« [Spengler] fait partie de ces théoriciens de la réaction extrémiste, dont la critique du libéralisme s’avéra à maints égards supérieure à la critique progressiste. »
« Spengler n’a pas trouvé d’adversaire à sa taille : l’oubli ressemble à une dérobade. »
« Une des tâches – non des moindres – devant lesquelles se trouve placée la pensée est de mettre tous les arguments réactionnaires contre la civilisation occidentale au service de l’Aufklärung progressiste. » -Theodor W. Adorno.
http://b1.ge.tt/gett/6jekT5j/Adorno%2C+Theodor+W+-+Negative+Dialectics+%28Ashton%29.pdf?index=0&user=anon-1BORQnuQBEb78HS05ixzAZO8E73CCF9GFk0T1SDfc-&pdf=
« La formulation de Dialectique négative pèche contre la tradition. La pensée dialectique veut, dès Platon, que par le moyen de la négation se produise un positif ; plus tard la figure d’une négation de la négation désigna cela de façon frappante. Ce livre voudrait délivrer la dialectique d’une telle essence affirmative, sans rien perdre en déterminité. Le déploiement de son titre paradoxal est l’une de ses intentions. » (p.
« La philosophie qui parut jadis dépassé, se maintient en vie parce que le moment de sa réalisation fut manqué. Le jugement sommaire selon lequel elle n’aurait fait qu’interpréter le monde et que par résignation devant la réalité, elle se serait aussi atrophiée en elle-même, se transforme en défaitisme de la raison après que la transformation du monde ait échoué. » (p.11)
« Si Kant, selon ses propres termes, s’était libéré du concept scolaire de la philosophie en la faisant accéder à son concept cosmique, elle a depuis, sous la contrainte, régressé à son concept scolaire. Là où elle le confond avec le concept cosmique, ses prétentions sombrent dans le ridicule. Hegel, malgré la doctrine de l’esprit absolu dans lequel il rangeait la philosophie, considérait cette dernière comme simple moment dans la réalité, comme activité procédant de la division du travail, et lui assigna ainsi ses limites. De là résulte depuis le caractère borné de la philosophie, son décalage par rapport à la réalité et cela d’autant plus qu’elle oublia plus profondément cette limitation et rejeta d’elle comme quelque chose d’étranger de se rappeler sa propre position au sein d’un tout, qu’elle monopolise comme son objet au lieu de reconnaître combien, jusque dans sa composition interne, sa vérité immanente, elle en dépend. Seule une philosophie qui se libère d’une telle naïveté vaut la peine qu’on continue à la penser. Mais son autoréflexion critique ne doit pas s’arrêter devant les plus hauts sommets de son histoire. Il faudrait lui demander si et comment après la chute de la philosophie hégélienne elle est seulement possible, tout comme Kant après la critique du rationalisme s’interrogeait sur la possibilité de la métaphysique. Si la doctrine hégélienne de la dialectique représente une tentative inégalée de se montrer, avec des concepts philosophiques, à la hauteur de ce qui leur est hétérogène, il faut alors rendre compte du rapport à la dialectique qu’il convient d’instaurer dans la mesure où sa tentative d’établir un rapport a échoué. » (p.12)
« [La dialectique] dit d’abord seulement que les objets ne se réduisent pas à leur concept, qu’ils entrent en contradiction avec la norme traditionnelle de l’adaequatio. La contradiction n’est pas ce en quoi l’idéalisme absolu de Hegel devait inévitablement la transfigurer : elle n’est pas d’essence héraclitéenne. Elle est l’indice de la non-vérité de l’identité, l’indice de l’absorption du conçu dans le concept. L’apparence d’identité est pourtant inhérente au penser lui-même dans sa forme pure. Penser signifie identifier. Satisfait, l’ordre conceptuel se glisse devant ce que le penser veut comprendre. Son apparence et sa vérité interfèrent. Celle-là ne saurait être éliminée par décret, par l’affirmation par exemple d’un étant en-soi, à l’extérieur de la totalité des déterminations du penser. Il y a implicitement chez Kant, et ceci fut mobilisé par Hegel contre lui, l’affirmation que l’en-soi se trouvant au-delà du concept, est nul en tant que tout à fait indéterminé. La conscience