"Ce qui s'est passé en 1944-1948, c'est que la Russie a imposé par la force un système communiste de style soviétique sans tenir compte ni des souhaits de la population ni de l'intérêt du pays [...] C'est cette disparité grotesque entre le point de vue de la classe dirigeante et les traditions d'une nation dans son ensemble que l'on retrouve à la base de toutes les crises qui se sont succédé depuis la guerre. C'est l'expérience de cette tyrannie étrangère, si familière aux Polonais dans les périodes antérieures de leur histoire, qui a conditionné les comportements de la génération d'après-guerre." (p.23)
"En 1945, sept ans seulement s'étaient écoulés depuis la liquidation totale du KPP (Parti communiste polonais) ainsi que l'exécution de 5000 environ de ses militants ordonnée par Staline et trois ans seulement depuis la formation du PPR (Parti des travailleurs polonais) qui l'avait remplacé. Même si à ce stade les communistes polonais avaient voulu prendre le pouvoir, ils étaient bin trop peu nombreux pour y parvenir." (p.25)
"Le premier gouvernement élu entre en fonction le 6 février 1947, dans des circonstances que la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis dénoncèrent comme incompatibles avec l'accord de Potsdam sur des "élections libres et sans entraves". A sa tête, un candidat du Bloc démocratique d'obédience soviétique, le socialiste ancien détenu d'Auschwitz, Jozef Cyrankiewicz. Ce fut lui qui présida un temps voulu à la transformation de son gouvernement pseudo-démocratique en un Etat de style purement soviétique avec parti unique. Il fut récompensé par une carrière qui dura vingt-cinq ans." (p.25)
"La constitution promulguée le 22 juillet 1952, huitième anniversaire de la domination russe sur la Pologne, semblait instaurer une démocratie modèle, avec garantie des libertés civiles, suffrage universel, gouvernement parlementaire comprenant conseil d'Etat, autour du président, Sejm ou diète formée de députés élus, et conseil des ministres responsable devant elle. En pratique, cette "démocratie populaire" était une fiction légalisée. Les "travailleurs de la ville et de la campagne" désignés par la constitution comme détenteurs du pouvoir politique, étaient en fait ses victimes impuissantes. Ils n'avaient ni le droit de présenter leurs propres candidats au gouvernement central et local, ni celui de donner leur avis sur le fonctionnement du Parti qui s'était arrogé la prérogative de diriger l'Etat en leur nom. Toute la puissance réelle était détenue par le bureau politique du Parti, son premier secrétaire et l'élite privilégiée de la nomenklatura qu'il nommait [...] La réalité, c'était la dictature du Parti sur le peuple.
Le moteur de la politique stalinienne était alimenté par la paranoïa émanant des plus hautes sphères à Moscou, née de la conviction que le bloc soviétique allait être attaquée par les forces déchaînées de l'impérialisme américain, doté de la bombe H. Résultat: une frénésie de réarmement et des projets de construction gigantesques. La conscription porta les effectifs de l'armée polonaise permanente à 400 000 hommes et le corps des officiers fut politisé grâce à l'Académie militaire politique (WAP) fondée en 1951: après quoi, en 1955, la Pologne devint membre fondateur du pacte de Varsovie, riposte du bloc soviétique à l'OTAN." (p.27)
"Sur le front économique, le Conseil de l'aide économique mutuelle (Comecon) qui allait répondre au Marché commun, avait été crée dès 1949 pour faciliter l'harmonisation des plans. Il donnait priorité absolue à l'industrie lourde -charbon, fer et acier surtout- ainsi qu'aux fabrications d'armements. De nouvelles villes et de nouveaux faubourgs construits à la hâte durent loger l'afflux des travailleurs venus de la campagne. Pour assurer une production alimentaire suffisante, l'agriculture fut collectivisée de force et la paysannerie, arrachée à ses terres puis livrée aux "Entreprises agricoles polonaises" (PGR) qui ne se différenciaient des kolkhozes que par le nom. Pour rompre l'attachement traditionnel du peuple à la religion, des attaques directes visèrent l'Église catholique." (p.28)
"Même ainsi, le stalinisme n'atteignit jamais un degré de férocité égal à celui dont souffraient les pays voisins. Les procès politiques ne se transformèrent ni en représentations à grand spectacle ni en purges massives ; la classe moyenne et les intellectuels, bien que harcelés, ne furent liquidés. On n'osa pas supprimer l'Église ; les paysans ne furent ni déportés ni réduits à la famine, la collectivisation, fort lente, demeura incomplète." (p.29)
"Le défi lancé par Gomulka à l'Union soviétique en octobre 1956 créa un volant de vapeur qui allait faire tourner les roues de la vie politique polonaise pendant les vingt-cinq années suivantes. Il prouva que les communistes de ce pays pouvaient diriger leurs affaires sans la supervision directe de leurs conseillers soviétiques -tout en restant fidèles à l'URSS. Suivant en cela la tendance dominante dans le reste du monde communiste, Gomulka soutenait que "de nombreuses voies menaient au socialisme". Il rejetait toute imitation servile du modèle soviétique et croyait fermement que les traditions particulières de la Pologne exigeaient un type particulier de communisme national. Dans le même temps, témoin du sort réservé à son camarade Imre Nagy et autorisé à assister personnellement à un essai nucléaire en Russie, il était bien conscient de ses limites. De plus, malgré l'élan de popularité qui l'avait porté au départ, il avait trop d'expérience pour croire que ses compatriotes aimaient vraiment leurs communistes. Un "rouge" du cru pouvait être jugé préférable à un communiste russe, mais en dernière analyse tout le monde savait parfaitement que le régime reposait sur la puissance du grand voisin. D'où le marché: un type de communisme national autonome contre la poursuite de la subordination envers l'URSS. D'Etat fantoche, la République populaire de Pologne devenait Etat client.
