"Dirons-nous avec Jean Wahl que « la réminiscence est pour Platon une façon d'exprimer le caractère a priori de la connaissance » ? Dirons-nous avec Ritchie que « la théorie de la réminiscence e est une doctrine de type idéaliste, une de ces théories qui nient que la connaissance soit adéquatement expliquée quand on a seulement analysé les sensations ou impressions produites sur une tablette de l'esprit que l'on croit blanche » ? Serons-nous d'accord avec Milhaud quand il affirme que « la théorie métaphysique de la réminiscence joue le rôle des intuitions apriori de Kant » ? Approuverons-nous l'École de Marbourg et son porte-parole Natorp lorsqu'ils soutiennent que l'Idée platonicienne, engendrée grâce au phénomène d'anamnèse, ne doit pas être envisagée comme une réalité objective mais seulement comme un moyen ou une méthode qui rend l'intellection possible ? Admettrons-nous l'opinion de G. de Santillana et d'Enriques qui écrivent que « la réminiscence n'est que l'enveloppe mythique sous laquelle se présente à l'esprit de Platon le postulat des idées innées » ? Approuverons-nous G. Brunet lorsqu'il écrit que les « Idées n'étant égales à rien qu'à elles-mêmes, ne pourront être saisies à partir de ce dont nous avons l'expérience » ? Dirons-nous, en un mot, que l'Idée ne possède aucune réalité objective mais qu'elle n'est qu'une création de l'esprit ? Affirmerons-nous que le thème de la réminiscence est une conception impliquant un idéalisme subjectif à la manière de l'idéalisme moderne ? Soutiendrons-nous que l'anamnèse, jointe à la théorie des Idées, signifie que l'intellect humain jouit d'un pouvoir qui lui permet d'établir un réseau d'idées générales et de principes unificateurs, réseau logique mais non ontologique, plus réel cependant que le donné expérimental dans la mesure où il constitue l'œuvre de l'esprit ? Dans cette perspective, « la permanence de la substance des choses résulte de la possibilité de les connaître » d'une manière sûre et bien définie. En conséquence de quoi, une idée « conçue comme notion nécessaire de chaque esprit conscient n'est pas une substance » existant en elle-même, indépendamment de toute activité de notre esprit. Ferons-nous donc du philosophe athénien un idéaliste avant la lettre, un précurseur de Descartes et de Kant ? Attribuerons-nous a disciple de Socrate la paternité de l'apriorisme intellectualiste et de la transcendance de la connaissance ?
Ou bien dirons-nous que l'Idée platonicienne possède une existence objective, indépendante de notre activité rationnelle ? Admettrons-nous avec Burnet que les « Idées sont plus réelles que n'importe quelle chose ». Soutiendrons-nous avec Taylor qu'elles « ne constituent nullement un ensemble de concepts hypostasiés » et qu'en conséquence le thème de l'anamnèse demeure fort éloigné de l'idéalisme cartésien ou kantien ? Affirmerons-nous en un mot que l'Idée platonicienne est une entité substantielle que notre esprit ne crée en aucune manière mais à laquelle il doit soumission ? Reconnaîtrons-nous enfin que le thème de l'anamnèse, loin d'exprimer un quelconque apriorisme de la connaissance, implique un monde réel et transcendant, un monde intelligible que l'esprit peut découvrir et comprendre mais non créer ?" (pp.25-27)
"Pour Aristote, l'idéalisme platonicien est un idéalisme réaliste mais il lui apparaît d'abord comme un ensemble de concepts que l'esprit crée et qu'il hypostasié ensuite. Pour Platon au contraire, ainsi que nous tenterons de le montrer, les Idées jouissent d'une autonomie ontologique que l'intelligence découvre puis conceptualise." (p.28)
"L'Idée platonicienne n'est pas une pure abstraction, œuvre de l'esprit humain. Elle n'est pas réductible à un concept logique, dépourvu de toute réalité profonde. Loin d'être la création de l'intelligence, l'Idée existe en soi et par soi ; elle est un être réel, subsistant entièrement pur et sans mélange (Philèbe, 59 G). Gomme son nom l'indique, elle est un objet de vision pour l'œil de l'âme. Celle-ci ne la conçoit point mais la vise et la contemple. Nombreux sont les textes où Platon insiste sur l'existence objective de l'Idée : citons-en deux parmi beaucoup d'autres : Diotime, l'interlocutrice de Socrate, déclare dans le Banquet : « Quand un homme aura été conduit jusqu'à ce point-ci (la découverte d'une science unique : la philosophie) par l'instruction dont les choses d'amour sont le but, quand il aura contemplé les belles choses l'une après l'autre aussi bien que suivant leur ordre exact, celui-là, désormais en marche avec le terme de l'initiation, apercevra soudain une certaine beauté d'une nature merveilleuse, celle-là même, Socrate, dont je parlais, et qui, de plus, était justement la raison d'être de tous les efforts qui ont précédé, beauté à laquelle une existence éternelle appartient"." (p.28)
"Ayant découvert cette réalité transcendante, l'esprit ne peut néanmoins la connaître d'une manière totalement précise, il ne peut que la contempler et cette vision demeure en partie indicible, la science qu'il en acquiert demeure intuitive et cette intuition se situe au-delà des classifications logiques ; elle leur est en quelque sorte irréductible... Le Banquet se révèle sur ce point très explicite ; il s'attarde à préciser ce que la Beauté n'est pas mais il se montre fort laconique lorsqu'il tente d'en élaborer une définition positive : le philosophe, déclare-t-il, contemple la Beauté en tant qu'elle est elle-même, dans l'unicité de sa forme ; définition aussi brève qu'insuffisant." (p.30)
-Jean-Marie Paisse, "L'idéalisme platonicien", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 160 (1970), pp. 25-65.
