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    Arnaud Huc, « FN du Nord contre FN du Sud ? Analyse sociogéographique des électorats Le Pen en 2017 »

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Arnaud Huc, « FN du Nord contre FN du Sud ? Analyse sociogéographique des électorats Le Pen en 2017 » Empty Arnaud Huc, « FN du Nord contre FN du Sud ? Analyse sociogéographique des électorats Le Pen en 2017 »

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 1 Juil - 9:27

    « Il y a bien un vote FN plus élevé entre l’urbain et le rural, dans un « tiers-espace » à la sociologie relativement singulière. Les classes populaires, qui sont loin d’être sa composition exclusive, y sont particulièrement présentes. Mais ce monde social n’est ni homogène ni par nature acquis aux thèses du FN. Il faut considérer le périurbain comme un espace doublement diversifié en termes électoraux et socio-urbanistiques, et ainsi critiquer une forme d’essentialisme géographique, en termes de distance ou de localisation métropolitaine. En effet, pour certains, parmi lesquels Christophe Guilluy, une « fracture géographique » cliverait l’espace politique français en deux : d’un côté une urbanité triomphante, mondialisée et acquise aux candidats modérés ; de l’autre, une « extra-urbanité » habitée par les perdants de la mondialisation, exclus du centre urbain et préférant les candidats populistes. Pourtant, il existe bien un vote FN des villes numériquement très important, ce vote n’étant pas nécessairement celui des zones urbaines défavorisées. »

    « [Laurent Chalard] différencie deux périurbains : l’un « subi », situé en deuxième ou troisième couronne et habité par des personnes aux revenus moyens ou modestes ; l’autre « choisi », habité par une population plus aisée. Le premier est le cadre d’un vote frontiste bien plus élevé que la moyenne. Quant au second, il reste assez imperméable à ce vote et est plus orienté vers un vote de droite classique. Cette distinction est utile car elle confirme que le périurbain n’est pas par nature fatalement orienté vers l’extrême droite [contrairement à ce que suggèrent Hervé Le Bras, Emmanuel Todd, 2013]. Pourtant, elle reste trop schématique pour rendre compte de la diversité du périurbain considéré comme « non choisi ». »

    "L. Chalard laisse entendre que les habitants du périurbain subi, contraints dans leur achat de pavillon, subissent leur déplacement. Or l’accession à la propriété, même si elle s’inscrit dans une pression sociale, demeure un choix conscient. La seconde difficulté est empirique. La distinction opérée réunit en un même ensemble des personnes qui subissent réellement la vie périurbaine, car elles ne peuvent la quitter faute de moyens financiers, et d’autres qui ont au contraire décidé de s’y installer. On s’attendrait à observer dans le périurbain « subi » une seule structure sociologique menant au FN : un périurbain « petit-moyen » typique du sud de la France. Or ce n’est pas le cas. Dans cet univers périurbain non choisi nous sommes confrontés à des espaces aussi dissemblables que le centre-ville le serait d’une banlieue défavorisée, tous deux pourtant intégrés dans ce qu’on appelle l’urbanité . Plutôt que deux types binaires, ce sont trois types d’habitats périurbains pavillonnaires qui se dévoilent lorsqu’on étudie cet espace : le périurbain choisi, le périurbain contraint et le périurbain subi."

    "Ces deux derniers types de périurbains seront le cadre de cette étude. Certaines de leurs caractéristiques sont semblables : la composition pavillonnaire des espaces, leur emplacement relativement éloigné des grands centres urbains et le fort vote frontiste en leur sein. Cependant, ils représentent en réalité des espaces distincts, voire opposés. Si le vote FN y est important, la sociologie de ces électeurs diverge. 

    La distinction de ces deux espaces périurbains permet ainsi de soulever la question de la structure de l’électorat frontiste et son hypothétique dualité. L’ambition de cette différenciation est double. Elle cherche d’une part à affiner la connaissance que nous avons de la sociologie de cet électorat. La territorialisation est ici conçue comme une variable en soi. D’autre part, elle met à l’épreuve une hypothèse diffuse qui opposerait un Front national du Nord à un Front national du Sud. Ici, la territorialisation est conçue comme un levier d’approfondissement sociologique.

