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    Habiter léger, vivre en autonomie. L'habitat léger contre la société spectaculaire-marchande

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 20643
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Habiter léger, vivre en autonomie. L'habitat léger contre la société spectaculaire-marchande Empty Habiter léger, vivre en autonomie. L'habitat léger contre la société spectaculaire-marchande

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 11 Aoû - 13:06

    "A 38 ans, Enora a réalisé son rêve de petite fille: vivre au milieu d'un champ avec le strict minimum. Elle qui a grandi dans une cité H.L.M à Nantes a su dès son plus jeune âge que sa place ne se trouvait pas en ville mais au beau milieu de la campagne en compagnie des oiseaux, des insectes, et de tous les autres "colocataires" que lui offre la nature.

    Après avoir été sans domicile fixe pendant quelques années - au cours des quelles elle vivait dans sa caravane - Enora a acheté un bout de terrain en friche de 2 200 mètres carrés sur la commune des Touches, à 35 kilomètres au nord de Nantes. Avec des amis, elle l'a entièrement dépollué, sorti plusieurs camions de gravats d'amiante et de ferraille, nettoyé les ronces pour sauver les arbres fruitiers et y a construit, avec son mari, son chalet.

    Un petit coin de paradis, où elle n'a que les moutons pour voisins, dont elle récupère le fumier pour faire de l'engrais pour ses cultures.

    Car Enora a fait le choix, écologique et financier, de vivre le plus simplement possible avec ce que lui offre la nature. Elle n'est raccordée à aucun réseau - ni d'eau, ni d'électricité, ni de gaz.
    Avec trois cuves de récupération d'eau de pluie, elle se lave, arrose son potager, nettoie sa maison, fait à manger. L'eau, qui n'est polluée par aucun entrant chimique, part directement dans la haie ou dans l'étang. Elle s'éclaire grâce à l'électricité que lui fournit ses panneaux solaires et, bien que certains soirs d'hiver, quand la journée à été trop maussade, elle finisse la soirée à la bougie, cela lui suffit.
    "Beaucoup de gens trouvent que c'est très, voir trop, rustique. Mais moi cela me convient. J'aime vraiment la simplicité poussée à l'extrême. Avec un bidon de 10 litres d'eau, on se fait deux douches. Comme quoi avec 5 litres, on peut être propre. Pas besoin de 150L, la moyenne d'une douche dans une maison traditionnelle."
    De fait, Enora n'a donc aucune facture, ni abonnement, ni loyer à payer. Ce qui lui permet de vivre, et même d'économiser un peu tous les mois, avec un salaire d'aide ménagère à mi-temps, soit environ €600 à €700 nets, prime d'activité comprise.
    "Pas de tout à l'égout, pas de branchement à l'eau, pas de branchement à EDF. Je refuse. C'est vraiment un choix: ici, on est indépendants. Tout est naturel. Tout se transforme."
    L'entreprise de son mari, qui est menuisier charpentier, l'autorise à récupérer les rejets de bois, ce qui leur a permis de construire tout le mobilier de jardin. Le chalet a également été en parti construit avec du bois de récupération, et les fondations sont en en bois imputrescible, l'azobé, pour éviter l'utilisation de béton.
    Au total le chalet lui est revenu à €10 000, aux quels il faut ajouter le prix des panneaux solaires, soit environ €1200.
    "On a monté le chalet à deux en vingt jours, peinture comprise. J'ai bien aimé toute la logique. J'ai trouvé ça facile, cohérent. On l'a fait de nos propres mains, avec notre coeur, notre sueur. Ça rajoute de la valeur sentimentale"

