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    Émile Saisset, Giordano Bruno et la philosophie au XVIe siècle + Manuel de philosophie à l'usage des collèges + La Philosophie de Saint Augustin + Précurseurs et disciples de Descartes + Du Passé et de l’Avenir du Socialisme

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Émile Saisset, Giordano Bruno et la philosophie au XVIe siècle + Manuel de philosophie à l'usage des collèges + La Philosophie de Saint Augustin + Précurseurs et disciples de Descartes + Du Passé et de l’Avenir du Socialisme Empty Émile Saisset, Giordano Bruno et la philosophie au XVIe siècle + Manuel de philosophie à l'usage des collèges + La Philosophie de Saint Augustin + Précurseurs et disciples de Descartes + Du Passé et de l’Avenir du Socialisme

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 8 Avr - 21:36

    https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Saisset

    https://fr.wikisource.org/wiki/Giordano_Bruno_et_la_philosophie_au_XVIe_si%C3%A8cle

    "Le XVIe siècle a fait deux grandes choses. Dans le domaine de la religion, il a secoué le joug de Rome ; dans celui de la philosophie, il a brisé le despotisme de la scholastique : double réforme, fille d’un même esprit, et qui, abattant une double tyrannie, émancipait à la fois les esprits et les consciences. Voilà la liberté dans le monde ; laissez-la faire : elle saura bien marquer sa place dans les institutions sociales et politiques. De Luther et de Bruno à Descartes, de Descartes à Voltaire, de Voltaire à Mirabeau, chacun de ses pas sera une conquête. Elle marche, elle avance, elle triomphe. Du sein de l’homme intérieur, affranchi par trois siècles d’épreuves et de combats, la révolution française fait naître le citoyen."

    "Le vrai Aristote étant contraire au christianisme autant que le vrai Platon lui est conforme, il a fallu que le XVIe siècle retrouvât le vrai Aristote et altérât le vrai Platon pour les faire servir tous deux au renversement de la scholastique."

    "Ce qui dessilla les yeux des hommes pénétrans et hardis du XVe et du XVIe siècle, ce fut la lecture même des écrits d’Aristote, faite dans l’original et éclairée par les commentaires de l’antiquité. Quand on eut dans les mains ces grands traités que les exilés de Byzance apportaient à l’Europe occidentale ; quand on eut appris à les lire à l’école des Argyrophile et des Lascaris ; quand on put interpréter Aristote à l’aide de commentateurs fidèles, tels que Simplicius et Alexandre d’Aphrodise ; quand l’imprimerie eut rendu plus facile et plus général l’abord de tous ces monumens, il n’y eut plus alors à se faire d’illusion sur les doctrines du philosophe de Stagyre, et la chimère de son orthodoxie s’évanouit, En même temps, un esprit nouveau soufflait dans le monde, excitant les intelligences à l’examen, ébranlant toutes les vieilles doctrines, discutant toutes les autorités, appelant l’Europe aux nouveautés et à l’indépendance. Dès-lors, l’hétérodoxie profonde d’Aristote, loin de le rendre suspect, devint un attrait. Plus d’un esprit hardi en doctrine autant que prudent en conduite, Cesalpini, par exemple, trouva piquant et commode tout à la fois d’enseigner des nouveautés équivoques au nom d’Aristote, sous la protection de son antique infaillibilité. Deux grandes écoles de philosophie péripatéticienne se formèrent : l’une qui prenait pour guide l’éminent commentateur Alexandre d’Aphrodise, l’autre qui suivait le drapeau d’Averroès ; mais alexandristes et averroïstes, élèves de Cesalpini ou de Pomponace, péripatéticiens plus timides ou plus décidés, partout, à Bologne comme à Padoue, comme à Toulouse, pour Cremonini, pour Zabarella, pour Achillini, pour Porta, pour Vanini, Aristote est un ennemi de l’orthodoxie, un auxiliaire de l’esprit nouveau, une arme contre l’église."

