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    Howard Bloom, Le Principe de Lucifer

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 22 Oct - 22:26

    "Le Principe de Lucifer rassemble des données nouvelles extraites de diverses sciences pour former une lentille perceptuelle, avec laquelle nous pourrons réinterpréter l'expérience humaine. Il essaie d'offrir une approche très différente de la structure de l'organisme social.
    Le
    Principe de Lucifer affirme que le mal est intégré à notre structure biologique la plus fondamentale. [...]
    Le but est d'ouvrir la voie vers une nouvelle sociologie, qui dépasse les limites étroites des concepts durkheimiens, wébériens et marxistes, théories qui se sont avérées inestimables pour l'étude du comportement humain collectif, tout en l'enfermant simultanément dans l'orthodoxie
    ." (p.24)

    "Balayés par les émotions d'une foule, les êtres humains tendent à dépasser les limites de leurs contraintes éthiques. Par conséquent, les plus grandes fautes humaines ne sont pas celles que les individus font en privé, ces petites transgressions d'une norme sociale fixée arbitrairement que nous appelons péchés. Les fautes suprêmes sont les meurtres collectifs perpétrés au cours des révolutions et des guerres, les sauvageries à grande échelle qui surviennent lorsqu'un groupe d'êtres humains essaie de dominer l'autre: les actes du groupe social.
    La meute sociale, comme nous le verrons, est un soutien nécessaire. Elle nous donne l'amour et les moyens de subsistance. Sans sa présence, notre esprit et notre corps déclenchent littéralement un arsenal de mécanismes internes d'autodestruction. Si nous nous délivrons du fléau de la violence collective, ce sera par l'effort de millions d'esprits, rassemblés dans les processus communs que sont la science, la philosophie et les mouvements pour les changements sociaux. En bref, seul un effort de groupe peut nous sauver des folies sporadiques du groupe
    ." (p.28)

    "Il existe un concept étrange dans la philosophie scientifique, appelé "entéléchie". Une entéléchie est une forme complexe qui émerge lorsque l'on regroupe un grand nombre d'objets simples. [...] Si vous versez assez de verres d'eau dans un bassin suffisamment grand, vous obtiendrez tout autre chose: un océan. [...]
    Prenez une être humain, isolez-le dans une pièce de sa naissance à sa mort et il sera incapable d'utiliser le langage, aura peu d'imagination, sera une véritable loque émotionnelle et physique. Mais mettez ce bébé au milieu de cinquante autres personnes, et vous obtiendrez quelque chose d'entièrement nouveau: une culture
    ." (p.30-31)

    "Le bouillonnement continu des vagues et des marées est provoquée par la gravité de la lune. Mais qu'Est-ce qui pousse les marées culturelles d'êtres humains ?" (p.31)

