"Les libéraux sont "ailleurs" et il est erroné de les situer à droite ou à gauche." (p.19)
"La seule victoire de l'époque actuelle est celle de la social-démocratie, c'est-à-dire de la combinaison de l'omnipotence d'une minorité élue et de l'économie mixte (définie non pas seulement par l'existence de nombreuses activités étatiques, mais aussi par une fiscalité forte et discriminatoire, ou des règlementations tentaculaires). On est donc loin de la liberté individuelle. Ce qui est vrai, c'est que cette social-démocratie manque singulièrement d'appui idéologique et de souffle spirituel." (p.22)
"Les idéologies collectivistes ont toujours échoué parce qu'elles ne correspondent pas à la nature profonde de l'homme et à son aspiration à la liberté. Mais elles sont toujours prêtes à renaître. Le miracle occidental c'est le miracle de l'émergence de l'individualisme. Il doit être défendu contre toutes les entreprises destructrices, y compris celles de la social-démocratie. [...] A ceux qui sont aveugles à son instabilité et à sa banqueroute intellectuelle, la social-démocratie apparaît peut-être comme la fin de l'Histoire, mais elle n'est pas la fin de l'homme. Elle lui offre seulement le spectacle de la surenchère démagogique, des réseaux d'influence, des intrigues, souvent même de la corruption et du triomphe de la médiocrité. Une autre direction reste ouverte pour les sociétés humaines: la conquête de la liberté individuelle." (p.24)
"Le libéral se doit d'être tolérant avec les hommes et intolérant avec les idées." (p.31)
"Pour Maurice Allais, une société libre est désirable non pas pour des raisons de principe, mais en tant que moyen pour obtenir une économie efficiente." (p.57)
"Si on admet qu'un individu est propriétaire de lui-même, c'est-à-dire qu'il n'est pas esclave d'autrui, on doit bien admettre qu'il est propriétaire des fruits de son activité, c'est-à-dire de ce qu'il a crée par l'exercice de sa raison. Dans la mesure où la création des richesses n'est qu'un simple prolongement de l'exercice individuel de la raison, la reconnaissance de la nature humaine d'un individu implique la reconnaissance de ses droits de propriété sur ce qu'il a créé. Le capitalisme, système d'appropriation privée des ressources, a donc un fondement éthique incontournable, puisqu'il est fondé sur la reconnaissance des droits de propriété des créateurs sur leur création. Et il est en ce sens incohérent de lutter à la fois contre le capitalisme et contre l'esclavagisme." (p.66)
"Si deux individus ont créé des richesses, ils en sont les propriétaires exclusifs et ils agissent légitimement lorsqu'ils échangent le produit de leur activité. Dans une société sans contrainte, on est propriétaire d'une ressource soit parce qu'on l'a créée soi-même, soit parce qu'on l'a obtenue par l'échange en contrepartie d'une ressource que l'on avait créée, soit parce qu'on l'a obtenue par un don de celui qui l'avait créée. Autrement dit, le fondement de la propriété réside toujours dans un acte de création. C'est pourquoi on peut dire que le droit de propriété est inhérent à la nature même de l'homme, qu'il en est inséparable. C'est la grandeur d'une société libre -c'est-à-dire d'une société sans contrainte- que de permettre à l'homme d'agir conformément à sa nature. Ainsi, si l'on définit le libéralisme comme la défense d'une société sans contrainte, on doit dire que le libéralisme est un humanisme et même, plus précisément, que l'humanisme est indissociable du libéralisme." (p.68)
"Si le problème de la liberté ne se pose pas pour Robinson Crusoé, le problème de la propriété ne se pose pas non plus pour lui, puisqu'elle se définit comme un droit d'exclusion par rapport aux autres." (p.69)
"On sait en effet qu'il existe deux grandes traditions juridiques, la tradition anglo-saxonne et la tradition continentale. Dans la tradition continentale -dont le modèle le plus achevé est évidemment le Droit français et l'expression qu'il a trouvée dans le Code Napoléon- la source du droit est de nature législative. C'est la puissance publique qui a la charge de définir les droits de propriété et cette activité est si étroitement considéré comme appartenant par essence à la sphère publique qu'elle constitue l'une des justifications les plus constantes de l'existence de l'Etat: il faut bien une organisation centrale, pense-t-on, pour établir les lois communes de la société sans lesquelles aucun ordre juridique ne serait possible. Ce sont évidemment des idées de ce type qui inspirent les critiques habituelles du libéralisme d'après lesquelles l'absence d'Etat signifierait l'anarchie. Or, il n'en est rien. Un ordre social fondé sur la liberté individuelle génère parfaitement bien les règles juridiques nécessaires au maintien de cet ordre et au développement des sociétés fondées sur ces principes. Il évite les risques d'anarchie. La tradition juridique anglo-saxonne en apporte précisément la preuve. [...]
Dans la tradition anglo-saxonne -ou tradition de la common law- la définition concrète des droits est en effet d'origine jurisprudentielle. Le juge a pour rôle de dire le Droit, c'est-à-dire de définir de manière précise les droits existants à partir des principes généraux du Droit (dont l'articulation entre création et appropriation fait naturellement partie). Il n'a pas pour rôle d'inventer le Droit et il n'est d'ailleurs pas nécessaire que quiconque joue ce rôle dans une société civilisée. En effet, la définition des droits n'est pas générale et a priori, mais elle se fait uniquement lorsque l'occasion s'en présente et à propos de cas concrets, soit parce que les personnes concernées reconnaissent spontanément les droits de chacun, soit parce qu'on fait appel au juge. Dans ce dernier cas, le fait que des plaignants se présentent devant un tribunal signifie probablement que la définition des droits de propriété était trop imprécise pour le cas en question et il convient donc de s'en remettre à la sagesse du juge pour définir concrètement ces droits. Cette tradition anglo-saxonne se retrouve d'ailleurs dans des types de civilisation extrêmement différents, aussi bien, par exemple dans le Droit traditionnel africain que dans le Droit des tribus indiennes d'Amérique latine. Et on peut imaginer que ces traditions juridiques auraient été de formidables moteurs de développement économique -comme cela semble avoir été le cas dans les pays de tradition anglo-saxonne- si la colonisation en Afrique et la destruction des Indiens en Amérique n'étaient venues bouleverser ces ordres juridiques." (p.75-76)
"Il est dépourvu de sens de parler du responsable d'un service, des responsables de l'Etat ou du responsable d'une organisation terroriste car le concept de responsabilité concerne les rapports entre les personnes et non une relation technique entre une personne et une chose. On devrait donc s'interdire d'utiliser le mot "responsable" comme substantif parce qu'aucune personne ne peut être définie de manière générale comme responsable ; elle ne peut être qualifiée de responsable qu'à partir d'actes particuliers." (p.97)
"La responsabilité n'a de sens que dans la mesure où les rôles de chacun sont spécifiés et où on leur donne le maximum d'autonomie de décision, dans le cadre du rôle qu'ils ont acceptés de jouer, c'est-à-dire de leurs droits respectifs." (p.97-98)
"Au niveau d'une collectivité publique -un pays par exemple- un système réglementaire est un système qui fonctionne mal, parce qu'il ne repose pas sur l'exercice de la responsabilité individuelle. Mais, par ailleurs, il conduit à l'irresponsabilité, c'est-à-dire qu'il fait perdre aux gens l'habitude d'agir en personnes responsables. On attend le commandement, on n'est plus capable de faire ce qui est en principe la caractéristique même de l'homme, c'est-à-dire réfléchir et agir." (p.98)
"On parle de l'étalon-or de manière indistincte, comme s'il existait un seul d'étalon-or. Mais ce qui compte le plus n'est pas de savoir en termes de quel bien -or, argent, cuivre ou autre marchandise- telle ou telle monnaie bénéficie d'une garantie de convertibilité, mais qui donne la garantie de convertibilité. Est-ce une personne responsable -au sens où nous l'avons entendu- ou une personne irresponsable ? Telle est au fond la seule question qui compte." (p.99)
"[La démocratie] doit être elle-même jugée en fonction de sa capacité éventuelle à empêcher le totalitarisme et à assurer la liberté individuelle." (p.102)
"Il n'est pas suffisant de se préoccuper de la forme du gouvernement pour obtenir une organisation souhaitable de la société." (p.103)
"Il n'y a pas d'autre moyen d'assurer le respect des droits, donc un régime de liberté, que de permettre la concurrence entre les institutions -et donc la liberté de choix institutionnelle des individus- ou d'instaurer la loi de l'unanimité." (p.106)
"Les êtres humains sont des êtres sociaux, c'est-à-dire qu'ils vivent dans des systèmes de relations interpersonnelles. Ces relations sont à la fois coopératives et conflictuelles ; coopératives parce que l'homme ne peut pas survivre s'il n'entre pas dans des systèmes mutuellement avantageux ; conflictuelles parce que les ressources sont limitées et qu'il existe donc toujours un risque d'empiètement des domaines des uns par les autres. Bien entendu, le libéralisme vise à permettre la résolution pacifique des conflits, c'est-à-dire à transformer les conflits en coopérations." (p.121)
"Parce que, comme d'habitude, les hommes ont tendance à voir ce qui est matériel et à oublier ce qui est abstrait, on a parlé, pour expliquer ce phénomène, de révolution industrielle, c'est-à-dire qu'on a mis l'accent sur les nouvelles machines et les nouveaux procédés de fabrication qui auraient permis d'abaisser les coûts de production. Mais il serait bien plus correct de parler de révolution institutionnelle. Si, pour la première fois dans l'Histoire, il a été possible d'assurer un niveau de vie croissant à des masses innombrables, alors que la richesse était restée jusque-là l'apanage d'une toute petite minorité, c'est parce qu'on a mis en place les structures juridiques qui permettaient ce développement, en particulier les sociétés de capitaux. Or, ces institutions n'ont pas été le produit d'une construction légale a priori, mais le résultat de découvertes institutionnelles spontanés et de processus de sélection par lesquels les hommes ont considéré que cette forme d'organisation sociale était la plus efficace pour la production de richesses." (p.128)
"On ferait probablement un progrès dans la compréhension des phénomènes sociaux si l'on s'interdisait d'attribuer à des abstractions [l'Etat, l'entreprise] des capacités qui ne peuvent appartenir qu'aux êtres humains." (p.128)
"Il est ainsi de l'intérêt commun des salariés, des prêteurs, des clients ou des fournisseurs que l'entrepreneur fasse des profits, sinon il risquerait d'être dans l'impossibilité de leur payer ce qu'il leur avait promis." (p.136-137)
"Les incitations des propriétaires d'entreprises à créer des richesses résultent du montant du profit périodique qu'ils escomptent tirer de leur activité et de la valeur de revente de leur entreprise qui en résulte. Le profit est donc logiquement un but de l'entrepreneur et il joue un rôle déterminant pour l'inciter à entreprendre. Mais il n'est pas nécessairement un but exclusif et toutes sortes d'autres motifs peuvent expliquer le comportement d'un entrepreneur, par exemple son appétit de puissance, son souci de la renommée ou le désir de servir les autres en leur fournissant des biens qui leur sont utiles.