    "On est tombé et l’on tombe encore dans deux excès contraires en appréciant Aristote. Depuis Descartes, on s’est accoutumé à voir dans l’adversaire de Platon le père du sensualisme, et, à ce titre, il a été invoqué et glorifié par les matérialistes du XVIIIe siècle et du nôtre. Dans ces derniers temps, on a été frappé, et à bon droit, de l’inexactitude de ce jugement : on s’est attaché aux belles parties de la psychologie et de la théodicée péripatéticiennes, pour les remettre en honneur, et on a bien fait ; mais bientôt le mouvement de réaction entraînant les esprits, l’on en est venu à proclamer dans Aristote le plus profond et le plus pur spiritualiste de l’antiquité. La dernière limite de cet excès, c’était de considérer l’auteur de la Métaphysique comme un philosophe éminemment religieux et presque chrétien."

    "Le Timée, le dixième livre des Lois, le Phédon, sont la préface de l’Évangile. Le Dieu de Platon n’est pas seulement une intelligence, mais un intarissable foyer d’amour. Son plus haut caractère, c’est d’être bon. Son nom le plus vrai est celui de père. S’il sort de son repos pour former l’univers, ce n’est point par un caprice de sa toute-puissance, ou par une nécessité de sa nature, c’est par une effusion de sa bonté. [...] C’est sans doute la lecture de ce passage du Timée qui faisait dire à saint Augustin : « J’ai eu deux maîtres, Platon et Jésus-Christ. Platon m’a fait connaître le vrai Dieu ; Jésus-Christ m’a montré la voie qui y mène. » Qu’ajouterais-je à ce mot, et comment mieux marquer l’union étroite du platonisme et de la religion chrétienne ?"

    "Autant le vrai platonisme est d’accord avec l’esprit chrétien, autant le faux platonisme lui est contraire. Voilà tout le secret des néo-platoniciens du XVIe siècle. La philosophie de Marsile Ficin, de Bruno, de Patrizzi, ce n’est pas la philosophie de Platon, c’est le platonisme panthéiste d’Alexandrie. Je n’entends pas dire que tous ces philosophes aient été au fond de leurs pensées, que tous aient eu conscience de l’opposition de leurs doctrines avec l’esprit du christianisme ; mais orthodoxes ou hérétiques, adversaires d’intention ou simplement de fait, tous tombent dans le même excès. Gémiste Pléthon, l’un des premiers Byzantins qui aient porté dans l’Occident les lettres grecques, prétend associer Platon et Zoroastre. Le fondateur de l’académie platonicienne de Florence, Marsile Ficin, est un chrétien sincère et plein de candeur. Seulement, entre Platon et Plotin son enthousiasme hésite, ou plutôt il ne les distingue pas, et, en les traduisant et les interprétant tous deux, il croit de bonne foi les concilier. Pic de la Mirandole marche sur ses traces, et, comme autrefois Philon, il applique à la cosmogonie de Moïse une exégèse mystique. Patrizzi est un esprit violent et déréglé qui, sous le nom de Platon et d’Hermès, donne carrière à ses folles rêveries. Mais voici dans l’école platonicienne deux graves personnages, deux princes de l’église, le cardinal Bessarion et le cardinal Nicolas de Cuss : sont-ce là des interprètes fidèles du Phédon et du Timée ? Non, ce sont des élèves d’Alexandrie mêlant et brouillant ensemble Platon, Aristote et Plotin. L’un voit la Trinité dans le Timée ; l’autre se forge aussi une Trinité fantastique dont l’unité plotinienne fait le fond et qu’il lègue, encore bien confuse, à Giordano Bruno.

    Le trait commun de tous ces philosophes, c’est donc de substituer au vrai Platon, au Platon chrétien, le Platon défiguré, perverti, de l’école d’Alexandrie. Et c’est ce qui explique à merveille que le platonisme du XVIe siècle, frère de celui de Porphyre et de Julien, ait été, comme son aîné, un instrument d’opposition contre la religion chrétienne.
    "