    "Nombreuses sont les personnes convaincues que les femelles sont intrinsèquement pacifiques. D'accord, donc Margaret Thatcher, ancien Premier ministre de la Grande-Bretagne, gagna la guerre des Falklands, fournit à l'armée britannique des sous-marins nucléaires et dota ces sous-marins de missiles balistiques à pointe atomique. Indira Gandhi mena une campagne militaire contre le Pakistan, jeta ses opposants en prison et suspendit les libertés civiques. Et les escouades d'assassins de la guérilla de Shining Path au Pérou étaient certainement des aberrations. Vraiment ? La preuve issue du monde de nos plus proches cousins de la famille des primates indique que cette image joyeusement idéalistes des femmes est un aveuglement. [...]
    Dian Fossey, chroniqueuse des gorilles des montagnes d'Afrique Centrale, suivait une bande de gorilles depuis neuf ans lorsqu'elle remarqua soudain la disparition de l'un des petits de la tribu. Ce fut un choc. Le bébé n'était pas malade. Fossey ne savait pas ce qui pouvait lui être arrivé. La naturaliste et ses assistants partirent à la recherche des restes du corps, s'attendant à le trouver dans l'un des droits où les gorilles s'étaient battus contre un groupe rival. Mais Fossey ne trouva de cadavre dans aucun de ces endroits. [...]
    Finalement, Fossey trouva ce qu'elle cherchait: 133 fragments d'os et de dents appartenant à un petit gorille, qu'elle trouva dans les excréments laissés par la femelle dominante et sa fille de huit ans.
    La mère du bébé mort venait d'un niveau social que ces femelles aristocrates méprisaient. C'était une paria que les dames de haut rang raillaient et persécutaient fréquemment. Sa présence ne pouvait tout simplement pas être tolérée en bonne compagnie et son enfant était au-dessous de tout. Fossey conclut que la femelle dominante et sa fille avaient attaqué le petit, puis l'avait tué et dévoré.
    Il y avait plus que de la simple cruauté derrière ce meurtre d'un bébé sans défense. Effie, la femelle aristocrate qui avait apparemment dirigé l'infanticide, était dans les derniers jours de sa grossesse. Trois jours après ce brutal incident, elle donna naissance à son propre petit. Effie avait agi comme la femme ambitieuse d'un harem qui se bat pour éliminer les enfants de ses rivales. Par cet infanticide, elle était devenue la seule femelle à avoir quatre enfants dans le groupe au même moment. Elle avait assuré à ses enfants et à elle-même la position de classe dirigeante de la tribu. Ainsi, elle avait transformé le groupe entier en un soutien à sa progéniture
    ." (p.56-58)

    [Chapitre 38: Lorsque les mèmes entrent en conflit: l'ordre de préséance des nations]