    Notre intuition est qu’une vision simplement verticale de la sociologie électorale ne suffit pas à comprendre les ressorts du vote FN. Si l’électorat frontiste est diversifié, mobilisant notamment ouvriers, rien ne dit que ces populations votant pour le FN sont équitablement présentes et dans les mêmes proportions sur tout le territoire. Il existe donc des caractéristiques propres à certains territoires permettant d’expliquer ces écarts sociologiques entre les différents départements."

    "Si tous les périurbains ne sont pas favorables au FN, loin s’en faut, les périurbains acquis à Marine Le Pen présentent-ils pour autant tous un même visage ? Nous défendons dans cet article que rien n’est moins sûr, et qu’il existe deux périphéries, deux espaces périurbains très différents qui, pour des raisons opposées, peuvent être le cadre d’un fort vote FN. La composition de l’électorat frontiste dans ces espaces diffère radicalement : nous pouvons distinguer un électorat populaire dans le Nord et un électorat composé de classes moyennes dans le sud de la France. Ces deux électorats se différencient non seulement en termes sociologiques mais aussi urbains. Les classes populaires, voire précaires, qui habitent les espaces périurbains dégradés dans le nord de la France, sans possibilité de les quitter, ne peuvent donc être traitées de la même façon que les classes populaires « néo-propriétaires » du sud de la France. Ces dernières, en ascension sociale, habitent des espaces périurbains certes modestes et contraignants, mais qui restent choisis."

    "Par néo-propriétaire, nous entendons une personne vivant dans une maison ayant constitué sa première acquisition de propriété."

    "La spécificité des deux idéaux-types électoraux que nous esquissons tient dans le fait qu’ils représentent une part particulièrement importante des électeurs de M. Le Pen. Cette dualité ne tombe par ailleurs pas dans l’explication parfois trop rapide d’une classe populaire autrefois de gauche qui aurait basculé vers le FN [Pascal Perrineau, 1995] . Elle permet ainsi de rendre compte des raisons du vote FN d’une partie des classes populaires précarisées sans tomber dans l’écueil d’une classe populaire unanimement raciste et en sécession. Ces deux idéaux-types sont aussi bien sociologiques qu’idéologiques. Ils renvoient en effet aux clivages programmatiques qui ont agité l’encadrement du FN entre 2011 et 2017, provisoirement résolus par le départ de Florian Philippot en 2017."

    "Nous avons sélectionné deux régions : Hauts-de-France et PACA. Toutes deux sont des bastions du FN depuis les années 1980 pour l’une, plus récemment pour l’autre. Elles ont également été les deux territoires les plus favorables à ce parti tant en 2012 qu’en 2017. Ces régions constituent ainsi d’excellents objets d’analyse dans l’étude de l’électorat du FN. De surcroît, elles correspondent aux deux pôles idéologiques du FN tels que présentés dans les médias : le Nord étant considéré comme le terreau d’un FN social et le Sud-Est comme celui d’un FN identitaire."

    "Au sein de ces deux régions, nous nous sommes intéressés à deux départements eux-mêmes favorables au FN : le Pas-de-Calais et les Bouches-du-Rhône. Ils représentent deux points d’ancrage forts de ce parti (bastion de Hénin-Beaumont, ancien bastion de Vitrolles) et sont le cœur des deux lignes idéologiques en concurrence depuis 2011. Pour terminer, nous avons effectué un zoom dans quatre villes périurbaines populaires et anciennement industrielles de ces deux départements afin de confronter nos résultats statistiques à la réalité de l’espace périurbain. Les villes sélectionnées sont Bully-les-Mines et Grenay dans le Pas-de-Calais, Fos-sur-Mer et Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône. Ces quatre villes partagent une histoire industrielle, un positionnement éloigné de la métropole voisine, un habitat majoritairement pavillonnaire, une sociologie populaire et un vote FN élevé malgré des municipalités de gauche."