    "Giordano Bruno est généralement regardé aujourd’hui comme le grand métaphysicien du XVIe siècle. En Allemagne, depuis ces quarante dernières années, l’admiration qu’il a excitée s’est exaltée jusqu’à l’enthousiasme. Jacobi a donné le signal. C’est une des contradictions de cet esprit bizarre, à la fois sceptique et romanesque, négatif et sentimental, d’avoir choisi parmi les philosophes, pour l’objet de ses prédilections, deux panthéistes, Bruno et Spinoza. M. Schelling a rendu au philosophe napolitain l’hommage dont autrefois Platon honora Timée, en mettant dans sa bouche ses théories les plus hardies et les plus brillantes. Moins complaisant que M. Schelling pour le panthéisme exalté de Jordano Bruno, Hegel respecte en lui le précurseur de l’idéalisme. L’Allemagne a ses raisons pour tant célébrer Spinoza et Bruno ; en les glorifiant, c’est elle-même qu’elle glorifie, car elle salue en tous deux l’avènement d’une idée qu’elle s’honore d’avoir pour jamais acquise à la science, l’idée de l’universelle identité. Et c’est en effet Bruno qui, le premier, a jeté cette idée dans le monde avec l’imagination d’un poète et le courage fanatique d’un sectaire. C’est cette idée qui, au sein même du cloître, apparaît de bonne heure à ce fougueux jeune homme. Elle l’enflamme, elle le possède. Du couvent, elle le jette dans le siècle ; elle l’entraîne sur tous les champs de bataille de la philosophie européenne ; elle le met aux prises avec les théologiens de la Sorbonne, les docteurs d’Oxford, les réformés de Wittenberg ; elle anime et colore de ses reflets ses dialogues, ses poèmes, ses comédies. Elle le conduit enfin sous les plombs de Venise, et remplit son âme de sérénité jusque sur le bûcher du champ de Flore. Cette persévérance dans la même idée, cette audace à la proclamer, cette ferveur à la répandre, cette fermeté à la soutenir jusqu’à la mort, voilà ce qui donne à Bruno une physionomie distincte. Parmi ces amans de l’antiquité, presque seul il conserve une certaine indépendance ; parmi ces esprits ardens et confus, c’est celui qui s’entend le mieux avec lui-même, quoiqu’il ne s’entende pas toujours ; c’est lui, enfin, qui, entre tous ces novateurs turbulens, sait le mieux pourquoi il combat à la fois la scholastique, Aristote et l’église."