    "La méthode utilisé par la Nature pour tester un outil auto-réplicant est la compétition. Depuis plus de trois milliards et demi d'années, elle a placé les produits du système génétique dans une course visant à déterminer qui peut accaparer les bonnes choses de la vie. Comme un pilote qui attache la ceinture de sécurité de son bolide sur le circuit du Mans, chaque chaîne de gènes s'est installée dans la créature qu'elle a construite et s'est placée sur la ligne de départ. Les vainqueurs du moment sont toujours là. Les perdants se sont retirés du circuit. Homo habilis, Australopithèque et hommes de Pékin et de Cro-Magnon, ils ont tous connu leur moment au soleil puis sont partis.
    Le corps est généralement la voiture de course des gènes, mais les mèmes conduisent un tout autre type d'engin sur le terrain. Leurs gadgets préférés sont les vastes groupes sociaux. Ces véhicules superorganismiques sont gros et complexes, mais leurs avantages sont impressionnants: vitesse, manœuvrabilité et puissance incalculable en nombre de chevaux. Le circuit du Mans des superorganismes possède quelques règles très simples. Pour comprendre comment elles fonctionnent, jetons un œil sur certains des combats les plus étranges existant entre êtres de petite taille: les poulets, les singes, vous et moi.
    Juste après la Première Guerre Mondiale, un naturaliste norvégien du nom de Thorlief Schjelderup-Ebbe décida de passer quelques temps dans la ferme de ses parents à observer les habitudes des bizarres des poulets. L'étude de Schjelderup-Ebbe révéla une forme subtile de compétition déguisée en paix de basse-cour. Lorsque les poules étaient nourries, elles s'approchaient de l'auge avec des manières extraordinaires. Bien qu'elles aient toutes faim, aucune ne se précipitait pour attraper tout ce qu'elle pouvait. En premier lieu, une poule à l'air majestueux s'approchait du récipient de grains et se mettait à dîner. Les autres se contentaient de regarder. Puis une autre s'avançait alors pour prendre son repas et s'écartait. Puis une autre encore venait prendre son tour.
    Schjelderup-Ebbe prit soigneusement des notes. Lorsqu'il relut celles-ci, il remarqua une chose surprenante. L'ordre dans lequel les dîneuses emplumées prenaient leur tour devant l'auge n'était pas arbitraire. Loin de là. Chaque jour, le même oiseau s'avançait en premier, le même en second, et ainsi de suite.
    Lorsque Schjelderup-Ebbe jeta un poulet étranger au milieu de la cour, il fit une autre découverte. Les oiseaux habituellement paisibles se disputèrent comme des chiffonniers. Il semblait que l'étranger essayait de se faire une place dans sa nouvelle société. Cela signifiait qu'il devait repousser certains autres oiseaux derrière lui. Et les volatiles bien établis n'allaient pas tolérer l'humiliation d'être relégués à une position subalterne sans se battre. Ils luttèrent de toutes leurs forces contre une mobilité sociale descendante.
    Schjelderup-Ebbe ne se contenta pas d'observer simplement les plumes voler. Il nota qui attaquait qui et compta tous les coups de bec vicieux. Puis le naturaliste additionna les chiffres, et voici qu'un nouveau phénomène émergea. Certains oiseaux n'avaient quasiment pas reçu de coups. Aucun autre n'avait osé les toucher. D'autres avaient été piqués au-delà de ce qu'ils pouvaient supporter. Ils étaient des cibles faciles et presque tous les autres voulaient en avoir un morceau.
    Les oiseaux sur lesquels aucun autre ne posa le bec se distinguaient par autre chose que leur invulnérabilité. Ils étaient également les créatures qui s'avançaient en premier pour prendre leur repas. Et les oiseaux qui finissaient avec des trous dans leur manteau de plumes avaient leur propre distinction en ce qui concerne le dîner. Ils étaient toujours parmi les derniers de la file.
    Schjelderup-Ebbe avait découvert qu'il existait une hiérarchie sociale, une division entre aristocrates et roturiers, une classe inférieure, une classe moyenne et une classe supérieure dans le monde des poulets. Le chercheur attentif appela ce phénomène "ordre de préséance". Les naturalistes ne mirent pas longtemps à découvrir des ordres sociaux similaires chez un nombre déconcertant d'espèces.
    Les recherches sur l'ordre de préséance (connu techniquement sous le nom de hiérarchie de dominance) ont été menées depuis environ soixante-dix ans et ont permis des révélations étonnantes. La position dans l'ordre de préséance détermine beaucoup plus que le nombre de plumes que l'on perd. Elle ajuste le style de vie, les chances de survie, la vie sexuelle et la physiologie.
    L'ordre de préséance peut déterminer si l'on vit ou si l'on meurt. Selon le père de la sociobiologie, E. O. Wilson, le pigeon ramier le plus haut placé dans l'ordre de préséance va se coucher le ventre plein. Ce qui n'est pas toujours le cas de ceux qui sont en bas. Lorsque les pigeons des classes inférieures se perchent le soir, un maigre repas trace son chemin dans leur intestin, tout juste suffisant pour tenir jusqu'au lever du jour. Si la température baisse de manière inhabituelle ou s'ils ne trouvent pas de nourriture le lendemain, certains de ces oiseaux du bas de l'échelle ne survivront peut-être pas. En revanche, les oiseaux installés confortablement au sommet de l'arbre se débrouillent presque toujours, même dans les moments les plus difficiles. Leur droit à la totalité de la meilleure nourriture et du meilleur logement garantit cela.
    Les privilèges de l'ordre de préséance incluent le sexe. Trois rats mâles et trois rats femelles ont été placés dans une cage pour lutter pour la création de leur système social et dormir avec celui ou celle qu'ils voudraient. Deux mâles perdirent dans la lutte pour la position supérieure. Il semble également que leur carnet de rendez-vous soit resté vide. Lorsque les femelles mirent bas et que l'on examina leurs petits, il apparut que le mâle dominant les avait toutes engendrées. L'expérience fut renouvelée vingt et une fois, avec des rongeurs différents à chaque fois. Le résultat final fut que les rats dominants réussissaient à engendrer le pourcentage phénoménal de 92% des petits.
    La place que vous occupez dans l'ordre de préséance peut même modifier votre constitution physique. Un singe mâle dominant a plus de sperme, des testicules plus visibles et une posture beaucoup plus royale. Les singes qui n'atteignent pas le sommet rôdent le dos voûté et ont un potentiel sexuel moins important. Mais si un chercheur indiscret kidnappe le dirigeant simien et laisse le siège seigneurial vacant, les subordonnés voûtés tenteront de s'emparer du trône vide. Le singe qui atteindra le sommet subira des modifications. Ses testicules descendront, son taux de spermatozoïdes augmentera et sa posture de bossu s'effacera, remplacée par une attitude droite et autoritaire. Le nouveau roi du château subit une transformation biologique simplement parce qu'il a escaladé l'échelle sociale. La physiologie d'un singe dépend entièrement de sa place dans l'ordre de préséance.
    Non seulement les êtres humains subissent les mêmes modifications lorsqu'ils sont sous le joug de la société, mais leur pression sanguine augmente définitivement. La conséquence en est une augmentation des risques de crises et d'attaques cardiaques et une perte de vivacité mentale.
    Le sang et le sperme ne sont pas les seules substances corporelles à connaître des modifications de concentration en réponse à des modifications de l'ordre de préséance. Chez les singes et les humains, lorsque les groupes se battent, les vainqueurs reçoivent une récompense hormonale: leur taux de testostérone augmente. La testostérone, l'hormone mâle, inspire la confiance et l'agressivité. Une montée de cette hormone dans le sang revigore les vainqueurs. Pour les perdants, c'est une toute autre histoire: le niveau de testostérone dégringole. Le corps glisse vers l'abandon. Les babouins situés au bas du mât totémique portent d'autres conséquences dans leur circulation sanguine. Celle-ci est inondée de glucorticoïdes, des hormones du stress qui constituent un poison interne lent. Les babouins qui sont au sommet ne subissent pas cette corrosion chimique parce que leur circulation sanguine ne contient presque pas de glucocorticoïdes. Une fois encore, la place occupée dans l'ordre de préséance modifie la physiologie
    ." (261-265)

