http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k112903w.r=1889+exposition+universelle.langFR
"Comment a-t-il pu se faire qu'une conception aussi généreuse, aussi réellement émancipatrice que l'idée individualiste, ait été violemment, et presque victorieusement combattue ? Le livre qu'on va lire n'avait pour objet, dans l'esprit de l'auteur, que de répondre à cette question.
Pour y répondre, il a fallu retracer l'histoire de la réaction contre les principes de la Révolution française." (p.V)
"[L'armée et l'impôt] ces deux moyens par excellence de domination au dehors et au dedans, ont constitué, durant des siècles, le principal souci des princes, et comme la pièce maîtresse de la politique." (p.5)
"Selon Bossuet [...] aucun excès de pouvoir, pour démesuré qu'il soit, ne justifie le recours du peuple à la force, et que l'unique remède offert aux maux des citoyens, "en quelque nombre qu'ils soient", c'est "les prières et la patience contre la puissance publique"." (p.7)
"Il faut convenir que Voltaire n'est ni révolutionnaire, ni démocrate, ni même libéral. Jamais il n'a réclamé la subversion de l'ordre social, un renversement des situations acquises, le nivellement des conditions. Que la procédure criminelle soit changée, que le philosophe, le bel esprit puisse penser, écrire, parler et se mouvoir en toute indépendance: Voltaire n'en demandera pas davantage pour s’accommoder de la société de son temps." (p.12)
"Ses héros sont, on le sait, Louis XIV, Frédéric II, Catherine de Russie. S'il y a quelque chose de frappant dans les Lettres sur les Anglais, c'est le peu de place que l'écrivain y accorde à l'étude des institutions parlementaires." (p.13)
"Le Système social, trop déprécié, contient une exposition magistrale, dont les utilitaires anglais ont par la suite largement tiré parti. Les imitateurs français de ces philosophes ne se sont pas aperçus que leurs maîtres n'avaient été eux-mêmes que les élèves ou les plagiaires de la pensée française du XVIIIe siècle." (p.15)
"Les idées politiques de Hume s'ajustent singulièrement à celles de Voltaire: scepticisme, conformisme, tendance à favoriser le développement du pouvoir absolu." (p.22)
"La tendance de Hume à faire intervenir l'Etat dans les relations économiques a été justement notée par Espinas, Histoire des doctrines économiques." (note 1 p.24)
"La théorie du despotisme éclairé, de la monarchie paternelle, ou, pour employer l'expression des techniciens allemands, de 'l'Etat de police", règne ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, en Allemagne comme en Écosse, en Italie comme en France. Elle se maintient en France, jusqu'aux approches de la Révolution, et elle subsiste encore aujourd'hui, si, comme nous le pensons, le socialisme d'Etat n'en est que la formule modernisée." (p.26)
"Faute d'avoir senti, compris et proclamé l'égalité absolue des personnes, les théoriciens du despotisme éclairé en ont été réduit à appuyer de très sages conseils sur de très médiocres arguments. Ils ont incité les princes à se montrer justes, humains, généreux, mais cela surtout dans leur intérêt propre, pour écarter les chances de révolution en se faisant aimer. Ils ont incité les princes à instruire leurs sujets et à les assister matériellement, mais cela surtout pour rendre l'Etat plus puissant, plus prospère. Les réformes les meilleures, ils les réclament, en définitive, "dans l'intérêt de l'Etat". Ils n'ont pas entièrement renoncé à l'idée que l'Etat doit, premièrement, accroître sa puissance, le reste venant par surcroît." (p.29)
"En réaction à la fois contre la théorie du despotisme éclairé, et contre la théorie de l'Etat telle que le XVIIe siècle l'avait comprise, se produit le mouvement individualiste, qui est l'un des traits originaux par lesquels le XVIIIe siècle marque dans l'histoire.
Européen, comme l'a été la théorie du despotisme éclairé, et même plus européen, le mouvement individualiste a, en outre, des aspects multiples. Il est, au même titre, dans la notion de la liberté politique, exposée par Montesquieu ; dans celle de la souveraineté du peuple, exposée par Rousseau et ses imitateurs anglais ; dans la philosophie du droit de Rousseau et de Condorcet, de Kant et de Fichte ; dans l'idée de la liberté économique d'Adam Smith ; enfin, dans les revendications des pionniers de la Révolution d'Amérique en faveur de l'absolue autonomie de la conscience religieuse." (p.30)
"Les soldats de Cromwell songèrent à introduire dans l'Etat la démocratie, la souveraineté du peuple, et surtout la notion de l'autonomie individuelle.