du caractère illusoire de la totalité conceptuelle n’a pas d’autre issue que de briser de l’intérieur l’apparence d’identité totale : en se servant du propre critère de l’identité. Mais comme cette totalité se construit conformément à la logique dont le noyau est constitué par le principe du tiers-exclu, tout ce qui ne s’y conforme pas, tout ce qui est qualitativement différent, prend par conséquent le caractère de la contradiction. La contradiction est le non-identique sous l’aspect de l’identité ; le primat du principe de contradiction dans la dialectique mesure l’hétérogène au penser de l’unité. En se heurtant à sa limite, celui-ci se dépasse. La dialectique est la conscience rigoureuse de la non-identité. Elle n’adopte pas de point de vue à l’avance. La pensée est portée à la dialectique de par son insuffisance inévitable, de par sa culpabilité à l’égard de ce qu’elle pense. Reprocher à la dialectique comme on n’a cessé de le faire à la suite des critiques aristotélisants de Hegel, de ramener de son côté à la forme simplement logique de la contradiction tout ce qui passe dans son moulin et de plus, de laisser de côté –c’était encore l’argumentation de Croce- toute la diversité du non-contradictoire, du simplement différent, c’est rejeter la responsabilité de la chose sur la méthode. » (p.12-13)
« En tant qu’idéaliste, [la dialectique] était cramponnée à l’hégémonie du sujet absolu comme à la force qui négativement produit chaque mouvement particulier du concept et la marche dans son ensemble. Un tel primat du sujet, même dans la conception hégélienne qui déborda la conscience humaine individuelle et jusqu’à celle transcendantale de Kant et de Fichte, est historiquement condamné. Il n’est pas seulement refoulé par l’impuissance d’une pensée atone qui devant la superpuissance du train du monde désespère de le construire. Bien plus, aucune des réconciliations affirmées par l’idéalisme absolu –tout autre idéalisme demeurant inconséquent- depuis les réconciliations logiques jusqu’aux réconciliations politico-historiques, n’était valable. » (p.14)
« Étant donné la situation historique, la philosophie a son véritable intérêt là où Hegel, d’accord avec la tradition, exprimait son désintérêt : dans le non-conceptuel, l’individuel et le particulier ; dans ce qui depuis Platon a été écarté comme éphémère et négligeable et sur quoi Hegel colla l’étiquette d’existence paresseuse. Son thème serait les qualités ravalées par elle comme contingentes au rang de quantité négligeable. Ce qui presse le concept c’est ce à quoi il n’atteint pas, ce qu’exclut son mécanisme d’abstraction, ce qui n’est pas déjà un exemplaire du concept. » (p.15)
« La haine contre le concept universel figé fonde le culte d’une immédiateté irrationnelle, d’une liberté souveraine au milieu du non-libre. Bergson esquisse ses deux modes de connaissance en les opposant de façon non moins dualiste que le faisaient les doctrines de Descartes et de Kant qu’il attaque ; le mode mécaniste de la connaissance reste, comme savoir pragmatique, aussi peu touché par le mode intuitif que l’est le système bourgeois par le naturel décontracté de ceux qui lui doivent leur privilège. » (p.15)
« La philosophie, même celle de Hegel, s’expose à l’objection générale d’opter d’avance pour l’idéalisme puisque son matériau consiste nécessairement en concepts. De fait, aucune philosophie même un empirisme extrême, ne peut traîner les facta bruta par les cheveux et les présenter comme des cas en anatomie ou des expériences en physique ; aucune ne peut, comme mainte peinture tente de le lui faire accroire, coller les choses singulières dans les textes. Mais cet argument, dans sa généralité formelle, prend le concept de façon aussi fétichiste que son autocompréhension naïve à l’intérieur de son domaine : comme une totalité autosuffisante sur laquelle le penser philosophique ne peut rien. En vérité tous les concepts, même les concepts philosophiques visent du non-conceptuel parce que pour leur part ils sont des moments de la réalité qui nécessite leur formation –tout d’abord en vue de la domination de la nature.
