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    Alain de Benoist, Carl Schmitt et les sagouins + L’immigration, armée de réserve du capital + Quelle morale, quelle éthique ?

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Alain de Benoist, Carl Schmitt et les sagouins + L’immigration, armée de réserve du capital + Quelle morale, quelle éthique ? Empty Alain de Benoist, Carl Schmitt et les sagouins + L’immigration, armée de réserve du capital + Quelle morale, quelle éthique ?

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 10 Mai - 19:14

    http://grece-fr.com/?p=3433

    "En 1973, peu de temps avant sa mort, le président Pompidou reconnaissait avoir ouvert les vannes de l’immigration à la demande d’un certain nombre de grands patrons, tel Francis Bouygues, désireux de bénéficier d’une main-d’œuvre docile, bon marché, dépourvue de conscience de classe et de toute tradition de luttes sociales, afin d’exercer une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs français, de réduire leurs ardeurs revendicatrices, et subsidiairement de briser l’unité du mouvement ouvrier. Ces grands patrons, soulignait-il, en « veulent toujours plus ».

    Quarante ans plus tard, rien n’a changé. A un moment où plus aucun parti de gouvernement ne se risquerait à demander qu’on accélère encore le rythme de l’immigration, seul le patronat se prononce en ce sens, tout simplement parce que c’est toujours son intérêt. La seule différence est que les secteurs économiques concernés sont désormais plus nombreux, dépassant le secteur industriel ou la restauration pour s’étendre à des professions autrefois épargnées, telles que les ingénieurs ou les informaticiens.

    La France, on le sait, a fait massivement appel à l’immigration dès le XIXe siècle. La population immigrée représentait déjà 800 000 personnes en 1876, 1,2 million de personnes en 1911. D’abord centre d’attraction des émigrations italienne et belge, l’industrie française a par la suite attiré les Polonais, puis les Espagnols et les Portugais. « Cette immigration, peu qualifiée et non syndiquée, va permettre à l’employeur de se soustraire aux contraintes croissantes du droit du travail »1. En 1924, une Société générale d’immigration (SGI) est même créée à l’initiative du Comité des houillères et des gros exploitants agricoles du Nord-Est. Elle ouvre des bureaux de placement en Europe, qui fonctionnent comme une pompe aspirante. En 1931, on comptera 2,7 millions d’étrangers en France, soit 6,6 % de la population totale. La France affiche alors le plus fort taux d’immigration du monde (515 pour 100 00 habitants). « Un bon moyen pour toute une partie du patronat de faire pression à la baisse sur les salaires […] Dès cette époque, le capitalisme cherche à mettre en concurrence la force de travail en faisant appel à des armées de réserve salariales »2.
    Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les immigrés vont de plus en plus fréquemment venir des pays du Maghreb, Algérie d’abord, puis Maroc. Des camions affrétés par les grandes entreprises (surtout dans le secteur automobile et le bâtiment) viennent par centaines les recruter sur place. De 1962 à 1974, près de deux millions d’immigrés supplémentaires vont ainsi gagner la France, dont 550 000 recrutés par l’Office national d’immigration (ONI), organisme géré par l’Etat, mais contrôlé en sous-main par le patronat. Depuis lors, la vague n’a cessé de s’amplifier.
    « Quand il y a pénurie de main-d’œuvre dans un secteur, explique François-Laurent Balssa, de deux choses l’une, soit on augmente les salaires, soit on fait appel à la main-d’œuvre étrangère. C’est généralement la seconde option qui restera privilégiée par le Conseil national du patronat français (CNPF), puis, à partir de 1998, par le Mouvement des entreprises (Medef) qui prend sa succession. Choix témoignant d’une volonté de profits à court terme, qui devait retarder d’autant l’amélioration des outils de production et l’innovation en matière industrielle. Dans le même temps, en effet, l’exemple du Japon montre que le refus de l’immigration au profit de l’emploi autochtone a permis à ce pays d’accomplir sa révolution technologique avant la plupart de ses concurrents occidentaux »3.