    "Les villes de PACA, à la différence de celles des départements septentrionaux, ont tendance à présenter davantage de facteurs de périurbanité [...] et ont donc une part de personnes allant au travail en transports en commun ou à pied faible et un pourcentage d’entreprises de construction élevé. Les villes des Hauts-de-France ont, quant à elles, tendance à se situer au centre du quadrant, mais plutôt dans la moitié inférieure. Cela révèle des espaces davantage populaires, mais non nécessairement périurbains. On en déduit ainsi que les caractéristiques des villes à fort vote FN sont différentes en PACA et dans les Hauts-de-France."

    "La ville type FN semble répondre à l’image que la littérature scientifique se fait d’elle : périurbaine, familiale, démographiquement dynamique, mais regroupant de nombreuses personnes peu diplômées. Elle semble incarner l’idéal-type de la ville périurbaine pavillonnaire. Dans ces communes, il existe une grande proportion de « classes populaires propriétaires » et de « petites classes moyennes » (Bouches-du-Rhône) ou de « classes populaires précarisées » (Pas-de-Calais) [...] les communes de PACA peuvent être tant populaires que davantage bourgeoises, mais présentent quasiment toutes un fort niveau de périurbanité. Les communes des Hauts-de-France sont, elles, quasiment toutes habitées par des populations plus pauvres, mais peuvent présenter des facteurs d’urbanité plus élevés. Cette non-homogénéité nous permet de confirmer l’hypothèse d’une structure urbaine, mais aussi sociologique, des villes favorables au FN pouvant être différentes selon la région étudiée."

    "Ce vote est dans les Hauts-de-France plus fort dans les villes où le nombre de maisons construites avant 1945 (et vétustes) est grand. En revanche, dans le sud de la France ce vote se concentre dans les villes où la part d’habitations récentes est importante. [...] Certes, le dynamisme démographique de ces deux régions est différent : la région PACA est en croissance démographique (et urbaine) depuis des décennies alors que les Hauts-de-France sont une terre d’émigration."

    "Le vote frontiste dans les communes des Hauts-de-France se concentre dans les villes les plus pauvres de cette région, c’est-à-dire celles où le pourcentage de ménages imposables est le plus faible et où les maisons sont les plus anciennes. On peut faire l’hypothèse que ce vote sera important parmi les populations les plus précaires de ces villes. À ces communes pauvres s’opposent les communes favorables au FN de la région PACA. Ces dernières sont situées dans la moyenne, voire la moyenne haute, en termes de pourcentage de ménages imposés. Elles ne sont ni particulièrement pauvres, ni spécialement riches et semblent correspondre à la description classique de l’électorat FN du sud de la France : un électorat des petites classes moyennes ou de classes populaires en ascension sociale. Cette opposition ne se limite pas au niveau de richesse et à la part de maisons récentes, mais s’observe également lorsqu’on étudie de nombreux autres indicateurs : pourcentage de ménages possédant au moins deux voitures, dispersion des revenus, coefficient de Gini, pourcentage de chômeurs de 15 à 24 ans, pourcentage de propriétaires, etc. Ces oppositions communales sont suffisamment fortes pour nous permettre d’approfondir l’hypothèse de deux électorats FN socialement contrastés."

    "Si dans les Bouches-du-Rhône, la variable d’urbanité est plus importante que la variable sociologique (B = –,587 contre B = –,495), on remarque en revanche que dans le Pas-de-Calais le niveau d’urbanité est au contraire plus marginal dans l’explication du vote FN que la sociologie majoritaire de la ville."