[…] La réflexion philosophique s’assure du non-conceptuel dans le concept. Sinon ce dernier serait, selon l’affirmation de Kant, vide, et pour finir ne serait absolument plus le concept de quelque chose et ce faisant, nul. La philosophie qui le reconnaît, qui abroge l’autarcie du concept, arrache le bandeau des yeux. » (p.17-18)
« La philosophie veut bien plutôt se plonger littéralement dans ce qui lui est hétérogène, sans le ramener à des catégories toutes faites. […] Elle tend à une extériorisation (Entaüsserung) intégrale. » (p.18-19)
« La connaissance ne possède complètement aucun de ses objets. Elle ne doit pas susciter le fantasme d’un tout. […] La pensée non naïve sait combien peu elle atteint ce qui est pensé et doit toujours pourtant parler comme si elle le possédait complètement. Ceci la rapproche de la clownerie. Elle a d’autant moins le droit de nier les traits de cette clownerie que c’est elle seule qui lui fait naître l’espoir de ce qui lui est refusé. La philosophie est ce qu’il y a de plus sérieux mais elle n’est pas non plus si sérieuse que cela. » (p.19-20)
-Theodor W. Adorno, Dialectique négative, 1966.
« L’école apologétique de Comte usurpa la succession des Encyclopédistes intransigeants et tendit la main à tout ce contre quoi ceux-ci avaient lutté jadis. » (p.14)
« La réflexion concernant l’aspect destructif du progrès est laissée aux ennemis de ce dernier. » (p.15)
« La cause de cette régression de la Raison vers la mythologie ne doit pas tant être cherchée dans les mythologies modernes nationalistes, païennes, etc., spécialement conçues en vue d’une telle régression, mais dans la Raison elle-même paralysée par la crainte que lui inspire la vérité. » (p.16)
« De tout temps, l’Aufklärung, au sens le plus large de pensée en progrès, a eu pour but de libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains. Mais la terre, entièrement « éclairée », resplendit sous le signe des calamités triomphant partout. » (p.21)
« Les hommes veulent apprendre de la nature comment l’utiliser, afin de la dominer plus complètement, elle et les hommes. » (p.22)
« La Raison est totalitaire.
Elle a toujours considéré que l’anthropomorphisme, la projection de la subjectivité sur la nature, était la base de tout mythe. Le surnaturel, les esprits et démons seraient donc, dans cette perspective, des reflets des hommes que les phénomènes naturels épouvantent. Les nombreuses figures mythiques peuvent par conséquent toutes être ramenées à un dénominateur commun, au sujet. La réponse d’Œdipe à l’énigme du Sphinx : « C’est l’homme », est une réponse aveugle, une solution stéréotypée de la Raison. » (p.24)
« Sans égard pour les différences, le monde est assujetti à l’homme. » (p.26)
« Le lapin ne va pas au laboratoire comme suppléant : c’est en tant que spécimen qu’il y est martyrisé. » (p.28)
« Le moi qui subit totalement l’emprise de la civilisation se décompose en un élément de cette inhumanité à laquelle la civilisation tentait d’abord d’échapper. » (p.47)
« Les néo-païens et bellicistes allemands veulent libérer le plaisir. Mais, sous l’oppression séculaire du travail, celui-ci avait appris à se détester, si bien qu’en période d’émancipation totalitaire il reste vulgaire et mutilé par le mépris qu’il a de lui-même. » (p.47)
« Tant que l’art renoncera à avoir valeur de connaissance, s’isolant ainsi de la pratique, la pratique sociale le tolérera au même titre que le plaisir. » (p.48)
«Le rapport de dépendance à la nature, c’est sa domination […] En reconnaissant avec humilité sa domination sur la nature et en se rétractant en elle, [l’esprit] détruit sa prétention dominatrice qui l’asservit justement à la nature. » (p.55)
-Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, Gallimard, coll. Tel, 1974 (1944 pour la première édition allemande), 281.
http://b3.ge.tt/gett/8yxKY5j/Adorno%2C+Theodor+W+-+Aesthetic+Theory.pdf?index=0&user=anon-Y9FcaJAFmXgg7gj4FbFaWQF7eee0x1rVtaoG1SFxX-&pdf=
-Adorno, Aesthetic Theory,
https://monoskop.org/images/6/63/Adorno_Theodor_W_Philosophie_de_la_nouvelle_musique.pdf
"
-Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique,
« Spengler n’a pas trouvé d’adversaire à sa taille : l’oubli ressemble à une dérobade. »
« Une des tâches – non des moindres – devant lesquelles se trouve placée la pensée est de mettre tous les arguments réactionnaires contre la civilisation occidentale au service de l’Aufklärung progressiste. » -Theodor W. Adorno.