Il serait par ailleurs faux de dire que le profit est l'objectif poursuivi par l' "entreprise". En effet, ainsi que nous l'avons vu, une entreprise est une réalité complexe et abstraite à laquelle on ne peut attribuer de raison et de volonté. Chacun des partenaires d'une entreprise a en fait des objectifs différents: ainsi, un salarié est probablement indifférent au niveau du profit de son entreprise, mais préoccupé par son salaire et ses conditions de travail, un prêteur est pour sa part essentiellement intéressé par le rendement et la sécurité de son prêt, etc. Le rôle de l'entrepreneur consiste précisément à rendre ces différents objectifs individuels cohérents entre eux pour que tous contribuent le mieux possible aux processus de production, de telle sorte, évidemment, qu'il en résulte un profit, faute de quoi l'entreprise ne pourrait pas continuer à fonctionner." (p.137)
"La crise profonde de notre époque est une crise de la responsabilité et le retour à la prospérité n'est lui-même que l'une des conséquences d'un changement de plus grande ampleur, la restauration de la responsabilité individuelle." (p.140)
"En définitive, l'entreprise n'est pas et ne peut pas être une démocratie, au sens très restrictif auquel on entend ce terme généralement. Il en est ainsi, fondamentalement, parce que l'entreprise est un ensemble de contrats et non une institution. Or, cela n'a pas de sens de gérer "démocratiquement" un contrat ou un ensemble de contrats.
La survie même de l'entreprise dépend de ceux qui la contrôlent: elle disparaît si elle cesse de rendre service à ses clients. L'Etat, lui, survit parfaitement, même lorsqu'il mécontente la grande majorité des citoyens dans l'exercice de telle ou telle activité. C'est pourquoi le parallèle entre l'organisation de l'Etat et celle de l'entreprise est totalement fallacieux. Si la démocratie est nécessaire dans l'Etat, c'est parce que la nature de son action est de décider à la place des autres et qu'il ne subit pas de contrôle externe par la concurrence: le rôle de la règle majoritaire est -ou devrait être- de permettre aux citoyens de mieux contrôler les dirigeants. Mais sur un marché libre, le contrôle des clients sur la marche de l'entreprise existe d'emblée et le plus complètement possible. La démocratie est donc nécessairement une forme moins parfaite et moins efficace de l'exercice de la liberté que ne l'est le marché: on n'est pas plus libre par la démocratie que par le marché, bien au contraire.
L'entreprise capitaliste est nécessairement au service de ses clients, mais elle tient compte de tous leurs choix, dans leur intensité et leur importance, alors que la règle majoritaire viole au moins les préférences de la minorité et parfois même celles du plus grand nombre. On comprendra donc que la comparaison de la démocratie et du marché ne peut tourner qu'à l'avantage de ce dernier." (p.157)
"C'est le marché libre qui met les entreprises au service du peuple." (p.158)
"Considérons en effet deux marchés caractérisés par le fait qu'il existe un seul producteur sur chacun d'eux, mais qui diffèrent par ailleurs parce que, sur l'un de ces marchés il y a liberté d'entrer, alors que cette liberté n'existe pas sur l'autre marché. Ces deux situations sont apparemment identiques selon les conceptions traditionnelles qui consistent à prendre une photographie instantanée, à constater un résultat sans s'interroger sur le processus qui y a conduit. On parle alors de monopole. Mais bien entendu, ces deux situations sont fondamentalement différentes et même opposées.
Dans le cas où il y a pas liberté d'entrer, c'est-à-dire qu'une seule entreprise -dont il importe d'ailleurs peu qu'elle soit publique ou privée- est autorisée par la puissance publique à produire certains biens ou services, le profit est le résultat non pas du fait qu'il existe un seul producteur, mais de l'exercice de la contrainte qui empêche d'autres producteurs de venir proposer un produit moins cher et meilleur. En l'occurrence, il est d'ailleurs légitime d'appeler ce profit un "super-profit", mais il serait encore plus correct de l'appeler "rente de privilège public" ; il est également légitime de dire que le monopole "exploite" le consommateur. En effet, l'entreprise ainsi protégée est moins incitée à faire des efforts d'adaptation aux besoins des consommateurs et à baisser ses prix que si elle subissait la concurrence -effective ou seulement potentielle- d'autres producteurs. Elle dispose d'un marché captif.
Il conviendrait donc de redéfinir les mots et de parler de monopole lorsque la contrainte publique interdit l'entrée sur le marché de toutes les firmes, à l'exception de l'une d'entre elles (ou d'un petit nombre d'entre elles) qui bénéficie donc d'un privilège ; et de parler de concurrence lorsque cette contrainte publique n'existe pas et qu'il y a liberté d'entrer sur un marché, en un mot de concurrencer les firmes déjà en place.
Dans le cas où il y a liberté d'entrer sur un marché, mais où il n'existe cependant qu'un seul producteur, à un moment donné, cette position spécifique résulte nécessairement des mérites particuliers de ce producteur et de sa capacité à répondre aux besoins du marché avant les autres. Ainsi, tout innovateur est nécessairement le producteur unique du nouveau produit qu'il lance, tout au moins pendant un certain temps. Mais il sait très bien que, si son produit a du succès et rapporte des bénéfices, il devra faire face à la concurrence d'imitateurs ou même de nouveaux innovateurs qui amélioreront le produit et diminueront son prix. On peut ainsi dire que la concurrence -au sens où nous l'entendons- a le grand mérite d'inciter les producteurs à rechercher une position monopolistique, c'est-à-dire -pour reprendre la conception traditionnelle- à être producteurs uniques sur leurs marchés. Et ils n'y arriveront que s'ils ont bien perçu les besoins de leurs acheteurs potentiels et bien imaginé les nouveaux processus de production. La concurrence, parce qu'elle est une force de différenciation, est donc l'aiguillon essentiel de l'innovation et du changement.
S'il existe un seul producteur d'un bien quelconque à un moment donné, alors que la liberté de produire ce bien a toujours prévalu, il est totalement erroné de déplorer une situation qualifiée de "monopolistique" et de redouter l'exploitation des consommateurs par un entrepreneur qui prélèverait des "super-profits". Il convient en effet de se demander en effet pourquoi d'autres producteurs ne sont pas entrés sur le marché alors qu'ils étaient libres de le faire. Il se peut par exemple que la nouvelle activité leur ait semblé trop risquée, compte tenu du profit (et non du super-profit) possible, ou encore qu'ils n'aient pas été capables d'imaginer le nouveau produit ni de faire les recherches nécessaires pour le concevoir et le lancer. Les reproches que l'on peut faire ensuite à celui qui a osé et qui a réussi, sous prétexte qu'il exercerait un pouvoir de monopole, sont alors totalement dénués de sens et même de moralité. On ne peut s'en prendre qu'à soi-même si l'on n'a pas su mieux percevoir les intérêts des acheteurs ni essayer d'y répondre avant les autres.
[...] L'idée traditionnelle selon laquelle le monopoleur pourrait percevoir un "super-profit" aux dépens de ses acheteurs est donc une idée erronée. En effet, on ne peut parler que de "super-profit" que par rapport à une norme qui, en l'occurrence, serait celle de la concurrence pure et parfaite. Mais cette référence est purement fictive ; en effet, on ne peut pas définir ce que serait le profit "normal" dans un univers où il y aurait un grand nombre de producteurs, puisque, précisément, il ne peut pas y avoir un grand nombre de producteurs pour une activité nouvelle ! Le super-profit n'est qu'un profit, c'est-à-dire un revenu résiduel, et nous n'avons aucun moyen de dire qu'il est excessif. Il ne peut paraître excessif que pour l'envieux qui aurait voulu réussir aussi bien, mais qui en a été incapable, ou pour l'homme de l'Etat qui cherche toujours des justifications pour imposer son pouvoir à ceux qui agissent librement." (p.170-173)
"Rappelons les débuts peu glorieux de la Banque de France. Celle-ci était, à la charnière du XVIIIème et du XIXème siècle, une banque comme les autres, plutôt moins bien gérée et moins recommandable. Or, en 1803, Napoléon lui a accordé le privilège d'émettre les billets de banque pour une partie de la France, c'est-à-dire qu'il a interdit dorénavant aux autres banques de le faire, alors qu'elles n'avaient pas cessé d'émettre des billets dans les meilleures conditions. Mais Napoléon et sa famille étaient actionnaires de la Banque de France et ils avaient bien conscience que l'obtention d'un privilège public était le meilleur moyen d'obtenir des gains privés (aux dépens des autres)." (p.176)
"Nous ne pouvons pas juger, en tant qu'observateurs extérieurs, du degré de diversification "optimal" dans une activité donnée. Il s'agit là d'un problème de stratégie productive qui tient compte de la perception des besoins du marché, c'est-à-dire des besoins concrets des clients. S'il y a liberté d'entrer sur le marché, on peut valablement faire l'hypothèse que les producteurs s'efforcent de répondre de la manière la plus satisfaisante possible à ces besoins. Il peut en résulter des structures productives très variées et qui d'ailleurs évoluent dans le temps: un très grand nombre de producteurs, ou un producteur unique, ou un cartel de producteurs. Toute législation qui vise à interdire certaines structures de marché censées correspondre à des pratiques anti-concurrentielles est donc nuisible: elle juge du résultat des processus -le nombre des producteurs à un moment donné- sans pouvoir évidemment évaluer les processus qui y conduisent. C'est pourquoi toute législation en faveur de la concurrence est anti-concurrentielle -en ce sens qu'elle porte atteinte à la liberté de décision, à la liberté de produire- et il est donc souhaitable qu'elle disparaisse." (p.185-186)
"Si véritablement les hommes de l'Etat étaient capables, mieux que quiconque, de savoir à tout moment quel est le "bon" taux de change auquel il conviendrait de stabiliser le marché, pourquoi restent-ils dans la politique au lieu de faire d'immenses fortunes par leur capacité supérieure à connaître le taux de change d'équilibre ?" (p.189)
"En aidant continuellement à la recherche des meilleurs dirigeants, la Bourse, loin de constituer un jeu à somme nulle, c'est-à-dire une simple loterie, favorise la création de richesses pour le bienfait de tous." (p.191)
"Le marché n'est pas une sorte d'être mystérieux et mythique, un sphinx tapi dans l'ombre de la spéculation, mais tout simplement l'ensemble de ces êtres bien concrets qui passent continuellement et librement des contrats entre eux. Parler de "défaillances du marché" c'est en fait parler des défaillances de ces êtres bien concrets. Faut-il alors penser qu'il existerait deux catégories de personnes, celles qui auraient des défaillances et celles qui en seraient protégées ?" (p.193)
"La véritable justification de toutes les politiques d'interventionnisme étatique dans les activités de production tient au désir des bureaucrates et des hommes politiques d'exercer leur pouvoir et de se substituer à ceux qui sont véritablement responsables." (p.204)