    L’immigration a donc au départ été un phénomène patronal. Elle continue de l’être aujourd’hui. Ceux qui veulent toujours plus d’immigration, ce sont les grandes entreprises. Cette immigration est conforme à l’esprit même du capitalisme, qui tend à l’abolition des frontières (« laissez faire, laissez passer »). « Obéissant à la logique du dumping social, poursuit François-Laurent Balssa, un marché du travail “low cost” s’est ainsi créé avec des “sans-papiers” peu qualifiés faisant office de bouche-trou. Comme si les grands patrons et l’extrême gauche s’étaient donné la main, les uns pour démanteler l’Etat-social, à leurs yeux trop coûteux, les autres pour abattre l’Etat-nation, trop archaïque »4. C’est la raison pour laquelle le parti communiste et la CGT – qui ont radicalement changé d’orientation depuis – ont combattu jusqu’en 1981 le principe libéral de l’ouverture des frontières, au nom de la défense des intérêts de la classe ouvrière.
    « Laissez passer les hommes, mais aussi les capitaux et les marchandises ; telle est la doctrine de la Commission européenne. Mieux : laissez passer les hommes pour mieux rentabiliser le mouvement des capitaux et des marchandises », écrit également Eric Zemmour, qui rappelle que « les mouvements migratoires très importants de ces vingt dernières années ont été une des composantes majeures d’une croissance économique sans inflation, puisque ce flot continu de travailleurs à bas prix a pesé comme une chape de plomb sur les salaires des travailleurs occidentaux »5. Michèle Tribalat, elle, observe de son côté que « l’immigration modifie la répartition du gâteau économique, et cet indéniable constat à beaucoup à voir avec le fait que certains sont favorables à une forte immigration quand d’autres cherchent à la réduire ou à l’arrêter »6.
    Pour une fois bien inspiré, le libéral Philippe Nemo confirme ces observations : « Il y a en en Europe des responsables économiques qui rêvent de faire venir en Europe une main-d’œuvre bon marché capable, d’abord, d’occuper certains emplois pour lesquels la main-d’œuvre locale est insuffisante, ensuite de peser sensiblement à la baisse sur les salaires des autres travailleurs européens. Ces lobbies, qui ont tous les moyens de se faire entendre tant des gouvernements nationaux que de la Commission de Bruxelles, sont donc favorables tant à l’immigration en général qu’à un élargissement de l’Europe qui faciliterait considérablement les migrations du travail. Ils ont raison du point de vue qui est le leur, c’est-à-dire selon une logique purement économique […] Le problème est qu’on ne peut raisonner ici selon une logique seulement économique, puisque l’afflux en Europe de populations exogènes a aussi des conséquences sociologiques lourdes. Si les capitalistes en question prêtent peu d’attention à ce problème, c’est peut-être qu’ils jouissent en général des bénéfices économiques de l’immigration sans en subir eux-mêmes les nuisances sociales. Grâce à l’argent gagné par leurs entreprises, dont la profitabilité est ainsi assurée, ils peuvent habiter les beaux quartiers, en laissant leurs compatriotes moins fortunés se débrouiller, dans les banlieues déshéritées, avec les populations allogènes »7.
    Telle est aussi l’opinion des experts. C’est ce qu’a montré, en 2009, un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE), organisme dépendant directement des services de Matignon. Intitulé Immigration, qualification et marché du travail, ce document explique d’abord que la notion de « pénurie de main-d’œuvre », traditionnellement alléguée pour justifier le recours à l’immigration, ne signifie à peu près rien en période de chômage. « Du point de vue de la science économique, la notion de pénurie n’est pas évidente », peut-on lire dans le texte, car le « fait que certains natifs rejettent certains types d’emploi peut simplement signifier que les travailleurs ont de meilleures opportunités que d’occuper ces emplois, et donc que les salaires correspondants devraient augmenter pour qu’ils soient pourvus » (p. 45). Ce qui montre très clairement que la pénurie ne se forme que lorsqu’un secteur n’offre pas des salaires suffisants – et que le recours à l’immigration est en fait un moyen de ne pas augmenter les salaires, quitte à créer artificiellement une « pénurie » que l’on comblera en allant chercher ailleurs une main-d’œuvre acceptant d’être sous-payée. Le rapport conclut d’ailleurs que, « dans le cas du marché du travail, cela signifie qu’à la place de l’immigration des années 1960 on aurait pu envisager une hausse du salaire des moins qualifiés » (p. 46).
    Le même document recense par ailleurs une série d’études qui ont tenté, en France comme à l’étranger, de chiffrer l’impact de l’immigration sur les salaires : « Atlonji et Card trouvent qu’une hausse de la proportion d’immigrés d’un point de pourcentage réduit le salaire de 1,2 % […] Boris conclut son étude en affirmant qu’entre 1980 et 2000, l’immigration aurait accueilli l’offre de travail d’environ 11 %, ce qui aurait réduit le salaire des natifs d’environ 3,2 % » (pp. 37-38).
    Depuis le début des années 2000, l’apport annuel de l’immigration à la population française est d’environ 350 000 personnes, pour la plupart d’origine extra-européenne (dont 200 000 entrées régulières dans le cadre de l’immigration professionnelle ou du regroupement familial, 50 000 demandeurs d’asile et 80 000 naissances d’origine étrangère). Le nombre d’immigrés devenus français augmentant chaque année de près de 150 000, un bon tiers de la population française devrait, au milieu de ce siècle, être issue de l’immigration.