    "Dans un monde ou certaines cultures élèvent la violence au rang de vertu, le rêve de paix peut être fatal. Il peut nous amener à oublier que nos ennemis sont réels et dissimuler à notre vue les sombres impératifs de l'ordre de préséance superorganismique.
    Pendant des milliers d'années, la Chine fut un empire d'une taille et d'une stabilité incroyable. Sa technologie et sa richesse suscitait l'envie de ses voisins. En 221 av. J.C., les Chinois conçurent une longueur standard pour les essieux des charrettes. Résultat: un chariot pouvait rouler sur des milliers de kilomètres de route, et ses roues se trouvaient précisément dans les ornières laissées par les voyageurs précédents. Les Chinois disposaient de papier monnaie et de standards uniformes de poids et de mesures, alors que l'Europe tâtonnait encore dans l'âge des ténèbres. Les armes et les stratégies militaires chinoises étaient à des années-lumières de tout ce qui existait ailleurs. Alors que les empereurs romains utilisaient toujours des catapultes mécaniques, les généraux chinois déployaient des mortiers à poudre à canon. Dès le quatrième siècle avant J. C., les princes chinois envoyèrent des armées d'un demi-million d'hommes à la bataille et ces légions étaient équipées de matériel que les Européens de cette époque ne pouvaient même pas imaginer. Ils avaient des arbalètes à ressort, des amures en cotte de mailles ainsi que des épées et des lances constituées d'un métal magique: l'acier.
    Mais les Chinois étaient de temps en temps aveuglés par leur propre puissance. Glissant dans la conviction réconfortante qu'il leur suffisait de souhaiter ne pas avoir de guerre, ils rejetaient l'idée de la venue des barbares. L'un des premiers à commettre cette erreur fut l'Empereur chinois Wu Ti. En 280, Wu Ti regarda le colosse qu'il dirigeait et découvrit qu'il avait des problèmes économiques: le commerce stagnait. Les populations étaient pauvres et accablées d'impôts insupportables. Lorsque Wu Ti étudia le problème avec plus d'attention, il en trouva rapidement la source. La Chine était attirée dans le vide par un poids qui avait grossi telle une tumeur: son budget militaire. Les impôts étaient absorbés par les besoins de la gigantesque armée et la plupart des pièces de monnaie du pays avaient été fondues pour fabriquer des armes, forçant les marchands à abandonner l'argent et à revenir au troc primitif. Il y avait si peu de monnaie disponible que même les bureaucrates du gouvernement devaient être payés en céréales et en soie.
    Mais il y avait de bonnes nouvelles à l'horizon: les armées du Wu Ti venaient d'écraser deux superpuissances qui, depuis des années, menaçaient l'empire: les royaumes puissants de Wei et de Wu. A présent, le moment était venu pour la Chine de se débarrasser de son fardeau militaire, d'alléger la charge pour son peuple et de libérer son économie.
    Réduire le budget militaire était une bonne idée, mais les Chinois la poussèrent trop loin. En l'an 280, l'Empereur Wu Ti fit une déclaration stupéfiante, qui dut réjouir le cœur de tous les Chinois. Il décréta un désarmement général. Les enclumes des fabricants d'épées et des armuriers se turent. Les généraux reçurent l'ordre de démanteler leurs troupes. Les soldats durent revenir à la vie civile. Le gouvernement espérait que ces anciens fantassins s'installeraient comme fermiers et deviendraient des citoyens imposables, participant ainsi au réapprovisionnement des coffres vides de l'administration. Cela ne sonne-t-il pas comme une utopie ? Mais ce merveilleux état de paix permanente ne se matérialisa jamais vraiment. Les Chinois avaient compté sans le
    Principe de Lucifer.
    Une fédération de tribus nomades dépourvues des perfectionnements civilisés et du talent pour la créativité technologique propres aux Chinois rôdaient aux frontières du pays. Mais ses chefs avaient étudié toutes les nuances de l'administration, des armes, et de l'art chinois. Et ils possédaient un avantage significatif. Ils n'avaient aucun scrupule à tuer. En réalité, c'était leur divertissement favori. Cette constellation tribale s'appelait les Hsiung-nu. Nous les connaissons mieux sous le nom de Huns.
