https://fr.wikipedia.org/wiki/Sociologie_de_l%27environnement
https://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/1993/04/nss19930104p309.pdf
"Les questions d’environnement sont des questions posées par les sciences de la nature : climatologie, chimie, biologie, écologie, toxicologie et écotoxicologie, etc. Du côté des sciences sociales, le milieu physique et biologique a été pour des raisons liées à l’histoire de la discipline repoussé hors du champ d’observation. Cette réserve des sociologues par rapport à toute analyse qui ferait intervenir des facteurs naturels et environnementaux place ceux qui s’y risquent en situation de porte-à-faux par rapport au savoir légitime et les condamne à la marginalité.
Cette fragilisation n’entraîne pas pour autant l’existence d’un collectif soudé ayant une représentation commune de l’environnement comme objet de questionnement pour les sciences sociales. En effet, le milieu scientifique est segmenté, clivé, entre les sociologues centrés sur la question de la nature (des rapports Homme - Société - Nature, puis des rapports Homme - Société - Ecosystème), ruralistes pour la plupart, et les sociologues traitant de la question d’environnement au sens “moderne” du terme, c’est-à-dire les pollutions transfrontalières, les changements climatiques, etc., ces derniers sont plutôt des spécialistes de l’entreprise, des organisations et des techniques : certains mêmes sont des ingénieurs convertis aux sciences humaines. Ces deux mondes coexistent, mais s’ignorent mutuellement.
Une autre caractéristique de ce milieu de recherche concerne le type de relations qu’il entretient avec les pouvoirs publics. Une forme de partenariat existe entre l’État, en l’occurrence le ministère de l’Environnement, et le milieu des chercheurs intéressés par ces questions d’environnement. En effet, le ministère est commanditaire d’études pour son propre compte. Coincés entre les logiques académiques universitaires et celles des décideurs politiques cherchant à instrumentaliser la connaissance, ces chercheurs ont du mal à se situer. Si des rapports étroits entre chercheurs et décideurs politiques sont noués à l’échelon central, par contre au niveau régional ou local, les relations sont distendues, les collectivités locales ayant peu de contacts avec la communauté scientifique." (p.310)
"Cette période pourrait se résumer en cette formule brève : “Au fond de la forêt, l’Etat” (Hervieu, Léger, 1979). Le sociologue d’alors, lorsqu’il parle de la nature, ne le fait que pour dénoncer, nier la notion. Une des visions dominantes de la sociologie est celle de l’affirmation de l’autonomie du social, la nature étant un résultat, voire un produit à la fois idéal et matériel de l’activité humaine. La nature n’a pas d’existence en soi : il ne s’agit que d’une autoréférence déguisée, travestie, renvoyant l’homme à lui-même, à ses faits, à ses méfaits, à ses rêves, à ses nostalgies, à ses remords, bref à son organisation sociale et aux clivages et luttes de pouvoir qui la traversent (Godard, 1989). Ce qui est appréhendé, c’est la nature comme invention de l’État, d’un État tentaculaire à visée dominatrice et codificatrice. Inspirées par des modes d’analyse empruntés à P. Bourdieu et M. Foucault (domination symbolique, microphysique du pouvoir), des recherches se sont développées qui tendaient à rendre compte des pratiques et des politiques à l’égard de la nature, en les considérant non pas comme des expressions d’une réaction sociale contre la société industrielle (le retour à la nature), mais comme l’expression d’une volonté culturelle dominatrice de l’État cherchant à imposer les modes de définition légitimes de la nature et de ses usages (Kalaora, 1981 : Kalaora, Larrère, 1986). L’“équipement de nature” était perçu comme une mise en place de cadres institutionnels sociaux et spatiaux inédits visant à quadriller le territoire et à inscrire la présence du politique au cœur même de la nature sauvage. Avec M. Marié, J. Viard (Marié, Viard, 1977), M. Péraldi, M. Anselme et d’autres, j’ai contribué à ces recherches (CERFI, 1981 ) dont on peut effectivement dire a posteriori quelles ont exagéré l’importance de l’État par rapport aux autres acteurs d’une part, et d’autre part nié l’existence même de la nature comme support physique et biologique de pratiques sociales.