    Selon les chiffres officiels, les immigrés vivant dans un ménage ordinaire représentent aujourd’hui 5 millions de personnes, soit 8 % de la population française en 2008. Les enfants d’immigrés, descendants directs d’un ou deux immigrés, représentent 6,5 millions de personnes, soit 11 % de la population. Les clandestins sont évalués entre 300 000 et 550 000 personnes. (Les expulsions de clandestins coûtent 232 millions d’euros par an, soit 12 000 euros par reconduite). Jean-Paul Gourévitch, de son côté, évalue la population d’origine étrangère vivant en France en 2009 à 7,7 millions de personnes (dont 3,4 millions de Maghrébins et 2,4 millions d’originaires de l’Afrique subsaharienne), soit 12,2 % de la population métropolitaine actuelle. En 2006, cette population immigrée contribuait à hauteur de 17 % à la natalité.
    Or, si l’immigration rapporte au secteur privé beaucoup plus qu’elle ne lui coûte, elle coûte en revanche au secteur public beaucoup plus qu’elle ne lui rapporte.
    Le coût global de l’immigration a en effet été chiffré. Selon une étude de Contribuables Associés rédigée par Jean-Paul Gourévitch, Le coût de la politique migratoire de la France, les dépenses que l’Etat consent pour l’immigration se montent aujourd’hui à 79,4 milliards d’euros par an, dont près des trois-quarts (58,6 milliards) relèvent des coûts sociaux. Les recettes s’élevant à 48,9 milliards d’euros, dont les deux tiers sont dus à la fiscalité directe (État et collectivités locales) et aux impôts indirects (TVA et TIPP), le déficit global pour les finances publiques se monte à 30,4 milliards d’euros, soit 1,56 point de PIB. On notera que le coût non marchand de l’immigration n’est pas pris en compte ici. Jean-Paul Gourévitch précise que « les études conduites outre-Manche et outre-Atlantique montrent que l’immigration n’a pas d’effet globalement positif sur les finances publiques tant que l’immigration de peuplement, qui coûte à l’Etat plus qu’elle ne rapporte, reste supérieure à l’immigration de main-d’œuvre, qui rapporte un peu plus qu’elle ne coûte quand elle n’est pas clandestine »8. Il ajoute que si, aux déficits dus à l’immigration, on ajoute encore ceux qui résultent de l’expatriation, soit plus de 11 milliards d’euros de dépenses et de manque à gagner pour l’État, « le coût de la politique migratoire de la France s’établit aujourd’hui à 38,3 milliards d’euros, soit presque deux points de PIB »9.
    La France connaît donc aujourd’hui une immigration de peuplement, conséquence directe du regroupement familial. Mais les immigrés constituent plus que jamais l’armée de réserve du capital.
    On ne peut qu’être frappé, à cet égard, de voir comment les réseaux « sans-papiéristes » de l’extrême gauche, qui croient trouver dans les immigrés un prolétariat de substitution, servent les intérêts du patronat. Réseaux mafieux, passeurs d’hommes et de marchandises, grands patrons, militants « humanitaires », employeurs « au noir » : tous sont adeptes de l’abolition des frontières par le libre-échangisme mondial. Olivier Besançenot, Laurence Parisot, même combat !
    Révélateur, par exemple, est le fait que Michael Hardt et Antonio Negri, dans leurs livres-manifestes Empire et Multitude10, se prononcent pour une « citoyenneté mondiale » et lancent un appel à la suppression des frontières qui aurait pour premier effet d’accélérer l’installation dans les pays développés de masses de travailleurs à bas salaires provenant du Tiers-monde ou des pays émergents. Qu’aujourd’hui, la plupart des migrants doivent leur déracinement aux dislocations sans fin induites par la logique du marché global, que ce déracinement soit précisément ce que recherche le capitalisme pour mieux adapter l’homme au marché et enfin, subsidiairement, que l’attachement territorial fasse partie des motivations humaines, ne gêne aucunement ces deux auteurs, qui notent au contraire, avec satisfaction, que « le capital lui-même a exigé une mobilité croissante de la main-d’œuvre et des migrations continuelles à travers les frontières nationales »11. Le marché mondial constituerait, de leur point de vue, le cadre naturel de la « citoyenneté mondiale ». Parce qu’il « exige un espace lisse de flux non codés et déterritorialisés », le marché mondial est censé servir les intérêts de la « multitude », car « la mobilité comporte un prix à payer pour le capital qui est le désir accru de libération »12.
    L’inconvénient de cette apologie du déracinement, pris comme condition première d’un « nomadisme » libérateur, est qu’elle repose sur une vision totalement irréelle de la situation concrète des migrants et des personnes déplacées. Comme l’écrivent Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn, « Hardt et Negri s’illusionnent sur la capacité des flux d’immigration à être à la fois la source d’une nouvelle possibilité de valorisation du capital et la base d’un enrichissement des perspectives de la multitude. Les migrations ne sont, en effet, rien d’autre qu’un moment d’une concurrence universelle et, en soi, migrer n’est pas plus émancipateur que de rester chez soi. Le sujet “nomade” n’est pas plus enclin à la critique et à la révolte que le sujet sédentaire »13. « Aussi longtemps, ajoute Robert Kurz, que des hommes quitteront leurs proches et iront, même au risque de leur vie, chercher du travail ailleurs – pour être à la fin broyés par la moulinette du capitalisme –, ils ne seront pas plus porteurs d’émancipation que les autovalorisateurs postmodernes de l’Occident : ils n’en constituent que la variante misérable »14.
    Qui critique le capitalisme en approuvant l’immigration, dont la classe ouvrière est la première victime, ferait mieux de se taire. Qui critique l’immigration en restant muet sur le capitalisme devrait en faire autant.