"Toutes les interventions étatiques pour modifier les structures productives ont une conséquences paradoxale. Elles augmentent en effet la concentration de l'industrie car il y a une tendance naturelle des hommes politiques et des bureaucrates à restructurer autour d'un petit nombre de grands producteurs, ce qui leur rend évidemment plus facile le contrôle d'un secteur. C'est une raison supplémentaire d'affirmer que la prétendue tendance naturelle du capitalisme à se concentrer est en fait dans une large mesure le résultat des interventions non capitalistes. Un élément important renforce cette conclusion. En effet, la diversité des aides publiques et la complexité des procédures sont telles que les grandes entreprises ont un avantage relatif considérable par rapport aux plus petites. Elles peuvent payer des "subsidologues", spécialistes de l'obtention des aides publiques, et entretenir des liens politiques privilégiés entre leurs dirigeants et le monde de la politique ou de la haute fonction publique. Les petits et les moyens entrepreneurs paient donc pour cette politique industrielle qui ne fait que construire une nomemklatura dirigeante à la recherche d'avantages particuliers. Et bien entendu, cet avantage relatif des grandes entreprises consiste une barrière à l'entrée de firmes nouvelles, ce qui freine l'innovation. Au lieu de devenir entrepreneurs, les jeunes générations n'ont guère plus le choix que de devenir salariés des grandes organisations. Au lieu d'avoir une multitude de petites et moyennes entreprises où l'imagination puisse se développer, on aboutit à une cartellisation de l'industrie et une interpénétration croissante de l'administration et des affaires." (p.205-206)
"Etre propriétaire d'un bien c'est pouvoir exclure autrui de toute utilisation de ce bien, de toute décision concernant ce bien." (p.210)
"Quels que soient les décideurs dans une entreprise publique, on n'est sûr que d'une chose, à savoir qu'ils sont nécessairement irresponsables, puisque leur sort ne dépend pas de la qualité de leurs décisions. Il ne faut pas s'étonner par conséquent si tant d'entreprises publiques sont mal gérées et font supporter aux contribuables de lourds déficits. Or, il faut bien voir qu'un déficit signifie que l'activité de l'entreprise est destructrice: la valeur de ce qu'elle produit est inférieure à la valeur de ce qu'elle absorbe et elle détruit donc des richesses au cours du processus de production. Les entreprises publiques en déficit ne peuvent donc subsister qu'en prélevant sur la valeur crée par les autres." (p.211)
"L'objectif premier des hommes de l'Etat consiste à s'attacher des clientèles, c'est-à-dire à donner des avantages bien perceptibles à des catégories bien ciblées en cachant le coût de ces privilèges." (p.212)
"Une société libre est une société où tout individu a le droit d'agir comme il l'entend, sans subir aucune contrainte, à condition qu'il respecte les droits légitimes des autres." (p.231)
"Si le propriétaire d'une maison refuse de la louer à quelqu'un qu'il considère comme un "étranger" (parce qu'il vient d'un autre pays, qu'il a une couleur de peau différente, une autre culture ou une autre religion), si le propriétaire d'une entreprise refuse d'embaucher pour les mêmes motifs, cela peut nous choquer, mais nous devons reconnaître qu'ils en ont le droit. Ayons en effet l'honnêteté de l'admettre, nous passons notre vie quotidienne à définir des exclusions, car personne ne possède de droits illimités sur nos biens, notre personnalité et notre temps. Il faut donc accepter le droit d'un individu à refuser certains individus dans sa maison, dans son entreprise, dans sa copropriété, quelles qu'en soient les raisons, même si le refus tient à ce que ces individus sont perçus comme "étrangers". C'est un fait: les êtres humains sont tous différents et chacun a ses préférences en fonction de critères impénétrables. C'est bien pourquoi nous avons des amis: avoir un ami c'est avoir quelque chose en commun avec autrui, mais c'est aussi exclure les autres des relations d'amitié. Si la loi était cohérente, elle devrait punir le fait d'avoir des amis -c'est-à-dire d'exclure les autres des relations d'amitié- puisqu'elle condamne ce qu'on appelle la "discrimination raciale"." (p.232-233)
"La liberté de se déplacer n'implique pas que n'importe qui a le droit d'aller où bon lui semble. Les droits de chacun trouvent en effet pour limites les droits légitimes des autres. [...] La liberté de circulation [n'implique] donc pas que n'importe qui aurait le droit d'entrer sur la propriété d'autrui sans son consentement." (p.240)
"Une société ne peut être que barbare ou civilisée: elle est barbare lorsque les droits individuels ne sont pas respectés, elle est civilisés dans le cas contraire." (p.258)
"L'intérêt général n'existe pas [...] Il ne constitue rien d'autre qu'un alibi pour satisfaire les uns aux dépens des autres." (p.259)
"Désormais il y a conflit entre ceux qui désirent défendre leurs droits légitimes et ceux qui veulent les détruire et qui n'ont de droits qu'acquis par la force sur autrui. Peu importe qu'ils soient riches ou pauvres, il y a des spoliés et des spoliateurs." (p.264)
"Il n'y a pas de raison de faire payer quelqu'un pour un service qu'il n'a pas sollicité." (p.285)
"Aux Etats-Unis comme en France, il paraît en tout cas établi que la vitesse effective a augmenté depuis l'instauration des limitations de vitesse. Or la baisse des taux d'accidents a été, elle aussi, continue. Si la vitesse constituait effectivement la cause essentielle des accidents, on aurait dû constater une chute brutale des accidents lors de la mise en place des limitations, puis une lente augmentation au fur et à mesure que la vitesse effective augmentait. Il n'en a rien été." (p.297)
"Ceux qui devraient mériter notre attention et notre estime dans le monde moderne ne sont pas ceux qui sont placés sous les feux de l'actualité, mais tous ces êtres anonymes qui bravent les oukases absurdes de l'administration et du législateur." (p.312)
"La responsabilité est la contrepartie de la liberté." (p.323)
"La justification fondamentale du marché, ou plus précisément d'un système de droits de propriété privés et de choix individuels, n'est pas l'efficacité d'un tel système -pourtant indéniable- ou sa capacité à assurer le "bien commun". Sa justification est d'ordre moral: le marché fondé sur des droits de propriété légitimes est "juste" parce qu'il est conforme à la nature humaine et qu'il permet donc l'exercice de la responsabilité individuelle." (p.330)
"Le concept même de "répartition des richesses" est dénué de sens car toute richesse est créée par quelqu'un et appartient à quelqu'un." (p.330)
"Le refus de laisser aux citoyens leur liberté de choix repose sur une conception de type totalitaire consistant à penser que la plupart des hommes sont "irrationnels" et incapables de savoir ce qui leur convient le mieux." (p.333)
"Partout où les technocrates et les hommes de l'État substituent leurs propres choix à ceux des citoyens, la satisfaction des besoins est moins bien assurée." (p.334)
"La thèse habituelle de la relance par la consommation constitue une erreur intellectuelle majeure: l'épargne en effet ne disparaît pas du circuit économique, bien au contraire, elle est investie, elle permet la croissance future. Par conséquent, la seule relance imaginable est la relance par l'épargne." (p.353)
"L'actuelle interdiction de fumer "dans tous les lieux affectés à un usage collectif qui sont fermés et couverts, qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail" donne aux agents de l'État la possibilité d'entrer dans des lieux essentiellement privés pour y contrôler le comportement des occupants. Le développement des dispositions contractuelles dans les entreprises aurait été autrement plus efficace et plus juste en conduisant, par exemple, à déterminer les droits de fumer lors de l'embauche." (p.376)
"Dans la mesure où elle repose sur le respect des droits d'autrui, [la société libérale] consiste essentiellement à établir des barrières devant l'exercice illimité de l'esprit de lucre." (p.383)
"Quand on regarde la carte de l'évolution des forêts au cours des décennies récentes, il est frappant de constater que leur superficie a augmenté de manière significative dans certaines zones du monde et diminué fortement dans d'autres. Or cette évolution est fortement corrélée au régime juridique: la forêt a progressé là où elle est majoritairement privée, par exemple en Europe ; elle a diminué là où elle fait l'objet d'une propriété étatique, par exemple en Afrique et en Asie." (p.387)
"Aussi longtemps qu'il n'y a pas de victimes concrètes, le problème du dommage est purement mythique." (p.394)
"Devant la nécessité, l'esprit humain trouve de nouvelles ressources." (p.408)
"C'est un des paradoxes de notre époque qu'il soit généralement considéré que l'Etat a un rôle particulier à jouer pour assurer le plein-emploi, alors que le chômage résulte précisément de l'interventionnisme étatique. La question qu'il faut en effet se poser pour comprendre le problème du chômage est la suivante: comment peut-il se faire qu'un plus grand nombre d'heures de travail ne puisse pas être obtenu dans un pays donné, alors qu'un grand nombre d'individus susceptibles de travailler se trouvent au chômage ? Poser cette question, c'est déjà en grand partie y répondre. Elle implique en effet que le chômage provient du fait qu'un travailleur potentiel et un employeur potentiel n'arrivent pas à se mettre d'accord. Ou bien les conditions offertes par employeurs ne satisfont pas les travailleurs, ou bien les conditions qu'il faudrait offrir aux salariés ne sont pas rentables pour les employeurs. Autrement dit, le chômage ne constitue pas une sorte de fatalité inexplicable, il n'est pas le produit d'une mécanique globale implacable, il est le résultat de décisions humaines dans un environnement spécifique.
Mais si un contrat n'est pas signé entre deux personnes, c'est qu'il est impossible de trouver des conditions satisfaisantes pour les deux. Cela peut paraître étrange. Et cela serait étrange, en effet, si l'on raisonnait dans le cadre d'une société où les contrats sont librement signés. Il existerait alors nécessairement des conditions du contrat satisfaisantes sur lesquelles deux parties pourraient se rencontrer. En particulier, en ce qui concerne le contrat de salaire auquel un salarié préférerait travailler qu'être au chômage et auquel il pourrait trouver un employeur, c'est-à-dire quelqu'un qui préfère l'embaucher plutôt que de se priver d'une occasion de profit. Mais nous ne nous trouvons pas dans une situation de liberté conractuelle et le chômage est donc le résultat d'une situation où de nombreux contrats ne peuvent pas être librement signés. Telle est bien, en effet, la situation française.
Le Droit du travail, les conventions collectives, le salaire minimum, qui sont autant d'obstacles à une libre négociation du salaire et conditions de travail, constituent autant d'obstacles à l'emploi. Prenons l'exemple du salaire minimum. Si un salarié coûte plus cher qu'il ne rapporte à un employeur potentiel, compte tenu non seulement du niveau de ce salaire, mais aussi de l'ensemble des coûts obligatoires qui s'y ajoutent, il est bien évident qu'il ne sera pas embauché. Depuis le début des années 1980, les gouvernements français ont, par pure démagogie, augmenté le salaire minimum bien plus rapidement que ce qui aurait été rendu possible par les progrès de la productivité dans la plupart des entreprises. Ils ont, par là même, exclu du marché du travail un grand nombre de personnes. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes et il ne faut donc pas s'étonner si la France a ce triste privilège d'être parmi les pays où le chômage des jeunes est le plus élevé. Or si un jeune avait la possibilité d'entrer sur le marché du travail à un salaire plus faible que l'actuel salaire minimum, il aurait ainsi une chance se professionnaliser, de se former, d'augmenter sa productivité, de telle sorte que, dans beaucoup de cas et au bout d'un certain temps, il pourrait finalement obtenir un salaire plus élevé que ce fameux salaire minimum qui constitue pour lui une terrible barrière. De manière générale, ceux qu'on appelle les "exclus" ne sont pas les victimes d'une société égoïste et vouée à la recherche du profit, ils sont en général les victimes d'un système protéger les plus faibles.
