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    Julien Lamy, « Le perfectionnisme moral bachelardien »

    Johnathan R. Razorback
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    Julien Lamy, « Le perfectionnisme moral bachelardien » Empty Julien Lamy, « Le perfectionnisme moral bachelardien »

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 3 Sep - 8:20



    "Il s’agit d’examiner la polyéthique bachelardienne sous l’angle du perfectionnement de soi en reconstituant, à partir de textes collectés dans l’ensemble de l’œuvre, la frange perfectionniste du profil éthique de Bachelard." (p.37)

    "La psychanalyse de la connaissance, loin de se réduire à un discours austère, répressif et disciplinaire, est le vecteur d’une transformation de soi –Bachelard parle de conversion des intérêts immédiats en intérêts de connaissance– dont la finalité est de promouvoir la culture de soi, comprise comme augmentation de notre puissance de comprendre. [...]

    L’insistance de Bachelard sur la culture de soi, sur le besoin de progrès qui anime tout psychisme humain, invalide la cristallisation de son discours sur des formes de moralisme et de rigorisme normatif, en mettant au cœur de la construction du sujet épistémique la promotion d’un meilleur soi, l’ouverture sur un avenir de progrès. La personnalité culturelle doit conjuguer, selon Bachelard, la liberté de culture et la responsabilité de la surveillance, pour rendre possible l’évolution vers un état de plus grande perfection, par l’intériorisation des normes qui induisent cette progression." (p.41)

    "Il n’est pas prioritairement question de la délibération ou de la justification de nos actions avec le perfectionnisme, ce qui en fait une approche hétérodoxe au sein de la philosophie morale. Il s’agit plutôt de se réaliser comme personne, de s’améliorer soi-même, de veiller à se mettre dans certaines dispositions. D’une certaine façon, on peut dire que le perfectionnisme nous propose un « pas en arrière », une autre façon de poser le problème moral, en donnant la priorité à l’examen préalable de soi-même (on retrouve la figure du Socrate de l’Apologie), en portant une attention particulière à la manière d’être des individus." (p.44)

    "Loin de considérer la connaissance comme une simple acquisition d’informations, Bachelard n’a de cesse de souligner que le sujet doit modifier sa manière d’être au monde, rectifier sa façon de penser." (p.45)

    "Bachelard souligne même ailleurs que le changement interne qui s’opère dans l’individu, quand il devient un « homme studieux », est une « promotion d’être ». [...]
    Se joue aussi, du côté de la rêverie poétique et de l’expérience onirique, une démarcation avec l’existence commune. C’est une orientation connue de l’œuvre bachelardienne, qui consiste à opposer à la fonction du réel, marquée par l’« adaptation d’un esprit à des valeurs sociales », une fonction de l’irréel, qui permet de « bien rêver, de rêver en restant fidèle à l’onirisme des archétypes qui sont enracinés dans l’inconscient humain ». On pourrait sans doute parler en ce sens, sans pour autant mélanger les genres, d’une rupture poétique, qui serait isomorphe à la rupture épistémologique, tant Bachelard insiste sur le fait qu’il n’y a pas solution de continuité entre ce qui est perçu dans le cadre de l’expérience immédiate et ce qui est imaginé dans le cadre de l’expérience onirique. Il s’agit alors de se libérer, par la rêverie, de « toutes les préoccupations qui encombraient la vie quotidienne », de l’ensemble des soucis qui marquent l’existence ordinaire du sceau de la fonction du réel, de l’adaptation au monde tel qu’il est, de l’expérience de la contrainte sociale, et de la dispersion de soi." (p.46)

    "Alors que le moment cartésien de la modernité réduit la connaissance à des questions de méthode et de règles, sans lien direct avec l’être du sujet, la spiritualité telle qu’on la trouve définie dans le cadre des philosophies antiques suppose un lien de dépendance entre l’acte de connaître et la transformation de soi. N’est-ce pas ce que suggèrent la psychanalyse de la connaissance et l’épistémologie de Bachelard ?" (p.49)

    "Bachelard dit par exemple qu’il s’est « exercé, par la méditation, à vider le temps vécu de son trop-plein, à sérier les divers plans des phénomènes temporels » ; ou encore, de façon plus explicite, à propos «de ces séances de rythmanalyse [dont il sortait] rasséréné », que « ces applications détaillées, dont [il a] personnellement constaté l’efficacité, demandent un assez long exercice ». C’est dans le contexte  de ces pages consacrées à la rythmanalyse dans La dialectique de la durée que nous voyons Bachelard évoquer des techniques temporelles, dont il laisse entendre qu’il les a personnellement testées, et qui permettent d’agir sur le rythme personnel en le modifiant, par un travail associé de la respiration et de la marche, ou de se rendre endurant, dans un style proche de la fermeté d’âme stoïcienne ou cynique, à la douleur physique provoquée par « un mal de dent », ou bien encore de faire un bon usage des plaisirs, par un « épicurisme profond » susceptible notamment de régler la consommation de « l’ambroisie » et des « divins alcools »." (p.52)

    "Et si « l’exemple, c’est la causalité même en morale » [L'air et les songes], alors c’est en se référant à des modèles concrets, « à notre portée », que l’on peut apprendre à s’orienter dans l’existence." (p.57)

    "Bachelard défend une forme de compatibilisme, conjuguant déterminisme et liberté." (p.60)

    "Parmi les cas qui paraissent instancier les vertus morales valorisées par Bachelard, on peut évoquer : 1) l’homme studieux, qui incarne le courage intellectuel et l’opiniâtreté de l’homme qui cherche à comprendre ; 2) le travailleur, qui exprime la vertu d’engagement dans une tâche sociale, ainsi que la conformité à des normes impersonnelles 3) le graveur, qui exemplifie la vertu de force de la volonté de construire, et constitue une figure typique de l’engagement dans la création; 4) l’alchimiste, symbolisant la volonté de purification et la vertu de transformation, pris dans le jeu ambivalent des valeurs et antivaleurs, ambivalence qui se trouve une expression fondamentale dans la dialectique du bien et du mal; 5) ou encore l’enfant, archétype de la vie qui commence, qui instancie la vertu d’émerveillement face à un réel qui devient « un monde qui a souvent la fraîcheur de l’enfance d’un monde », alors même que « la vie use vite les premiers étonnements » ; enfant idéalisé dont la spontanéité révèle un mode d’être-au-monde toujours possible, au moins dans le temps suspendu d’une rêverie." (p.62)
    -Julien Lamy, « Le perfectionnisme moral bachelardien », Éthique, politique, religions, n° 13, 2018 – 2, Imaginaire et praxis. Autour de Gaston Bachelard, pp. 37-63.



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