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    Marcel Conche, Métaphysique

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Marcel Conche, Métaphysique Empty Marcel Conche, Métaphysique

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 6 Juin - 12:57

    "En tant que tentative de concevoir le Tout de la réalité, la philosophie est dite «  métaphysique  »  ; et toute philosophie qui mérite ce nom est d’abord métaphysique."

    "Une philosophie est un essai qui fait appel à toutes les ressources de l’homme (cf. Platon, République, VII, 518 c), et pas seulement la raison."

    "Plusieurs métaphysiques sont possibles, entre lesquelles le choix se fait non par la démonstration (il n’y a pas de preuves en métaphysique), mais par la méditation."

    "Il n’y a rien d’autre que la Nature : elle est le Tout. Rien ne la limite : elle est donc infinie."

    "L’éthique du bonheur (vivre pour être heureux) n’est que l’une des éthiques possibles."

    "La sagesse tragique, qui n’est orientée ni vers le plaisir ni vers le bonheur, vise à donner le plus de valeur possible à la vie et à l’œuvre, en dépit de leur caractère périssable."

    "Toute guerre est injuste au premier innocent tué."

    "Le sens de la vie est dans l’amour pour ceux qui viennent après nous."

    "Si l’on veut une définition avec le mot « être », je dirai que la métaphysique est un discours (logos) au sujet de ce qui est vraiment (ontôs on) et de ce que signifie « être » (einai) pour « ce qui est » (on)."

    "Mon point de départ peut être rapproché de celui de Descartes. Il part de Dieu (car le cogito requiert la garantie divine), c’est-à-dire de l’infini ; et moi de même. Mais l’infini cartésien est un « faux infini », cela pour deux raisons : d’abord, Dieu est une personne, ce qui implique la finité ; ensuite, il laisse hors de lui le monde, ce qui le limite. La pensée de l’infini, chez un être fini, ne peut s’expliquer, nous dit Descartes, que par l’existence de l’infini en acte. Soit ! Mais pourquoi identifier l’infini actuel avec cet objet culturel, propre à une civilisation particulière, qu’est le Dieu du monothéisme ? Il est alors finitisé d’une manière qui n’était nullement nécessaire. Il suffisait de reconnaître en lui la Nature infinie elle-même, comme le fait Spinoza. C’est aussi ce que je fais. Mais mon point de départ n’est pas l’idée — comme chez Descartes —, mais l’expérience de l’infini, c’est-à-dire de la Nature, socle absolu de toutes choses, dont les mondes innombrables ne sont que les effets.

    Je me place donc dans la continuité d’Anaximandre (qui comprend la Phusis comme l’Apeiron —  l’infini), de Lucrèce (saisi de vertige devant l’omne immensum), de Giordano Bruno, de Pascal (cf. Pensées, fr. 72 Br.), de Spinoza."

    "La plupart des activités auxquelles s’occupent les hommes sont contingentes, car ils ne les exercent pas en tant qu’hommes s’interrogeant sur leur propre condition et ce que c’est qu’être homme, mais en tant qu’ayant tel ou tel métier, jouant tel ou tel rôle dans la société, ce par quoi ils font que cette société précisément existe, de sorte que, si devenir philosophe c’est revenir à soi, ce sera, d’une certaine façon, s’abstraire de la société [...]

    Encore faut-il, pour philosopher véritablement, que l’esprit, disais-je, se garde de s’engager, ou de trop s’engager, dans des activités inessentielles, si nécessaires soient-elles [sic]. [...]
    Aliénation au bonheur, quand on se laisse aller à l’agrément quotidien de la vie, s’abstenant de la réflexion, qui suppose l’effort et peut apporter le trouble, la douleur, voire le désespoir."

    "Le philosophe doit, autant que possible, se séparer de toute activité qui risque de le distraire de son activité philosophique, et, en même temps, il doit isoler la philosophie de ce qui n’est pas elle : les mythes, la théologie. C’est ce que les Cartésiens, les Kantiens n’ont pas fait, et, aliénés à la religion, ne pouvaient faire. En quoi ils diffèrent de Montaigne et de Spinoza."

    "Ou le monde est ce que l’on a devant soi et à quoi il y a ouverture (Offenheit), et l’on a les philosophies du cogito, du sujet, de la subjectivité, de l’existence, de la temporalité, du Dasein, telles celles de Descartes, de Kant, de Sartre, de Husserl, de Heidegger. Ou le monde est la Demeure qui nous cerne et où l’on est avec d’autres, et l’on a les philosophies de l’être, du devenir, du Temps, du cosmos, de l’absolu et des réalités absolues, telles celles de Spinoza, de Montaigne, des Grecs en général —pas seulement des matérialistes. Philosopher à partir de l’ego, ou à partir du monde (cosmos) : faut-il choisir ?"