Prenons le cas des "sans domicile fixe" (SDF). La télévision présente de temps en temps des portraits de quelque-uns de ceux qu'on appelle ainsi. Ces portraits sont-ils fidèles, sont-ils "représentatifs", comme on le dit dans ce jargon qui prétend ramener chaque individu à une typologie sociale ? Il est difficile de le savoir. Mais une chose frappe chez certains de ces hommes et de ces femmes: c'est l'expression terrible d'une déchéance qui semble irréversible, d'un sort contre lequel il est devenu vain de lutter. Ces hommes et ces femmes ont connu une vie normale, ils ont gagné leur vie, ils ont été insérés dans des familles, se sont intéressés aux problèmes du monde. Ils savent s'exprimer, réfléchir. On ne peut alors éviter une question cruciale et choquante: comment peut-il se faire qu'aucun d'entre eux ne puisse à nouveau s'insérer dans les rythmes normaux d'une société, c'est-à-dire travailler et recevoir un revenu ?
Beaucoup de ces êtres humains seraient capables de créer des richesses et c'est peu un scandale pour l'esprit que, dans nos sociétés modernes, ils se trouvent ainsi empêchés de le faire et qu'ils ne vivent donc que d'expédient ou d'assistance. C'est pourquoi la recherche des causes est importante. Le raisonnement n'est pourtant pas très difficile à faire à partir du moment où on veut bien abandonner les considérations vagues et générales de type collectiviste consistant à dire que la société moderne fabrique des exclus et qu'il convient d'avoir une société plus humaine et plus généreuse (alors que la générosité ne peut conduire qu'à l'assistance et donc au maintien de l'exclusion). Une question bien plus simple doit en fait être posée: comment se fait-il qu'aucun individu -dans ce monde supposé peuplé d'égoïstes- ne trouve intérêt à faire travailler ces personnes ? L'être humain étant rationnel, lorsqu'il existe un occasion de profit, quelle qu'elle soit, à un coût qui est inférieur à ce qu'elle rapporte, on l'emploie. S'il existe des SDF c'est donc que personne n'a intérêt à utiliser leurs capacités présentes.
Pour quelle raison ? Prenons un SDF quelconque. Il existe forcément un niveau de rémunération et un coût de son travail tels qu'il puisse être rentable d'acheter ses services. Mais voilà, la législation interdit d'embaucher en dessous d'un certain niveau de salaire, auquel s'ajoutent toutes sortes de cotisations obligatoires. Certes, si le salaire minimum a été crée, c'est bien parce qu'on lui trouvait des justifications. La plus évidente traduit l'opinion courante selon laquelle il n'est pas possible de vivre décemment en dessous d'un certain revenu. Il existe pourtant d'autres moyens d'assurer un niveau de vie minimum, par exemple les transferts privés ou publics, mais on a choisi d'utiliser les entreprises comme un intermédiaire dans la redistribution. Cette méthode avait probablement la mérite, aux yeux des gouvernants, de réaliser les transferts d'une manière moins visible (sauf, peut-être, pour les entrepreneurs) que s'il avait fallu prélever des impôts supplémentaires à cet effet. Outre le fait que le coût du travail en est ainsi modifié, cette modalité de transfert a l'inconvénient d'être "aveugle", en ce sens que le "revenu minimum" d'un jeune célibataire vivant chez ses parents ne devrait pas être le même que celui d'un père de famille. Par ailleurs, le taux des cotisations sociales a beaucoup augmenté depuis la création du salaire minimum, accroissant d'autant les effets du salaire minimum sur le coût du travail. Une autre justification fréquente du salaire minimum consiste aussi à penser qu'en son absence, les employeurs paieraient à un salarié un salaire beaucoup plus faible que sa productivité, ce qui lui permettrait d'accroître d'autant ses profits. Dans cette optique, le salaire minimum est conçu non pas tellement comme un mode de transfert, mais plutôt comme une protection des salariés par rapport à leurs employeurs, ces derniers étant censés avoir plus de poid que les premiers dans les négociations salariales.
Quelles qu'en soient les justifications effectives, du fait de l'existence de ce salaire minimum il n'y a plus que deux possibilités: ou bien on travaille et on reçoit le salaire minimum légal ainsi qu'un ensemble de services d'assurances obligatoires ; ou bien on ne peut pas travailler, pour les conditions imposés, et on ne reçoit ni revenu ni sécurité (en dehors d'allocations temporaires et d'éventuels petits travaux au noir). Le salaire minimum est donc une monstrueuse machine à créer de la pauvreté et de l'exclusion. Il repose sur l'idée, elle aussi choquante, que tous les "travailleurs" sont interchangeables et qu'ils doivent donc tous recevoir un salaire minimum identique, alors que chacun est différent et a une productivité différente à un moment donné. On oublie aussi que l'être humain n'est pas immuable et celui qui est peu productif à un moment, par exemple parce qu'il commence un travail auquel il n'est pas encore parfaitement adapté, peut développer de nouvelles capacités et justifier ainsi peu à peu un salaire de plus en plus élevé. Le drame du salaire minimum c'est qu'il constitue une barrière à l'entrée et qu'il empêche ceux-là mêmes qui en auraient le plus besoin -par exemple ceux qui n'ont pas eu la chance d'obtenir une formation initiale suffisamment poussée- de développer leurs potentialités. Or, une vision mécaniciste conduit à ne voir dans un "travailleur" qu'une sorte de force brute et non un être humain susceptible de changer.
Le salaire minimum repose en fait sur cette idée, héritée du romantisme révolutionnaire, qu'un employeur est nécessairement un exploiteur et qu'il faut donc le forcer à payer un salaire décent. Qu'il y ait des employeurs sans scrupules c'est évident, de même qu'il existe des salariés sans scrupules. Mais la grande erreur des législations est de vouloir empêcher les "abus": par les interdictions qu'elles mettent en place, c'est toutes sortes d'actions humaines, bénéfices pour tous, qui deviennent ainsi interdites. [...] En voulant empêcher les abus des employeurs, elle leur impose des salaires supérieurs à la productivité de certains de leurs salariés potentiels, elle les incite à ne pas embaucher. Or, un employeur connaît son propre intérêt. Il est donc en général capable de reconnaître l'apport spécifique de chacun à son entreprise et donc de la rémunérer en conséquence pour éviter de le voir partir, risquant ainsi de ne garder que les plus mauvais. Ceci est d'autant plus vrai que l'évolution technique a pratiquement supprimé les tâches purement mécaniques et qu'elle rend au contraire nécessaire une adaptation de plus en plus fine de chacun à son travail.
Les individus ne sont pas interchangeables, nous l'avons dit, leur productivité dépend de l'environnement où ils se trouvent, des rapports qu'ils établissent avec les autres dans une entreprise, elle évolue dans le temps différemment pour chacun. C'est cette grande diversité qu'il convient de maintenir en laissant à chacun sa chance. Le salaire minimum, pour sa part, empêche cette adaptation continuelle des capacités et des rémunérations, il tue l'avenir.
Si on le supprimait, il faut bien voir que ceux qui sont actuellement payés au niveau correspondant ne verraient pas baisser leur salaire. En effet, s'ils sont employés, c'est bien que leur productivité est supérieure au salaire minimum. La seule conséquence de cette suppression serait de permettre l'entrée sur le marché du travail d'une foule d'êtres humains dont la productivité, à un moment donné tout au moins, est inférieure au salaire minimum et de leur donner la chance d'améliorer leur sort.
Dans le climat terrorisant de la "pensée unique" qui domine la France, il faut du courage pour réclamer la suppression du salaire minimum. On a tôt fait d'interpréter cette position comme l'expression du désir de favoriser les "patrons" aux dépens des salariés. On l'aura, je l'espère, compris, il s'agit bien au contraire, de donner leur chance aux moins favorisés. C'est pourquoi on doit considérer comme un devoir moral de réclamer la suppression du salaire minimum.." (p.414-48)
"La diminution autoritaire de la durée du travail, évidemment illustrée de manière éclatante par la loi des 35 heures, relève d'une vision malthusienne et statique de l'activité humaine. Elle consiste à penser qu'il existe un nombre limité d'emplois dans un pays, pour une raison mystérieuse, et qu'il conviendrait que les détenteurs du savoir -c'est-à-dire en réalité les détenteurs du pouvoir- répartissent ces emplois de la manière considérée comme la plus "socialement utile". Cette vision est exactement la même que celle d'une extrême-droite d'après laquelle il faudrait limiter l'immigration parce que, le nombre d'emplois étant limité, les immigrés "prennent des emplois" aux nationaux." (p.426)
"Pour que [l]es monnaies répondent le mieux possible aux besoins de leurs utilisateurs -ce qui permet de parler de systèmes monétaires optimaux- il faut évidemment qu'il y ait liberté d'entrer sur le marché de la monnaie, c'est-à-dire que l'on mette fin aux monopoles accordés par les Etats à leurs banques centrales pour la création monétaire." (p.431)
"Dans un système décentralisé, c'est-à-dire un système où chaque banque émet sa propre monnaie et lui donne une garantie de convertibilité en termes d'un autre bien (par exemple l'or), si une banque fait une mauvaise politique -surexpansion monétaire- elle risque fort de faire faillite, car les clients de cette banque fuient une monnaie dont la garantie de convertibilité paraît de moins en moins crédible. Si l'émetteur de monnaie est un propriétaire privé, donc responsable, il est incité à ne pas faire de création monétaire excessive, précisément pour éviter la faillite. Le risque systémique apparaît lorsque le processus de décision est centralisé et que les décisions sont prises par des personnes irresponsables, ce qui est le cas des autorités monétaires: si la banque centrale fait une politique monétaire trop expansionniste, elle crée un risque systémique, puisque c'est l'ensemble du système monétaire qui crée trop de monnaie." (p.432)
"Passer du contrat volontaire entre propriétaires légitimes à la contrainte étatique, c'est bien passer de la civilisation à la barbarie." (p.438)
"La substitution d'une monnaie unique aux monnaies existantes est inutile et même nuisible. Il serait préférable que les monnaies européennes -qu'il s'agisse des monnaies existantes ou des monnaies qui pourraient être crées dans le futur- se concurrencent et que le marché -c'est-à-dire les utilisateurs de monnaies- choisisse les monnaies les plus aptes à satisfaire les besoins de monnaie." (p.476)
-Pascal Salin, Libéralisme, éditions Odile Jacob, 2000, 506 pages.
"Le mot « nation » pose lui-même problème pour un libéral."
"Dire que l’être humain est libre c’est dire qu’il est propriétaire de soi-même."