    -Alain de Benoist, "L’immigration, armée de réserve du capital", 29/01/2013: https://blogelements.typepad.fr/blog/2013/01/limmigration-arm%C3%A9e-de-r%C3%A9serve-du-capital.html

    1. François-Laurent Balssa, « Un choix salarial pour les grandes entreprises », in Le Spectacle du monde, octobre 2010, p. 42.


    2. Ibid., p. 43.

    3. Ibid., p. 44.

    4. Ibid., p. 45.

    5. Le Spectacle du monde, septembre 2010, pp. 16-17.

    6. Michèle Tribalat, Les yeux grands fermés. L’immigration en France, Denoël, Paris 2010.

    7. Philippe Nemo, entretien en ligne, site Le Temps d’y penser, 29 septembre 2010.

    8. Jean-Paul Gourévitch, « La réalité de l’immigration », in La Nef, mai 2010, p. 14.

    9. Ibid., p. 15.

    10. Michel Hardt et Antonio Negri, Empire, Exils, Paris 2000 ; Multitude, La Découverte, Paris 2004.

    11. Empire, op. cit., p. 481.

    12. Ibid., pp. 403-404 et 312.

    13. Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn, L’évanescence de la valeur. Une présentation critique du groupe Krisis, L’Harmattan, Paris 2004, p. 126.