    "Giordano Bruno naquit à Nola, près de Naples, en 1550, dix ans après la mort de Kopernic, dont il devait recueillir et cultiver l’héritage, dix ans avant la naissance de Bacon, à qui il devait léguer le sien. La destinée, qui plaça son berceau au pied du Vésuve et le fit grandir sous un ciel de feu, lui avait donné une ame ardente, impétueuse, une inquiète et mobile imagination. Il arrive aux caractères de cette trempe de se croire destinés aux austérités du cloître, aux recueillemens de la solitude : Bruno prit l’habit de dominicain. Vingt ans après, un autre enfant de l’Italie, Campanella, dupe d’une pareille illusion, emprisonnait aussi sous le froc les ardeurs et les bouillonnemens de son génie. L’historien de l’ordre de Saint-Dominique, Échart, a nié que Bruno ait jamais été un des siens. La seule raison qu’en donne ce savant homme, c’est que, si Bruno eût été une fois dominicain, il n’eût jamais cessé de l’être et fût resté bon catholique. Adorable naïveté, qui croit l’éducation plus forte que l’esprit du siècle ! Qu’eût dit l’honnête Échart, s’il eût vu Voltaire sortir, après Descartes, des mains des jésuites ? En tout temps, même ironie de la destinée : du XIVe au XVIe, la même terre, le même ordre, ont porté saint Thomas et Giordano Bruno. Que va devenir au cloître notre jeune Napolitain ? Beau, spirituel, éloquent, nourri de poésie, avide de gloire, affamé de bruit, les triomphes et les orages du siècle l’appellent. La règle du couvent, et plus encore la règle de la foi, sont un insupportable joug à son indocilité. À peine a-t-il revêtu l’habit monastique, il n’est déjà plus chrétien. Ses questions hardies, ses doutes illimités sur la virginité de Marie, sur le mystère de la trans-substantiation, inquiètent et irritent ses supérieurs. D’un seul bond, cet esprit extrême s’est élancé de la foi d’un moine catholique aux dernières limites du scepticisme. Je crois voir Spinoza, élevé sous l’aile des rabbins, leur échapper tout à coup, et passer sans transition du culte de la synagogue à la religion sans autel des libres penseurs. Ce n’est point en effet à telle ou telle pratique, à, telle ou telle institution que s’attaque le doute du moine dominicain. Il va droit au dogme essentiel, l’eucharistie, et le nie radicalement. Luther s’était borné à transformer le mystère eucharistique, croyant de bonne foi le ramener à sa pureté primitive. Bruno attaque la forme et le fond, car il nie la divinité de Jésus-Christ, base de l’eucharistie, et de tout vrai christianisme. C’est que le souffle qui de bonne heure a passé sur l’âme de Bruno, ce n’est pas celui de la religieuse et mystique Allemagne, c’est le souffle sec et brûlant de l’incrédulité italienne. Où est la foi chrétienne en Italie au XVIe siècle ? Est-ce dans ces savantes écoles de Florence et de Padoue, de Cozence et de Rome, autour desquelles se groupent les hardis explorateurs de la nature, les adorateurs fanatiques de l’antiquité, ces ingénieux Lincei, ces académiciens de la Crusca et de Segreti ? Est-ce au sein de ce bas clergé, livré au plus scandaleux dérèglement et à la plus profonde ignorance, ou parmi ces hauts prélats, éclairés et amollis à la fois par la richesse, les arts, le culte des lettres antiques ? Est-ce parmi ces cardinaux qui délaissent la Bible pour Cicéron et attestent les dieux immortels sous les voûtes du Vatican ? Non ; la foi, dans l’Italie du XVIe siècle, n’est nulle part, pas même sur la chaise de saint Pierre. Il y a de savans théologiens, de profonds canonistes, un Baronius, un Bellarmin ; il y a des artistes dont l’imagination s’est éprise des types chrétiens. On bâtit Saint-Pierre de Rome, et l’on peint la chapelle Sixtine. On fait des Vierges adorables ; mais on n’a pas la foi du Giotto et de Cimabuë ; on donne à la religion ses pinceaux, et son âme à la Fornarina. Jamais au surplus l’inquisition romaine n’a été plus vigilante et plus cruelle : on emprisonne, on torture, on brûle les hérétiques ; mais on est soi-même plus qu’hérétique, car on est loin de la foi naïve et réglée du moyen-âge, et l’on n’a pas davantage la foi libre de Luther et de Calvin."

    "À la logique d’Aristote Bruno en substitue une nouvelle, dont il emprunte le germe à Raymond Lulle ; à l’astronomie de Ptolémée, il oppose celle de Kopernic et de Pythagore ; à la physique d’Aristote, à son monde fini, à son ciel incorruptible, il oppose l’idée d’un monde infini, livré à une évolution universelle et éternelle ; à la religion chrétienne, religion de la grace et de l’esprit, il oppose la religion de la nature, expliquant le surnaturel par la physique, et ne voyant dans les religions qu’un amas de superstitions et de symboles. La logique rajeunie de Lulle, l’astronomie de Kopernic, un panthéisme où Parménide, Platon, Plotin et Nicolas de Cuss ont chacun leur part, voilà le bagage qu’emporte Bruno, quand il quitte le cloître, la patrie, l’église, pour entreprendre sa croisade européenne, pour aller, sans autre appui que son audace, déclarer la guerre à toutes les autorités établies, défier tous les pouvoirs spirituels, braver les foudres de l’école et de l’église.

    Aussi sa course est d’une rapidité prodigieuse. Il n’évite un orage qu’en courant en exciter un nouveau. Il semble choisir de préférence les pays où l’autorité la plus ombrageuse domine, où les périls sont les plus grands. Il commence par Genève, où régnait le sombre calvinisme qui avait immolé Servet ; il y trouve, non Calvin, comme on l’a cru à tort, mais un autre Calvin, ce Théodore de Bèze, qui écrivait à Ramus : « Les Genevois ont décrété une bonne fois et pour jamais que ni en logique, ni en aucune autre branche de savoir, on ne s’écarterait chez eux des sentimens d’Aristote. »