    "La vérité du Cogito n’avait pas pour lui de caractère scientifique aussi longtemps que la certitude de fait du « Je pense, donc je suis » n’était pas confirmée en droit, de façon que l’on soit assuré que ladite vérité reste la même lorsque le regard s’en détourne et que l’on n’en a pas l’évidence actuelle. Sans une telle confirmation, l’on n’a que la persuasion, non la science : « Telle est peut-être notre nature que nous nous sommes trompés dans les choses les plus évidentes, et par conséquent que nous n’avions pas une véritable science, mais une simple persuasion […] » (À Regius, 24 mai 1640). On a la science « quand on a une fois bien compris les raisons qui persuadent clairement l’existence de Dieu, et qu’il n’est point trompeur » (ibid.). Il n’y a science que par la garantie divine. L’athée ne peut avoir une véritable science : « Qu’un athée puisse connaître clairement que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, je ne le nie pas ; mais je maintiens seulement qu’il ne le connaît pas par une vraie et certaine science, parce que toute connaissance qui peut être rendue douteuse ne doit pas être appelée science ; et puisqu’on suppose que celui-là est un athée, il ne peut pas être certain de n’être point déçu dans les choses qui lui semblent être très évidentes » (Réponses aux secondes objections, AT, IX, 111).
    Le point de départ de la métaphysique cartésienne n’est donc pas dans le Cogito, ce qui en ferait une philosophie du sujet, mais dans l’être absolu de Dieu."

    "Si, par l’« Infini », il faut entendre Dieu, c’est là un Infini qui n’est pas donné mais conclu à partir de son idée en nous, comme requérant une cause. Mais dès lors que Dieu est d’un côté, nous de l’autre, l’Infini/Dieu est un faux infini. L’Infini véritable, ne laissant rien hors de lui qui le limite, doit être tel que nous soyons en lui. Or, n’est-il pas vrai que nous nous sentions au sein de l’Infini ? Cet Infini, dès lors qu’il est omni-englobant, se réciproque avec ce qui est  ; et nous nous sentons au sein, et même au milieu, de ce qui est. Car c’est tout autour de nous que se déploie l’ensemble ouvert de toutes les choses que nous disons «  être ». Nous ne nous sentons pas dans un ensemble fermé, comme une enceinte. Il nous semble, au contraire, que, de tous côtés, quel que soit le lieu où l’on se trouve, il est toujours possible d’aller au-delà — et qu’Aristote ou Einstein proposent des modèles de monde ou d’univers où cela n’est pas possible, est une autre affaire. Si l’on entend par «  monde  », avec les Épicuriens, l’ensemble de ce à quoi l’on a un accès sensoriel, il est clair que le monde s’agrandit indéfiniment avec les avancées de la technique instrumentale. Mais qui dit indéfini ne dit pas infini. Le monde est indéfini, dit Descartes, Dieu seul est infini. Nous-même ne disons pas : Dieu est infini, mais Dieu est l’Infini, lequel nous a en lui. On ne peut confondre cet Infini avec le monde, qui n’est qu’indéfini. Spinoza le nomme Nature, et écrit : Deus sive natura. Si le monde va à l’infini, se déploie indéfiniment, comment serait-ce possible si l’Infini plénier n’était pas déjà là ? Car, si le fini se répète à l’infini, il n’est jamais que du fini, et le fini ne s’explique pas par lui-même. L’Infini est nécessairement la Source de toutes choses.

    C’est là ce qu’a vu Anaximandre à l’aurore de la philosophie grecque —et donc à l’aurore de la philosophie. Il identifiait la Nature (omni-englobante) et l’Infini. Mais il concevait la Nature —la Phusis— autrement que Spinoza, car il plaçait la Vie à l’origine, et la Nature lui apparaissait comme la génératrice de vie. Elle sécrétait éternellement des sortes de germes (gonimoi) desquels naissaient des mondes, du reste en nombre infini. Aucune nécessité — et aucun nécessitarisme — ne présidait aux créations de la Nature, qui étaient plutôt comme des sortes de poèmes inanticipables et non programmables. La Nature-Poète : cela nous met loin de Spinoza."

    "Distinguons d’abord la morale et l’éthique. Dans les deux cas, l’on a des devoirs, mais, dans le cas des éthiques, ce sont des devoirs conditionnels, dans le cas de la morale, des devoirs inconditionnels : si un journaliste ne veut plus être lié par l’éthique du journalisme, il lui suffit de n’être pas journaliste, alors que, pour n’être pas lié, par exemple, par le devoir de venir en aide au blessé sur le bord de la route, il lui faudrait cesser d’être homme. L’éthique est un choix de vie en fonction de certaines valeurs (la vérité, le bonheur, l’honneur, la gloire, le pouvoir, l’amour du prochain, etc.), alors qu’on ne choisit pas « sa » morale. La morale des droits de l’homme est la morale absolue pour notre époque [sic]. La morale est indépendante de la métaphysique comme elle l’est de la religion, car il y a des métaphysiques comme il y a des religions, et il n’y a qu’une morale. L’éthique est dépendante, ou non, d’une métaphysique. Lorsqu’une éthique est liée à une métaphysique, l’on a une sagesse. Par exemple, l’éthique épicurienne du bonheur est liée à la conception épicurienne de la Nature. On parlera donc d’une sagesse d’Épicure."

    "L’argument de la souffrance des enfants a une grande force persuasive et m’a effectivement persuadé, mais il n’a pas valeur de preuve : si tel était le cas, il aurait une force non seulement persuasive mais encore démonstrative, et le croyant en Dieu ne pourrait le rejeter sous peine de déraison. L’esprit n’est pas libre d’adhérer ou non à une preuve, il est libre d’adhérer ou non à un argument."