Le colloque “Idéologie et Protection de la nature” (Cadoret, 1985) organisé par le Service de la recherche, des études et du traitement de l’information sur l’environnement (SRETIE) du ministère de l’Environnement sous la responsabilité d’Anne Cadoret, est une bonne illustration du fossé existant entre sociologues et écologues. Le ministère avait organisé cette rencontre dans l’espoir d’établir des ponts entre ces deux communautés scientifiques. Le titre même du colloque est significatif du caractère improbable d’une alliance puisque la nature y était d’emblée considérée comme une question idéologique. De ce fait, les sociologues feront la sociologie du milieu des écologistes scientifiques et dévoileront derrière la proclamation de l’état d’urgence écologique, la présence des intérêts sociaux d’une profession en quête de légitimité et de reconnaissance dans le champ des sciences de la nature. La science écologique dans cette perspective est vue comme un instrument idéologique de conquête d’un espace professionnel à l’usage des scientifiques et la protection comme un alibi pour des couches moyennes (dont le scientifiques sont les représentants) frustrées de capital économique et animées du désir de compenser ce manque par l’appropriation symbolique du territoire naturel. Cette condensation brève de l’histoire des idées peut prêter à sourire, il ne faut toutefois pas sous-estimer l’apport de connaissances que cette posture critique a engendré : les recherches sur l’institutionnalisation de l’idée de nature et son instrumentalisation en termes de protection, puis de gestion ont fait faire des bonds en avant, mais cette avancée s’est réalisée contre l’écologie savante et sans que puissent s’établir des passerelles entre paradigme social et paradigme écologique ; seuls quelques militants sociologues avaient œuvré en ce sens. Cette coupure entre deux mondes, bien que moins marquée aujourd’hui grâce à l’important travail du programme Environnement du CNRS qui multiplie initiatives et efforts pour organiser une synergie entre les milieux, reste encore présente dans les esprits, même si l’on sent quelques inflexions permettant des rapprochements entre disciplines." (pp.311-312)
"Dans les premiers travaux portant non plus sur la nature, mais sur le risque (Duclos, 1987), domaine imparti aux sociologues du travail et des organisations, on retrouve la même propension à contourner le thème du risque environnemental -technologique et industriel- pour lui substituer celui du risque sociétal. Le problème n’est pas vu comme celui de l’évaluation de risques réels et de leur intégration dans le système gestionnaire de l’entreprise et dans le processus technique, mais simplement comme celui de la construction sociale du risque par les acteurs sociaux. Selon l’auteur, les acteurs sociaux minimisent -ou mieux ignorent- l’existence de risques techniques réels, car le risque redouté est d’abord celui des dysfonctionnements dans les relations sociales qui structurent le collectif des travailleurs. La prévention est alors prévention symbolique, car l’accident est l’événement qui constitue un facteur de déséquilibre ou de destruction du système des relations sociales et non ce qui occasionne des dommages environnementaux ou mêmes corporels. Tous ces travaux de la première génération ont en commun de récuser totalement la notion même d’environnement." (p.312)
"La prise de conscience de la dimension écologique conduit à la redéfinition des stratégies et des attitudes scientifiques au sein d’une fraction minoritaire de la communauté des chercheurs. Quelques sociologues et géographes avec des écologues recherchent des argumentaires scientifiques à l’interface des sciences de la nature et de la société et inventent de nouveaux concepts tels ceux d’écosociosystème et de géo-système.