-Pascal Salin, Intervention au colloque "Les idées libérales vont-elles transformer les doctrines militaires et les armées ?", organisé par La Fondation pour la Recherche Stratégique et Le Laboratoire d’Économie Publique (Université Panthéon-Assas), Le jeudi 30 janvier 2003 (amphi Suffren du CESM – Ecole militaire).
https://www.entreprendre.fr/non-la-france-nest-pas-liberale/
https://www.bastiat.net/le-cercle/
https://www.contrepoints.org/2019/01/28/335754-les-reformes-souhaitables-de-la-fiscalite-et-des-activites-etatiques
"La seule victoire de l'époque actuelle est celle de la social-démocratie, c'est-à-dire de la combinaison de l'omnipotence d'une minorité élue et de l'économie mixte (définie non pas seulement par l'existence de nombreuses activités étatiques, mais aussi par une fiscalité forte et discriminatoire, ou des règlementations tentaculaires). On est donc loin de la liberté individuelle. Ce qui est vrai, c'est que cette social-démocratie manque singulièrement d'appui idéologique et de souffle spirituel." (p.22)
"Les idéologies collectivistes ont toujours échoué parce qu'elles ne correspondent pas à la nature profonde de l'homme et à son aspiration à la liberté. Mais elles sont toujours prêtes à renaître. Le miracle occidental c'est le miracle de l'émergence de l'individualisme. Il doit être défendu contre toutes les entreprises destructrices, y compris celles de la social-démocratie. [...] A ceux qui sont aveugles à son instabilité et à sa banqueroute intellectuelle, la social-démocratie apparaît peut-être comme la fin de l'Histoire, mais elle n'est pas la fin de l'homme. Elle lui offre seulement le spectacle de la surenchère démagogique, des réseaux d'influence, des intrigues, souvent même de la corruption et du triomphe de la médiocrité. Une autre direction reste ouverte pour les sociétés humaines: la conquête de la liberté individuelle." (p.24)
"Le libéral se doit d'être tolérant avec les hommes et intolérant avec les idées." (p.31)
"Pour Maurice Allais, une société libre est désirable non pas pour des raisons de principe, mais en tant que moyen pour obtenir une économie efficiente." (p.57)
"Si on admet qu'un individu est propriétaire de lui-même, c'est-à-dire qu'il n'est pas esclave d'autrui, on doit bien admettre qu'il est propriétaire des fruits de son activité, c'est-à-dire de ce qu'il a crée par l'exercice de sa raison. Dans la mesure où la création des richesses n'est qu'un simple prolongement de l'exercice individuel de la raison, la reconnaissance de la nature humaine d'un individu implique la reconnaissance de ses droits de propriété sur ce qu'il a créé. Le capitalisme, système d'appropriation privée des ressources, a donc un fondement éthique incontournable, puisqu'il est fondé sur la reconnaissance des droits de propriété des créateurs sur leur création. Et il est en ce sens incohérent de lutter à la fois contre le capitalisme et contre l'esclavagisme." (p.66)
"Si deux individus ont créé des richesses, ils en sont les propriétaires exclusifs et ils agissent légitimement lorsqu'ils échangent le produit de leur activité. Dans une société sans contrainte, on est propriétaire d'une ressource soit parce qu'on l'a créée soi-même, soit parce qu'on l'a obtenue par l'échange en contrepartie d'une ressource que l'on avait créée, soit parce qu'on l'a obtenue par un don de celui qui l'avait créée. Autrement dit, le fondement de la propriété réside toujours dans un acte de création. C'est pourquoi on peut dire que le droit de propriété est inhérent à la nature même de l'homme, qu'il en est inséparable. C'est la grandeur d'une société libre -c'est-à-dire d'une société sans contrainte- que de permettre à l'homme d'agir conformément à sa nature. Ainsi, si l'on définit le libéralisme comme la défense d'une société sans contrainte, on doit dire que le libéralisme est un humanisme et même, plus précisément, que l'humanisme est indissociable du libéralisme." (p.68)
"Si le problème de la liberté ne se pose pas pour Robinson Crusoé, le problème de la propriété ne se pose pas non plus pour lui, puisqu'elle se définit comme un droit d'exclusion par rapport aux autres." (p.69)
"On sait en effet qu'il existe deux grandes traditions juridiques, la tradition anglo-saxonne et la tradition continentale. Dans la tradition continentale -dont le modèle le plus achevé est évidemment le Droit français et l'expression qu'il a trouvée dans le Code Napoléon- la source du droit est de nature législative. C'est la puissance publique qui a la charge de définir les droits de propriété et cette activité est si étroitement considéré comme appartenant par essence à la sphère publique qu'elle constitue l'une des justifications les plus constantes de l'existence de l'Etat: il faut bien une organisation centrale, pense-t-on, pour établir les lois communes de la société sans lesquelles aucun ordre juridique ne serait possible. Ce sont évidemment des idées de ce type qui inspirent les critiques habituelles du libéralisme d'après lesquelles l'absence d'Etat signifierait l'anarchie. Or, il n'en est rien. Un ordre social fondé sur la liberté individuelle génère parfaitement bien les règles juridiques nécessaires au maintien de cet ordre et au développement des sociétés fondées sur ces principes. Il évite les risques d'anarchie. La tradition juridique anglo-saxonne en apporte précisément la preuve. [...]
Dans la tradition anglo-saxonne -ou tradition de la common law- la définition concrète des droits est en effet d'origine jurisprudentielle. Le juge a pour rôle de dire le Droit, c'est-à-dire de définir de manière précise les droits existants à partir des principes généraux du Droit (dont l'articulation entre création et appropriation fait naturellement partie). Il n'a pas pour rôle d'inventer le Droit et il n'est d'ailleurs pas nécessaire que quiconque joue ce rôle dans une société civilisée. En effet, la définition des droits n'est pas générale et a priori, mais elle se fait uniquement lorsque l'occasion s'en présente et à propos de cas concrets, soit parce que les personnes concernées reconnaissent spontanément les droits de chacun, soit parce qu'on fait appel au juge. Dans ce dernier cas, le fait que des plaignants se présentent devant un tribunal signifie probablement que la définition des droits de propriété était trop imprécise pour le cas en question et il convient donc de s'en remettre à la sagesse du juge pour définir concrètement ces droits. Cette tradition anglo-saxonne se retrouve d'ailleurs dans des types de civilisation extrêmement différents, aussi bien, par exemple dans le Droit traditionnel africain que dans le Droit des tribus indiennes d'Amérique latine. Et on peut imaginer que ces traditions juridiques auraient été de formidables moteurs de développement économique -comme cela semble avoir été le cas dans les pays de tradition anglo-saxonne- si la colonisation en Afrique et la destruction des Indiens en Amérique n'étaient venues bouleverser ces ordres juridiques." (p.75-76)
"Il est dépourvu de sens de parler du responsable d'un service, des responsables de l'Etat ou du responsable d'une organisation terroriste car le concept de responsabilité concerne les rapports entre les personnes et non une relation technique entre une personne et une chose. On devrait donc s'interdire d'utiliser le mot "responsable" comme substantif parce qu'aucune personne ne peut être définie de manière générale comme responsable ; elle ne peut être qualifiée de responsable qu'à partir d'actes particuliers." (p.97)
"La responsabilité n'a de sens que dans la mesure où les rôles de chacun sont spécifiés et où on leur donne le maximum d'autonomie de décision, dans le cadre du rôle qu'ils ont acceptés de jouer, c'est-à-dire de leurs droits respectifs." (p.97-98)
"Au niveau d'une collectivité publique -un pays par exemple- un système réglementaire est un système qui fonctionne mal, parce qu'il ne repose pas sur l'exercice de la responsabilité individuelle. Mais, par ailleurs, il conduit à l'irresponsabilité, c'est-à-dire qu'il fait perdre aux gens l'habitude d'agir en personnes responsables. On attend le commandement, on n'est plus capable de faire ce qui est en principe la caractéristique même de l'homme, c'est-à-dire réfléchir et agir." (p.98)
"On parle de l'étalon-or de manière indistincte, comme s'il existait un seul d'étalon-or. Mais ce qui compte le plus n'est pas de savoir en termes de quel bien -or, argent, cuivre ou autre marchandise- telle ou telle monnaie bénéficie d'une garantie de convertibilité, mais qui donne la garantie de convertibilité. Est-ce une personne responsable -au sens où nous l'avons entendu- ou une personne irresponsable ? Telle est au fond la seule question qui compte." (p.99)
"[La démocratie] doit être elle-même jugée en fonction de sa capacité éventuelle à empêcher le totalitarisme et à assurer la liberté individuelle." (p.102)
"Il n'est pas suffisant de se préoccuper de la forme du gouvernement pour obtenir une organisation souhaitable de la société." (p.103)
"Il n'y a pas d'autre moyen d'assurer le respect des droits, donc un régime de liberté, que de permettre la concurrence entre les institutions -et donc la liberté de choix institutionnelle des individus- ou d'instaurer la loi de l'unanimité." (p.106)
"Les êtres humains sont des êtres sociaux, c'est-à-dire qu'ils vivent dans des systèmes de relations interpersonnelles. Ces relations sont à la fois coopératives et conflictuelles ; coopératives parce que l'homme ne peut pas survivre s'il n'entre pas dans des systèmes mutuellement avantageux ; conflictuelles parce que les ressources sont limitées et qu'il existe donc toujours un risque d'empiètement des domaines des uns par les autres. Bien entendu, le libéralisme vise à permettre la résolution pacifique des conflits, c'est-à-dire à transformer les conflits en coopérations." (p.121)
"Parce que, comme d'habitude, les hommes ont tendance à voir ce qui est matériel et à oublier ce qui est abstrait, on a parlé, pour expliquer ce phénomène, de révolution industrielle, c'est-à-dire qu'on a mis l'accent sur les nouvelles machines et les nouveaux procédés de fabrication qui auraient permis d'abaisser les coûts de production. Mais il serait bien plus correct de parler de révolution institutionnelle. Si, pour la première fois dans l'Histoire, il a été possible d'assurer un niveau de vie croissant à des masses innombrables, alors que la richesse était restée jusque-là l'apanage d'une toute petite minorité, c'est parce qu'on a mis en place les structures juridiques qui permettaient ce développement, en particulier les sociétés de capitaux. Or, ces institutions n'ont pas été le produit d'une construction légale a priori, mais le résultat de découvertes institutionnelles spontanés et de processus de sélection par lesquels les hommes ont considéré que cette forme d'organisation sociale était la plus efficace pour la production de richesses." (p.128)
"On ferait probablement un progrès dans la compréhension des phénomènes sociaux si l'on s'interdisait d'attribuer à des abstractions [l'Etat, l'entreprise] des capacités qui ne peuvent appartenir qu'aux êtres humains." (p.128)
"Il est ainsi de l'intérêt commun des salariés, des prêteurs, des clients ou des fournisseurs que l'entrepreneur fasse des profits, sinon il risquerait d'être dans l'impossibilité de leur payer ce qu'il leur avait promis." (p.136-137)
"Les incitations des propriétaires d'entreprises à créer des richesses résultent du montant du profit périodique qu'ils escomptent tirer de leur activité et de la valeur de revente de leur entreprise qui en résulte. Le profit est donc logiquement un but de l'entrepreneur et il joue un rôle déterminant pour l'inciter à entreprendre. Mais il n'est pas nécessairement un but exclusif et toutes sortes d'autres motifs peuvent expliquer le comportement d'un entrepreneur, par exemple son appétit de puissance, son souci de la renommée ou le désir de servir les autres en leur fournissant des biens qui leur sont utiles.