Ou bien dirons-nous que l'Idée platonicienne possède une existence objective, indépendante de notre activité rationnelle ? Admettrons-nous avec Burnet que les « Idées sont plus réelles que n'importe quelle chose ». Soutiendrons-nous avec Taylor qu'elles « ne constituent nullement un ensemble de concepts hypostasiés » et qu'en conséquence le thème de l'anamnèse demeure fort éloigné de l'idéalisme cartésien ou kantien ? Affirmerons-nous en un mot que l'Idée platonicienne est une entité substantielle que notre esprit ne crée en aucune manière mais à laquelle il doit soumission ? Reconnaîtrons-nous enfin que le thème de l'anamnèse, loin d'exprimer un quelconque apriorisme de la connaissance, implique un monde réel et transcendant, un monde intelligible que l'esprit peut découvrir et comprendre mais non créer ?" (pp.25-27)
"Pour Aristote, l'idéalisme platonicien est un idéalisme réaliste mais il lui apparaît d'abord comme un ensemble de concepts que l'esprit crée et qu'il hypostasié ensuite. Pour Platon au contraire, ainsi que nous tenterons de le montrer, les Idées jouissent d'une autonomie ontologique que l'intelligence découvre puis conceptualise." (p.28)
"L'Idée platonicienne n'est pas une pure abstraction, œuvre de l'esprit humain. Elle n'est pas réductible à un concept logique, dépourvu de toute réalité profonde. Loin d'être la création de l'intelligence, l'Idée existe en soi et par soi ; elle est un être réel, subsistant entièrement pur et sans mélange (Philèbe, 59 G). Gomme son nom l'indique, elle est un objet de vision pour l'œil de l'âme. Celle-ci ne la conçoit point mais la vise et la contemple. Nombreux sont les textes où Platon insiste sur l'existence objective de l'Idée : citons-en deux parmi beaucoup d'autres : Diotime, l'interlocutrice de Socrate, déclare dans le Banquet : « Quand un homme aura été conduit jusqu'à ce point-ci (la découverte d'une science unique : la philosophie) par l'instruction dont les choses d'amour sont le but, quand il aura contemplé les belles choses l'une après l'autre aussi bien que suivant leur ordre exact, celui-là, désormais en marche avec le terme de l'initiation, apercevra soudain une certaine beauté d'une nature merveilleuse, celle-là même, Socrate, dont je parlais, et qui, de plus, était justement la raison d'être de tous les efforts qui ont précédé, beauté à laquelle une existence éternelle appartient"." (p.28)
"Ayant découvert cette réalité transcendante, l'esprit ne peut néanmoins la connaître d'une manière totalement précise, il ne peut que la contempler et cette vision demeure en partie indicible, la science qu'il en acquiert demeure intuitive et cette intuition se situe au-delà des classifications logiques ; elle leur est en quelque sorte irréductible... Le Banquet se révèle sur ce point très explicite ; il s'attarde à préciser ce que la Beauté n'est pas mais il se montre fort laconique lorsqu'il tente d'en élaborer une définition positive : le philosophe, déclare-t-il, contemple la Beauté en tant qu'elle est elle-même, dans l'unicité de sa forme ; définition aussi brève qu'insuffisant." (p.30)
-Jean-Marie Paisse, "L'idéalisme platonicien", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 160 (1970), pp. 25-65.