« La conviction progressive qu’une théorie de la vérité, comme fondement de la sémantique, devait entraîner un questionnement ontologique plus général m’a conduit d’un structuralisme sémantique à un structuralisme métaphysique. » (p.17)
« Le savoir courant sur la métaphysique tient en quelques affirmations lapidaires :
(i) la métaphysique a une naissance irréductiblement liée à la prééminence de la logique et de la théologie,
(ii) la métaphysique est morte, achevée, dépassée,
(iii) Variante de (ii) : ce qui importe pour la pensée, c’est de dépasser la métaphysique ; la véritable pensée est post-métaphysique,
(iv) La métaphysique, alors même qu’on s’obstinerait à la pratiquer, est stérile. Il est loisible de pratiquer avec quelque profit l’analyse conceptuelle, la description phénoménologique, etc., alors que la métaphysique serait incapable de renouveler l’approche des grands problèmes philosophiques (comme l’identité, la vérité, la nature de la réalité…), sans parler d’une possibilité de résoudre certains de ces problèmes, résolution jugée en général hors de portée ou de propos. La science résoudrait des problèmes, mais ne penserait pas ; la pensée, plus originaire que la métaphysique, méditerait de grandes questions, mais ne les résoudrait pas. » (p.20-21)
« Max Scheler, dans des fragments posthumes sur la métaphysiques, recensait les obstacles à une compréhension de cette discipline. Sa description garde sa validité –les noms ont changé, pas les attitudes. Il recense :
(i) le sensualisme positiviste, pour lequel la métaphysique est un problème historique,
(ii) Kant et son école,
(iii) L’historicisme et le psychologisme relativistes,
(iv) Le traditionalisme et le fidéisme pour lesquels elle n’est qu’un auxiliaire de la croyance et de la religion,
(v) Le scepticisme,
(vi) L’idéalisme subjectif de la conscience.
Les obstacles sont aujourd’hui les mêmes :
(I’) le cognitivisme naturaliste, qui a pour projet de naturaliser la conscience, l’esprit et l’intentionnalité et d’éliminer la métaphysique, réduite à un vocabulaire périmé,
(II’) l’analyse conceptuelle, qui consiste à limiter la métaphysique à l’étude des cadres de pensée grâce auxquels on appréhende la réalité,
(III’) le constructivisme social et la sociologie de la science appliquée à la métaphysique, qui consistent à la réduire à une construction culturelle ou sociale transitoire,
(IV’) les tentatives de nier le droit de la métaphysique à la pensée libre, sa mise en tutelle par diverses formes de conservatisme théologique,
(V’) le scepticisme qui prend des formes ultra relativistes radicales et destructrices,
(VI’) les thèses de la constitution du monde à partir d’un sujet transcendantal qui placent une science supérieure à la métaphysique, l’égologie transcendantale ou la phénoménologie de la constitution. » (p.21-23)
« Le monothéisme est une critique des idoles religieuses […] le christianisme en toute rigueur n’est pas une religion (il ne relie pas les hommes dans une société fondée sur la Foi ou la Loi, cf la critique du paganisme dans La cité de Dieu d’Augustin, surtout la critique de la religion civile des Romains). » (note 3 p.24)
« Il ne s’agit nullement dans ce travail d’une restauration de la métaphysique des Anciens, ou même des Modernes, d’un rétablissement intégral des droits natifs de la métaphysique traditionnelle. Les critiques de Kant portant sur la métaphysique générale déliée de tout rapport à l’expérience, celles de Nietzsche sur l’utilisation de certains thèmes métaphysiques, déviés de leur finalité théorique, des fins moralistes ou spiritualistes, celles de Carnap, peut-être les plus radicales, quand elles portent précisément sur la pseudolibération vis-à-vis de critères minimaux de rationalité et non sur l’impossibilité a priori d’énoncés métaphysiques sensés, sont parfaitement valides. La métaphysique ne peut tourner le dos à l’expérience, favoriser un culte malsain des choses de l’âme et de l’esprit et substituer les jeux de mots à l’analyse et à la dispute. Une certaine conception de la métaphysique a vécu et il ne peut s’agir de ressusciter telle ou telle figure du passé, quelle que soit son ampleur. » (p.25-26)
« Une discipline intellectuelle gagne toujours à une réflexion sur ses limites, ses définitions antérieures. » (p.27)
« La métaphysique n’est à peu près plus enseignée (on enseigne l’histoire de la métaphysique, mais pas la métaphysique). » (p.34-35)
« Vidée apparemment de contenu, la métaphysique laisse une absence qui ne fait pas que susciter des créations de langage ; ce vide est générateur de solutions de remplacement dans le paysage contemporain. Par ordre alphabétique, en vrac :
Déconstruction (Derrida, J. L. Nancy) : La métaphysique nous empêche de penser, mais comme elle est très sédimentée, le travail de destruction est long et pénible.
Éthique (Levinas) : La métaphysique a usurpé la place de l’éthique comme philosophie première, en évacuant l’autre au profit du même.
Herméneutique (Gadamer, Ricoeur) : Nous ne pouvons qu’interpréter les textes métaphysiques et proposer une méthode de lecture.