Il serait par ailleurs faux de dire que le profit est l'objectif poursuivi par l' "entreprise". En effet, ainsi que nous l'avons vu, une entreprise est une réalité complexe et abstraite à laquelle on ne peut attribuer de raison et de volonté. Chacun des partenaires d'une entreprise a en fait des objectifs différents: ainsi, un salarié est probablement indifférent au niveau du profit de son entreprise, mais préoccupé par son salaire et ses conditions de travail, un prêteur est pour sa part essentiellement intéressé par le rendement et la sécurité de son prêt, etc. Le rôle de l'entrepreneur consiste précisément à rendre ces différents objectifs individuels cohérents entre eux pour que tous contribuent le mieux possible aux processus de production, de telle sorte, évidemment, qu'il en résulte un profit, faute de quoi l'entreprise ne pourrait pas continuer à fonctionner." (p.137)
"La crise profonde de notre époque est une crise de la responsabilité et le retour à la prospérité n'est lui-même que l'une des conséquences d'un changement de plus grande ampleur, la restauration de la responsabilité individuelle." (p.140)
"En définitive, l'entreprise n'est pas et ne peut pas être une démocratie, au sens très restrictif auquel on entend ce terme généralement. Il en est ainsi, fondamentalement, parce que l'entreprise est un ensemble de contrats et non une institution. Or, cela n'a pas de sens de gérer "démocratiquement" un contrat ou un ensemble de contrats.
La survie même de l'entreprise dépend de ceux qui la contrôlent: elle disparaît si elle cesse de rendre service à ses clients. L'Etat, lui, survit parfaitement, même lorsqu'il mécontente la grande majorité des citoyens dans l'exercice de telle ou telle activité. C'est pourquoi le parallèle entre l'organisation de l'Etat et celle de l'entreprise est totalement fallacieux. Si la démocratie est nécessaire dans l'Etat, c'est parce que la nature de son action est de décider à la place des autres et qu'il ne subit pas de contrôle externe par la concurrence: le rôle de la règle majoritaire est -ou devrait être- de permettre aux citoyens de mieux contrôler les dirigeants. Mais sur un marché libre, le contrôle des clients sur la marche de l'entreprise existe d'emblée et le plus complètement possible. La démocratie est donc nécessairement une forme moins parfaite et moins efficace de l'exercice de la liberté que ne l'est le marché: on n'est pas plus libre par la démocratie que par le marché, bien au contraire.
L'entreprise capitaliste est nécessairement au service de ses clients, mais elle tient compte de tous leurs choix, dans leur intensité et leur importance, alors que la règle majoritaire viole au moins les préférences de la minorité et parfois même celles du plus grand nombre. On comprendra donc que la comparaison de la démocratie et du marché ne peut tourner qu'à l'avantage de ce dernier." (p.157)
"C'est le marché libre qui met les entreprises au service du peuple." (p.158)
"Considérons en effet deux marchés caractérisés par le fait qu'il existe un seul producteur sur chacun d'eux, mais qui diffèrent par ailleurs parce que, sur l'un de ces marchés il y a liberté d'entrer, alors que cette liberté n'existe pas sur l'autre marché. Ces deux situations sont apparemment identiques selon les conceptions traditionnelles qui consistent à prendre une photographie instantanée, à constater un résultat sans s'interroger sur le processus qui y a conduit. On parle alors de monopole. Mais bien entendu, ces deux situations sont fondamentalement différentes et même opposées.
Dans le cas où il y a pas liberté d'entrer, c'est-à-dire qu'une seule entreprise -dont il importe d'ailleurs peu qu'elle soit publique ou privée- est autorisée par la puissance publique à produire certains biens ou services, le profit est le résultat non pas du fait qu'il existe un seul producteur, mais de l'exercice de la contrainte qui empêche d'autres producteurs de venir proposer un produit moins cher et meilleur. En l'occurrence, il est d'ailleurs légitime d'appeler ce profit un "super-profit", mais il serait encore plus correct de l'appeler "rente de privilège public" ; il est également légitime de dire que le monopole "exploite" le consommateur. En effet, l'entreprise ainsi protégée est moins incitée à faire des efforts d'adaptation aux besoins des consommateurs et à baisser ses prix que si elle subissait la concurrence -effective ou seulement potentielle- d'autres producteurs. Elle dispose d'un marché captif.
Il conviendrait donc de redéfinir les mots et de parler de monopole lorsque la contrainte publique interdit l'entrée sur le marché de toutes les firmes, à l'exception de l'une d'entre elles (ou d'un petit nombre d'entre elles) qui bénéficie donc d'un privilège ; et de parler de concurrence lorsque cette contrainte publique n'existe pas et qu'il y a liberté d'entrer sur un marché, en un mot de concurrencer les firmes déjà en place.
Dans le cas où il y a liberté d'entrer sur un marché, mais où il n'existe cependant qu'un seul producteur, à un moment donné, cette position spécifique résulte nécessairement des mérites particuliers de ce producteur et de sa capacité à répondre aux besoins du marché avant les autres. Ainsi, tout innovateur est nécessairement le producteur unique du nouveau produit qu'il lance, tout au moins pendant un certain temps. Mais il sait très bien que, si son produit a du succès et rapporte des bénéfices, il devra faire face à la concurrence d'imitateurs ou même de nouveaux innovateurs qui amélioreront le produit et diminueront son prix. On peut ainsi dire que la concurrence -au sens où nous l'entendons- a le grand mérite d'inciter les producteurs à rechercher une position monopolistique, c'est-à-dire -pour reprendre la conception traditionnelle- à être producteurs uniques sur leurs marchés. Et ils n'y arriveront que s'ils ont bien perçu les besoins de leurs acheteurs potentiels et bien imaginé les nouveaux processus de production. La concurrence, parce qu'elle est une force de différenciation, est donc l'aiguillon essentiel de l'innovation et du changement.
S'il existe un seul producteur d'un bien quelconque à un moment donné, alors que la liberté de produire ce bien a toujours prévalu, il est totalement erroné de déplorer une situation qualifiée de "monopolistique" et de redouter l'exploitation des consommateurs par un entrepreneur qui prélèverait des "super-profits". Il convient en effet de se demander en effet pourquoi d'autres producteurs ne sont pas entrés sur le marché alors qu'ils étaient libres de le faire. Il se peut par exemple que la nouvelle activité leur ait semblé trop risquée, compte tenu du profit (et non du super-profit) possible, ou encore qu'ils n'aient pas été capables d'imaginer le nouveau produit ni de faire les recherches nécessaires pour le concevoir et le lancer. Les reproches que l'on peut faire ensuite à celui qui a osé et qui a réussi, sous prétexte qu'il exercerait un pouvoir de monopole, sont alors totalement dénués de sens et même de moralité. On ne peut s'en prendre qu'à soi-même si l'on n'a pas su mieux percevoir les intérêts des acheteurs ni essayer d'y répondre avant les autres.
[...] L'idée traditionnelle selon laquelle le monopoleur pourrait percevoir un "super-profit" aux dépens de ses acheteurs est donc une idée erronée. En effet, on ne peut parler que de "super-profit" que par rapport à une norme qui, en l'occurrence, serait celle de la concurrence pure et parfaite. Mais cette référence est purement fictive ; en effet, on ne peut pas définir ce que serait le profit "normal" dans un univers où il y aurait un grand nombre de producteurs, puisque, précisément, il ne peut pas y avoir un grand nombre de producteurs pour une activité nouvelle ! Le super-profit n'est qu'un profit, c'est-à-dire un revenu résiduel, et nous n'avons aucun moyen de dire qu'il est excessif. Il ne peut paraître excessif que pour l'envieux qui aurait voulu réussir aussi bien, mais qui en a été incapable, ou pour l'homme de l'Etat qui cherche toujours des justifications pour imposer son pouvoir à ceux qui agissent librement." (p.170-173)
"Rappelons les débuts peu glorieux de la Banque de France. Celle-ci était, à la charnière du XVIIIème et du XIXème siècle, une banque comme les autres, plutôt moins bien gérée et moins recommandable. Or, en 1803, Napoléon lui a accordé le privilège d'émettre les billets de banque pour une partie de la France, c'est-à-dire qu'il a interdit dorénavant aux autres banques de le faire, alors qu'elles n'avaient pas cessé d'émettre des billets dans les meilleures conditions. Mais Napoléon et sa famille étaient actionnaires de la Banque de France et ils avaient bien conscience que l'obtention d'un privilège public était le meilleur moyen d'obtenir des gains privés (aux dépens des autres)." (p.176)
"Nous ne pouvons pas juger, en tant qu'observateurs extérieurs, du degré de diversification "optimal" dans une activité donnée. Il s'agit là d'un problème de stratégie productive qui tient compte de la perception des besoins du marché, c'est-à-dire des besoins concrets des clients. S'il y a liberté d'entrer sur le marché, on peut valablement faire l'hypothèse que les producteurs s'efforcent de répondre de la manière la plus satisfaisante possible à ces besoins. Il peut en résulter des structures productives très variées et qui d'ailleurs évoluent dans le temps: un très grand nombre de producteurs, ou un producteur unique, ou un cartel de producteurs. Toute législation qui vise à interdire certaines structures de marché censées correspondre à des pratiques anti-concurrentielles est donc nuisible: elle juge du résultat des processus -le nombre des producteurs à un moment donné- sans pouvoir évidemment évaluer les processus qui y conduisent. C'est pourquoi toute législation en faveur de la concurrence est anti-concurrentielle -en ce sens qu'elle porte atteinte à la liberté de décision, à la liberté de produire- et il est donc souhaitable qu'elle disparaisse." (p.185-186)
"Si véritablement les hommes de l'Etat étaient capables, mieux que quiconque, de savoir à tout moment quel est le "bon" taux de change auquel il conviendrait de stabiliser le marché, pourquoi restent-ils dans la politique au lieu de faire d'immenses fortunes par leur capacité supérieure à connaître le taux de change d'équilibre ?" (p.189)
"En aidant continuellement à la recherche des meilleurs dirigeants, la Bourse, loin de constituer un jeu à somme nulle, c'est-à-dire une simple loterie, favorise la création de richesses pour le bienfait de tous." (p.191)
"Le marché n'est pas une sorte d'être mystérieux et mythique, un sphinx tapi dans l'ombre de la spéculation, mais tout simplement l'ensemble de ces êtres bien concrets qui passent continuellement et librement des contrats entre eux. Parler de "défaillances du marché" c'est en fait parler des défaillances de ces êtres bien concrets. Faut-il alors penser qu'il existerait deux catégories de personnes, celles qui auraient des défaillances et celles qui en seraient protégées ?" (p.193)
"La véritable justification de toutes les politiques d'interventionnisme étatique dans les activités de production tient au désir des bureaucrates et des hommes politiques d'exercer leur pouvoir et de se substituer à ceux qui sont véritablement responsables." (p.204)