    "Comme une philosophie n’a pas un caractère entièrement démonstratif et suppose des choix, il est des moments où la pensée peut s’orienter dans telle direction ou dans telle autre."

    "Sans doute Épicure a-t-il vu que la Nature est la Source absolue de toutes choses et qu’elle s’invente elle-même en inventant toutes choses, car elle ne crée aucunement selon des types définis d’avance, mais il a par trop dévitalisé la Nature, la réduisant, à quelque chose près —le clinamen—, à la matière, ce qui le fait passer pour «  matérialiste  ». Que vaut d’ailleurs cette réduction, puisque ce en quoi tout se résout, l’atome, ne se laisse pas penser, si du moins ce n’est pas un être mathématique (géométrique) comme chez Démocrite, mais bien un être matériel. En effet, si l’on demande de quoi l’atome est fait, l’on nous dit qu’il n’est pas du vide, mais du plein —  mais plein de quoi ? La Nature est scindée en une infinité d’êtres minuscules et impensables, qui, par l’effet du hasard, peuvent s’organiser en mondes, lesquels sont innombrables. La notion quantitative d’« univers » ou de « tout » (to pan) prend le pas sur la notion qualitative de Nature, dont l’unité vivante n’est pas reconnue, la vie n’étant pas à l’origine et n’apparaissant que comme le fruit aléatoire du hasard. Or, grâce à Lucrèce et à son maître, je m’habituai à me penser comme un point dans l’immensité infinie, et je crus que philosopher c’était cela : se penser et penser toutes choses sur le fond de l’infini."

    "Énésidème, disciple de Pyrrhon, et ses propres disciples « avaient l’habitude de dire que l’orientation sceptique est une voie (hodos) menant à la philosophie d’Héraclite » (Sextus Empiricus)."

    "On peut demander, ainsi que le fait Leibniz, « pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien », si l’on entend par là quelque chose de fini, comme une planète, les étoiles ou le monde, mais l’infini ne saurait se fonder sur autre chose, puisqu’il n’y a rien d’autre. On ne peut demander : « Pourquoi y a-t-il la Nature plutôt que rien  ? », puisque la Nature, étant tout ce qu’il y a, ne peut s’expliquer à partir d’autre chose. Que la Nature infinie soit la Source originelle, et qu’il n’y ait rien de plus que ce qui émane de la  Source, c’est ce qui a été reconnu, dès les débuts de la philosophie, par Anaximandre."

    "La liberté apparaît dans le monde dès qu’apparaît un être, l’homme, capable de porter des jugements vrais. Car si ces jugements étaient déterminés par des causes, et non par la seule vue de la chose dont on juge, par quel hasard se trouveraient-ils être vrais ? La science suppose la liberté de l’esprit à l’égard des déterminations causales."

    "Je laisse les croyants en Dieu à leur croyance, en évitant toute discussion, car la croyance en Dieu se fonde sur la Révélation, alors qu’une discussion ne reconnaît d’autre autorité que celle de la raison. L’on peut converser, non discuter avec un croyant en Dieu."

    "Schopenhauer écrit  : «  Par “métaphysique”, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance (Erkenntnis) dépassant l’expérience. ». Je récuse le mot « connaissance ». Le Tout de la réalité dépasse absolument l’expérience. Aussi la métaphysique ne peut-elle aucunement avoir la prétention d’être une connaissance."

    "S’il est une chose que nul philosophe, fût-il naturaliste ou matérialiste, ne peut songer à nier, c’est la liberté. Car, sans la liberté, son propre système serait impossible. Il ne pourrait, en effet, dire la vérité, puisque son jugement, étant déterminé par des causes, ne pourrait l’être par la vue de la vérité (car la vérité n’est pas une cause, n’étant pas quelque chose dans le monde)."

    "Le matérialiste, à partir d’un univers soumis au déterminisme, ne peut rendre compte de l’émergence de la liberté sans laquelle lui-même, pourtant, ne peut articuler le moindre discours, du moins ayant sens de vérité, pas davantage il ne peut rendre compte, à partir de la matière complexifiée et différenciée en substance cérébrale, de quelque chose comme le for intérieur et de la liberté qui rend possible ce rapport de soi à soi par lequel il est une personne."

    "Dire [avec Sartre] qu’en me choisissant je choisis l’homme, c’est dire que, si je choisis telle option pour moi, je la choisis pour vous aussi. Si je suis athée, je pense que tout finit à la mort, pour moi et pour tout être humain. Si j’adhère à la croyance à un Dieu créateur, c’est à vous comme à moi que j’attribue une âme immortelle — cela parce que le choix métaphysique a un sens d’universalité. S’il s’agit, en démocratie, d’un choix électoral, les gens, en général, suivent ce qu’ils pensent être leur intérêt, ou se règlent sur l’idée qu’ils se font de ce que le gouvernement devrait faire et ne fait pas, ou cèdent à des préférences, des sympathies ou des antipathies personnelles  ; ils ne prétendent pas que leur choix vaille aussi pour qui a des intérêts, un programme très différents, des sympathies ou antipathies tout autres. Mais le choix métaphysique a un sens d’universalité, parce que ce que l’on choisit, c’est la vérité au sujet du Tout de la réalité, et donc du monde et de l’homme."