http://b1.ge.tt/gett/6jekT5j/Adorno%2C+Theodor+W+-+Negative+Dialectics+%28Ashton%29.pdf?index=0&user=anon-1BORQnuQBEb78HS05ixzAZO8E73CCF9GFk0T1SDfc-&pdf=
« La formulation de Dialectique négative pèche contre la tradition. La pensée dialectique veut, dès Platon, que par le moyen de la négation se produise un positif ; plus tard la figure d’une négation de la négation désigna cela de façon frappante. Ce livre voudrait délivrer la dialectique d’une telle essence affirmative, sans rien perdre en déterminité. Le déploiement de son titre paradoxal est l’une de ses intentions. » (p.
« La philosophie qui parut jadis dépassé, se maintient en vie parce que le moment de sa réalisation fut manqué. Le jugement sommaire selon lequel elle n’aurait fait qu’interpréter le monde et que par résignation devant la réalité, elle se serait aussi atrophiée en elle-même, se transforme en défaitisme de la raison après que la transformation du monde ait échoué. » (p.11)
« Si Kant, selon ses propres termes, s’était libéré du concept scolaire de la philosophie en la faisant accéder à son concept cosmique, elle a depuis, sous la contrainte, régressé à son concept scolaire. Là où elle le confond avec le concept cosmique, ses prétentions sombrent dans le ridicule. Hegel, malgré la doctrine de l’esprit absolu dans lequel il rangeait la philosophie, considérait cette dernière comme simple moment dans la réalité, comme activité procédant de la division du travail, et lui assigna ainsi ses limites. De là résulte depuis le caractère borné de la philosophie, son décalage par rapport à la réalité et cela d’autant plus qu’elle oublia plus profondément cette limitation et rejeta d’elle comme quelque chose d’étranger de se rappeler sa propre position au sein d’un tout, qu’elle monopolise comme son objet au lieu de reconnaître combien, jusque dans sa composition interne, sa vérité immanente, elle en dépend. Seule une philosophie qui se libère d’une telle naïveté vaut la peine qu’on continue à la penser. Mais son autoréflexion critique ne doit pas s’arrêter devant les plus hauts sommets de son histoire. Il faudrait lui demander si et comment après la chute de la philosophie hégélienne elle est seulement possible, tout comme Kant après la critique du rationalisme s’interrogeait sur la possibilité de la métaphysique. Si la doctrine hégélienne de la dialectique représente une tentative inégalée de se montrer, avec des concepts philosophiques, à la hauteur de ce qui leur est hétérogène, il faut alors rendre compte du rapport à la dialectique qu’il convient d’instaurer dans la mesure où sa tentative d’établir un rapport a échoué. » (p.12)
« [La dialectique] dit d’abord seulement que les objets ne se réduisent pas à leur concept, qu’ils entrent en contradiction avec la norme traditionnelle de l’adaequatio. La contradiction n’est pas ce en quoi l’idéalisme absolu de Hegel devait inévitablement la transfigurer : elle n’est pas d’essence héraclitéenne. Elle est l’indice de la non-vérité de l’identité, l’indice de l’absorption du conçu dans le concept. L’apparence d’identité est pourtant inhérente au penser lui-même dans sa forme pure. Penser signifie identifier. Satisfait, l’ordre conceptuel se glisse devant ce que le penser veut comprendre. Son apparence et sa vérité interfèrent. Celle-là ne saurait être éliminée par décret, par l’affirmation par exemple d’un étant en-soi, à l’extérieur de la totalité des déterminations du penser. Il y a implicitement chez Kant, et ceci fut mobilisé par Hegel contre lui, l’affirmation que l’en-soi se trouvant au-delà du concept, est nul en tant que tout à fait indéterminé. La conscience du caractère illusoire de la totalité conceptuelle n’a pas d’autre issue que de briser de l’intérieur l’apparence d’identité totale : en se servant du propre critère de l’identité. Mais comme cette totalité se construit conformément à la