Le pacte populaire de 1647 demeurera à l'état de projet." (p.31)
"Les chapitres XI, XII, XIII du livre XII de l'Esprit des Lois contiennent l'affirmation de la liberté de penser, de parler et d'écrire. Il ne faut pas oublier, toutefois, que Montesquieu pose des limites à ces diverses libertés, et ne va pas, par exemple, jusqu'à tolérer la liberté des cultes." (note 1 p.35)
"Rousseau se propose donc, avant tout, dans le Contrat social, de rétablir la vraie notion de souveraineté méconnue, défigurée par Montesquieu." (p.37)
"Condorcet est d'avis [...] qu'en abaissant, en ruinant la noblesse, la royauté a rendu un service signalé à la nation. [...] Une Constitution vraiment libre doit attribuer au peuple la souveraineté [...] C'est le cas de la Constitution française, et la raison de sa supériorité éclatante sur la Constitution anglaise." (p.46)
"Le citoyen consent d'avance à se lier au voeu de la majorité, mais à une condition: c'est que jamais la majorité "ne blesse les droits individuels après les avoir reconnus"." (p.47)
"[Pour Fichte] le droit du fils à hériter de son père, le citoyen l'obtient en échange d'un droit naturel aliénable et aliéné: celui "d'hériter de tout mort". L'individu est donc quitte envers l'Etat, même quand l'Etat lui garantit l'héritage paternel." (p.54)
"La tendance de l'Etat, dont le domaine est renfermé dans les limites les plus étroites, est de transgresser ces limites, d'envahir le champ des contrats en général, celui de droit naturel, celui de la conscience.
Viennent alors des pages éloquentes où Fichte proteste contre cette tendance, et réduit impitoyablement la part de l'Etat. Chacun a le droit de sortir de l'Etat, et de former des Etats dans l'Etat. Il n'est pas jusqu'aux obligations les plus simples, et en apparence les plus irréductibles de la vie civile, dont l'individu ne puisse s'affranchir par un acte de volonté et d'inspiration libre. On comprend que Fichte ait donné quelque part pour but à tout gouvernement "de rendre le gouvernement superflu"." (p.55)
-Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et politique en France depuis la Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896, 666 pages.
"Diplômé de l'École normale supérieure, professeur de philosophie, publiciste aux Cahiers de la Quinzaine et chroniqueur au journal Le Temps, Henry Michel (1857-1904) soutient, en 1894, une thèse intitulée L'Idée de l'État : Essai critique sur l'histoire des théories sociales et politiques en France depuis la Révolution (Fayard, 2003). Éditée chez Hachette, en 1895, elle lui permet de devenir chargé de cours sur l'histoire des doctrines dans le monde littéraire. Henry Michel s'appuie explicitement sur les principes philosophiques du néo-criticisme fondé au milieu du siècle par Charles Renouvier."
"Comment a-t-il pu se faire qu'une conception aussi généreuse, aussi réellement émancipatrice que l'idée individualiste, ait été violemment, et presque victorieusement combattue ? Le livre qu'on va lire n'avait pour objet, dans l'esprit de l'auteur, que de répondre à cette question.
Pour y répondre, il a fallu retracer l'histoire de la réaction contre les principes de la Révolution française." (p.V)
"[L'armée et l'impôt] ces deux moyens par excellence de domination au dehors et au dedans, ont constitué, durant des siècles, le principal souci des princes, et comme la pièce maîtresse de la politique." (p.5)
"Selon Bossuet [...] aucun excès de pouvoir, pour démesuré qu'il soit, ne justifie le recours du peuple à la force, et que l'unique remède offert aux maux des citoyens, "en quelque nombre qu'ils soient", c'est "les prières et la patience contre la puissance publique"." (p.7)
"Il faut convenir que Voltaire n'est ni révolutionnaire, ni démocrate, ni même libéral. Jamais il n'a réclamé la subversion de l'ordre social, un renversement des situations acquises, le nivellement des conditions. Que la procédure criminelle soit changée, que le philosophe, le bel esprit puisse penser, écrire, parler et se mouvoir en toute indépendance: Voltaire n'en demandera pas davantage pour s’accommoder de la société de son temps." (p.12)
"Ses héros sont, on le sait, Louis XIV, Frédéric II, Catherine de Russie. S'il y a quelque chose de frappant dans les Lettres sur les Anglais, c'est le peu de place que l'écrivain y accorde à l'étude des institutions parlementaires." (p.13)
"Le Système social, trop déprécié, contient une exposition magistrale, dont les utilitaires anglais ont par la suite largement tiré parti. Les imitateurs français de ces philosophes ne se sont pas aperçus que leurs maîtres n'avaient été eux-mêmes que les élèves ou les plagiaires de la pensée française du XVIIIe siècle." (p.15)
"Les idées politiques de Hume s'ajustent singulièrement à celles de Voltaire: scepticisme, conformisme, tendance à favoriser le développement du pouvoir absolu." (p.22)
"La tendance de Hume à faire intervenir l'Etat dans les relations économiques a été justement notée par Espinas, Histoire des doctrines économiques." (note 1 p.24)
"La théorie du despotisme éclairé, de la monarchie paternelle, ou, pour employer l'expression des techniciens allemands, de 'l'Etat de police", règne ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, en Allemagne comme en Écosse, en Italie comme en France. Elle se maintient en France, jusqu'aux approches de la Révolution, et elle subsiste encore aujourd'hui, si, comme nous le pensons, le socialisme d'Etat n'en est que la formule modernisée." (p.26)
"Faute d'avoir senti, compris et proclamé l'égalité absolue des personnes, les théoriciens du despotisme éclairé en ont été réduit à appuyer de très sages conseils sur de très médiocres arguments. Ils ont incité les princes à se montrer justes, humains, généreux, mais cela surtout dans leur intérêt propre, pour écarter les chances de révolution en se faisant aimer. Ils ont incité les princes à instruire leurs sujets et à les assister matériellement, mais cela surtout pour rendre l'Etat plus puissant, plus prospère. Les réformes les meilleures, ils les réclament, en définitive, "dans l'intérêt de l'Etat". Ils n'ont pas entièrement renoncé à l'idée que l'Etat doit, premièrement, accroître sa puissance, le reste venant par surcroît." (p.29)
"En réaction à la fois contre la théorie du despotisme éclairé, et contre la théorie de l'Etat telle que le XVIIe siècle l'avait comprise, se produit le mouvement individualiste, qui est l'un des traits originaux par lesquels le XVIIIe siècle marque dans l'histoire.