Pensero debole (Vattimo) : La pensée métaphysique est trop forte, il faut renoncer à son caractère impérial et se faire tout petit.
Philosophie post-analytique (Rorty, Putnam) : Le positivisme logique a échoué, le réalisme métaphysique est incohérent, il faut tourner la page.
Pragmatique (Apel) : Si on combine une théorie du langage en contexte et une approche transcendantale du consensus communicationnel, on dépasse la métaphysique de la conscience.
Théorie des ensembles (Badiou) : L’ontologie n’est rien d’autre que des mathématiques. » (p.37-38)
« L’ontologie formelle est une partie de l’ontologie, dégagée par Bolzano puis Husserl, et qui consiste à décrire les traits formels communs à toutes les ontologies locales. » (note 10 p.39)
« La métaphysique ne peut être purement et simplement remplacée par l’épistémologie : un travail approfondi sur les présupposés ultimes de tel ou tel type de connaissance (et la connaissance morale en est un) débouche nécessairement sur des questions métaphysiques, c’est-à-dire sur des questions qui concernent la nature même de ces présupposés, si tant est que nous puissions la définir avec Collingwood comme la science des présupposés ultimes. » (p.46)
« Les querelles en métaphysiques ont pris la forme normale d’échanges d’arguments et d’évaluations en forme. […]
Ces programmes acceptent un réseau de normes minimales et de critères intellectuels communs. Aucune métaphysique ne revendique plus de fonder une connaissance a priori sur la possession de pouvoirs supramentaux, du type d’une intuition métaphysique sui generis, ou d’une vision directe de l’absolu. On a en général renoncé au ton oraculaire, aux déclarations fracassantes. Aucune métaphysique n’accepte d’un cœur léger d’être ouvertement contradictoire et la découverte d’une contradiction logique est perçue le plus souvent comme une incitation à réviser la théorie, à en examiner à nouveau certains attendus. L’argument d’autorité, mis à mal par les cartésiens, n’a plus refait surface. » (p.50)
« Le souci qui définit la philosophie [est de] produire des énoncés absolument vrais, bien que non vérifiables par des procédures expérimentales et non quantifiées par des mesures, vrais par leur place dans une chaîne de raisons et non relatifs à l’opinion, la science ou la religion. Ce souci de vérité permet à la philosophie d’exercer une fonction critique vis-à-vis de ces trois systèmes de croyance, c’est-à-dire à ne pas se plier à la loi de la majorité pour les opinions, de ne pas se calquer sur les résultats des sciences positives et enfin de ne pas se transformer en préparation aux opinions théologiques. » (p.54-55)
« [Les textes de Spinoza] ne sont compréhensibles que relativement à ceux de Descartes, dont ils sont souvent le commentaire critique. » (p.55)
« La théorie de la vérité correspondance est celle qui définit la vérité comme une correspondance entre un élément sémantique (phrase ou énoncé) et un élément ontologique (fait, situation ou état de choses). Cette théorie a été développée par Aristote […] à la suite de Platon […] et prise comme base de sa théorie par Tarski dans la formalisation du prédicat « être vrai » en quoi consiste la théorie dite sémantique de la vérité. » (note 1 p.58).
« La différence entre la science et la métaphysique est que la première n’a pas affaire à quelque chose d’aussi général que « la réalité », « ce qui est », « la totalité de l’étant », etc., à la différence de la métaphysique. La science est une juxtaposition de sciences particulières, régionales (Husserl), chacune d’entre elles spécialisée dans un type de réalité, d’êtres, par exemple les êtres vivants pour la biologie. » (p.62)
« Les formes de l’anti-réalisme contemporain sont : le vérificationnisme, le constructivisme radical, le relativisme. Dans cet ouvrage on mettra en cause la prévalence générale des thèmes anti-réalistes dans la destruction de la métaphysique. » (note 11 p.65)
« Le langage et la perception [sont] nos deux moyens fondamentaux d’appréhension de la réalité. » (p.73)
« La dispute sur la métaphysique –toute forme de métaphysique est-elle définitivement dépassée ? –passe aussi à l’intérieur de l’interprétation de la philosophie kantienne. » (p.82)
« Les reprises de la figure traditionnelle de Kant comme critique radicale de la métaphysique ne manquent pas. » (p.83)
« S’il y a bien un irrationalisme contemporain, c’est bien celui de l’herméneutique. » (note 13 p.88)
« [Heidegger] entend substituer à la lecture épistémologique de ce texte de Kant [Critique de la raison pure], courante dans le néo-kantisme [en particulier de Cassirer], une lecture ontologique qu’il juge à la fois plus conforme à l’intention kantienne et éclairante pour son propre projet, dans la mesure où Kant aurait pris le premier la mesure de la finitude de l’homme. Ce que Heidegger reproche à Kant dans son livre, c’est de ne pas avoir pensé cette finitude de manière assez radicale, notamment en ne pensant pas l’essence du monde à partir de la finitude radicale du Dasein. » (p.95)
« La Dialectique transcendantale est la partie de la Critique de la raison pure où Kant montre que la métaphysique aboutit à une contradiction de la raison avec elle-même, sous la forme notamment d’antinomie. C’est la partie proprement critique de la Critique. » (note 22 p.98)
« Nous pensons qu’il y a une continuité d’Aristote aux développements les plus récents de la métaphysique analytique, ce qui est confirmé par le renouveau extraordinaire des études aristotéliciennes dans les vingt dernières années. » (p.103)