    « Dans le Pas-de-Calais, le vote frontiste est élevé dans les villes où peu de cadres et beaucoup de diplômés de CAP/BEP résident : des villes populaires. On remarque en revanche que certaines de ces communes se situent dans le quart inférieur droit du graphique, et présentent donc des caractéristiques urbaines. Le vote FN n’est donc pas l’apanage des seules communes périphériques mais également de centres urbains comme Lens ou encore Hénin-Beaumont. »

    "Au nord de la France et dans le Pas-de-Calais en particulier, le vote FN est avant tout un vote populaire, un vote de villes en déclin économique. Ce vote est associé à un parc immobilier vétuste et vieillissant, mais aussi à une démographie dynamique comme le montre le pourcentage de familles avec enfants sur ces espaces. Ce dynamisme démographique est néanmoins associé à une émigration d’une part importante de la jeunesse vers les métropoles voisines (Lille, Arras ou Paris). Seuls les plus précaires restent dans ces communes anciennement minières, comme nous avons pu l’observer dans le cadre de notre travail de terrain. Dans le Sud, en revanche, et particulièrement dans les Bouches-du-Rhône, le vote FN n’est pas celui des « oubliés ». Nous montrons que le vote frontiste est élevé tant dans les communes « populaires » que dans celles plus « bourgeoises », c’est-à-dire à la fois dans les villes où les hauts diplômés sont relativement nombreux et dans celles où ils sont rares. Il est de surcroît un vote des villes à la richesse économique plutôt médiane. Les communes les plus résistantes au vote FN sont ici les plus riches de la région, principalement autour d’Aix-en-Provence."

    "On pourrait penser qu’à des sociologies majoritaires différentes devraient être associés des positionnements géographiques différents des électeurs frontistes dans ces villes. La répartition du vote FN sur les quatre villes étudiées permet pourtant d’observer que ce vote tend à se concentrer dans les périphéries de ces villes elles-mêmes périphériques, c’est-à-dire dans les quartiers les moins denses et principalement occupés par des maisons individuelles. Néanmoins [...] localisation périphérique et habitat pavillonnaire ne signifient aucunement que les quartiers où résident les électeurs frontistes sont semblables.

    Ainsi, ces électorats frontistes résident dans des périphéries fondamentalement différentes, ce qui remet en cause leur homogénéité apparente lorsqu’on se limite à une étude purement spatiale de leur répartition. On distingue des quartiers extérieurs plutôt moyens, voire aisés, à Fos-sur-Mer et Port-de-Bouc, habités par des propriétaires et des travailleurs ayant des salaires suffisants pour posséder deux voitures et une maison, et des quartiers extérieurs où, à Bully-les-Mines et Grenay, est concentrée la pauvreté. Dans les villes du Pas-de-Calais, le vote FN se retrouve principalement dans des quartiers quasi exclusivement composés de maisons de mineurs en logement social. Le taux de ménages n’ayant pas de voiture y est plus élevé que dans le reste de la ville, de même que le pourcentage de personnes bénéficiant d’aides sociales. Sociologiquement, ce sont donc les populations les plus précarisées qui habitent ces espaces."

    "Dans les Bouches-du-Rhône [...] le vote FN est élevé dans les quartiers pavillonnaires, qu’ils soient proches ou non de logements sociaux. Il s’agit là d’espaces où les propriétaires sont nombreux. Les logements sont généralement récents et présentent des caractéristiques liées à la périurbanité : villas avec jardins, deux voitures par foyer, etc. À l’inverse, les quartiers qui présentent davantage de caractéristiques liées à la présence de classes populaires précaires, à l’image de celles du Pas-de-Calais, sont ceux étant les moins favorables au vote FN. À Port-de-Bouc, on constate ainsi que les bureaux de vote où les propriétaires sont les moins nombreux sont également les moins favorables au vote FN.