    De Genève, Bruno s’éloigne ou s’échappe pour aller à Lyon, où il ne s’arrête pas, puis à Toulouse, qui accueille sa parole par des clameurs, et, fuyant cette cité inhospitalière pour échapper au sort qui attendait Vanini, il se flatte de trouver un plus sûr asile dans la ville où fumait encore le sang de la Saint-Barthélemy. Bruno a séjourné deux fois à Paris, une première fois de 1582 à 1583 ; puis, après son voyage en Angleterre, de 1585 à 1586. Il y trouva des protecteurs puissans dans le grand-prieur Henri d’Angoulême et dans l’ambassadeur de Venise, J. Moro, qui le présenta à Henri III. Grace à ce haut patronage, il obtint du recteur de l’université de Paris, Jean Filesac, la permission d’enseigner la philosophie. On l’eût même admis, selon Scioppius, au nombre des professeurs titulaires, s’il avait voulu assister à la messe.

    Bruno eut le plus grand succès. Il était jeune et beau. Il parlait avec une abondance merveilleuse, et fatiguait la plume de ceux qui recueillaient ses discours. Sa figure était pensive, ses traits délicats et fins ; un nuage de mélancolie ardente était répandu sur son front. Son œil noir lançait des éclairs. Il parlait debout ; dédaigneux des formes de l’école, confiant dans sa mobile et prompte inspiration, il prenait tous les tons, l’ironie, l’enthousiasme, quelquefois la bouffonnerie, mêlant le sacré avec le profane, et colorant les abstractions de la métaphysique des images de la poésie. Mais ce qui explique mieux encore son succès, c’est l’audace de ses nouveautés. Lisez sa lettre au recteur de l’université, et vous prendrez une idée de la hardiesse étonnante de ses discours, et de l’effet que devait produire sur un auditoire jeune et enthousiaste cette parole fière et libre, cet audacieux appel à l’indépendance, dans la bouche d’un jeune homme au regard enflammé, à l’attitude inspirée, à l’accent énergique, qui semblait agité d’un démon intérieur, et dont le langage, tour à tour obscurci d’abstractions et brillant de poétiques symboles, faisait entrevoir, comme à travers un nuage, un monde nouveau, merveilleux, inconnu
    ."

    "Protégé par l’ambassadeur de France, Michel de Castelnau, ami déclaré de la philosophie, qui, dans ce siècle de fanatisme sanguinaire, tint à honneur d’être le traducteur de Ramus et l’hôte de Giordano Bruno ; présenté à Philippe Sydney, ce magnanime esprit qu’on est sûr de rencontrer partout où il y a un opprimé à protéger, une cause généreuse à défendre, le philosophe napolitain fut en grande faveur à la cour de la reine Élisabeth. Il ne montra pas moins d’enthousiasme pour elle que Shakespeare, qui l’appelait la belle vestale assise sur le trône de l’Occident. » Bruno la compare à Diane, et trouve réunis en Élisabeth la beauté de Cléopâtre et le génie de Sémiramis. Ne reprochons pas trop sévèrement à l’enthousiaste Italien ces éloges outrés pour une reine de génie. De retour dans sa patrie, ce grain d’encens brûlé en l’honneur d’une protestante ne lui coûtera que trop cher. Plein de confiance dans la protection d’Élisabeth, Bruno se rend à Oxford, fier d’attaquer le péripatétisme dans l’une de ses citadelles. Cette université était tellement attachée à Aristote, qu’un de ses statuts portait : « Les bachelors et les masters of arts qui ne suivent pas fidèlement Aristote sont passibles d’une âmende de cinq shillings par point de divergence, ou seulement pour toute faute commise contre l’Organon. » Bruno obtint cependant la permission d’enseigner, et nous le voyons même paraître avec éclat dans une occasion solennelle. Un royal visiteur étant venu à Oxford, on lui donna une fête splendide appropriée au caractère de cette ville universitaire. Le chancellor, Leicester, conduisit son hôte dans tous ces collèges que le voyageur peut encore admirer aujourd’hui, avec leurs élégantes chapelles, leurs flèches élancées, leurs cloîtres rians ; leurs parcs aux majestueux ombrages. Le collége du Christ, le collége de toutes les Âmes (all souls College), furent tour à tour le théâtre de fêtes savantes. Au collége de la Vierge, on s’arrêta pour assister à une dispute philosophique où Bruno eut à lutter avec les maîtres éprouvés d’Oxford. La passe d’armes fut des plus brillantes. Il y eut un docteur quinze fois désarçonné. Ce qui relève la frivolité de cette joûte et lui donne un certain air de grandeur, c’est le sujet choisi pour la dispute. Bruno, organe de l’esprit nouveau, soutenait l’astronomie de Kopernic contre celle de Ptolémée, défendue par l’interprète orthodoxe de l’université d’Oxford."