« Le maquillage de Hegel en libéral anglais ne peut faire oublier que c’est le penseur de l’Etat total, rouge, brun ou même bleu-blanc-rouge que l’on souhaite le renverser (Lénine) ou l’appliquer (G. Gentile). Sa pensée et sa dialectique trop flexible ont servi à couvrir du voile pudique de la logique les monstruosités les plus inouïes. L’option hégélienne qui est de renoncer au principe de contradiction au nom de la dialectique a fait long feu. » (p.103)
« Une des sources du républicanisme de droite en France en incontestablement l’hégélianisme, dans les années 1840. » (note 26 p.102)
« Wolff est un moment capital de l’histoire de la métaphysique allemande, moment qu’on ne peut évacuer. » (p.105)
« On entend par anti-réalisme un groupe de doctrine qui ont en commun le refus du réalisme : l’anti-réalisme sémantique, par exemple, soutient qu’un énoncé dépourvu de valeur de vérité (alors que pour un réaliste sémantique comme Frege, un tel énoncé continuerait de se référer soit au vrai, soit au faux, conçus comme des objets). L’anti-réalisme métaphysique soutient la dépendance forte de l’existence réelle des objets à l’égard des procédures de connaissance effective dont on dispose pour les appréhender. Il s’oppose au réalisme métaphysique qui affirme l’indépendance des mêmes objets à l’égard de ces procédures : pour un réaliste métaphysique, ces objets n’étant pas construits par nous continuent à exister en l’absence d’une telle procédure. Il ne faut pas confondre ce réalisme métaphysique au sens général avec le réalisme des universaux, qui consiste à admettre l’existence des universaux, soit comme séparés (réalisme extrême des universaux ou platonisme), soit comme instanciés dans les choses particulières (réalisme dit modéré d’Aristote, saint Thomas ou Reid [1710-1796], ou, à l’époque actuelle, d’Armstrong. » (p.125)
« Toute erreur sémantique, comme on le sait depuis Platon et Aristote, affecte nécessairement l’ontologie. » (p.127)
« Le nœud du problème est le suivant. Les jugements synthétiques sont pour Kant ceux qui apportent une connaissance. Il importe donc d’en donner une caractérisation précise. Or Kant ne donne des jugements synthétiques qu’une définition purement nominale et nullement une analyse sémantique. Il ne peut donc plus chercher le lien qui unit les concepts dans un jugement synthétique que du côté de l’intuition. Kant est parfaitement clair sur ce point. La possibilité de la synthèse du prédicat avec le concept qui en est le sujet se fonde sur l’expérience qui est elle-même une « liaison synthétique des intuitions » […]. Ici le roi est nu : toute la faiblesse de la position kantienne se dévoile –pour expliquer la synthèse qui est au fondement des jugements synthétiques, il faut recourir à une intuition qui est elle-même… synthétique. Plusieurs critiques de Kant ont souligné qu’il est rare de se contenter sur un point capital d’une telle absence de discussion, après avoir proclamé un idéal de rigueur inflexible. Si on ajoute à cela le caractère en partie mystérieux des jugements synthétiques a priori, on voit clairement ce que l’on entend par une sémantique intuitionniste et du même coup comment on peut caractériser Kant comme un intuitionniste sémantique en métaphysique. » (p.128)
« En ruinant l’objectivité des concepts, en faisant le choix de l’intuitionnisme sémantique, Kant effectivement barre ou coupe la route de l’ontologie qui suppose une théorie objective des propriétés, quelque forme qu’elle prenne, réaliste ou nominaliste. » (p.129-130)
« En ontologie, Bolzano dispose d’une doctrine incomparablement plus riche que celle de Frege. » (p.131)
« Avoir été nazi est un stigmate (ce que cela ne doit jamais cesser d’être), mais avoir été du côté des tortionnaires de gauche est tout à fait excuser. On contraint Carl Schmitt, à juste titre, à se justifier, mais ceux qui ont soutenu le régime qui a institué et étendu le goulag n’ont jamais eu de comptes à rendre (en premier lieu en Russie même, contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne). Tout l’admirable travail sur le totalitarisme est déconsidéré, alors que c’est une tâche philosophique urgente que de le penser dans son fond métaphysique autant que juridique, social, politique. » (note 12 p.161)
« La thèse que l’on défendra est celle d’une continuité de la métaphysique médiévale, notamment sous sa forme tardive, avec la métaphysique contemporaine. » (p.228)
« La vision largement répandue par un hégélianisme de base, par exemple en France, selon laquelle, d’une part, il n’y a pas de métaphysique empirique et que, d’autre part, la véritable métaphysique s’est achevée de manière grandiose en Allemagne est fausse de part en part : il y a une métaphysique empirique et la métaphysique ne s’est pas achevée en Allemagne –elle a émigré ailleurs. » (p.260)
« Les médiévistes opposent quelquefois au XIIIème siècle une droite augustinienne, opposée à l’introduction d’Aristote, et une gauche averroïste, partisane d’une béatitude philosophe et favorable à l’enseignement d’Aristote. » (note 10 p.269)
« C’est un des traits de la métaphysiques médiévale, surtout aux XIIème et XIIIème siècle, que la coexistence d’une ontologie d’inspiration aristotélicienne, dont la compréhension passe par la médiation d’Avicenne et d’Averroès, et d’une méontologie d’inspiration dionysienne, véhiculant la théologie des néo-platoniciens, par le bais de textes comme le Liber de Causis, sorte de compilation plotinienne passée au tamis arabe. » (p.306)
« L’idéal aristotélicien […] est une vie mixte, à la fois politique et intellectuelle. » (p.312)
« Le problème de l’individuation au Moyen Age reçoit plusieurs solutions, que l’on classe habituellement ainsi :
(a) individuation par des faisceaux de qualités,
(b) par un accident
(c) par une caractéristique spécifique : (i) la forme, (ii) la matière, (iii) un principe sui generis, par exemple l’haeccéité (cf : Jorge Gracia, 1994).