Le colloque “Du rural à l’Environnement” (Mathieu, Jollivet, 1989), organisé conjointement par le SRETIE et l’Association des ruralistes français, témoigne de ce changement d’attitudes à l’égard du milieu des écologues : le bien-fondé de l’écologie est désormais reconnu." (p.312)
"Le colloque “Révolution, Nature, Environnement” (Corvol, 1993) lancé à l’initiative du SRETIE au moment du bicentenaire de la Révolution française et réalisé avec le milieu des historiens a apporté un éclairage différent, mais complémentaire, sur le thème de l’émergence de l’environnement. Les historiens ont souligné la difficile reconnaissance de l’environnement comme question faisant sens dans la société française. En effet, pendant la Révolution française, l’idée de protection du milieu et de maintien d’une nature sauvage est une idée contre-révolutionnaire. Les forces conservatrices invoquent la question du milieu pour s’opposer à l’administration de l’espace et à son découpage départemental. Le milieu est l’instrument d’une stratégie qui vise à maintenir l’idée régionale contre l’idée nationale et républicaine. Pour les révolutionnaires, la nature n’a d’existence que comme représentation d’un paysage composé, jardiné, domestiqué et non comme un milieu biologique. Le paysage est la bonne nature : quant aux “écosystèmes”, ils représentent les forces du mal ; marais et forêts sont des milieux à anthropiser. Les historiens ont révélé les raisons socio-historiques du refoulement de la nature sauvage et du milieu qui n’émergent à la conscience que sous la forme civilisée du tableau de paysage. La nature ensauvagée, le milieu non maîtrisé par l’homme est le contraire de l’histoire, de la liberté, de l’esprit, l’anti-humanisme par excellence." (p.312)
"Le colloque “Les experts sont formels : controverses et décisions politiques dans le domaine de l’environnement” (Kalaora, Theys, 1992) organisé à l’initiative de J. Theys et moi-même est un bon exemple de la dernière tendance. Ce colloque visait à confronter les recherches françaises et internationales sur la physionomie de l’expertise et des experts, leur intervention et influence dans les décisions politiques, la nature des controverses en jeu et leur orchestration par les médias, le statut de l'expert, passeur entre le monde des scientifiques et des politiques [...]
Quant à la dimension de l’ingénierie sociale, à savoir l’observation sur le terrain des comportements des gens et l’élaboration de réponses adaptées tout à la fois aux problèmes environnementaux et aux aspirations légitimes ou infondées de ceux-ci, elle reste très peu développée (Zonabend, 1991)." (p.313)
"Comment réussirons-nous à internaliser le non-humain dans nos systèmes de référence alors que nous l’avions relégué aux marges ?" (p.314)
"Seule l’observation des comportements les plus quotidiens (consommation d’eau, attitudes par rapport aux transports, style de vie, comportements vis-à-vis des déchets) dans leur relation à l’environnement pourrait éclairer sur la nature des modifications en cours, sur les résistances ou les adaptations et sur les dispositifs expérimentaux à mettre en place pour transformer les valeurs et les habitudes." (p.314)
-Bernard Kalaora, « Le sociologue et l’environnement », Natures sciences sociétés, vol. 1, no 4, 1993, p. 309-315.
https://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/1993/04/nss19930104p309.pdf
"Les questions d’environnement sont des questions posées par les sciences de la nature : climatologie, chimie, biologie, écologie, toxicologie et écotoxicologie, etc. Du côté des sciences sociales, le milieu physique et biologique a été pour des raisons liées à l’histoire de la discipline repoussé hors du champ d’observation. Cette réserve des sociologues par rapport à toute analyse qui ferait intervenir des facteurs naturels et environnementaux place ceux qui s’y risquent en situation de porte-à-faux par rapport au savoir légitime et les condamne à la marginalité.
Cette fragilisation n’entraîne pas pour autant l’existence d’un collectif soudé ayant une représentation commune de l’environnement comme objet de questionnement pour les sciences sociales. En effet, le milieu scientifique est segmenté, clivé, entre les sociologues centrés sur la question de la nature (des rapports Homme - Société - Nature, puis des rapports Homme - Société - Ecosystème), ruralistes pour la plupart, et les sociologues traitant de la question d’environnement au sens “moderne” du terme, c’est-à-dire les pollutions transfrontalières, les changements climatiques, etc., ces derniers sont plutôt des spécialistes de l’entreprise, des organisations et des techniques : certains mêmes sont des ingénieurs convertis aux sciences humaines. Ces deux mondes coexistent, mais s’ignorent mutuellement.