logique dont le noyau est constitué par le principe du tiers-exclu, tout ce qui ne s’y conforme pas, tout ce qui est qualitativement différent, prend par conséquent le caractère de la contradiction. La contradiction est le non-identique sous l’aspect de l’identité ; le primat du principe de contradiction dans la dialectique mesure l’hétérogène au penser de l’unité. En se heurtant à sa limite, celui-ci se dépasse. La dialectique est la conscience rigoureuse de la non-identité. Elle n’adopte pas de point de vue à l’avance. La pensée est portée à la dialectique de par son insuffisance inévitable, de par sa culpabilité à l’égard de ce qu’elle pense. Reprocher à la dialectique comme on n’a cessé de le faire à la suite des critiques aristotélisants de Hegel, de ramener de son côté à la forme simplement logique de la contradiction tout ce qui passe dans son moulin et de plus, de laisser de côté –c’était encore l’argumentation de Croce- toute la diversité du non-contradictoire, du simplement différent, c’est rejeter la responsabilité de la chose sur la méthode. » (p.12-13)
« En tant qu’idéaliste, [la dialectique] était cramponnée à l’hégémonie du sujet absolu comme à la force qui négativement produit chaque mouvement particulier du concept et la marche dans son ensemble. Un tel primat du sujet, même dans la conception hégélienne qui déborda la conscience humaine individuelle et jusqu’à celle transcendantale de Kant et de Fichte, est historiquement condamné. Il n’est pas seulement refoulé par l’impuissance d’une pensée atone qui devant la superpuissance du train du monde désespère de le construire. Bien plus, aucune des réconciliations affirmées par l’idéalisme absolu –tout autre idéalisme demeurant inconséquent- depuis les réconciliations logiques jusqu’aux réconciliations politico-historiques, n’était valable. » (p.14)
« Étant donné la situation historique, la philosophie a son véritable intérêt là où Hegel, d’accord avec la tradition, exprimait son désintérêt : dans le non-conceptuel, l’individuel et le particulier ; dans ce qui depuis Platon a été écarté comme éphémère et négligeable et sur quoi Hegel colla l’étiquette d’existence paresseuse. Son thème serait les qualités ravalées par elle comme contingentes au rang de quantité négligeable. Ce qui presse le concept c’est ce à quoi il n’atteint pas, ce qu’exclut son mécanisme d’abstraction, ce qui n’est pas déjà un exemplaire du concept. » (p.15)
« La haine contre le concept universel figé fonde le culte d’une immédiateté irrationnelle, d’une liberté souveraine au milieu du non-libre. Bergson esquisse ses deux modes de connaissance en les opposant de façon non moins dualiste que le faisaient les doctrines de Descartes et de Kant qu’il attaque ; le mode mécaniste de la connaissance reste, comme savoir pragmatique, aussi peu touché par le mode intuitif que l’est le système bourgeois par le naturel décontracté de ceux qui lui doivent leur privilège. » (p.15)
« La philosophie, même celle de Hegel, s’expose à l’objection générale d’opter d’avance pour l’idéalisme puisque son matériau consiste nécessairement en concepts. De fait, aucune philosophie même un empirisme extrême, ne peut traîner les facta bruta par les cheveux et les présenter comme des cas en anatomie ou des expériences en physique ; aucune ne peut, comme mainte peinture tente de le lui faire accroire, coller les choses singulières dans les textes. Mais cet argument, dans sa généralité formelle, prend le concept de façon aussi fétichiste que son autocompréhension naïve à l’intérieur de son domaine : comme une totalité autosuffisante sur laquelle le penser philosophique ne peut rien. En vérité tous les concepts, même les concepts philosophiques visent du non-conceptuel parce que pour leur part ils sont des moments de la réalité qui nécessite leur formation –tout d’abord en vue de la domination de la nature.