La solution (a) consiste par exemple à affirmer que ce qui fait l’individualité de Socrate, c’est l’ensemble des qualités liées en Socrate (d’où l’image du faisceau [bundle]). Boèce, Leibniz et Russell ont soutenu cette solution. La solution (b) affirme que certains accidents seulement sont responsables de l’individuation, par exemple la localisation spatio-temporelle, qui est accidentelle et contingente. Locke et Strawson l’ont soutenue et apparemment aussi Brentano. La solution (c) (i) consiste à affirmer que l’individualité d’un individu est causée par sa forme. Averroès, Lukasiewicz et David Wiggins l’ont défendue. La solution (c) (ii) consiste à affirmer que l’individuation est une privation apportée par la matière. Elle a été soutenue par Aristote et par Elizabeth Anscombe. La solution (c) (iii) consiste à introduire un principe spécifique d’individuation, qui peut être un particulier nu (bare particular) ou une essence individuelle ou haeccéité. C’est la position de Duns Scot. Il existe des positions mixtes, comme celle de Thomas d’Aquin qui identifie le principe d’individuation avec la matière dotée d’une certaine dimension. Il existe aussi des auteurs qui, comme Roger Bacon, trouvent la source de l’individuation dans les agents naturels ou surnaturels externes à la chose individuée. » (p.335-336)
« É. Gilson avait vu dans Avicenne un point de départ de Duns Scot, de l’univocité de son ontologie plus précisément, et donc un point de départ de la métaphysique moderne. » (p.376)
« La définition du terme « ontologie » égare énormément l’étudiant de la métaphysique. L’ontologie, définie comme science de l’être en tant qu’être, nous conduit à oublier que l’ontologie peut être une science du possible, une théorie de l’objet ou même du quelque chose, etc. L’ontologie est, comme on l’a défini, la science des traits catégoriaux ultimes de la réalité. » (p.409)
"L'hégélianisme britannique à la fin du XIXème siècle est marqué par une opposition entre deux courants. Le premier est personnaliste: tout est esprit et la structure de la réalité est un ensemble de substances spirituelles personnelles liées par l'amour. Le principal représentant de ce courant est McTaggart, dont Russell affirma qu'il fut le philosophe idéaliste qui eut le plus d'influence sur lui [...] Le second est absolutiste: dans les systèmes philosophiques issus de ce courant, tout est impersonnel et non relationnel. Bradley est le principal représentant de ce courant, à côté de Green et F. J. Ferrier (1808-1864). Il est plaisant de constater que l'hégélianisme renaît en Angleterre, profondément transformé, plus métaphysique, moins politique, au moment où il s'effondre en partie en Allemagne, du fait conjugué du développement du néokantisme qui pointe les énormes faiblesses épistémologiques du système hégélien et les critiques des socialistes, marxistes ou non. Le développement du néokantisme entraîne de facto une certaine diffraction de la philosophie en épistémologie, éthique, philosophie de la nature et de l'art, diffraction correspondant aux trois Critiques de Kant." (p.442)
"Meinong est donc interprété (correctement) comme une réaction à l'idéalisme allemand, ce qui se conçoit quand on connaît l'hostilité de toute l'école brentanienne à ce courant, commençant avec le rejet par Brentano de l'opposition établie par Schelling entre la méthode philosophique et celle des sciences de la nature. Il est rapproché de Frege et de Husserl, et le parallèle entre cette réaction germanique et les propres travaux de rupture de Moore et Russell est dressé explicitement. La "nouvelle philosophie" qui résulte de ces ruptures multiples a pour Russell plusieurs caractéristiques en commun. La première est l'adoption par la philosophie des méthodes des sciences [...] la distinction hégélienne entre science et savoir disparaît. Cette philosophie nouvelle a trois sources: la théorie de la connaissance, la logique et les principes des mathématiques. Il est tenu pour impossible qu'une chose existe sans être conue, ce qui est une pierre dans le jardin de Kant." (p.452)
p.476.