    "Quelle garantie a-t-on que l’évidence soit toujours critère de vérité ? Malgré Épicure et surtout Descartes, qui a fortement soutenu le contraire (s’appuyant, il est vrai, sur le Dieu «  non trompeur »), on n’a pas une telle garantie. Il se peut que ce qui nous semble évidemment vrai ne le soit pas. Le Cogito ergo sum serait certain en droit, c’est-à-dire que l’on serait fondé à croire tenir, avec le Cogito, une vérité indubitable. Mais l’évidence n’est jamais qu’un fait, et la certitude qu’il y a des certitudes de droit n’est jamais qu’une certitude de fait. On philosophe toujours dans l’incertitude. Montaigne a montré que l’on ne philosophe pas moins bien pour cela. On aboutit à une vérité qui, pense-t-on, vaut universellement, mais comme, quoique convaincu, on se sait incertain —car la conviction n’est pas certitude —, on se garde de vouloir imposer sa propre vérité à qui que ce soit, fût-ce par persuasion. De là un régime de tolérance."

    "«  Les philosophes, dit Marx, n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières […] » (XIe thèse sur Feuerbach). Il reconnaît là que la philosophie n’a jamais été qu’interprétation, non connaissance, laquelle n’est donnée que par la science, et qu’il y a donc diverses philosophies possibles, irréductibles à l’unité, entre lesquelles le choix ne peut se faire que par la méditation personnelle."

    "On peut douter de l’existence de Dieu. Mais douter de l’existence de la Nature serait « ridicule », dit Aristote (Phys., II, 1, 193 a) [et c'est pourtant ce qu'à fait Descartes]."

    "Les hommes perçoivent la nature avec leurs sens humains ; les chiens, avec leurs sens canins, la perçoivent autrement, les abeilles autrement encore, et ainsi de suite. Or, ces perceptions ne s’excluent pas, mais coexistent — je ne dis pas qu’elles « se complètent », ce qui serait supposer quelque unité. La Nature est réellement ce qu’elle paraît être. Elle se résout en toutes les diverses façons qu’elle a d’apparaître. Il n’y a rien de plus profond que les apparences. C’est l’apparence qui est l’être — un être multiplicité, un être éclaté."

    "« L’énergie est le support de tout ; il n’y a plus rien derrière l’énergie  », dit Bachelard. On revient au Feu d’Héraclite  : «  Si nous remplaçons le mot Feu par le mot énergie, nous pouvons presque répéter ses paroles mot pour mot  », dit Heisenberg. C’est pourquoi les physiciens philosophes ne devraient pas parler sans cesse d’« ontologie », comme ils le font aujourd’hui, car il n’y a pas d’« être ». Mais qu’entend-on par «  énergie  »  ? C’est «  une composante d’un quadrivecteur — d’un vecteur dans un espace à quatre dimensions », nous dit Bernard d’Espagnat, qui ajoute  : «  Vous voyez, nous arrivons à des définitions très abstraites, très immatérielles en somme ! Une composante de quadrivecteur, c’est un être mathématique.  » On parle de « corpuscule ». Ce qui est certain, c’est que, si corpuscule il y a, « il ne possède, dit Chambadal, aucun des attributs essentiels de la matière, qui sont la permanence, l’impénétrabilité et une étendue remplissant une portion fixe de l’espace ; il ne peut donc — de même que l’onde qui lui est associée — être considéré que comme un simple symbole mathématique ». Michel Serres constate alors que le terme « matière », « dès le moment où il s’est trouvé analysé dans la physique ou par la physique, s’est trouvé de plus en plus dénué de sens, de sorte qu’un bon matérialiste, actuellement, ne peut l’être que métaphysiquement ». Où Michel Serres, apparemment, se trompe : si la métaphysique a en vue le Tout de la réalité, et si la notion de matière est «  dénuée de sens  » pour une partie de cette réalité, le matérialisme métaphysique, qui voudrait tout ramener à la matière, est impossible."

    "Il y a le vécu qui, comme tel, est irréductible, ne s’expliquant pas par autre chose. [...] On peut admettre que l’activité cérébrale est la condition nécessaire et suffisante, la cause, de la manière dont l’animal vit son monde — une cause qui produit l’effet, mais ne l’explique pas. Mais, dans le cas de l’être humain, il en va autrement. Dire : « Pierrette, je vous aime » n’est pas la même chose que dire : « Mon cerveau vous aime. »
    Bref, le matérialisme échoue à rendre compte de la vie et de l’esprit."

    "Si la créativité de la Nature est infinie, comme certains des Grecs l’ont pensé, et comme il semble, puisque la Nature n’est bornée que par elle-même, on doit s’attendre qu’elle se manifeste infiniment, et donc que la Nature se déploie sans limites, comme infiniment grande, et nullement bornée au modeste univers des astrophysiciens. L’expérience appuie cette considération. Car il est possible de se déprendre de ses tâches et de son rôle, de faire éclater le monde clos de la préoccupation, et de s’ouvrir à la Nature comme elle se donne, lorsque nos intérêts restreints ne nous empêchent pas de la voir. Pascal a décrit (fr. 72 Br.) l’expérience extatique où la Nature se donne comme s’étendant indéfiniment au-delà du donné. Pasteur également, dans son Discours de réception à l’Académie française, où il succédait à Littré, a fait appel à une telle expérience, observant, contre les positivistes, que l’infini est la plus positive des notions."