Une autre caractéristique de ce milieu de recherche concerne le type de relations qu’il entretient avec les pouvoirs publics. Une forme de partenariat existe entre l’État, en l’occurrence le ministère de l’Environnement, et le milieu des chercheurs intéressés par ces questions d’environnement. En effet, le ministère est commanditaire d’études pour son propre compte. Coincés entre les logiques académiques universitaires et celles des décideurs politiques cherchant à instrumentaliser la connaissance, ces chercheurs ont du mal à se situer. Si des rapports étroits entre chercheurs et décideurs politiques sont noués à l’échelon central, par contre au niveau régional ou local, les relations sont distendues, les collectivités locales ayant peu de contacts avec la communauté scientifique." (p.310)
"Cette période pourrait se résumer en cette formule brève : “Au fond de la forêt, l’Etat” (Hervieu, Léger, 1979). Le sociologue d’alors, lorsqu’il parle de la nature, ne le fait que pour dénoncer, nier la notion. Une des visions dominantes de la sociologie est celle de l’affirmation de l’autonomie du social, la nature étant un résultat, voire un produit à la fois idéal et matériel de l’activité humaine. La nature n’a pas d’existence en soi : il ne s’agit que d’une autoréférence déguisée, travestie, renvoyant l’homme à lui-même, à ses faits, à ses méfaits, à ses rêves, à ses nostalgies, à ses remords, bref à son organisation sociale et aux clivages et luttes de pouvoir qui la traversent (Godard, 1989). Ce qui est appréhendé, c’est la nature comme invention de l’État, d’un État tentaculaire à visée dominatrice et codificatrice. Inspirées par des modes d’analyse empruntés à P. Bourdieu et M. Foucault (domination symbolique, microphysique du pouvoir), des recherches se sont développées qui tendaient à rendre compte des pratiques et des politiques à l’égard de la nature, en les considérant non pas comme des expressions d’une réaction sociale contre la société industrielle (le retour à la nature), mais comme l’expression d’une volonté culturelle dominatrice de l’État cherchant à imposer les modes de définition légitimes de la nature et de ses usages (Kalaora, 1981 : Kalaora, Larrère, 1986). L’“équipement de nature” était perçu comme une mise en place de cadres institutionnels sociaux et spatiaux inédits visant à quadriller le territoire et à inscrire la présence du politique au cœur même de la nature sauvage. Avec M. Marié, J. Viard (Marié, Viard, 1977), M. Péraldi, M. Anselme et d’autres, j’ai contribué à ces recherches (CERFI, 1981 ) dont on peut effectivement dire a posteriori quelles ont exagéré l’importance de l’État par rapport aux autres acteurs d’une part, et d’autre part nié l’existence même de la nature comme support physique et biologique de pratiques sociales.
Le colloque “Idéologie et Protection de la nature” (Cadoret, 1985) organisé par le Service de la recherche, des études et du traitement de l’information sur l’environnement (SRETIE) du ministère de l’Environnement sous la responsabilité d’Anne Cadoret, est une bonne illustration du fossé existant entre sociologues et écologues. Le ministère avait organisé cette rencontre dans l’espoir d’établir des ponts entre ces deux communautés scientifiques. Le titre même du colloque est significatif du caractère improbable d’une alliance puisque la nature y était d’emblée considérée comme une question idéologique. De ce fait, les sociologues feront la sociologie du milieu des écologistes scientifiques et dévoileront derrière la proclamation de l’état d’urgence écologique, la présence des intérêts sociaux d’une profession en quête de légitimité et de reconnaissance dans le champ des sciences de la nature. La science écologique dans cette perspective est vue comme un instrument idéologique de conquête d’un espace professionnel à l’usage des scientifiques et la protection comme un alibi pour des couches moyennes (dont le scientifiques sont les représentants) frustrées de capital économique et animées du désir de compenser ce manque par l’appropriation symbolique du territoire naturel. Cette condensation brève de l’histoire des idées peut prêter à sourire, il ne faut toutefois pas sous-estimer l’apport de connaissances que cette posture critique a engendré : les recherches sur l’institutionnalisation de l’idée de nature et son instrumentalisation en termes de protection, puis de gestion ont fait faire des bonds en avant, mais cette avancée s’est réalisée contre l’écologie savante et sans que puissent s’établir des passerelles entre paradigme social et paradigme écologique ; seuls quelques militants sociologues avaient œuvré en ce sens. Cette coupure entre deux mondes, bien que moins marquée aujourd’hui grâce à l’important travail du programme Environnement du CNRS qui multiplie initiatives et efforts pour organiser une synergie entre les milieux, reste encore présente dans les esprits, même si l’on sent quelques inflexions permettant des rapprochements entre disciplines." (pp.311-312)
"Dans les premiers travaux portant non plus sur la nature, mais sur le risque (Duclos, 1987), domaine imparti aux sociologues du travail et des organisations, on retrouve la même propension à contourner le thème du risque environnemental -technologique et industriel- pour lui substituer celui du risque sociétal. Le problème n’est pas vu comme celui de l’évaluation de risques réels et de leur intégration dans le système gestionnaire de l’entreprise et dans le processus technique, mais simplement comme celui de la construction sociale du risque par les acteurs sociaux. Selon l’auteur, les acteurs sociaux minimisent -ou mieux ignorent- l’existence de risques techniques réels, car le risque redouté est d’abord celui des dysfonctionnements dans les relations sociales qui structurent le collectif des travailleurs. La prévention est alors prévention symbolique, car l’accident est l’événement qui constitue un facteur de déséquilibre ou de destruction du système des relations sociales et non ce qui occasionne des dommages environnementaux ou mêmes corporels. Tous ces travaux de la première génération ont en commun de récuser totalement la notion même d’environnement." (p.312)
"La prise de conscience de la dimension écologique conduit à la redéfinition des stratégies et des attitudes scientifiques au sein d’une fraction minoritaire de la communauté des chercheurs. Quelques sociologues et géographes avec des écologues recherchent des argumentaires scientifiques à l’interface des sciences de la nature et de la société et inventent de nouveaux concepts tels ceux d’écosociosystème et de géo-système.