[…] La réflexion philosophique s’assure du non-conceptuel dans le concept. Sinon ce dernier serait, selon l’affirmation de Kant, vide, et pour finir ne serait absolument plus le concept de quelque chose et ce faisant, nul. La philosophie qui le reconnaît, qui abroge l’autarcie du concept, arrache le bandeau des yeux. » (p.17-18)
« La philosophie veut bien plutôt se plonger littéralement dans ce qui lui est hétérogène, sans le ramener à des catégories toutes faites. […] Elle tend à une extériorisation (Entaüsserung) intégrale. » (p.18-19)
« La connaissance ne possède complètement aucun de ses objets. Elle ne doit pas susciter le fantasme d’un tout. […] La pensée non naïve sait combien peu elle atteint ce qui est pensé et doit toujours pourtant parler comme si elle le possédait complètement. Ceci la rapproche de la clownerie. Elle a d’autant moins le droit de nier les traits de cette clownerie que c’est elle seule qui lui fait naître l’espoir de ce qui lui est refusé. La philosophie est ce qu’il y a de plus sérieux mais elle n’est pas non plus si sérieuse que cela. » (p.19-20)
-Theodor W. Adorno, Dialectique négative, 1966.
« L’école apologétique de Comte usurpa la succession des Encyclopédistes intransigeants et tendit la main à tout ce contre quoi ceux-ci avaient lutté jadis. » (p.14)
« La réflexion concernant l’aspect destructif du progrès est laissée aux ennemis de ce dernier. » (p.15)
« La cause de cette régression de la Raison vers la mythologie ne doit pas tant être cherchée dans les mythologies modernes nationalistes, païennes, etc., spécialement conçues en vue d’une telle régression, mais dans la Raison elle-même paralysée par la crainte que lui inspire la vérité. » (p.16)
« De tout temps, l’Aufklärung, au sens le plus large de pensée en progrès, a eu pour but de libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains. Mais la terre, entièrement « éclairée », resplendit sous le signe des calamités triomphant partout. » (p.21)
« Les hommes veulent apprendre de la nature comment l’utiliser, afin de la dominer plus complètement, elle et les hommes. » (p.22)
« La Raison est totalitaire.
Elle a toujours considéré que l’anthropomorphisme, la projection de la subjectivité sur la nature, était la base de tout mythe. Le surnaturel, les esprits et démons seraient donc, dans cette perspective, des reflets des hommes que les phénomènes naturels épouvantent. Les nombreuses figures mythiques peuvent par conséquent toutes être ramenées à un dénominateur commun, au sujet. La réponse d’Œdipe à l’énigme du Sphinx : « C’est l’homme », est une réponse aveugle, une solution stéréotypée de la Raison. » (p.24)
« Sans égard pour les différences, le monde est assujetti à l’homme. » (p.26)
« Le lapin ne va pas au laboratoire comme suppléant : c’est en tant que spécimen qu’il y est martyrisé. » (p.28)
« Le moi qui subit totalement l’emprise de la civilisation se décompose en un élément de cette inhumanité à laquelle la civilisation tentait d’abord d’échapper. » (p.47)
« Les néo-païens et bellicistes allemands veulent libérer le plaisir. Mais, sous l’oppression séculaire du travail, celui-ci avait appris à se détester, si bien qu’en période d’émancipation totalitaire il reste vulgaire et mutilé par le mépris qu’il a de lui-même. » (p.47)
« Tant que l’art renoncera à avoir valeur de connaissance, s’isolant ainsi de la pratique, la pratique sociale le tolérera au même titre que le plaisir. » (p.48)
«Le rapport de dépendance à la nature, c’est sa domination […] En reconnaissant avec humilité sa domination sur la nature et en se rétractant en elle, [l’esprit] détruit sa prétention dominatrice qui l’asservit justement à la nature. » (p.55)
-Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, Gallimard, coll. Tel, 1974 (1944 pour la première édition allemande), 281.
http://b3.ge.tt/gett/8yxKY5j/Adorno%2C+Theodor+W+-+Aesthetic+Theory.pdf?index=0&user=anon-Y9FcaJAFmXgg7gj4FbFaWQF7eee0x1rVtaoG1SFxX-&pdf=
-Adorno, Aesthetic Theory,
https://monoskop.org/images/6/63/Adorno_Theodor_W_Philosophie_de_la_nouvelle_musique.pdf
"
-Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique,
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 2 Nov - 16:15, édité 1 fois