    Enora a grandi à la Butte Sainte-Anne, une cité H.L.M située dans le quartier Chantenay, l'ancien bastion ouvrier des chantiers navals, sur les bords de Loire, à Nantes.
    Sa maman l'a élevée, elle et son petit frère, seule avec très peu de moyens financiers. Issue d'une famille pauvre, Enora savait qu'elle ne pourrait compter que sur elle-même pour accomplir ses rêves : voyager, découvrir le monde et partir s'installer un jour dans un petit coin de verdure, au milieu de la nature.
    Elle arrête le lycée, commence à travailler, passe un BEP de peinture en décoration dans la bâtiment, et continue de s'éduquer à travers ses lectures et ses voyages.
    Elle part s'installer en Suède, un pays pour lequel elle a eu un véritable coup de cœur et, pendant cinq ans, travaille comme femme de ménage, puis responsable du personnel, dans un hôtel. Elle travaille 12 heures par jour, six jours sur sept, pour mettre de l'argent de côté, sachant très bien qu'à son retour en France, elle n'obtiendrait jamais de crédit auprès des banques pour s'acheter un lopin de terre.
    A son retour, elle s'installe dans sa caravane, vit sur un terrain que lui prête un ami, pour continuer à économiser et élaborer son projet : la construction d'un chalet en bois, sans béton et démontable, au milieu de la nature. Un projet qui voit le jour en 2018, sur la commune des Touches, à 35 km de Nantes.
    Elle continue de travailler, désormais en tant qu'aide-ménagère auprès des personnes âgées, et fait le choix de la proximité, ne travaillant que sur sa commune et les communes alentours. Un travail qu'elle exerce à mi-temps, pour pouvoir se consacrer en parallèle à la musique, à la peinture et à son potager. Un travail dans lequel elle a trouvé son équilibre et qu'elle adore, mais dont elle déplore l'absence de valorisation et la très faible rémunération.
    "On pense encore que c'est un métier de larbins, de boniches, que ça n'est que pour les femmes qui n'ont pas fait d'études ou de jeunes immigrées, mais c'est faux : c'est un très beau métier! Financièrement, on est les plus mal payées de France, mais j'y ai trouvé mon équilibre. Moi, je m'en sors parce que mon mode de vie ne me coûte pas d'argent."
    Sur son lopin de terre, Enora a également accueilli sa maman pendant plusieurs années, jusqu'à ce que cette dernière décède récemment. Installée dans la caravane, dans un coin du jardin, pendant les mois de printemps et d'été, elle a pu profiter de la nature et de l'étang, plutôt que de "finir sa vie coincée au quatrième étage d'une H.L.M".
    "C'est super agréable de se réveiller dans un endroit comme ça : c'est beau, ça détend, on se sent libre. Et puis, c'est paisible. Je pense que l'on mérite tous un petit lopin de terre, et malheureusement, on vit comme des lapins. J'ai toujours su qu'un jour j'aurais cela."