    14. Robert Kurz, « L’Empire et ses théoriciens », in Anselm Jappe et Robert Kurz, Les habits neufs de l’Empire. Remarques sur Negri, Hardt et Rufin, Lignes-Léo Scheer, Paris 2003, pp. 114-115.

    http://data.over-blog-kiwi.com/0/55/48/97/20150710/ob_452ee8_quelle-morale-quelle-ethique-alain-d.pdf

    La morale se rapporterait aux principes et aux actes des agents, tandis que l'éthique aurait
    trait d'abord aux agents eux-mêmes. La morale mettrait l'accent sur les règles formelles définissant
    les devoirs ; l'étique, sur les qualités nécessaires aux individus pour se comporter moralement. Dans
    cette dernière acception, la valeur porterait donc sur ce que sont les agents avant même de porter sur
    ce qu'ils font. La « moralité », dès lors, viserait avant tout à l'excellence et à l'accomplissement de
    soi. Elle consisterait, non pas tant à savoir ce qu'il est juste de faire, mais ce qu'il est bon d'être. Elle
    serait moins une affaire de normes et de règles qu'une affaire de vertus.
    Le mot « vertu », écrit Bernard Williams, s'accompagne de nos jours « de connotations ou
    comiques ou indésirables. Peu l'utilisent aujourd'hui, hormis les philosophes. Pourtant, nul autre
    mot ne rend les mêmes services et la philosophie morale ne peut s'en passer. L'on pourrait espérer
    qu'une fois son sens propre rétablie, il retrouvera un usage respectable »