    "De toutes les audaces de Bruno, la plus grande est d’avoir remis le pied en Italie. Et remarquez où il choisit un séjour : à Padoue ; Padoue, le premier foyer du péripatétisme ; Padoue, dominée par Venise, où l’inquisition romaine tend ses lacets et pensionne ses geôliers. Il semble qu’une fatalité ennemie fût attachée à ce génie hasardeux et mobile, et le poussât de témérité en témérité jusqu’à l’abîme. Ne l’accusons pas, plaignons-le ; suspect à tous les clergés, à toutes les universités d’Europe, ne pouvant trouver la paix sur la terre étrangère, il vint chercher un asile au pays natal et contempler ce doux ciel, il cielo benigno, dont il parle dans un de ses ouvrages avec l’attendrissement d’un exilé.

    On ignore encore si Bruno fut arrêté à Padoue ou à Venise, et on avait mal connu jusqu’à nos jours la date exacte de son arrestation. Grace à la découverte du document de Venise, due à M. Léopold Ranke, l’illustre historien, et publié pour la première fois par M. Bartholmess, beaucoup de circonstances obscures du procès de Bruno se sont éclairées d’un jour inattendu. C’est en septembre 1592 que le père inquisiteur de Venise s’empara de la personne de Bruno et le fit détenir dans les prisons que la république mettait à la disposition du saint-office, aux Plombs ou aux Puits. Son arrestation fut promptement mandée au grand-inquisiteur siégeant à Rome, Santorio, dit San-Severina. Celui-ci ordonna sur-le-champ qu’on le lui envoyât sous bonne escorte, à la première occasion. Le 28 du même mois, une occasion sûre se présenta, et le père inquisiteur, accompagné du vicaire des patriarches et de l’assistant de l’inquisition, Thomas Morosini, se rendit aussitôt auprès des Savi [8] pour solliciter, au nom de son éminence, sur les motifs suivans l’extradition de Jordano : « Cet homme, disait-il, est non-seulement hérétique, mais hérésiarque ; — il a composé divers ouvrages où il loue fort la reine d’Angleterre et d’autres princes hérétiques ; — il a écrit différentes choses touchant la religion et contraires à la foi, quoiqu’il s’exprimât en philosophe ; — il est apostat, ayant d’abord été dominicain ; — il a vécu nombre d’années à Genève et en Angleterre ; — il a été poursuivi en justice pour les mêmes chefs à Naples et en d’autres endroits. » Après cette énumération, le père inquisiteur insista vivement, se montrant aussi bien informé de tout ce qui concernait le prévenu, que si, depuis vingt ans, il ne l’eût jamais perdu de vue. Les Savi hésitèrent, éludèrent ; la matinée s’écoula ; après dîner, le père inquisiteur revint et redoubla d’insistance. Enfin les Savi refusèrent en ces termes : « L’affaire étant considérable et de conséquence, et les occupations de la république nombreuses et graves, on n’a pu pour le moment prendre aucune résolution. »
    ."