    "L’on peut donc toujours faire l’hypothèse de la multiplicité des univers, car l’univers des physiciens, l’univers «  humain  », est nécessairement fermé, en ce sens que tout y est relié à tout au sein d’une totalité qui est un monde. Nietzsche parle d’« humanisation de la Nature ». C’est cette « humanisation » que je définis comme mondanisation. Platon admet que l’on peut poser la question de l’unicité du Monde. « Eût-il été plus exact, dit-il, de dire qu’il y a une pluralité de Cieux ou même un nombre infini ?  » (Timée, 31 a) ; et il reconnaît que Démocrite n’est pas réfutable. Ce qui est certain est seulement que le savant, comme tel, ne peut admettre plusieurs univers. Car, dès qu’il y aura deux univers, ils se résoudront en un, comme le montre Platon. Car, s’ils sont deux, c’est que le savant aura trouvé dans le nôtre de quoi le contraindre à admettre l’autre, de sorte qu’ils se trouvent unifiés par là même.

    Notre univers, ce que les astrophysiciens appellent l’univers observable, est-il la totalité des choses ? Les physiciens ne le pensent pas, puisque certains sont croyants : outre l’univers, il y a Dieu, selon eux. Alors, pourquoi pas la Nature ?"

    "Il y a le donné et l’au-delà du donné, et, pour donner un contenu à cet au-delà, il faut une croyance. Or, celle en la Nature me paraît la mieux fondée, car Dieu est au-delà du donné, tandis que la Nature, qui s’offre immédiatement à tous les hommes, est à la fois donnée et au-delà du donné. De plus, s’il n’y a pas de Dieu, la liberté humaine n’est pas sous contrôle ; l’homme est libre."

    "Le principe de causalité, dans sa forme classique, exclut la créativité. Car il ne saurait y avoir plus dans l’effet que dans la cause. Leibniz formule le principe de l’équivalence « de la cause pleine et de l’effet entier » : « L’effet ne doit pas surpasser la cause. » Mais, s’il y a identité entre la cause et l’effet, autant dire que rien ne se passe : on n’a plus d’événement, on n’a plus de Nature. On a une intelligibilité totale, puisqu’il n’y a rien de nouveau, mais la Nature s’est évanouie. Tel est le résultat du principe de causalité, tel qu’il a régné dans la science classique : « En postulant l’intelligibilité de la Nature, il aboutit à sa destruction complète », dit Meyerson. Mais la Nature existe. Cela signifie qu’il y a des effets différents de leurs causes —des causes qui produisent des effets qu’elles n’expliquent pas. Émile Boutroux a très bien vu cela : « Comment concevoir que la cause ou condition immédiate contienne vraiment tout ce qu’il faut pour expliquer l’effet ? Elle ne contiendra jamais ce en quoi l’effet se distingue d’elle, cette apparition d’un élément nouveau qui est la condition indispensable d’un rapport de causalité. »[De la contingence des lois de la nature, 10e éd., Alcan, 1929, p. 26]. Or, cette nouveauté est un trait constitutif de la Nature. Car la Nature se renouvelle continuellement : c’est l’« avance créatrice » dont parle Whitehead, et qu’a bien reconnue Bergson.

    Que signifie cette créativité, sinon qu’à chaque instant les choses commencent ? Il n’y a pas simple répétition de ce qui a eu lieu. Sinon, à quoi bon le temps ? Le temps ne serait pas créateur, et Héraclite aurait eu tort de dire que l’« on ne peut entrer deux fois dans le même fleuve ». Épicure avait bien vu que la Nature, telle qu’elle est maintenant, n’était pas déjà contenue dans ce qu’elle était, qu’elle était libre à l’égard de ce qu’elle était, qu’elle est un champ infini d’initiatives. Mais il avait conservé le mécanisme universel de Démocrite, et avait simplement plaqué sur le mécanisme l’idée d’une rupture de ce mécanisme. Il faut analyser la Nature en niveaux."
    -Marcel Conche, Métaphysique, Paris, PUF, 2012.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
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    Marcel Conche, Métaphysique Empty Re: Marcel Conche, Métaphysique

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 13 Oct - 11:58

    "Dans l’homme, la Nature devient esprit, car la Nature s’ignore, mais l’homme se sait. Mais, puisque la Nature est autocréatrice, l’homme est le plus naturel des êtres, du moins le plus conforme à l’essence de la Nature, pour autant qu’il se fait autocréateur, c’est-à-dire commençant à partir de lui-même."

    "Si l’on admet la créativité de la Nature, comment croire qu’elle se serait bornée à produire cet unique univers que nous voyons ?"

    "Les questions métaphysiques n’appellent que des réponses spéculatives. Il n’y a pas de preuves en métaphysique, mais seulement des arguments."