    . Le mot grec désignant la
    vertu, arétè, exprime lui-même l'excellence, et son étymologie s'apparente à celle d'aristos, « le
    meilleur ». À Rome, comme le rappelle Julius Evola, virtus évoque à l'origine « la force de
    caractère, le courage, la prouesse, la fermeté virile » ; le mot provient du latin vir, l'homme véritable
    (par opposition à homo, « qui appartient au genre humain »). ce n'est qu'à l'époque moderne que la
    « vertu » a pris un sens presque opposé, avec son dérivé le « vertuisme », qui évoque les « préjugés
    d'ordre sexuel » propres à « la morale bourgeoise puritaine et sexophobe » (Evola). Dans
    l'Antiquité, le propre de la vertu est de permettre à l'homme d'accomplir pleinement sa nature,
    conformément à la finalité (telos) qui lui est propre. L'Éthique à Nicomaque s'ouvre ainsi sur une
    réflexion concernant la finalité humaine, celle-ci étant ordonnée à l'idée de hiérarchies naturelles au
    sain d'un cosmos perçu comme un tout harmonieux, quoique toujours menacé. Pour Aristote, c'est la
    nature qui fixe la fin de l'homme et assigne sa direction à l'éthique. Chaque chose, chaque être
    possède une forme de présence au monde susceptible de concourir à l'harmonie générale. Adonnée à
    la sagesse pratique (phonésis, savoir moral tributaire de l'ethos), la vertu consiste à vouloir réaliser
    au mieux de ses capacités la fonction que la nature assigne à chacun.
    Dans une telle perspective, le bien et le mal sont indissociables des notions de haut et de bas.
    L'éthique consiste à rechercher ce qui grandit, ce qui mène vers le haut : l'accomplissement de soi,
    dans la mesure où il implique un effort vers l'excellence, est aussi un dépassement de soi. Du point
    de vue de l'éthique grecque, c'est en effet pure absurdité que d'aimer ce qui est laid, bas, sans
    noblesse (l'eros grec n'est pas l'agapè des chrétiens). Les grands systèmes moraux modernes ne font
    au contraire jamais appel à ces notions de haut et de bas, ce qui d'ailleurs se comprend aisément : de
    telles notions n'ont aucun sens dans une société qui place tous les êtres à égale distance les uns des
    autres. Tout aussi révélateur est le fait que ces systèmes ne font pratiquement aucune place non plus
    à l'honneur. C'est que l'honneur, notion essentielle dans la morale des Anciens, n'est pas
    fondamentalement lié au comportement envers autrui. Il est d'abord une obligation que l'on a envers
    soi-même, en fonction de la règle qu'on s'est fixée, de l'idée qu'on se fait de soi ou de la catégorie à
    laquelle on appartient (« noblesse oblige »). Étranger à l'impératif catégorique, qui ne connaît que
    des devoirs envers les autres, l'honneur n'a pas non plus de signification d'un point de vue
    utilitariste : objectivement, il ne « sert à rien ». Il revient à se créer une obligation gratuite, qui
    conduit bien souvent à aller vers son propre intérêt. Dans le système de l'honneur, le contraire de
    l'honneur est la honte, qui fait subir à l'individu l'opprobre de sa communauté dans ce monde, alors
    que le système chrétien connaît avant tout le péché, qui expose le coupable à la sanction de Dieu.
    Dans un cadre comparatif, ethnologues et sociologues ont d'ailleurs fréquemment opposé l'éthique
    de l'honneur et la morale du péché – et aussi les notions d'honneur et de dignité -, comme des
    systèmes correspondant respectivement aux catégories du holisme et de l'individualisme2
    .
    Nietzsche, en faisant la « généalogie de la morale », se proposait d'évaluer la valeur des
    valeurs que propose cette « morale », et appelait à la juger en fonction du type d'homme qu'elle
    promeut. Cette démarche a une résonance parfaitement éthique au sens que l'on vient d'indiquer. La
    diversité des éthiques correspond en effet tout naturellement à la diversité des communautés et des
    fonctions humaines. Les valeurs du commerçant ne sont pas celles du sportif, celles du penseur ou
    du savant diffèrent de celles du guerrier. On pourrait aussi bien parler d'éthique masculine et
    d'éthique féminine, et même discerner plusieurs éthiques à l'intérieur d'une même morale. Ainsi
    dans le christianisme, l'éthique de François d'Assise diffère-t-elle sensiblement de celle d'Ignace de
    Loyola, qui n'est pas non plus celle de Calvin ou de Torquemada. C'est dans un esprit voisin que
    Julius Evola a pu opposé l'ethos chevaleresque au pathos chrétien, et dire que le chevalier médiéval
    se trahit comme n'étant que « nominalement chrétien » en « adoptant comme idéal le héros plus que
    le saint, la vainqueur plus que le martyr ; en plaçant la somme de toutes les valeurs dans la fidélité
    et dans l'honneur plus que dans la charité et dans l'humilité ; en voyant dans la lâcheté et la honte
    des maux pires que le péché, en ayant pour principe, non d'aimer son ennemi, mais de le combattre
    et de ne se montrer magnanime qu'après l'avoir vaincu 3
    ».
    L'idée que la morale puisse s'identifier à l'accomplissement de soi a été contestée par les
    Modernes, qui soutiennent volontiers que l'étique des Anciens, notamment celle des Grecs, est de
    nature fondamentalement égoïste. L'étique de la vertu reposant sur le désir de faire des choses
    « vertueuses », on en déduit que la satisfaction de ce désir est source de plaisir. Or, la recherche
    systématique du plaisir est égoïste. Ce raisonnement, qui commet l'erreur de croire que tout désir
