"L'historien n'a pas à disculper Fichte d'être l'un des fondateurs de l'unité allemande, d'avoir, à une époque tragique pour son pays, suscité le réveil national et incarné la foi patriotique ; il n'a pas à méconnaître le rôle joué par Fichte de 1806 à 1813, à nier qu'il fut un grand Allemand.
Mais cet ouvrage montrera, pensons-nous, par la simple exposition des faits et par la production des textes, éclairés par les circonstances de sa vie et de sa carrière, que l'attitude et l'intention de Fichte ont été très différentes de celles que lui ont prêtées la plupart de ses compatriotes.
Dès sa jeunesse et jusqu'à sa mort Fichte a été et est resté, en Allemagne, le disciple et l'apôtre fervent de l'Idéal proclamé par la Révolution française- c'est le fait qui sera, croyons-nous, difficilement contestable après la lecture de cet ouvrage.
Il est vrai qu'il emprunte à Schelling et aux Romantiques, pour en faire le leitmotiv de ses Discours, l'idée du messianisme du peuple allemand dont les origines remontent à Herder, à Lessing, à Klopstock, loin qu'on puisse lui en attribuer la paternité, mais Fichte réprouve l'usage que rêvent d'en faire ses anciens disciples : un instrument de la réaction catholique, autoritaire et nationaliste, contre l'humanitarisme libertaire de la Révolution française. Il leur emprunte l'idée -suivant la coutume de sa polémique- mais pour combattre les tendances qu'ils incarnent. La mission du peuple allemand, l' "allemanité" dont Fichte prétend faire le ciment de l'unité nationale, c'est une mission démocratique et libératrice, une mission d'humanité : la restauration du « protestantisme politique de la Révolution française.
Pour justifier son nouvel apostolat, Fichte invoque encore et constamment -ses derniers écrits politiques en font foi- sa fidélité aux principes qui avaient enchanté son jeune âge et déterminé sa vocation. Il prétend que les princes de l'Allemagne, devenus complices de l'impérialisme napoléonien, avaient abdiqué la fonction civilisatrice de l' Allemand; dans sa ferveur de patriote et de démocrate tout à la fois, remontant aux origines et s'appuyant aux vieilles légendes remises en honneur par le siècle, il en appelle de la carence des princes au verdict du peuple allemand lui-même, comme au défenseur-né de la liberté contre le despotisme.
Le verdict a été rendu et la confiance de Fichte trompée. L'histoire a de singuliers recommencements : l'ivresse de la domination universelle est probablement une maladie des peuples à l'apogée de leur croissance. L'Allemagne n'a pas échappé à la contamination, et Fichte, en inculquant au peuple allemand l'orgueil de sa mission divine, a sans doute favorisé ce "diabolisme" qu'il avait si rudement stigmatisé chez Napoléon. On pourrait, mutatis mutandis, appliquer à l'Allemagne, de 1914 à 1918, presque tout ce que dénonce Fichte, de 1806 à 1813, en visant la France impériale.
Le peuple que Fichte croyait né pour affranchir le monde lui a infligé un sanglant désaveu. Il a réalisé scientifiquement la plus satanique des machineries qu'ait jamais enfantées le cerveau humain pour assurer l'esclavage des peuples et la conquête de l'univers.
Et ce sont encore les Français qui, comme au souvenir et à l'appel de leurs ancêtres de la Révolution, se sont trouvés les porteurs du flambeau sacré : sans pédanterie, ils se sont spontanément levés d'un seul élan pour repousser l'agresseur de leur patrie et, devant l'univers oppressé, ils ont, une fois de plus, symbolisé la liberté en péril, la liberté triomphante ; ils ont, une fois de plus, été, par leur victoire, les annonciateurs d'une ère nouvelle : en 1789 ils avaient donné leur vie pour la conquête des Droits de l'homme et du citoyen ; en 1914 ils ont versé le meilleur de leur sang pour la défense du Droit des peuples." (pp.XI-XIII)
"Mes recherches ont eu pour principal guide mon ami Ch. Andler. J'ai largement profité de sa vaste compétence et de son incomparable culture. Il m'a indiqué les principales sources où puiser, il m'a révélé certains documents peu connus. Je dois également beaucoup à l'affectueuse obligeance de Lucien Herr, dont l'esprit critique et encyclopédique m'a été maintes fois secourable.
Après l'appui de ceux qui ont aidé à l'éclosion du livre, je tiens pour particulièrement précieux le dévouement de trois amis dont les conseils m'ont permis d'en parfaire la forme: Victor Delbos d'abord, puis Élie Halévy et Léon Brunschvicg. Je n'oublie pas enfin ceux qui ont accepté la tâche ingrate de revoir conjointement avec moi les épreuves: E. Chartier, Gabriel Marcel, E. Meyerson." (p.XV)
"Il est arrivé pour Fichte ce qui arrive souvent pour les penseurs vraiment originaux ; ils sont en avance sur leur siècle ; et beaucoup des idées de Fichte répondent aux besoins qui nous travaillent aujourd'hui." (p.1)
-Xavier Léon, Fichte et son Temps, tome I - Établissement et Prédication de la Doctrine de la Liberté, Paris, Armand Colin, 1922, 649 pages.
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-Xavier Léon, Fichte et son Temps II,