    "« C’est de la succession des idées et des impressions que nous tirons l’idée de temps », dit Hume (Traité de la nature humaine, 2e partie, section III). Kant objecte que percevoir la succession présuppose la représentation du temps : « La succession ne tomberait pas sous la perception, si la représentation du temps ne lui servait a priori de fondement  » (Critique de la raison pure, «  Du temps  », § 4). Mais, si percevoir la succession n’est possible que par la représentation du temps, que peut bien être cette représentation du temps qui ne comporte pas en elle-même la succession, c’est-à-dire l’essentiel du temps ?"

    "Montaigne perçoit tout naturellement le temps comme infini et éternel."

    "Aristote ne définit pas seulement le temps par l’avant-après, la succession pure, mais par le nombre. Car, lorsqu’on parle du temps, vient la question «  combien  » : «  Dans combien de temps la maison sera-t-elle prête  ?  », c’est-à-dire combien de jours, d’heures = quel nombre d’unités de temps. De là la définition d’Aristote  : «  Voici, dit-il, ce qu’est le temps : le nombre du mouvement (arithmos kinèseôs) selon l’avant et l’après »."

    "Le temps est la puissance universelle qui transforme ce qui est à venir en chose du passé. Ou, plus brièvement : le temps est la puissance qui, avec de l’avenir, fait du passé."

    "Les événements simples sont infractionnables  : que l’on fractionne un événement simple et il n’y a plus d’événement. Par exemple, je fais un geste pour dire « au revoir » : si je ne lève le bras qu’à moitié, je n’ai pas fait le geste de dire « au revoir ». Bien qu’également infractionnables, les événements simples ne sont pas d’égale durée : un clin d’œil est plus bref qu’un geste. Les présents —  ou maintenants —  ont donc eux-mêmes des durées différentes. Il n’est donc pas possible d’assigner, pour le présent, une durée précise."

    "La Nature «  fait tout en vue d’une fin  », dit Aristote (Parties des animaux, 1, 641 b 12). Elle ne fait rien de déraisonnable (alogôs), ni rien en vain (« inutilement », matèn) (Du Ciel, II, II, 291 b 13), ni « rien au hasard », («  n’importe comment  », hôs étuchè)  » (ibid., 11, 8, 290 a 30). Elle « réalise, parmi les possibles, celui qui est le meilleur » (ibid., II, 5, 288 a 2). Un exemple : la Nature n’a pas donné de paupières aux poissons, car à quoi serviraient-elles  ? [...]

    Au contraire, pour Épicure, la Nature est « créatrice de toutes choses », rerum natura creatrix, dit Lucrèce (I, 629). Elle réalise tout ce qui est possible, et pas seulement le meilleur  : tous les êtres possibles, tous les mondes possibles, tous les modes de production possibles."

    "Quoi qu’il y ait dans l’avenir, le Temps en fera du passé, de sorte que, s’il n’y avait que la puissance universelle du Temps, il n’y aurait bientôt plus rien. Mais il y a la puissance antagoniste de la Nature, qui fait naître à l’infini de nouveaux êtres."

    " [Pour Kant] le temps est relatif au sujet, lequel, dès lors que le temps n’est en lui qu’une forme, est non soumis au temps. De ce fait, il échappe à l’enchaînement, dans le monde sensible, des causes et des effets. Il échappe à l’ordre de la nature, de la mort et du destin, et l’âme peut être immortelle."

    "L’homme ne peut vivre dans le Temps immense de la Nature, car il lui faut croire être, et il ne peut vivre dans ce qui fait de lui un presque rien, un« éclair » dans le temps infini. Il lui faut finitiser le temps, se donner un temps à l’échelle humaine. Il lui faut penser que vivre cent ans, c’est avoir une longue vie, alors que cent ans, qu’est-ce que c’est dans l’infini ? L’homme se donne le temps qu’il lui faut pour pouvoir croire que cela vaut la peine de vivre et d’agir."

    "Si l’on est disciple de Pythagore, on ne s’enivre pas, on mange frugalement, surtout des légumes, jamais de viande, rarement du poisson, jamais du rouget ou du poisson à queue noire, jamais de fèves, on a pour idéal l’abstinence sexuelle ; on n’a pas de biens propres, car on admet, entre amis, la communauté des biens. À la fin du jour, on doit faire un examen de conscience : « Ai-je commis des fautes ? Qu’ai-je fait que je n’aurais pas dû faire ? Que n’ai-je pas fait que j’aurais dû faire ? »."

    "Aristippe, lui, pense qu’il faut jouir de tout tant qu’on le peut sans nuire à sa santé. Il mène grand train de vie, a une table somptueuse  ; il habite avec une courtisane, considérant qu’il n’y a pas de différence entre prendre une maison qui a déjà été habitée par beaucoup et une qui ne l’a été par personne."

    " [Certains] devoirs sont conditionnels, car ils découlent d’un choix initial à quoi l’on n’était pas obligé (si le journaliste, le médecin, etc., veulent échapper aux devoirs de leurs professions, il leur suffit de n’être plus journaliste ou médecin)."

    "La vérité n’est pas due à celui qui la demande pour en faire un mauvais usage. On ne dira pas à l’homme de la Gestapo que l’on donne abri à un Résistant."