    Mais Enora n'avait pas les moyens financiers d'acheter un terrain constructible dans sa région, en Loire-Atlantique, où les prix du foncier sont très élevés. Son terrain est donc classé "terrain de loisir", et elle n'a pas fait de demande de permis de construire sachant pertinemment qu'il lui serait refusé. Elle a donc bâti son chalet sans autorisation, en étant parfaitement consciente des risques qu'elle encourait.
    Enora entame alors un long combat, qui durera trois ans, pendant lesquels elle écrit une multitude de courriers à la maire de sa commune, au préfet, à la communauté de commune, au ministre du logement et de la transition écologique, et même au président de la République. Elle ne rencontrera jamais personne et, pour toute réponse, la mairie lui envoie les gendarmes. Enora se retrouve fichée, puis assignée en justice.
    "Ce que je déplore, c'est le manque de communication avec ma mairie. Parce que j'ai écrit énormément de courriers à ma maire. Elle n'a jamais voulu me rencontrer. Je pense qu'on aurait pu éviter un procès parce que je voulais bien payer un permis de construire, une viabilisation. Elle n'a jamais voulu m'entendre. Donc c'est allé jusqu'au tribunal.".
    Le 4 mars 2023, le verdict tombe : Enora est relaxée, la juge ayant retenu l'état de nécessité pour qu'elle puisse se loger et qu'elle ne perde pas son emploi ; la réhabilitation du terrain qu'elle a entièrement dépollué et qui est redevenu fertile ; et sa situation familiale, puisqu'elle hébergeait et accompagnait alors sa maman, en fin de vie. Au final, Enora est simplement condamnée à verser 200 euros d'amende.
    "Il y a eu une vraie justice. On n'enfreint pas la loi par plaisir. Si j'avais pu faire autrement, si j'avais eu un salaire assez décent pour pouvoir prétendre à un petit crédit, évidement que j'aurais fait les choses bien. Cela ne m'aurait pas empêché de vivre comme je veux."
    Aujourd'hui, Enora est indélogeable. Elle a gagné le droit de vivre chez elle et même de demander une boîte aux lettres et un container pour les poubelles, comme tous les habitants de sa commune.
    "Si le gouvernement ne propose rien pour les gens en situation de précarité, il y a des gens qui vont prendre les devants. Et bien moi, je les ai pris. Il fallait que je me loge. Et la justice m'a donné raison."
    L'art d'habiter léger
    Yourtes, chalets, roulottes ou maison terre-paille, les adeptes de ce type d'habitat dit "léger" sont de plus en plus nombreux en France, poussés par la crise économique, écologique, et du logement.

    Mais combien sont-ils exactement, comme Enora, à avoir franchi le pas et à avoir opté pour un mode de vie plus sobre et un type d'habitat léger (ou "réversible"), sans béton, démontable, qui ne laisse aucune empreinte sur la terre ?
    Difficile à dire, les chiffres de lNSEE ne distinguant pas ceux qui ont choisi ce mode de vie par conviction, des 330 000 personnes en grande précarité qui, eux, subissent le mal-logement*. Les estimations sont donc très larges, allant de 100 000 à 500 000 personnes.
    Enora, elle, se trouve à la confluence des deux : véritable choix de vie écologique, vivre en habitat léger était aussi pour elle une nécessité car sa situation financière et familiale ne lui aurait pas permis d'obtenir un crédit auprès des banques pour acheter une maison à la campagne, comme elle en a toujours rêvé. Pendant deux ans, Enora a d'ailleurs vécu en caravane, sur le terrain d'un ami, n'ayant pas les moyens de se loger.

    "C'est avant tout un choix écologique : être proche de la nature, c'est pour moi la première raison. Et ce choix écologique découle sur un choix politique : je pense qu'on peut vivre différemment, en respectant beaucoup plus notre environnement, et en se respectant en tant qu'être humain aussi. Je pense que ce mode de vie génère de l'entraide et de la solidarité. Et c'est aussi une nécessité pour beaucoup de gens."

    Depuis qu'elle a construit son chalet, Enora a fait le choix de travailler à mi-temps, pour "avoir le temps de vivre véritablement". Elle ne travaille que quelques heures tous les jours comme aide- ménagère auprès des personnes âgées des villages alentours, et consacre le reste de son temps à ses amis, à sa famille, à ses activités culturelles et botaniques.

    "Le but dans ce mode de vie, c'est aussi de pouvoir se sevrer de l'argent : pouvoir travailler à mi-temps et subvenir à ses besoins avec si peu d'argent, c'est déjà une victoire. Moi ce que je veux, c'est pouvoir me soustraire au besoin d'argent le plus possible. Avec 700 euros, je vis très bien."
    Pour Enora, comme pour tous ceux qui ont fait le choix de l'habitat léger par conviction, ce mode de vie s'inscrit dans une démarche de remise en cause la société marchande, et dessine les contours d'un autre modèle économique et sociétal, qui prône l’autonomie, la solidarité et la sobriété."
    -La vie selon Enora, Radio France, 10 août 2024 : https://academienouvelle.forumactif.org/post?f=120&mode=newtopic


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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