméro-chaldéennes, ou Rê le dieu solaire égyptien, le Dieu d’Avram était transcendant. Mais le bouleversement produit par le fils de Térah ne s’arrêta pas à cette (re) découverte du monothéisme (les hommes de l’origine, Adam, Seth…, étaient eux-mêmes monothéistes, selon la Bible), il comprit que le monothéisme était inséparable de la morale. Cette nouvelle croyance impliquait que le religieux ne pouvait être envisagé coupé de la pratique de la justice et de la charité (Gn. XVIII, 19). C’est pourquoi l’on peut parler d’un « monothéisme éthique ». Dieu était transcendant, mais en même temps proche des hommes. Il appelait Ses créatures humaines à achever l’Histoire par la pratique et le respect des valeurs morales, valeurs qui rendaient Dieu présent au monde.

    Suite à la destruction d’Ur aux alentours de 1960 av. J.-C., la famille de Térah s’en retourna à Haran avec comme objectif l’installation sur la terre de Canaan, sans doute pour s’éloigner de la cruauté et de la violence des invasions (Gn. XI, 31). Mais la mort de Térah obligea Avram, sa femme Saraï, son neveu Loth et toute leur maisonnée à s’installer sur place. Ce fut le moment choisi par Dieu pour s’adresser au patriarche qui était alors âgé de soixante-quinze ans. Dans un songe nocturne, l’Éternel lui demandait de quitter « son pays, sa ville natale et la maison de son père » pour aller vers un nouveau pays, qui n’était autre que Canaan (Gn. XII, 1). Cet appel divin, qui peut étonner par son ordonnancement, car lorsque quelqu’un part, il s’éloigne chronologiquement de sa ville, de sa région et de son pays, signifiait que notre héros devait abandonner progressivement les valeurs nationales, puis locales et enfin familiales ancrées dans sa personnalité profonde, qui étaient teintées d’idolâtrie. Cette idolâtrie païenne traduisait sa foi par la pire des abominations au plan du monothéisme éthique : le sacrifice des enfants. La marche d’Avram devenait ainsi une marche intérieure.

    Ayant traversé l’Euphrate puis le Jourdain, notre personnage fut surnommé Ivri, « Hébreu », le « traversant » ou le « passant », que l’on peut rapprocher de « Habirus », ces nomades qui apparurent dans l’ouest de l’Asie vers le XVe siècle avant l’ère chrétienne. Ce terme Ivri prenait ici un sens symbolique, il signifiait que l’Hébreu était un homme de passage, se situant, parfois solitaire, de l’autre côté du paganisme. Mais les berges étant toujours parallèles, le terme impliquait aussi que l’Hébreu restât vigilant face à l’histoire des hommes. Cette dialectique permanente entre particularisme et universalisme est l’une des constantes du monothéisme éthique qui, loin d’être réduit à une simple monolâtrie, souligne que l’humanité tout entière est placée sous le regard divin. Ainsi, Avram était interpellé par Dieu, non pour une simple mission spirituelle personnelle qui l’aurait coupé de ses contemporains, mais pour une vocation sacerdotale universelle : être témoin de ce Dieu de justice et d’amour afin que « soient bénies toutes les familles de la terre » (Gn. XII, 3).

    La vie d’Avram ne fut cependant pas de tout repos, il dut subir dix épreuves qui devaient prouver que le choix divin n’était pas arbitraire. Par amour de Dieu, et comprenant que le croyant authentique ne devait attendre aucun miracle du ciel, Avram accepta sans le moindre esprit de rébellion ces moments difficiles. Les seuls doutes qu’il émit furent liés à sa modestie, se demandant parfois s’il était vraiment digne des promesses annoncées.

    La plus grande douleur d’Avram et Saraï fut de ne pas avoir de descendant pour continuer de porter le flambeau de leur message, car Saraï était stérile. Certes, notre héros eut un fils, Ismaël de sa servante Agar, mais il aurait aimé avoir un enfant de sa chère femme. Cette attente ne fut pas déçue.

    Après avoir pratiqué la circoncision, le seul rite que connaissaient les patriarches, sur lui-même, Ismaël et les gens de sa maison, circoncision qui n’était pas seulement un acte hygiénique, mais qui prenait la dimension religieuse et éthique « d’Alliance », de Bérith, le nom d’Avram « Père élevé » fut changé par Dieu en Abraham « Père d’une multitude » de nations, et celui de Saraï « Mes princesses » en Sarah « Princesse », (Gn. XVII). Ce changement de nom signifiait qu’Abraham avait fait le deuil de certaines valeurs idolâtres, qu’il avait abandonné le paganisme.

    Alors qu’il était en état de convalescence, il reçut la visite de trois hommes, qui n’étaient autres que des envoyés de Dieu venus lui annoncer la naissance d’un fils. Sarah se mit à rire se demandant comment ses entrailles flétries par l’âge pourraient porter la vie. Pourtant un an après, ce rire de perplexité se transforma en rire de joie quand elle présenta à son mari celui que l’on nomma Isaac « Il rira ».