    La classe populaire des deux villes du Sud est ainsi bien différente de celle des communes du Nord. Il apparaît logique que dans les Bouches-du-Rhône le FN ne recrute pas ses sympathisants dans des populations précaires comprenant de nombreux descendants de l’immigration, mais auprès de personnes affirmant leurs « origines françaises » et qui sont par ailleurs, sur ces espaces, davantage dotées en capital économique. En revanche, dans un Pas-de-Calais qui depuis des années vit dans un marasme économique, conséquence de la fin de l’activité minière, le FN obtient d’excellents scores dans ce qui semble être un prolétariat composé pour beaucoup d’enfants et de petits-enfants de mineurs. Ceux-ci ont du mal à s’insérer dans la vie professionnelle. Ils sont souvent confrontés à une grande pauvreté et se sentent exclus dans leur propre ville. Ainsi, bien que les électorats FN du Sud et du Nord partagent de nombreux points communs (niveau de diplôme plutôt faible, emplois ouvriers, employés ou indépendants), il existe une opposition dont la fracture est la richesse entre les électeurs précaires du Pas-de-Calais et ceux plus aisés des Bouches-du-Rhône."

    "Dans les deux villes des Bouches-du-Rhône, les quartiers les plus favorables au vote FN sont ceux cumulant une sociologie non populaire et des facteurs de périurbanité importants. En effet, ce vote est moins fort dans les bureaux de vote situés au centre du graphique (le centre-ville ancien et les quartiers d’immeubles) que dans ceux situés en haut à droite du quadrant. À Port-de-Bouc, l’opposition est encore plus nette malgré un vote FN globalement plus faible qu’à Fos-sur-Mer. Ainsi, les quartiers les plus populaires situés dans le quadrant inférieur gauche du graphique votent largement moins FN que ceux dont les caractéristiques sont proches des bureaux de vote de Fos-sur-Mer. On remarque ainsi que Port-de-Bouc reproduit la même forme que Fos-sur-Mer, tout en étant davantage populaire et urbaine.

    À Bully-les-Mines et Grenay, on observe en revanche un positionnement opposé. Les bureaux de vote les plus favorables au FN sont quasiment tous situés dans le quart inférieur gauche du graphique. Ils présentent ainsi peu de propriétaires, peu de ménages possédant deux voitures, et une sociologie populaire, du même niveau que les quartiers les plus pauvres de Port-de-Bouc. Dans le Pas-de-Calais, c’est ainsi dans les quartiers les plus populaires et les plus excentrés que les habitants votent le plus pour M. Le Pen. Ces quartiers ne présentent par ailleurs pas les caractéristiques « typiques » du périurbain : c’est-à-dire la propriété d’une maison pavillonnaire et de voitures. Au contraire, ces quartiers sont habités par des locataires précaires, bénéficiant souvent d’aides de l’État, et ne s’inscrivent pas dans un éventuel « rêve pavillonnaire » que l’on peut trouver dans certaines villes du sud de la France. Le vote FN, important dans les périphéries des villes pas-de-calaisiennes et buccorhodaniennes, prend donc place dans des espaces aux caractéristiques sociales et urbaines opposées. À la périphérie aisée de Fos-sur-Mer et Port-de-Bouc s’oppose une périphérie précaire, habitée par des locataires, des villes de Grenay et de Bully-les-Mines."

    "Dans le Pas-de-Calais, la périphérie est un espace de relégation, elle est subie. Il s’agit d’en sortir, d’aller à la ville, vers Lens, vers Lille : plus attractives au niveau de l’emploi et dont les quartiers paraissent moins laissés à l’abandon. Dans les Bouches-du-Rhône, habiter en périphérie c’est sortir des centres-villes qui peuvent apparaître comme dangereux, mal fréquentés, trop étriqués pour posséder un jardin et une piscine. La périphérie y est ici un choix. On sort de la ville pour faire bâtir ou acheter une maison. La volonté d’isolement y est tout à fait assumée. Chaque villa est entourée d’un mur qui rend étanche la cellule familiale. Comme ont pu nous le dire certains habitants de ces quartiers, quand ce mur est trop bas à l’achat de la maison, il s’agit de le relever ; quand ce mur n’est qu’une haie, celle-ci est remplacée par un mur. Les habitants de ces périphéries ne ressentent pas le besoin impérieux d’aller dans le centre-ville et vont faire les courses dans les hypermarchés très bien répartis sur le territoire. Comme le souligne ainsi Céline Loudier-Malgouyres :

    « La morphologie enclavée rend possible cette tranquillité, à travers deux effets : l’exclusivité et la territorialité. [...] Il y a exclusivité de son usage au profit des seuls résidents. [...] La forme des ensembles, leur enclavement, produit alors un effet de territorialité et une séparation visible avec l’environnement immédiat. Mais elle réfère aussi à une dimension des pratiques habitantes et des représentations qui les accompagnent."