Européen, comme l'a été la théorie du despotisme éclairé, et même plus européen, le mouvement individualiste a, en outre, des aspects multiples. Il est, au même titre, dans la notion de la liberté politique, exposée par Montesquieu ; dans celle de la souveraineté du peuple, exposée par Rousseau et ses imitateurs anglais ; dans la philosophie du droit de Rousseau et de Condorcet, de Kant et de Fichte ; dans l'idée de la liberté économique d'Adam Smith ; enfin, dans les revendications des pionniers de la Révolution d'Amérique en faveur de l'absolue autonomie de la conscience religieuse." (p.30)
"Les soldats de Cromwell songèrent à introduire dans l'Etat la démocratie, la souveraineté du peuple, et surtout la notion de l'autonomie individuelle.
Le pacte populaire de 1647 demeurera à l'état de projet." (p.31)
"Les chapitres XI, XII, XIII du livre XII de l'Esprit des Lois contiennent l'affirmation de la liberté de penser, de parler et d'écrire. Il ne faut pas oublier, toutefois, que Montesquieu pose des limites à ces diverses libertés, et ne va pas, par exemple, jusqu'à tolérer la liberté des cultes." (note 1 p.35)
"Rousseau se propose donc, avant tout, dans le Contrat social, de rétablir la vraie notion de souveraineté méconnue, défigurée par Montesquieu." (p.37)
"Condorcet est d'avis [...] qu'en abaissant, en ruinant la noblesse, la royauté a rendu un service signalé à la nation. [...] Une Constitution vraiment libre doit attribuer au peuple la souveraineté [...] C'est le cas de la Constitution française, et la raison de sa supériorité éclatante sur la Constitution anglaise." (p.46)
"Le citoyen consent d'avance à se lier au voeu de la majorité, mais à une condition: c'est que jamais la majorité "ne blesse les droits individuels après les avoir reconnus"." (p.47)
"[Pour Fichte] le droit du fils à hériter de son père, le citoyen l'obtient en échange d'un droit naturel aliénable et aliéné: celui "d'hériter de tout mort". L'individu est donc quitte envers l'Etat, même quand l'Etat lui garantit l'héritage paternel." (p.54)
"La tendance de l'Etat, dont le domaine est renfermé dans les limites les plus étroites, est de transgresser ces limites, d'envahir le champ des contrats en général, celui de droit naturel, celui de la conscience.
Viennent alors des pages éloquentes où Fichte proteste contre cette tendance, et réduit impitoyablement la part de l'Etat. Chacun a le droit de sortir de l'Etat, et de former des Etats dans l'Etat. Il n'est pas jusqu'aux obligations les plus simples, et en apparence les plus irréductibles de la vie civile, dont l'individu ne puisse s'affranchir par un acte de volonté et d'inspiration libre. On comprend que Fichte ait donné quelque part pour but à tout gouvernement "de rendre le gouvernement superflu"." (p.55)
-Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et politique en France depuis la Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896, 666 pages.
"Diplômé de l'École normale supérieure, professeur de philosophie, publiciste aux Cahiers de la Quinzaine et chroniqueur au journal Le Temps, Henry Michel (1857-1904) soutient, en 1894, une thèse intitulée L'Idée de l'État : Essai critique sur l'histoire des théories sociales et politiques en France depuis la Révolution (Fayard, 2003). Éditée chez Hachette, en 1895, elle lui permet de devenir chargé de cours sur l'histoire des doctrines dans le monde littéraire. Henry Michel s'appuie explicitement sur les principes philosophiques du néo-criticisme fondé au milieu du siècle par Charles Renouvier."