"Toutes les interventions étatiques pour modifier les structures productives ont une conséquences paradoxale. Elles augmentent en effet la concentration de l'industrie car il y a une tendance naturelle des hommes politiques et des bureaucrates à restructurer autour d'un petit nombre de grands producteurs, ce qui leur rend évidemment plus facile le contrôle d'un secteur. C'est une raison supplémentaire d'affirmer que la prétendue tendance naturelle du capitalisme à se concentrer est en fait dans une large mesure le résultat des interventions non capitalistes. Un élément important renforce cette conclusion. En effet, la diversité des aides publiques et la complexité des procédures sont telles que les grandes entreprises ont un avantage relatif considérable par rapport aux plus petites. Elles peuvent payer des "subsidologues", spécialistes de l'obtention des aides publiques, et entretenir des liens politiques privilégiés entre leurs dirigeants et le monde de la politique ou de la haute fonction publique. Les petits et les moyens entrepreneurs paient donc pour cette politique industrielle qui ne fait que construire une nomemklatura dirigeante à la recherche d'avantages particuliers. Et bien entendu, cet avantage relatif des grandes entreprises consiste une barrière à l'entrée de firmes nouvelles, ce qui freine l'innovation. Au lieu de devenir entrepreneurs, les jeunes générations n'ont guère plus le choix que de devenir salariés des grandes organisations. Au lieu d'avoir une multitude de petites et moyennes entreprises où l'imagination puisse se développer, on aboutit à une cartellisation de l'industrie et une interpénétration croissante de l'administration et des affaires." (p.205-206)
"Etre propriétaire d'un bien c'est pouvoir exclure autrui de toute utilisation de ce bien, de toute décision concernant ce bien." (p.210)
"Quels que soient les décideurs dans une entreprise publique, on n'est sûr que d'une chose, à savoir qu'ils sont nécessairement irresponsables, puisque leur sort ne dépend pas de la qualité de leurs décisions. Il ne faut pas s'étonner par conséquent si tant d'entreprises publiques sont mal gérées et font supporter aux contribuables de lourds déficits. Or, il faut bien voir qu'un déficit signifie que l'activité de l'entreprise est destructrice: la valeur de ce qu'elle produit est inférieure à la valeur de ce qu'elle absorbe et elle détruit donc des richesses au cours du processus de production. Les entreprises publiques en déficit ne peuvent donc subsister qu'en prélevant sur la valeur crée par les autres." (p.211)
"L'objectif premier des hommes de l'Etat consiste à s'attacher des clientèles, c'est-à-dire à donner des avantages bien perceptibles à des catégories bien ciblées en cachant le coût de ces privilèges." (p.212)
"Une société libre est une société où tout individu a le droit d'agir comme il l'entend, sans subir aucune contrainte, à condition qu'il respecte les droits légitimes des autres." (p.231)
"Si le propriétaire d'une maison refuse de la louer à quelqu'un qu'il considère comme un "étranger" (parce qu'il vient d'un autre pays, qu'il a une couleur de peau différente, une autre culture ou une autre religion), si le propriétaire d'une entreprise refuse d'embaucher pour les mêmes motifs, cela peut nous choquer, mais nous devons reconnaître qu'ils en ont le droit. Ayons en effet l'honnêteté de l'admettre, nous passons notre vie quotidienne à définir des exclusions, car personne ne possède de droits illimités sur nos biens, notre personnalité et notre temps. Il faut donc accepter le droit d'un individu à refuser certains individus dans sa maison, dans son entreprise, dans sa copropriété, quelles qu'en soient les raisons, même si le refus tient à ce que ces individus sont perçus comme "étrangers". C'est un fait: les êtres humains sont tous différents et chacun a ses préférences en fonction de critères impénétrables. C'est bien pourquoi nous avons des amis: avoir un ami c'est avoir quelque chose en commun avec autrui, mais c'est aussi exclure les autres des relations d'amitié. Si la loi était cohérente, elle devrait punir le fait d'avoir des amis -c'est-à-dire d'exclure les autres des relations d'amitié- puisqu'elle condamne ce qu'on appelle la "discrimination raciale"." (p.232-233)
"La liberté de se déplacer n'implique pas que n'importe qui a le droit d'aller où bon lui semble. Les droits de chacun trouvent en effet pour limites les droits légitimes des autres. [...] La liberté de circulation [n'implique] donc pas que n'importe qui aurait le droit d'entrer sur la propriété d'autrui sans son consentement." (p.240)
"Une société ne peut être que barbare ou civilisée: elle est barbare lorsque les droits individuels ne sont pas respectés, elle est civilisés dans le cas contraire." (p.258)
"L'intérêt général n'existe pas [...] Il ne constitue rien d'autre qu'un alibi pour satisfaire les uns aux dépens des autres." (p.259)
"Désormais il y a conflit entre ceux qui désirent défendre leurs droits légitimes et ceux qui veulent les détruire et qui n'ont de droits qu'acquis par la force sur autrui. Peu importe qu'ils soient riches ou pauvres, il y a des spoliés et des spoliateurs." (p.264)
"Il n'y a pas de raison de faire payer quelqu'un pour un service qu'il n'a pas sollicité." (p.285)
"Aux Etats-Unis comme en France, il paraît en tout cas établi que la vitesse effective a augmenté depuis l'instauration des limitations de vitesse. Or la baisse des taux d'accidents a été, elle aussi, continue. Si la vitesse constituait effectivement la cause essentielle des accidents, on aurait dû constater une chute brutale des accidents lors de la mise en place des limitations, puis une lente augmentation au fur et à mesure que la vitesse effective augmentait. Il n'en a rien été." (p.297)
"Ceux qui devraient mériter notre attention et notre estime dans le monde moderne ne sont pas ceux qui sont placés sous les feux de l'actualité, mais tous ces êtres anonymes qui bravent les oukases absurdes de l'administration et du législateur." (p.312)
"La responsabilité est la contrepartie de la liberté." (p.323)
"La justification fondamentale du marché, ou plus précisément d'un système de droits de propriété privés et de choix individuels, n'est pas l'efficacité d'un tel système -pourtant indéniable- ou sa capacité à assurer le "bien commun". Sa justification est d'ordre moral: le marché fondé sur des droits de propriété légitimes est "juste" parce qu'il est conforme à la nature humaine et qu'il permet donc l'exercice de la responsabilité individuelle." (p.330)
"Le concept même de "répartition des richesses" est dénué de sens car toute richesse est créée par quelqu'un et appartient à quelqu'un." (p.330)
"Le refus de laisser aux citoyens leur liberté de choix repose sur une conception de type totalitaire consistant à penser que la plupart des hommes sont "irrationnels" et incapables de savoir ce qui leur convient le mieux." (p.333)
"Partout où les technocrates et les hommes de l'État substituent leurs propres choix à ceux des citoyens, la satisfaction des besoins est moins bien assurée." (p.334)
"La thèse habituelle de la relance par la consommation constitue une erreur intellectuelle majeure: l'épargne en effet ne disparaît pas du circuit économique, bien au contraire, elle est investie, elle permet la croissance future. Par conséquent, la seule relance imaginable est la relance par l'épargne." (p.353)
"L'actuelle interdiction de fumer "dans tous les lieux affectés à un usage collectif qui sont fermés et couverts, qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail" donne aux agents de l'État la possibilité d'entrer dans des lieux essentiellement privés pour y contrôler le comportement des occupants. Le développement des dispositions contractuelles dans les entreprises aurait été autrement plus efficace et plus juste en conduisant, par exemple, à déterminer les droits de fumer lors de l'embauche." (p.376)
"Dans la mesure où elle repose sur le respect des droits d'autrui, [la société libérale] consiste essentiellement à établir des barrières devant l'exercice illimité de l'esprit de lucre." (p.383)
"Quand on regarde la carte de l'évolution des forêts au cours des décennies récentes, il est frappant de constater que leur superficie a augmenté de manière significative dans certaines zones du monde et diminué fortement dans d'autres. Or cette évolution est fortement corrélée au régime juridique: la forêt a progressé là où elle est majoritairement privée, par exemple en Europe ; elle a diminué là où elle fait l'objet d'une propriété étatique, par exemple en Afrique et en Asie." (p.387)
"Aussi longtemps qu'il n'y a pas de victimes concrètes, le problème du dommage est purement mythique." (p.394)
"Devant la nécessité, l'esprit humain trouve de nouvelles ressources." (p.408)
"C'est un des paradoxes de notre époque qu'il soit généralement considéré que l'Etat a un rôle particulier à jouer pour assurer le plein-emploi, alors que le chômage résulte précisément de l'interventionnisme étatique. La question qu'il faut en effet se poser pour comprendre le problème du chômage est la suivante: comment peut-il se faire qu'un plus grand nombre d'heures de travail ne puisse pas être obtenu dans un pays donné, alors qu'un grand nombre d'individus susceptibles de travailler se trouvent au chômage ? Poser cette question, c'est déjà en grand partie y répondre. Elle implique en effet que le chômage provient du fait qu'un travailleur potentiel et un employeur potentiel n'arrivent pas à se mettre d'accord. Ou bien les conditions offertes par employeurs ne satisfont pas les travailleurs, ou bien les conditions qu'il faudrait offrir aux salariés ne sont pas rentables pour les employeurs. Autrement dit, le chômage ne constitue pas une sorte de fatalité inexplicable, il n'est pas le produit d'une mécanique globale implacable, il est le résultat de décisions humaines dans un environnement spécifique.
Mais si un contrat n'est pas signé entre deux personnes, c'est qu'il est impossible de trouver des conditions satisfaisantes pour les deux. Cela peut paraître étrange. Et cela serait étrange, en effet, si l'on raisonnait dans le cadre d'une société où les contrats sont librement signés. Il existerait alors nécessairement des conditions du contrat satisfaisantes sur lesquelles deux parties pourraient se rencontrer. En particulier, en ce qui concerne le contrat de salaire auquel un salarié préférerait travailler qu'être au chômage et auquel il pourrait trouver un employeur, c'est-à-dire quelqu'un qui préfère l'embaucher plutôt que de se priver d'une occasion de profit. Mais nous ne nous trouvons pas dans une situation de liberté conractuelle et le chômage est donc le résultat d'une situation où de nombreux contrats ne peuvent pas être librement signés. Telle est bien, en effet, la situation française.
Le Droit du travail, les conventions collectives, le salaire minimum, qui sont autant d'obstacles à une libre négociation du salaire et conditions de travail, constituent autant d'obstacles à l'emploi. Prenons l'exemple du salaire minimum. Si un salarié coûte plus cher qu'il ne rapporte à un employeur potentiel, compte tenu non seulement du niveau de ce salaire, mais aussi de l'ensemble des coûts obligatoires qui s'y ajoutent, il est bien évident qu'il ne sera pas embauché. Depuis le début des années 1980, les gouvernements français ont, par pure démagogie, augmenté le salaire minimum bien plus rapidement que ce qui aurait été rendu possible par les progrès de la productivité dans la plupart des entreprises. Ils ont, par là même, exclu du marché du travail un grand nombre de personnes. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes et il ne faut donc pas s'étonner si la France a ce triste privilège d'être parmi les pays où le chômage des jeunes est le plus élevé. Or si un jeune avait la possibilité d'entrer sur le marché du travail à un salaire plus faible que l'actuel salaire minimum, il aurait ainsi une chance se professionnaliser, de se former, d'augmenter sa productivité, de telle sorte que, dans beaucoup de cas et au bout d'un certain temps, il pourrait finalement obtenir un salaire plus élevé que ce fameux salaire minimum qui constitue pour lui une terrible barrière. De manière générale, ceux qu'on appelle les "exclus" ne sont pas les victimes d'une société égoïste et vouée à la recherche du profit, ils sont en général les victimes d'un système protéger les plus faibles.