    Ainsi, s’il est impossible de qualifier les villes de Port-de-Bouc et de Fos-sur-Mer de périurbain « subi », en particulier parce que l’installation résulte d’un choix ; impossible en revanche de considérer ces villes comme appartenant à l’idéal-type du périurbain « choisi ». Certes, les futurs habitants achètent ici par choix, mais ils sont néanmoins contraints par des ressources limitées. Ils achètent ainsi dans des espaces aux contraintes spécifiques, comme une forte pollution à Fos-sur-Mer et une réputation de délinquance à Port-de-Bouc. Il faut donc parler de périurbain « contraint », catégorie intermédiaire entre un périurbain « choisi » et un périurbain « subi ». Les périurbains contraints et subis sont habités par des profils sociologiques différents. Ce sont plutôt les petites classes moyennes et les classes populaires « établies » qui habitent à Fos-sur-Mer et Port-de-Bouc où le terrain est bien moins cher que dans les villes de la côte bleue proche. Les habitants sont des employés, des professions intermédiaires et des cadres. On y trouve également quelques ouvriers de la pétrochimie bénéficiant dans ce secteur économique de salaires plus élevés. La variation des niveaux d’études est plus importante que dans les villes du périurbain subi et va du CAP au master, même si ce sont les petits diplômes qui sont largement majoritaires. Ces espaces sont peu mélangés aux logements sociaux et le nombre de personnes issues de l’immigration est globalement plus faible qu’en centre-ville. Dans le Pas-de-Calais, la périphérie « subie » des villes du bassin minier concentre ouvriers, employés et inactifs. La précarité y est forte et les habitants sont nombreux à vivre dans des HLM prenant la forme de maisons individuelles."

    "Cette triple périphérie que nous proposons permet de réfuter l’homogénéité que [C. Guilluy attribue] à l’espace périurbain. Dans les quatre villes que nous avons étudiées s’opposent ainsi deux périurbains complètement différents ; le premier est celui des « oubliés », tandis que le second est celui de « dominants » face au centre-ville qui devient lui une « périphérie sociale » et où sont reléguées les classes populaires d’origine immigrée. Notre travail souligne la complexité des périphéries qui peuvent être géographiques, sociales, voire les deux. Certes, la France périphérique vote généralement davantage pour le FN que les villes-centres, mais cette « périphérie » dans le Pas-de-Calais et les Bouches-du-Rhône renvoie à deux espaces qui s’opposent largement, tant sociologiquement qu’urbainement."

    "Les profondes oppositions idéologiques qui ont touché ce parti depuis 2017 ne sont peut-être pas seulement la conséquence de deux lignes programmatiques hors-sol divergentes. Elles sont la conséquence de deux conceptions différentes probablement induites par la composition sociologique majoritaire de l’électorat frontiste dans ces deux zones de force. Une étude approfondie de la concordance entre ces électorats et les élites frontistes de ces régions permettrait d’approfondir les conséquences du départ de Florian Philippot. La question se pose quant à la perte potentielle d’une partie de la base électorale du désormais Rassemblement national dans les départements septentrionaux depuis le rejet de la ligne Philippot présentée comme « sociale »."
    -Arnaud Huc, « FN du Nord contre FN du Sud ? Analyse sociogéographique des électorats Le Pen en 2017 », Revue française de science politique, 2019/2 (Vol. 69), p. 223-247. DOI : 10.3917/rfsp.692.0007. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-2-page-223.htm



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