-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais, 2004, 1062 pages.
« Le savoir courant sur la métaphysique tient en quelques affirmations lapidaires :
(i) la métaphysique a une naissance irréductiblement liée à la prééminence de la logique et de la théologie,
(ii) la métaphysique est morte, achevée, dépassée,
(iii) Variante de (ii) : ce qui importe pour la pensée, c’est de dépasser la métaphysique ; la véritable pensée est post-métaphysique,
(iv) La métaphysique, alors même qu’on s’obstinerait à la pratiquer, est stérile. Il est loisible de pratiquer avec quelque profit l’analyse conceptuelle, la description phénoménologique, etc., alors que la métaphysique serait incapable de renouveler l’approche des grands problèmes philosophiques (comme l’identité, la vérité, la nature de la réalité…), sans parler d’une possibilité de résoudre certains de ces problèmes, résolution jugée en général hors de portée ou de propos. La science résoudrait des problèmes, mais ne penserait pas ; la pensée, plus originaire que la métaphysique, méditerait de grandes questions, mais ne les résoudrait pas. » (p.20-21)
« Max Scheler, dans des fragments posthumes sur la métaphysiques, recensait les obstacles à une compréhension de cette discipline. Sa description garde sa validité –les noms ont changé, pas les attitudes. Il recense :
(i) le sensualisme positiviste, pour lequel la métaphysique est un problème historique,
(ii) Kant et son école,
(iii) L’historicisme et le psychologisme relativistes,
(iv) Le traditionalisme et le fidéisme pour lesquels elle n’est qu’un auxiliaire de la croyance et de la religion,
(v) Le scepticisme,
(vi) L’idéalisme subjectif de la conscience.
Les obstacles sont aujourd’hui les mêmes :
(I’) le cognitivisme naturaliste, qui a pour projet de naturaliser la conscience, l’esprit et l’intentionnalité et d’éliminer la métaphysique, réduite à un vocabulaire périmé,
(II’) l’analyse conceptuelle, qui consiste à limiter la métaphysique à l’étude des cadres de pensée grâce auxquels on appréhende la réalité,
(III’) le constructivisme social et la sociologie de la science appliquée à la métaphysique, qui consistent à la réduire à une construction culturelle ou sociale transitoire,
(IV’) les tentatives de nier le droit de la métaphysique à la pensée libre, sa mise en tutelle par diverses formes de conservatisme théologique,
(V’) le scepticisme qui prend des formes ultra relativistes radicales et destructrices,
(VI’) les thèses de la constitution du monde à partir d’un sujet transcendantal qui placent une science supérieure à la métaphysique, l’égologie transcendantale ou la phénoménologie de la constitution. » (p.21-23)
« Le monothéisme est une critique des idoles religieuses […] le christianisme en toute rigueur n’est pas une religion (il ne relie pas les hommes dans une société fondée sur la Foi ou la Loi, cf la critique du paganisme dans La cité de Dieu d’Augustin, surtout la critique de la religion civile des Romains). » (note 3 p.24)
« Il ne s’agit nullement dans ce travail d’une restauration de la métaphysique des Anciens, ou même des Modernes, d’un rétablissement intégral des droits natifs de la métaphysique traditionnelle. Les critiques de Kant portant sur la métaphysique générale déliée de tout rapport à l’expérience, celles de Nietzsche sur l’utilisation de certains thèmes métaphysiques, déviés de leur finalité théorique, des fins moralistes ou spiritualistes, celles de Carnap, peut-être les plus radicales, quand elles portent précisément sur la pseudolibération vis-à-vis de critères minimaux de rationalité et non sur l’impossibilité a priori d’énoncés métaphysiques sensés, sont parfaitement valides. La métaphysique ne peut tourner le dos à l’expérience, favoriser un culte malsain des choses de l’âme et de l’esprit et substituer les jeux de mots à l’analyse et à la dispute. Une certaine conception de la métaphysique a vécu et il ne peut s’agir de ressusciter telle ou telle figure du passé, quelle que soit son ampleur. » (p.25-26)
« Une discipline intellectuelle gagne toujours à une réflexion sur ses limites, ses définitions antérieures. » (p.27)
« La métaphysique n’est à peu près plus enseignée (on enseigne l’histoire de la métaphysique, mais pas la métaphysique). » (p.34-35)
« Vidée apparemment de contenu, la métaphysique laisse une absence qui ne fait pas que susciter des créations de langage ; ce vide est générateur de solutions de remplacement dans le paysage contemporain. Par ordre alphabétique, en vrac :
Déconstruction (Derrida, J. L. Nancy) : La métaphysique nous empêche de penser, mais comme elle est très sédimentée, le travail de destruction est long et pénible.
Éthique (Levinas) : La métaphysique a usurpé la place de l’éthique comme philosophie première, en évacuant l’autre au profit du même.
Herméneutique (Gadamer, Ricoeur) : Nous ne pouvons qu’interpréter les textes métaphysiques et proposer une méthode de lecture.
Pensero debole (Vattimo) : La pensée métaphysique est trop forte, il faut renoncer à son caractère impérial et se faire tout petit.