    vise au plaisir, repose sur une interprétation triviale du plaisir et de l'intérêt propre à l'idéologie
    libérale. « Une raison évidente pour laquelle mes désirs n'ont pas tous mon plaisir pour objet,
    souligne Bernard Williams, c'est que certains de mes désirs visent des états de choses où je
    n'interviens pas »
    4
    . On ne voit pas, au surplus, pourquoi il faudrait juger négativement le plaisir ou
    la satisfaction qu'on prend éventuellement à commettre des actes profitables à autrui. L'erreur
    consiste donc aussi à penser que tout plaisir est moralement condamnable. Aristote affirme au
    contraire : « Il est impossible de ne pas tendre au plaisir ; celui-ci est donc une condition de
    l'exigence morale »
    5
    .
    Luc ferry a repris cette critique, sous un angle développé avant lui par A.W. Adkins. Selon
    lui, l'éthique de la vertu ignorerait le mérite, qui fait la valeur de l'acte moral, parce qu'elle dépend
    essentiellement des capacités, c'est-à-dire de la conformité à la nature. « Qu'on le veuille ou non,
    écrit Ferry, la notion de mérite n'a de sens que dans une optique moderne », car « elle suppose
    toujours l'idée de liberté comme pouvoir de résister à la nature en nous, donc comme faculté d'agir
    de façon désintéressée. Loin que la vertu réside dans le perfectionnement de dons naturels, dans
    l'accomplissement d'une fonction conforme à la nature spécifique de l'homme, elle devient chez les
    Modernes lutte contre la naturalité en nous, capacité de résister aux inclinations qui sont celles de
    notre nature égoïste ». Ce point de vue typiquement kantien est doublement erroné. L'éthique des
    Anciens, tout d'abord, n'a jamais consisté dans le simple fait d'avoir des capacités ou des talents,
    mais dans le fait de vouloir librement les perfectionner au prix d'un effort conséquent. Or, cet effort
    est méritoire : il ne résulte pas d'une fatalité, puisqu'il est toujours possible de s'y soustraire. Diraiton d'un sportif qui multiplie les efforts à l'entraînement pour donner le meilleur de lui-même qu'il
    n'a aucun mérite ? L'idéal d'excellence implique en fait une contrainte exercée sur soi-même, qui
    contredit tout intérêt égoïste et peut donc être considérée comme parfaitement désintéressée. La
    seconde erreur consiste à définir la liberté comme capacité à « lutter contre la naturalité en nous ».
    Luc ferry justifie ce point de vue en affirmant que notre « nature » est « égoïste ». Il reprend ainsi
    curieusement la thèse des sociobiologistes – tout comportement « naturel » est égoïste -, tout en en
    tirant une conclusion opposée. Mais l'égoïsme n'est pas plus « naturel » que l'altruisme : les deux le
    sont tout autant ou tout aussi peu. La vie est concours aussi bien que lutte, entraide aussi bien que
    compétition. C'est même cette ambivalence qui fait que l'homme est imprévisible. La notion de
    « nature » est en outre prise ici de façon contradictoire. En effet, si la « nature » est une
    détermination, alors il est vain de prétendre lui « résister ». Si, à l'inverse, on peut lui résister, alors
    il faut s'interroger sur le caractère déterminant (la « naturalité ») de cette nature-là. Mais comment
    l'homme pourrait-il lutter contre sa nature et affirmer ainsi sa liberté, autrement qu'à partir de cette
    nature même ? L'action « désintéressée » impliquerait-elle, à la limite, la négation de soi ?
    Probablement pas, puisque Luc Ferry définit plus loin l'individualisme contemporain comme fondé
    sur « l'expression de sa propre personnalité, l'épanouissement de soi ».
    La conduite morale, de quelque façon qu'on la définisse, ne peut en réalité jamais être
    complètement abstraite de la capacité à se conduire moralement. Même la morale kantienne
    suppose la capacité d'agir par devoir, quoique se soit pur angélisme que de croire que cette capacité
    peut s'acquérir par la seule intellection rationnelle. Il ne suffit pas de vouloir la volonté pour être
    capable de vouloir. En faisant abstraction des dispositions individuelles, la morale moderne
    s'enferme donc dans une impasse. Les dispositions ne résument pas toute l'éthique, mais elles ne
    sauraient lui être radicalement étrangères : il n'y a point de vue éthique possible si nul n'est capable
    de s'y tenir. En ce sens, observe Bernard Williams, l'objection faite à l'éthique des vertus de faire
    appel à une notion de caractère qui n'aurait plus beaucoup de sens aujourd'hui, est une objection qui,
    « si on la développe, peut représenter une objection à la pensée éthique elle-même plus qu'à une
    façon de se conduire ». Aussi bien l'alternative n'est-elle pas de « résister » à la nature ou de s'en
    remettre à l'idée platement unitaire ou réductionniste qu'on peut s'en faire, mais bien de s'appuyer
    sur la « nature » pour aller au-delà. L'excellence n'est pas simple confirmation de la nature, mais ce
    qui permet de lui donner une dimension de profondeur conforme à son essence. On retrouce ici
    l'opposition du haut et du bas, dont Luc Ferry, qui lui est apparemment étranger lui-même, dit
    qu'elle est incompréhensible pour nos contemporains."
    -Alain de Benoist, Extrait de Minima moralia, texte inclus dans le volume Critiques Théoriques, éditions l'Age d'Homme, pp. 543-546.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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