Le colloque “Du rural à l’Environnement” (Mathieu, Jollivet, 1989), organisé conjointement par le SRETIE et l’Association des ruralistes français, témoigne de ce changement d’attitudes à l’égard du milieu des écologues : le bien-fondé de l’écologie est désormais reconnu." (p.312)
"Le colloque “Révolution, Nature, Environnement” (Corvol, 1993) lancé à l’initiative du SRETIE au moment du bicentenaire de la Révolution française et réalisé avec le milieu des historiens a apporté un éclairage différent, mais complémentaire, sur le thème de l’émergence de l’environnement. Les historiens ont souligné la difficile reconnaissance de l’environnement comme question faisant sens dans la société française. En effet, pendant la Révolution française, l’idée de protection du milieu et de maintien d’une nature sauvage est une idée contre-révolutionnaire. Les forces conservatrices invoquent la question du milieu pour s’opposer à l’administration de l’espace et à son découpage départemental. Le milieu est l’instrument d’une stratégie qui vise à maintenir l’idée régionale contre l’idée nationale et républicaine. Pour les révolutionnaires, la nature n’a d’existence que comme représentation d’un paysage composé, jardiné, domestiqué et non comme un milieu biologique. Le paysage est la bonne nature : quant aux “écosystèmes”, ils représentent les forces du mal ; marais et forêts sont des milieux à anthropiser. Les historiens ont révélé les raisons socio-historiques du refoulement de la nature sauvage et du milieu qui n’émergent à la conscience que sous la forme civilisée du tableau de paysage. La nature ensauvagée, le milieu non maîtrisé par l’homme est le contraire de l’histoire, de la liberté, de l’esprit, l’anti-humanisme par excellence." (p.312)
"Le colloque “Les experts sont formels : controverses et décisions politiques dans le domaine de l’environnement” (Kalaora, Theys, 1992) organisé à l’initiative de J. Theys et moi-même est un bon exemple de la dernière tendance. Ce colloque visait à confronter les recherches françaises et internationales sur la physionomie de l’expertise et des experts, leur intervention et influence dans les décisions politiques, la nature des controverses en jeu et leur orchestration par les médias, le statut de l'expert, passeur entre le monde des scientifiques et des politiques [...]
Quant à la dimension de l’ingénierie sociale, à savoir l’observation sur le terrain des comportements des gens et l’élaboration de réponses adaptées tout à la fois aux problèmes environnementaux et aux aspirations légitimes ou infondées de ceux-ci, elle reste très peu développée (Zonabend, 1991)." (p.313)
"Comment réussirons-nous à internaliser le non-humain dans nos systèmes de référence alors que nous l’avions relégué aux marges ?" (p.314)
"Seule l’observation des comportements les plus quotidiens (consommation d’eau, attitudes par rapport aux transports, style de vie, comportements vis-à-vis des déchets) dans leur relation à l’environnement pourrait éclairer sur la nature des modifications en cours, sur les résistances ou les adaptations et sur les dispositifs expérimentaux à mettre en place pour transformer les valeurs et les habitudes." (p.314)
-Bernard Kalaora, « Le sociologue et l’environnement », Natures sciences sociétés, vol. 1, no 4, 1993, p. 309-315.