Philosophie post-analytique (Rorty, Putnam) : Le positivisme logique a échoué, le réalisme métaphysique est incohérent, il faut tourner la page.
Pragmatique (Apel) : Si on combine une théorie du langage en contexte et une approche transcendantale du consensus communicationnel, on dépasse la métaphysique de la conscience.
Théorie des ensembles (Badiou) : L’ontologie n’est rien d’autre que des mathématiques. » (p.37-38)
« L’ontologie formelle est une partie de l’ontologie, dégagée par Bolzano puis Husserl, et qui consiste à décrire les traits formels communs à toutes les ontologies locales. » (note 10 p.39)
« La métaphysique ne peut être purement et simplement remplacée par l’épistémologie : un travail approfondi sur les présupposés ultimes de tel ou tel type de connaissance (et la connaissance morale en est un) débouche nécessairement sur des questions métaphysiques, c’est-à-dire sur des questions qui concernent la nature même de ces présupposés, si tant est que nous puissions la définir avec Collingwood comme la science des présupposés ultimes. » (p.46)
« Les querelles en métaphysiques ont pris la forme normale d’échanges d’arguments et d’évaluations en forme. […]
Ces programmes acceptent un réseau de normes minimales et de critères intellectuels communs. Aucune métaphysique ne revendique plus de fonder une connaissance a priori sur la possession de pouvoirs supramentaux, du type d’une intuition métaphysique sui generis, ou d’une vision directe de l’absolu. On a en général renoncé au ton oraculaire, aux déclarations fracassantes. Aucune métaphysique n’accepte d’un cœur léger d’être ouvertement contradictoire et la découverte d’une contradiction logique est perçue le plus souvent comme une incitation à réviser la théorie, à en examiner à nouveau certains attendus. L’argument d’autorité, mis à mal par les cartésiens, n’a plus refait surface. » (p.50)
« Le souci qui définit la philosophie [est de] produire des énoncés absolument vrais, bien que non vérifiables par des procédures expérimentales et non quantifiées par des mesures, vrais par leur place dans une chaîne de raisons et non relatifs à l’opinion, la science ou la religion. Ce souci de vérité permet à la philosophie d’exercer une fonction critique vis-à-vis de ces trois systèmes de croyance, c’est-à-dire à ne pas se plier à la loi de la majorité pour les opinions, de ne pas se calquer sur les résultats des sciences positives et enfin de ne pas se transformer en préparation aux opinions théologiques. » (p.54-55)
« [Les textes de Spinoza] ne sont compréhensibles que relativement à ceux de Descartes, dont ils sont souvent le commentaire critique. » (p.55)
« La théorie de la vérité correspondance est celle qui définit la vérité comme une correspondance entre un élément sémantique (phrase ou énoncé) et un élément ontologique (fait, situation ou état de choses). Cette théorie a été développée par Aristote […] à la suite de Platon […] et prise comme base de sa théorie par Tarski dans la formalisation du prédicat « être vrai » en quoi consiste la théorie dite sémantique de la vérité. » (note 1 p.58).
« La différence entre la science et la métaphysique est que la première n’a pas affaire à quelque chose d’aussi général que « la réalité », « ce qui est », « la totalité de l’étant », etc., à la différence de la métaphysique. La science est une juxtaposition de sciences particulières, régionales (Husserl), chacune d’entre elles spécialisée dans un type de réalité, d’êtres, par exemple les êtres vivants pour la biologie. » (p.62)
« Les formes de l’anti-réalisme contemporain sont : le vérificationnisme, le constructivisme radical, le relativisme. Dans cet ouvrage on mettra en cause la prévalence générale des thèmes anti-réalistes dans la destruction de la métaphysique. » (note 11 p.65)
« Le langage et la perception [sont] nos deux moyens fondamentaux d’appréhension de la réalité. » (p.73)
« La dispute sur la métaphysique –toute forme de métaphysique est-elle définitivement dépassée ? –passe aussi à l’intérieur de l’interprétation de la philosophie kantienne. » (p.82)
« Les reprises de la figure traditionnelle de Kant comme critique radicale de la métaphysique ne manquent pas. » (p.83)
« S’il y a bien un irrationalisme contemporain, c’est bien celui de l’herméneutique. » (note 13 p.88)
« [Heidegger] entend substituer à la lecture épistémologique de ce texte de Kant [Critique de la raison pure], courante dans le néo-kantisme [en particulier de Cassirer], une lecture ontologique qu’il juge à la fois plus conforme à l’intention kantienne et éclairante pour son propre projet, dans la mesure où Kant aurait pris le premier la mesure de la finitude de l’homme. Ce que Heidegger reproche à Kant dans son livre, c’est de ne pas avoir pensé cette finitude de manière assez radicale, notamment en ne pensant pas l’essence du monde à partir de la finitude radicale du Dasein. » (p.95)
« La Dialectique transcendantale est la partie de la Critique de la raison pure où Kant montre que la métaphysique aboutit à une contradiction de la raison avec elle-même, sous la forme notamment d’antinomie. C’est la partie proprement critique de la Critique. » (note 22 p.98)
« Nous pensons qu’il y a une continuité d’Aristote aux développements les plus récents de la métaphysique analytique, ce qui est confirmé par le renouveau extraordinaire des études aristotéliciennes dans les vingt dernières années. » (p.103)
« Le maquillage de Hegel en libéral anglais ne peut faire oublier que c’est le penseur de l’Etat total, rouge, brun ou même bleu-blanc-rouge que l’on souhaite le renverser (Lénine) ou l’appliquer (G. Gentile). Sa pensée et sa dialectique trop flexible ont servi à couvrir du voile pudique de la logique les monstruosités les plus inouïes. L’option hégélienne qui est de renoncer au principe de contradiction au nom de la dialectique a fait long feu. » (p.103)