    "L’hésitation de Venise était plus cruelle pour Bruno que la mort. Le voilà condamné sans jugement à une prison indéfinie. Quel supplice pour cet homme ardent, qui avait tant besoin de mouvement et d’action, que le silence d’un cachot ! Quelle horrible torture que l’incertitude de l’avenir ! Et qu’on songe qu’il resta six ans sous les Plombs ! Venise l’y avait oublié ; mais San-Severina ne l’oubliait pas. L’ame de Torquemada revivait dans cet Espagnol farouche et aigri, qui n’avait touché à la tiare que pour la voir échapper de ses mains, et qui veillait avec Bellarmin autour de Clément VIII pour empêcher la pitié d’approcher du trône pontifical. L’extradition de Bruno eut lieu en 1598. Ce qui se passa dans la prison romaine entre la congrégation du saint-office et sa proie ne nous est connu que par le court récit de Scioppius ; mais on peut s’en fier à ce personnage, voué alors tout entier aux jésuites : on n’accusera pas d’exagération le témoin sans pitié du procès, le spectateur sans entrailles du supplice, l’atroce insulteur de la victime. Après l’examen des pièces qu’on semble avoir lues avec une résolution arrêtée, on procéda aux interrogatoires, qui se succédèrent rapidement. Quand on crut avoir convaincu Bruno, on entreprit de le convertir : ce fut impossible. On le somma dès-lors, sous peine de la vie, de déclarer que ses opinions étaient erronées, ses ouvrages impies et absurdes, faux en religion et en philosophie, en un mot, de se rétracter sur tous les points. Les premiers théologiens de Rome se piquèrent de le subjuguer. Rien ne put vaincre l’inflexible résolution de Bruno ; il ne refusait pas de discuter, mais il refusait de se rendre. On pensa qu il voulait gagner du temps ; le saint-office se crut joué et résolut d’être impitoyable. Le 9 février 1600, Giordano fut conduit au palais qu’habitait San-Severina. Là, en présence des cardinaux et théologiens, consulteurs du saint-office, devant le gouverneur de Rome, Bruno fut agenouillé de force, et on lui lut sa sentence. Il était excommunié et dégradé. La lecture finie, Bruno fut remis au bras séculier pour être puni « avec autant de clémence qu’il se pourrait et sans répandre de sang » ut quam clementissime et citra sanguinis effusionem puniretur, formule atrocement ironique, reçue pour le supplice du feu, et où se peint le génie hypocrite et implacable de l’inquisition. Un délai de huit jours lui fut accordé pour la confession de ses crimes. Il refusa d’en reconnaître aucun, et, le 17 février 1605, il fut conduit en grande pompe au champ de Flore et livré aux flammes."

    "L’évidence comme criterium de la vérité, le doute comme initiation à la science, voilà ce qu’il donne à Descartes. L’idée d’un Dieu immanent, la distinction tant célébrée de la nature naturée et de la nature naturante, voilà ce qu’il lègue à Spinoza ; le germe de la théorie des monades et de l’optimisme, telle est la part qu’il fait à Leibnitz ; il n’y a pas jusqu’aux sciences mathématiques et physiques, que pourtant il s’est contenté d’effleurer, où l’histoire ne trouve sa trace : le centre de gravité des planètes, les orbites des comètes, le défaut de sphéricité de la terre, peut-être l’idée première du système des tourbillons, sont autant de traits de génie qui justifient le titre expressif que prenait Bruno en s’appelant le réveilleur, excubitor. Enfin les plus hardis penseurs de notre époque s’honorent de lui emprunter le principe de l’identité absolue du subjectif et de l’objectif, de l’idéal et du réel, de la pensée et des choses. Certes, il n’y a qu’un homme de génie qui puisse laisser un pareil héritage et compter de pareils héritiers. Néanmoins, si vous considérez, non les vues éparses de Bruno, les éclairs qui sillonnent cette pensée orageuse, mais la doctrine en elle-même, il est certain qu’elle est essentiellement dépourvue de cette force de cohésion qui enchaîne les parties d’une pensée riche et féconde, et de cette initiative suprême qui introduit dans le monde une idée vraiment nouvelle, mère d’un système nouveau. On peut dire qu’il n’y a dans les livres de Bruno que deux choses, des souvenirs et des pressentimens, rien par conséquent de ce qui constitue une philosophie véritablement organisée."
    -Émile Saisset, Giordano Bruno et la philosophie au XVIe siècle, Revue des Deux Mondes, T.18, 1847.

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k770394.pdf

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k255896t.pdf

    "
    -Émile Saisset, La Philosophie de Saint Augustin, Revue des Deux Mondes, 2e série de la nouv. période, tome 10, 1855 (p. 870-888): https://fr.wikisource.org/wiki/La_Philosophie_de_Saint_Augustin

    "
    -Émile Saisset, Précurseurs et disciples de Descartes: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k255896t.pdf

    https://fr.wikisource.org/wiki/Du_pass%C3%A9_et_de_l%E2%80%99avenir_du_socialisme



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