    Au premier abord, personne ne pouvait croire que les Huns représentaient une menace sérieuse. Leur armée se composait de seulement cinquante mille hommes. Les légions chinoises récemment dispersées étaient constituées d'un million d'hommes. Mais en 309, la machine militaire relativement réduite des Huns attaqua la capitale chinoise, Lo-Yang. Les Chinois se défendirent avec ténacité, mais ils avaient un sérieux désavantage. S'étant réorganisé en vue de la paix, ils n'étaient plus équipés pour la guerre.
    Après deux années de combat, les Huns entrèrent dans la ville vaincue et firent prisonnier l'empereur chinois -le descendant du puissant Soleil, la charnière qui reliait les cieux et la terre- et le tuèrent en 313. En trois ans, les forces étrangères avaient terminé leurs opérations de nettoyage et s'étaient emparées de tout le secteur Ouest de la région Nord, l'une des plus importantes de Chine. Les princes, les généraux et les riches propriétaires chinois s'enfuirent pour être tués. Les Huns avaient remporté la victoire. Un empire plus grand que tous les états européens réunis était tombé, parce qu'il avait ignoré la menace des barbares.
    L'on pourrait croire que les Chinois avaient tiré des enseignements de cette erreur, mais ce ne fut pas le cas. La domination des Huns sur la Chine dura pendant des générations. Puis, en 329, elle toucha à sa fin. Pendant les deux cents ans suivants, les Chinois furent gouvernés par un groupe barbare puis par un autre. Il fallut longtemps avant que la Chine ne réussisse à restaurer son ancienne gloire, mais lorsqu'elle eut repris le pouvoir, elle se laissa une nouvelle fois aller à cette bienheureuse suffisance qui endort ceux qui sont au sommet de l'ordre de préséance. Et son deuxième faux pas inconsidéré est porteur d'encore plus de leçons sur les dangers qui nous menacent.
    Au onzième siècle, à nouveau convaincue qu'elle pouvait utiliser sa grande force pour inaugurer une ère de paix, la Chine opta pour la diplomatie et y réussit parfaitement. Elle découvrit qu'il coûtait beaucoup moins cher de faire la paix avec ses ennemis en leur payant des tributs, que d'entretenir une armée éléphantesque, et elle se mit donc à payer ses ennemis. Pour maintenir ces grosses puissances au loin, la Chine travailla insidieusement en coulisses à semer le trouble. Non pas un trouble qui menacerait sa propre sécurité, mais qui pousserait ses ennemis à se chamailler. Après tout, plus ils se querellaient entr eux, moins ils ennuieraient les Chinois.
    Le plan fonctionna à merveille. Il fonctionna si bien que les Chinois tout comme leurs ennemis purent démanteler leurs complexes militaires et injecter l'argent économisé dans l'économie nationale. Ce trésor détourné entraîna un élan de prospérité.
    Comme d'habitude, les Chinois et leurs ennemis surpuissants avaient joyeusement négligé les hordes de gueux qui rôdaient à leurs frontières. En 1144, l'une d'elles, les Juchen toungouzes, se libéra de la sphère d'influence de la superpuissance et se prépara à la guerre. Ces préparatifs prirent onze années. Mais lorsqu'ils furent achevés, il était temps pour les grandes puissances de se méfier. Tout d'abord, les Juchen attaquèrent le principal ennemi de la Chine: les Khitans. Les Chinois étaient ravis. Les Juchen primitifs venaient de supprimer leur plus important problème international. Mais l'empereur et ses sujets se réjouirent un peu trop vite. Les Juchen tournoyaient, poussés par la faim d'une nouvelle conquête encore plus grande.
    En 1126, le peuple arriéré qui seulement seize ans auparavant n'était que l'humble pantin d'une superpuissance, pénétra par la force dans la capitale chinoise non préparée et décida et s'y installer. L'Empire du Milieu avait été affaibli par la diplomatie et le désarmement, parce que ses habitants avaient oublié les barbares. Derrière la menace des barbares se cache un fait simple. Les superorganismes meurent d'envie d'escalader l'échelle hiérarchique, et nombreux sont ceux qui veulent le faire à nos dépens. Le désir légitime de paix dissimule souvent ce fait à notre regard.
    "
    (p.327-330)
    -Howard Bloom, Le principe de Lucifer, Paris, Le jardin des livres, 2002 (1995 pour la première édition états-unienne), 463 pages.