« Une des sources du républicanisme de droite en France en incontestablement l’hégélianisme, dans les années 1840. » (note 26 p.102)
« Wolff est un moment capital de l’histoire de la métaphysique allemande, moment qu’on ne peut évacuer. » (p.105)
« On entend par anti-réalisme un groupe de doctrine qui ont en commun le refus du réalisme : l’anti-réalisme sémantique, par exemple, soutient qu’un énoncé dépourvu de valeur de vérité (alors que pour un réaliste sémantique comme Frege, un tel énoncé continuerait de se référer soit au vrai, soit au faux, conçus comme des objets). L’anti-réalisme métaphysique soutient la dépendance forte de l’existence réelle des objets à l’égard des procédures de connaissance effective dont on dispose pour les appréhender. Il s’oppose au réalisme métaphysique qui affirme l’indépendance des mêmes objets à l’égard de ces procédures : pour un réaliste métaphysique, ces objets n’étant pas construits par nous continuent à exister en l’absence d’une telle procédure. Il ne faut pas confondre ce réalisme métaphysique au sens général avec le réalisme des universaux, qui consiste à admettre l’existence des universaux, soit comme séparés (réalisme extrême des universaux ou platonisme), soit comme instanciés dans les choses particulières (réalisme dit modéré d’Aristote, saint Thomas ou Reid [1710-1796], ou, à l’époque actuelle, d’Armstrong. » (p.125)
« Toute erreur sémantique, comme on le sait depuis Platon et Aristote, affecte nécessairement l’ontologie. » (p.127)
« Le nœud du problème est le suivant. Les jugements synthétiques sont pour Kant ceux qui apportent une connaissance. Il importe donc d’en donner une caractérisation précise. Or Kant ne donne des jugements synthétiques qu’une définition purement nominale et nullement une analyse sémantique. Il ne peut donc plus chercher le lien qui unit les concepts dans un jugement synthétique que du côté de l’intuition. Kant est parfaitement clair sur ce point. La possibilité de la synthèse du prédicat avec le concept qui en est le sujet se fonde sur l’expérience qui est elle-même une « liaison synthétique des intuitions » […]. Ici le roi est nu : toute la faiblesse de la position kantienne se dévoile –pour expliquer la synthèse qui est au fondement des jugements synthétiques, il faut recourir à une intuition qui est elle-même… synthétique. Plusieurs critiques de Kant ont souligné qu’il est rare de se contenter sur un point capital d’une telle absence de discussion, après avoir proclamé un idéal de rigueur inflexible. Si on ajoute à cela le caractère en partie mystérieux des jugements synthétiques a priori, on voit clairement ce que l’on entend par une sémantique intuitionniste et du même coup comment on peut caractériser Kant comme un intuitionniste sémantique en métaphysique. » (p.128)
« En ruinant l’objectivité des concepts, en faisant le choix de l’intuitionnisme sémantique, Kant effectivement barre ou coupe la route de l’ontologie qui suppose une théorie objective des propriétés, quelque forme qu’elle prenne, réaliste ou nominaliste. » (p.129-130)
« En ontologie, Bolzano dispose d’une doctrine incomparablement plus riche que celle de Frege. » (p.131)
« Avoir été nazi est un stigmate (ce que cela ne doit jamais cesser d’être), mais avoir été du côté des tortionnaires de gauche est tout à fait excuser. On contraint Carl Schmitt, à juste titre, à se justifier, mais ceux qui ont soutenu le régime qui a institué et étendu le goulag n’ont jamais eu de comptes à rendre (en premier lieu en Russie même, contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne). Tout l’admirable travail sur le totalitarisme est déconsidéré, alors que c’est une tâche philosophique urgente que de le penser dans son fond métaphysique autant que juridique, social, politique. » (note 12 p.161)
« La thèse que l’on défendra est celle d’une continuité de la métaphysique médiévale, notamment sous sa forme tardive, avec la métaphysique contemporaine. » (p.228)
« La vision largement répandue par un hégélianisme de base, par exemple en France, selon laquelle, d’une part, il n’y a pas de métaphysique empirique et que, d’autre part, la véritable métaphysique s’est achevée de manière grandiose en Allemagne est fausse de part en part : il y a une métaphysique empirique et la métaphysique ne s’est pas achevée en Allemagne –elle a émigré ailleurs. » (p.260)
« Les médiévistes opposent quelquefois au XIIIème siècle une droite augustinienne, opposée à l’introduction d’Aristote, et une gauche averroïste, partisane d’une béatitude philosophe et favorable à l’enseignement d’Aristote. » (note 10 p.269)
« C’est un des traits de la métaphysiques médiévale, surtout aux XIIème et XIIIème siècle, que la coexistence d’une ontologie d’inspiration aristotélicienne, dont la compréhension passe par la médiation d’Avicenne et d’Averroès, et d’une méontologie d’inspiration dionysienne, véhiculant la théologie des néo-platoniciens, par le bais de textes comme le Liber de Causis, sorte de compilation plotinienne passée au tamis arabe. » (p.306)
« L’idéal aristotélicien […] est une vie mixte, à la fois politique et intellectuelle. » (p.312)
« Le problème de l’individuation au Moyen Age reçoit plusieurs solutions, que l’on classe habituellement ainsi :
(a) individuation par des faisceaux de qualités,
(b) par un accident
(c) par une caractéristique spécifique : (i) la forme, (ii) la matière, (iii) un principe sui generis, par exemple l’haeccéité (cf : Jorge Gracia, 1994).