    "On pourrait analyser, suivant la méthode de Platon dans Le Sophiste, les diverses sortes d’amour, depuis l’amour-passion (érôs) jusqu’à l’amour évangélique (agapè), en passant par l’affection ou la tendresse (storgè), l’amitié simple (philia), l’amour d’amitié (amor amicitiae), l’amour raisonnable (ou l’érôs se plie à la raison, comme chez Corneille), etc. La forme d’amour qui anime la vie religieuse est, dis-je, l’amour inconditionnel du «  prochain  » (ho plèsion, Matthieu, 5.43  ; Luc, 10.27), c’est-à-dire de l’autrui quelconque, fût-il l’ennemi. Socrate a pratiqué l’amour du «  prochain  » dans les rues d’Athènes (cf. philô, «  j’aime  », Apologie, 29 d), s’attachant à chaque citoyen rencontré pour le rendre meilleur. C’était dans le cadre restreint de la Cité. Jésus a donné à ce même amour une extension universelle."

    "Tout se passe, en tout cas, comme si, en Jésus, Comte laissait de côté l’homme de foi, ne retenant que la parole d’amour."

    "Il n’y a pas de causalité concevable du spirituel au matériel. [...]
    Du reste, comment pourrait-on, à partir de Dieu comme Cause, expliquer le monde, puisque, si le monde était tout différent, si par exemple la Terre avait trois satellites, on invoquerait toujours le même Dieu. Une cause qui reste la même pour des effets qui diffèrent l’un de l’autre, n’en explique aucun."

    "Un argument n’est pas une preuve. On s’incline nécessairement devant une preuve, mais l’on est maître de la force que l’on accorde à un argument."

    "Il faudrait : abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, de la femme par l’homme, de l’enfant par l’adulte, des ex-colonisés par les ex-colonisateurs ; et un juste partage des richesses, l’accès de tous à l’eau potable, à l’air non pollué, à l’alimentation suffisante, à la préservation de la santé ; et puis l’alphabétisation et l’accès de tous à la culture, enfin le refus de la guerre et, en général, de la violence. Le grand et principal obstacle à tout cela est le capitalisme, gouverné par l’idée de profit et par la conception de l’entreprise comme ayant pour finalité le profit, et non le service des hommes."

    "La philosophie doit se définir seulement comme recherche de la Vérité au sujet du réel dans son ensemble, du Tout de ce qu’il y a, étant entendu que l’on parviendra seulement à une semblance de Vérité, puisqu’on ne pourra pas la démontrer. Avec le naturalisme, je pense atteindre la Vérité (absolue) au sujet du Tout de la réalité, mais je ne dirai pas que j’en ai un « savoir » ou une « connaissance » : la métaphysique n’est pas une science."

    "Tout en reconnaissant que la philosophie requiert, comme condition de son exercice, une certaine sagesse de vie, je n’ai pas vu en elle une « manière de vivre » — ce qui serait la réduire à une sagesse. Il est plus difficile d’être un philosophe, c’est-à-dire un amoureux inconditionnel de la vérité, que d’être un sage. Les hommes du commun savent, en général, comment vivre, sans avoir besoin des leçons de la philosophie (les amoureux savent même être heureux sans elle !). Ils ont leur sagesse — et, si l’on veut, une sorte de « philosophie » spontanée. Je vois, chez les paysans, les artisans, la sagesse fort répandue, même si elle est souvent obtenue au prix de l’occultation de la vérité. Les sagesses philosophiques de haut vol, dont chacune se fonde sur une métaphysique originale (telles celles d’Héraclite, de Spinoza), ne sont pas pour l’homme du commun."

    "La philosophie analytique réduit la philosophie à une analyse du langage. Je ne conteste pas qu’il soit nécessaire de savoir parler de façon cohérente avec des mots signifiants, mais c’est là une condition nécessaire de la philosophie, non une condition suffisante. Le sens de la métaphysique est de parler de ce qu’il y a, de la réalité, du Tout de la réalité. Autrement, ce n’est pas de la métaphysique ; c’est peut-être de la logique, mais la logique n’est qu’un préliminaire à la métaphysique."

    "À celui qui conteste le bien-fondé de la morale universelle, je demande seulement d’accepter le dialogue. Supposons, par exemple, que je rencontre un raciste, qui considère mon origine comme inférieure. Ou bien il refuse le dialogue : c’est donc un violent, il ne peut être philosophe ; il ne peut fonder sa doctrine raciste, il ne peut que détruire. Ou bien il accepte le dialogue, et, par ce dialogue même, il renie sa thèse raciste : en me parlant et m’écoutant, il me considère comme un être humain aussi libre et raisonnable que lui.
    [...] La morale est alors reconnue implicitement dans le fait du dialogue. L’autre est reconnu comme notre égal, en tant que sujet raisonnable : c’est ce qui est impliqué dans le fait du dialogue avec l’autre.
    [...] Il faut distinguer le fait et le droit. Autrui peut être aliéné, mais il est en droit raisonnable. Et il en va de même pour l’enfant qui ne peut encore parler."

    "Le bonheur n’est pas le but de la recherche [philosophique]. Au cours de la recherche, le bonheur vient éventuellement par surcroît."