    Quelques années après cette naissance miraculeuse, l’épreuve ultime arriva, nécessaire afin d’asseoir de façon définitive le monothéisme éthique : la « ligature d’Isaac ». Abraham crut entendre Dieu lui demander de sacrifier son fils. Certes, l’Éternel ne demandait pas une chose aussi horrible, mais Abraham, habitué par ses contemporains à de telles pratiques, interpréta ainsi la parole divine, bien qu’il en fût fortement surpris. En réalité, Dieu lui demandait simplement d’élever son fils vers la vie, sur le mont Moriah, future colline du Temple. L’épreuve se jouait là, dans cette ambiguïté de l’interprétation, Abraham devant comprendre que Dieu ne désirait aucunement la mort du rejeton. Tout le sens de sa longue marche prit une dimension lumineuse quand il entendit en son for intérieur une voix du ciel lui dire : « Ne jette pas la main sur l’enfant, car je sais que tu crains Dieu » (Gn. XXII, 12). Abraham n’était pas Cronos, il ne dévora pas son enfant. Le patriarche réalisa là le plus grand miracle que l’homme puisse accomplir ici-bas : aimer et choisir la vie au nom de Dieu. L’hébraïsme était maintenant fondé, l’Histoire pouvait continuer."
    -Philippe Haddad, Pour expliquer le judaïsme à mes amis, Paris, Éditions In Press, 2022 (5ème édition).



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
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    Philippe Haddad, Pour expliquer le judaïsme à mes amis Empty Re: Philippe Haddad, Pour expliquer le judaïsme à mes amis

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 29 Juin - 8:29

    "Le judaïsme connaît deux grandes traditions complémentaires, une tradition écrite : la Bible et une tradition orale dont l’ouvrage principal est le Talmud. Commençons par la tradition écrite.

    Le juif croyant puise sa foi dans trois grands livres : la Torah ou Pentateuque, les Néviim ou Prophètes, les Kétouvim ou Écrits. Ces trois ouvrages, désignés par leurs initiales hébraïques TaNaKH, forment la Bible hébraïque."

    "Une tradition rabbinique affirme que la Torah ne fut pas écrite au temps de Moïse, mais qu’elle préexistait au monde et que Dieu la contemplait, comme un architecte consultant son plan, avant de créer l’univers. [...]
    Le Pentateuque est écrit sur un parchemin. Dans les synagogues, il est placé dans l’armoire du fond, nommée « arche de sainteté ». La plupart des lieux de culte possèdent plusieurs rouleaux, mais il s’agit à chaque fois du même texte. La Torah se présente comme un long récit historique qui va de la création du monde jusqu’à la mort de Moïse. À l’intérieur de ce récit, l’on trouve la législation d’Israël s’exprimant à travers 613 commandements ou mitsvoth (singulier mitsva)."

    "Certains livres furent mis à l’index comme ceux de Judith, Macchabée, Baruck, Sagesse de Salomon, l’Ecclésiastique, Tobie, les additions au rouleau d’Esther. Les Églises catholique et orthodoxe ont cependant intégré ces récits dans leur canon personnel."

    "Le Talmud se fondant sur certains passages de la Loi écrite, fait obligation pour chaque juif de copier pour son usage un rouleau du Pentateuque8. Habités par cette conviction profonde et par respect pour leur mémoire religieuse, les hommes les plus pieux se faisaient un devoir de recopier le livre de Moïse avec un soin scrupuleux et une crainte de Dieu. Parmi ces copies, on cite celles de rabbi Guerchon ben Yéhouda (1030), de son contemporain Yossef ben Samuel Bonfils de Limoges (1050) et surtout celle de Maïmonide dont le sefer Torah fut considéré comme l’exemplaire type pour les générations futures.

    On ne sait pas à quelle époque précise naquit le métier de sofer « scribe », mais on peut avancer qu’il s’agit de l’époque tanaïtique dans laquelle on trouve rabbi Méir exerçant cette fonction. L’on sait aussi qu’au VIIe siècle, les scribes étaient en mesure de fournir soit aux communautés soit aux particuliers, les rouleaux de Pentateuque ainsi que les mézouzoth (singulier mézouza) et téfilines10 dont ils avaient besoin pour le service religieux. Avec l’invention et le développement de l’imprimerie à partir du XVe siècle, cette fonction diminua considérablement.

    Le premier livre biblique imprimé en hébreu à Bologne date de 1477, il s’agit du livre des Psaumes. Le Pentateuque parut pour la première fois en 1482. La première Bible complète date d’avril 1488 et fut éditée à Soncino en Lombardie. Parmi les éditeurs qui sont restés célèbres pour la qualité de leur travail, citons Daniel Bomberg imprimeur à Venise au XVIe siècle, à qui l’on doit aussi la pagination définitive du Talmud, et Joseph Attias d’Amsterdam au XVIIe siècle."

    "Il n’existe aucune solennité, aucune prière qui n’évoque cet événement fondateur, et la formule « souvenir de la sortie d’Égypte » est récurrente dans le rituel. La sortie d’Égypte est si importante que nissan, mois de la libération, est devenu le premier du calendrier hébraïque (il était le mois des changements d’année dans les administrations royales, à l’époque biblique). À travers la célébration de la fête de Pâque, les juifs s’identifient aux Hébreux, ressentant l’amertume de l’oppression et exprimant leur reconnaissance au Libérateur suprême.

    Le couronnement de cet affranchissement est la promulgation du Décalogue, qui scelle l’alliance (bérith) entre Dieu et Israël. Dès lors, la loi de l’instinct, celle du plus fort, est remplacée par la loi morale, celle du partage et de l’amour de tous les hommes.

    Par cette alliance, Israël n’est plus un peuple produit par la nature, comme ceux nés après Babel, mais une collectivité de témoignage (eda), « une royauté de prêtres » : témoin de Dieu, afin que Dieu soit reconnu comme Père de l’humanité. Le prosélytisme d’Israël ne consiste pas à convertir les hommes au judaïsme, mais à leur faire prendre conscience de leur origine divine."
    -Philippe Haddad, Pour expliquer le judaïsme à mes amis, Paris, Éditions In Press, 2022 (5ème édition).


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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