Prenons le cas des "sans domicile fixe" (SDF). La télévision présente de temps en temps des portraits de quelque-uns de ceux qu'on appelle ainsi. Ces portraits sont-ils fidèles, sont-ils "représentatifs", comme on le dit dans ce jargon qui prétend ramener chaque individu à une typologie sociale ? Il est difficile de le savoir. Mais une chose frappe chez certains de ces hommes et de ces femmes: c'est l'expression terrible d'une déchéance qui semble irréversible, d'un sort contre lequel il est devenu vain de lutter. Ces hommes et ces femmes ont connu une vie normale, ils ont gagné leur vie, ils ont été insérés dans des familles, se sont intéressés aux problèmes du monde. Ils savent s'exprimer, réfléchir. On ne peut alors éviter une question cruciale et choquante: comment peut-il se faire qu'aucun d'entre eux ne puisse à nouveau s'insérer dans les rythmes normaux d'une société, c'est-à-dire travailler et recevoir un revenu ?
Beaucoup de ces êtres humains seraient capables de créer des richesses et c'est peu un scandale pour l'esprit que, dans nos sociétés modernes, ils se trouvent ainsi empêchés de le faire et qu'ils ne vivent donc que d'expédient ou d'assistance. C'est pourquoi la recherche des causes est importante. Le raisonnement n'est pourtant pas très difficile à faire à partir du moment où on veut bien abandonner les considérations vagues et générales de type collectiviste consistant à dire que la société moderne fabrique des exclus et qu'il convient d'avoir une société plus humaine et plus généreuse (alors que la générosité ne peut conduire qu'à l'assistance et donc au maintien de l'exclusion). Une question bien plus simple doit en fait être posée: comment se fait-il qu'aucun individu -dans ce monde supposé peuplé d'égoïstes- ne trouve intérêt à faire travailler ces personnes ? L'être humain étant rationnel, lorsqu'il existe un occasion de profit, quelle qu'elle soit, à un coût qui est inférieur à ce qu'elle rapporte, on l'emploie. S'il existe des SDF c'est donc que personne n'a intérêt à utiliser leurs capacités présentes.
Pour quelle raison ? Prenons un SDF quelconque. Il existe forcément un niveau de rémunération et un coût de son travail tels qu'il puisse être rentable d'acheter ses services. Mais voilà, la législation interdit d'embaucher en dessous d'un certain niveau de salaire, auquel s'ajoutent toutes sortes de cotisations obligatoires. Certes, si le salaire minimum a été crée, c'est bien parce qu'on lui trouvait des justifications. La plus évidente traduit l'opinion courante selon laquelle il n'est pas possible de vivre décemment en dessous d'un certain revenu. Il existe pourtant d'autres moyens d'assurer un niveau de vie minimum, par exemple les transferts privés ou publics, mais on a choisi d'utiliser les entreprises comme un intermédiaire dans la redistribution. Cette méthode avait probablement la mérite, aux yeux des gouvernants, de réaliser les transferts d'une manière moins visible (sauf, peut-être, pour les entrepreneurs) que s'il avait fallu prélever des impôts supplémentaires à cet effet. Outre le fait que le coût du travail en est ainsi modifié, cette modalité de transfert a l'inconvénient d'être "aveugle", en ce sens que le "revenu minimum" d'un jeune célibataire vivant chez ses parents ne devrait pas être le même que celui d'un père de famille. Par ailleurs, le taux des cotisations sociales a beaucoup augmenté depuis la création du salaire minimum, accroissant d'autant les effets du salaire minimum sur le coût du travail. Une autre justification fréquente du salaire minimum consiste aussi à penser qu'en son absence, les employeurs paieraient à un salarié un salaire beaucoup plus faible que sa productivité, ce qui lui permettrait d'accroître d'autant ses profits. Dans cette optique, le salaire minimum est conçu non pas tellement comme un mode de transfert, mais plutôt comme une protection des salariés par rapport à leurs employeurs, ces derniers étant censés avoir plus de poid que les premiers dans les négociations salariales.
Quelles qu'en soient les justifications effectives, du fait de l'existence de ce salaire minimum il n'y a plus que deux possibilités: ou bien on travaille et on reçoit le salaire minimum légal ainsi qu'un ensemble de services d'assurances obligatoires ; ou bien on ne peut pas travailler, pour les conditions imposés, et on ne reçoit ni revenu ni sécurité (en dehors d'allocations temporaires et d'éventuels petits travaux au noir). Le salaire minimum est donc une monstrueuse machine à créer de la pauvreté et de l'exclusion. Il repose sur l'idée, elle aussi choquante, que tous les "travailleurs" sont interchangeables et qu'ils doivent donc tous recevoir un salaire minimum identique, alors que chacun est différent et a une productivité différente à un moment donné. On oublie aussi que l'être humain n'est pas immuable et celui qui est peu productif à un moment, par exemple parce qu'il commence un travail auquel il n'est pas encore parfaitement adapté, peut développer de nouvelles capacités et justifier ainsi peu à peu un salaire de plus en plus élevé. Le drame du salaire minimum c'est qu'il constitue une barrière à l'entrée et qu'il empêche ceux-là mêmes qui en auraient le plus besoin -par exemple ceux qui n'ont pas eu la chance d'obtenir une formation initiale suffisamment poussée- de développer leurs potentialités. Or, une vision mécaniciste conduit à ne voir dans un "travailleur" qu'une sorte de force brute et non un être humain susceptible de changer.
Le salaire minimum repose en fait sur cette idée, héritée du romantisme révolutionnaire, qu'un employeur est nécessairement un exploiteur et qu'il faut donc le forcer à payer un salaire décent. Qu'il y ait des employeurs sans scrupules c'est évident, de même qu'il existe des salariés sans scrupules. Mais la grande erreur des législations est de vouloir empêcher les "abus": par les interdictions qu'elles mettent en place, c'est toutes sortes d'actions humaines, bénéfices pour tous, qui deviennent ainsi interdites. [...] En voulant empêcher les abus des employeurs, elle leur impose des salaires supérieurs à la productivité de certains de leurs salariés potentiels, elle les incite à ne pas embaucher. Or, un employeur connaît son propre intérêt. Il est donc en général capable de reconnaître l'apport spécifique de chacun à son entreprise et donc de la rémunérer en conséquence pour éviter de le voir partir, risquant ainsi de ne garder que les plus mauvais. Ceci est d'autant plus vrai que l'évolution technique a pratiquement supprimé les tâches purement mécaniques et qu'elle rend au contraire nécessaire une adaptation de plus en plus fine de chacun à son travail.
Les individus ne sont pas interchangeables, nous l'avons dit, leur productivité dépend de l'environnement où ils se trouvent, des rapports qu'ils établissent avec les autres dans une entreprise, elle évolue dans le temps différemment pour chacun. C'est cette grande diversité qu'il convient de maintenir en laissant à chacun sa chance. Le salaire minimum, pour sa part, empêche cette adaptation continuelle des capacités et des rémunérations, il tue l'avenir.
Si on le supprimait, il faut bien voir que ceux qui sont actuellement payés au niveau correspondant ne verraient pas baisser leur salaire. En effet, s'ils sont employés, c'est bien que leur productivité est supérieure au salaire minimum. La seule conséquence de cette suppression serait de permettre l'entrée sur le marché du travail d'une foule d'êtres humains dont la productivité, à un moment donné tout au moins, est inférieure au salaire minimum et de leur donner la chance d'améliorer leur sort.
Dans le climat terrorisant de la "pensée unique" qui domine la France, il faut du courage pour réclamer la suppression du salaire minimum. On a tôt fait d'interpréter cette position comme l'expression du désir de favoriser les "patrons" aux dépens des salariés. On l'aura, je l'espère, compris, il s'agit bien au contraire, de donner leur chance aux moins favorisés. C'est pourquoi on doit considérer comme un devoir moral de réclamer la suppression du salaire minimum.." (p.414-48)
"La diminution autoritaire de la durée du travail, évidemment illustrée de manière éclatante par la loi des 35 heures, relève d'une vision malthusienne et statique de l'activité humaine. Elle consiste à penser qu'il existe un nombre limité d'emplois dans un pays, pour une raison mystérieuse, et qu'il conviendrait que les détenteurs du savoir -c'est-à-dire en réalité les détenteurs du pouvoir- répartissent ces emplois de la manière considérée comme la plus "socialement utile". Cette vision est exactement la même que celle d'une extrême-droite d'après laquelle il faudrait limiter l'immigration parce que, le nombre d'emplois étant limité, les immigrés "prennent des emplois" aux nationaux." (p.426)
"Pour que [l]es monnaies répondent le mieux possible aux besoins de leurs utilisateurs -ce qui permet de parler de systèmes monétaires optimaux- il faut évidemment qu'il y ait liberté d'entrer sur le marché de la monnaie, c'est-à-dire que l'on mette fin aux monopoles accordés par les Etats à leurs banques centrales pour la création monétaire." (p.431)
"Dans un système décentralisé, c'est-à-dire un système où chaque banque émet sa propre monnaie et lui donne une garantie de convertibilité en termes d'un autre bien (par exemple l'or), si une banque fait une mauvaise politique -surexpansion monétaire- elle risque fort de faire faillite, car les clients de cette banque fuient une monnaie dont la garantie de convertibilité paraît de moins en moins crédible. Si l'émetteur de monnaie est un propriétaire privé, donc responsable, il est incité à ne pas faire de création monétaire excessive, précisément pour éviter la faillite. Le risque systémique apparaît lorsque le processus de décision est centralisé et que les décisions sont prises par des personnes irresponsables, ce qui est le cas des autorités monétaires: si la banque centrale fait une politique monétaire trop expansionniste, elle crée un risque systémique, puisque c'est l'ensemble du système monétaire qui crée trop de monnaie." (p.432)
"Passer du contrat volontaire entre propriétaires légitimes à la contrainte étatique, c'est bien passer de la civilisation à la barbarie." (p.438)
"La substitution d'une monnaie unique aux monnaies existantes est inutile et même nuisible. Il serait préférable que les monnaies européennes -qu'il s'agisse des monnaies existantes ou des monnaies qui pourraient être crées dans le futur- se concurrencent et que le marché -c'est-à-dire les utilisateurs de monnaies- choisisse les monnaies les plus aptes à satisfaire les besoins de monnaie." (p.476)
-Pascal Salin, Libéralisme, éditions Odile Jacob, 2000, 506 pages.
"Le mot « nation » pose lui-même problème pour un libéral."
"Dire que l’être humain est libre c’est dire qu’il est propriétaire de soi-même."
-Pascal Salin, Intervention au colloque "Les idées libérales vont-elles transformer les doctrines militaires et les armées ?", organisé par La Fondation pour la Recherche Stratégique et Le Laboratoire d’Économie Publique (Université Panthéon-Assas), Le jeudi 30 janvier 2003 (amphi Suffren du CESM – Ecole militaire).
https://www.entreprendre.fr/non-la-france-nest-pas-liberale/
https://www.bastiat.net/le-cercle/
https://www.contrepoints.org/2019/01/28/335754-les-reformes-souhaitables-de-la-fiscalite-et-des-activites-etatiques
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Jeu 16 Juil - 19:04, édité 1 fois