    "Chez Descartes, nous n’avons pas affaire aux choses elles-mêmes, mais à nos représentations des choses — ce qu’il appelle en fait « idées ». Descartes doit alors démontrer que les choses existent, qu’il n’y a pas que nos représentations. Or, il n’y parvient que grâce à l’idée de Dieu et à la garantie divine quant à la véracité des idées claires et distinctes. Dès lors, la démonstration tombe si on lâche l’idée de Dieu, et à ce moment-là nous n’avons plus que des représentations."

    "Tous les êtres finis passent, mais tout ne passe pas. Ce qui ne passe pas, c’est que tout passe : le devenir lui-même ne passe pas. Héraclite dit : Panta rhei, « tout s’écoule ». Mais tout s’écoule éternellement, donc il y a de l’éternel, il y a ce qui est toujours là, et ce qui est toujours là ce n’est ni vous ni moi, ni les arbres ni les fleurs, ni les montagnes ni les rivières, ni le soleil ni la lune, mais c’est la Nature."

    "L’univers du big-bang n’est pas l’Univers ; ce n’est qu’un modèle construit par les astronomes et astrophysiciens, sur la base de leurs observations à partir de la Terre, avec des yeux et des instruments, à un moment donné. Il est très possible que cet univers du big-bang ne soit qu’extrêmement peu de chose dans l’Univers. Certains astrophysiciens l’ont reconnu. De toute façon, cette notion d’univers du big-bang n’est qu’une notion scientifique. Chez les Épicuriens, il y a la notion philosophique de l’Univers, pensé par eux comme étant le tout, quantitativement, en tant qu’immensité spatiale et temporelle. L’Univers est peuplé de mondes innombrables, mais n’est lui-même qu’une somme purement quantitative. En restant à cette notion de l’Univers, les Épicuriens méconnaissent la Nature comme Phusis, en tant qu’elle fait l’unité dynamique de toutes choses. Là, il faut remonter aux Antésocratiques. Anaximandre avait déjà découvert le trait fondamental de la Nature comme Phusis : ce trait fondamental est le caractère d’être infinie : l’apeiron."

    "Les Antésocratiques se sont mutuellement complétés dans leur analyse de la Nature. D’abord, Anaximandre a reconnu la Nature comme infinie (apeiron). Ensuite, Héraclite l’a reconnue comme changement perpétuel ; puis Parménide comme l’Être, en ce sens que la Nature est ce qui demeure, ce qui véritablement est, ce qui est éternel. Empédocle a reconnu l’idée de cycle. Pythagore a reconnu que la Nature enveloppe le nombre — « toutes les choses sont des nombres » —, et donc la présence en elle de l’harmonie. Anaxagore a reconnu dans la Nature la diversité infinie et irréductible ; Démocrite, la multiplicité. Ainsi, les penseurs antésocratiques ont reconnu la Nature sous des aspects différents et plutôt complémentaires."

    "Comme Nietzsche, [Montaigne] estime que c’est avec les Grecs que l’humanité atteint son sommet. Il y a Socrate, bien sûr, qui libère les Athéniens de leurs opinions fausses. Mais il y a aussi Épaminondas, confronté aux horreurs de la guerre. En le choisissant comme modèle de vertu, Montaigne rappelle à ses contemporains, aux catholiques comme aux protestants, que ce qui passe avant tout, avant les différences sociales, religieuses, ou les honneurs, c’est leur humanité commune."

    "Avant de faire la connaissance, en 1964, de mon ami Éric Weil, auteur d’un grand livre d’inspiration hégélienne, Logique de la philosophie, j’avais eu un maître, Jean Wahl [...] Wahl m’a initié à l’histoire de la pensée allemande. À son cours en Sorbonne, étaient avec moi François Châtelet, Michel Butor, René Schérer, Gilles Deleuze, que j’admirais beaucoup en ce temps-là. Nous nous retrouvions au cours sur Spinoza de Martial Gueroult, le maître incontesté. Je me souviens d’avoir expliqué la proposition 11 du livre I de l’Éthique. Gueroult avait la droiture de l’idéaliste sans la rigidité. Il était notre Heidegger à nous : pourtant, le livre qui fait le pendant de Sein und Zeit, Philosophie de l’histoire de la philosophie, ne fut publié qu’en 1979, trois ans après sa mort. Maître assistant à la faculté de Lille, en 1969, je reçois dans le train Paris-Lille un télégramme — on recevait alors des télégrammes dans le train — d’un ami, Robert Misrahi, avec qui je n’avais pas eu de relation depuis dix-neuf ans. Il m’annonce qu’un poste à la Sorbonne est libre. Je fus élu. Avec Pierre Macherey et Françoise Dastur, je fis d’abord partie de l’« équipe » d’Yvon Belaval, avant de devenir moi-même responsable de l’UV de métaphysique, en qualité de professeur."

    "Je déplore qu’avec la philosophie analytique et la phénoménologie, plus ou moins dominantes, la métaphysique ait peu de place dans la philosophie universitaire d’aujourd’hui."

    "Le refus du dialogue est une violence, et la violence n’est pas une attitude philosophique. Or, le problème du fondement de la morale est un problème pour philosophe."
    -Marcel Conche, Métaphysique, Paris, PUF, 2012.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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