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 15 Juin - 13:16

    « Nous sommes des adorateurs d’ancêtres déguisés ».

    « Nous, les êtres humains sommes payés non seulement en argent mais également en reconnaissance […] Ce salaire est en fait, beaucoup plus satisfaisant que de l’argent ».

    "Trop de choix est une agonie. Notre cerveau ne possède que 7 créneaux pour la mémoire à court terme. Cela limite le nombre d’informations que nous pouvons traiter. Aussi, si vous voulez que ces informations nous parviennent, vous devez les simplifier ou les rendre acceptables. Vous devez les répéter encore et encore jusqu’à ce que vous vous en souveniez".

    « Lorsque nous entrons en compétition à l’aide de gadgets, de symboles de statuts, de services ou de jeux, nous tenons la violence en respect. »

    « Vaincue, Rome s’écroula. […] Le grain bon marché de l’Égypte n’arrivait plus au port romain d’Ostrie pour être transformé en pain gratuit. […] Le résultat fut catastrophique. La moitié de la population européenne mourut de faim ou de peste, et le monde occidental plongea dans un interminable âge des Ténèbres. »

    « Si vous vous accaparez tout le mérite au cours de votre réunion, les autres vous en voudront et vous descendront. Regonflez leur égo, nourrisez-le ! Ainsi chacun verra son ego valorisé s’il contribue au succès du projet . »

    "Toute bonne chose en excès est un poison."
    -Howard Bloom, Le génie du Capitalisme - (Le génie de la Bête), Paris, Le jardin des livres, 2012 (2010 pour la première édition états-unienne), 464 pages.



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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