La solution (a) consiste par exemple à affirmer que ce qui fait l’individualité de Socrate, c’est l’ensemble des qualités liées en Socrate (d’où l’image du faisceau [bundle]). Boèce, Leibniz et Russell ont soutenu cette solution. La solution (b) affirme que certains accidents seulement sont responsables de l’individuation, par exemple la localisation spatio-temporelle, qui est accidentelle et contingente. Locke et Strawson l’ont soutenue et apparemment aussi Brentano. La solution (c) (i) consiste à affirmer que l’individualité d’un individu est causée par sa forme. Averroès, Lukasiewicz et David Wiggins l’ont défendue. La solution (c) (ii) consiste à affirmer que l’individuation est une privation apportée par la matière. Elle a été soutenue par Aristote et par Elizabeth Anscombe. La solution (c) (iii) consiste à introduire un principe spécifique d’individuation, qui peut être un particulier nu (bare particular) ou une essence individuelle ou haeccéité. C’est la position de Duns Scot. Il existe des positions mixtes, comme celle de Thomas d’Aquin qui identifie le principe d’individuation avec la matière dotée d’une certaine dimension. Il existe aussi des auteurs qui, comme Roger Bacon, trouvent la source de l’individuation dans les agents naturels ou surnaturels externes à la chose individuée. » (p.335-336)
« É. Gilson avait vu dans Avicenne un point de départ de Duns Scot, de l’univocité de son ontologie plus précisément, et donc un point de départ de la métaphysique moderne. » (p.376)
« La définition du terme « ontologie » égare énormément l’étudiant de la métaphysique. L’ontologie, définie comme science de l’être en tant qu’être, nous conduit à oublier que l’ontologie peut être une science du possible, une théorie de l’objet ou même du quelque chose, etc. L’ontologie est, comme on l’a défini, la science des traits catégoriaux ultimes de la réalité. » (p.409)
"L'hégélianisme britannique à la fin du XIXème siècle est marqué par une opposition entre deux courants. Le premier est personnaliste: tout est esprit et la structure de la réalité est un ensemble de substances spirituelles personnelles liées par l'amour. Le principal représentant de ce courant est McTaggart, dont Russell affirma qu'il fut le philosophe idéaliste qui eut le plus d'influence sur lui [...] Le second est absolutiste: dans les systèmes philosophiques issus de ce courant, tout est impersonnel et non relationnel. Bradley est le principal représentant de ce courant, à côté de Green et F. J. Ferrier (1808-1864). Il est plaisant de constater que l'hégélianisme renaît en Angleterre, profondément transformé, plus métaphysique, moins politique, au moment où il s'effondre en partie en Allemagne, du fait conjugué du développement du néokantisme qui pointe les énormes faiblesses épistémologiques du système hégélien et les critiques des socialistes, marxistes ou non. Le développement du néokantisme entraîne de facto une certaine diffraction de la philosophie en épistémologie, éthique, philosophie de la nature et de l'art, diffraction correspondant aux trois Critiques de Kant." (p.442)
"Meinong est donc interprété (correctement) comme une réaction à l'idéalisme allemand, ce qui se conçoit quand on connaît l'hostilité de toute l'école brentanienne à ce courant, commençant avec le rejet par Brentano de l'opposition établie par Schelling entre la méthode philosophique et celle des sciences de la nature. Il est rapproché de Frege et de Husserl, et le parallèle entre cette réaction germanique et les propres travaux de rupture de Moore et Russell est dressé explicitement. La "nouvelle philosophie" qui résulte de ces ruptures multiples a pour Russell plusieurs caractéristiques en commun. La première est l'adoption par la philosophie des méthodes des sciences [...] la distinction hégélienne entre science et savoir disparaît. Cette philosophie nouvelle a trois sources: la théorie de la connaissance, la logique et les principes des mathématiques. Il est tenu pour impossible qu'une chose existe sans être conue, ce qui est une pierre dans le jardin de Kant." (p.452)
p.476.
-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais, 2004, 1062 pages.