A la suite de son entente avec les Soviétiques -scellée pendant sa visite à Moscou en novembre 1956- Gomulka fut autorisé à faire une série de concessions stratégiques aux revendications populaires et à laisser subsister les trois éléments spécifiques de l'ordre polonais -une Église catholique indépendante, une paysannerie libre et une curieuse espèce de pluralisme politique factice. Avec le recul du temps, on voit qu'elles étaient conçues comme des mesures provisoires, destinées à être abrogées dès que le PZPR se sentirait assez fort pour progresser vers le modèle orthodoxe de la société socialiste. Pas un communiste convaincu n'aurait admis que le but ultime était de laisser une Pologne catholique avec des paysans libres et une arène politique ouverte. Ce qui se passa en réalité, bien entendu, c'est que le PZPR ne disposa jamais ni de la force, ni de la confiance nécessaires pour dépasser le niveau des compromis. Au contraire, tandis que le Parti pataugeait au milieu de crises sans cesse plus rapprochées, l'Église, les paysans et les dissidents politiques se renforçaient toujours davantage. Finalement, après vingt-cinq ans de stratégie, ce fut le Parti qui s'effondra et non pas ses adversaires.
Après la Deuxième Guerre mondiale la position de l'Église catholique se révéla plus forte qu'à n'importe quelle période de sa mission millénaire. On peut l'expliquer en partie par les souffrances des années de conflit qui avaient incité à rechercher les consolations de la religion, en partie par l'esprit de contradiction inhérent à l'espèce humaine qui renforçait la fidélité à l'Église justement parce que le gouvernement l'interdisait, mais surtout par le remodelage ethnique et culturel de la société pendant et après la guerre. Lors du premier partage en 1773, les catholiques représentaient à peine 50% de la population totale ; en 1921, à l'intérieur des nouvelles frontières, ils étaient 66% ; en 1946, à la suite du massacre des juifs par les nazis et de l'expulsion des Allemands ainsi que des Ukrainiens, la proportion atteignait 96%. Pour la première fois de son histoire, la Pologne était un pays vraiment et même massivement catholique et c'est à lui qu'on imposa un gouvernement communiste athée ! [...] [Le Parti] choisit donc la voie de la discrétion et proposa un compromis qui se résumait à ceci: il s'abstiendrait d'attaquer l'Église si celle-ci s'abstenait de miner l'Etat. Elle fut exclue des écoles et des média, mais autorisée à entretenir librement des relations avec le Vatican, à garder le contrôle total des nominations ecclésiastiques, de ses propriétés et de ses finances, enfin une liberté absolue dans l'exercice du culte. Elle conservait ses séminaires, ses organismes sociaux et culturels et son université à Lublin (KUL). C'est l'unique Église vraiment indépendante dans tout le bloc soviétique.
L'accord décisif de décembre 1956 fut confirmé dans le détail par la constitution apostolique du 26 juin 1972. Évidemment, en concluant ce marché, les communistes pensaient que le temps travaillerait pour eux. Les sociologues avaient prédit que l'industrialisation rapide et l'urbanisation briseraient les structures traditionnelles de la société et les liens de la population avec son Église. Or ils se trompaient. Le nouveau prolétariat ouvrier se révéla tout aussi ardemment catholique que la vieille paysannerie l'avait été. Le pays n'a pas suivi la voie de l'indifférence religieuse si commune en Europe occidentale. L'inlassable lutte menée pendant vingt ans par la population de Nowa Huta pour construire son église dans un faubourg industriel modèle, officiellement conçu sans édifice du culte, symbolise le triomphe de l'Église dans la société polonaise moderne tout entière. L'élection en 1978 du cardinal Wojtyla au pontificat sous le nom de Jean-Paul II la marqua du sceau suprême.
La survie de la paysannerie a également fait mentir les prévisions. Quant il arrêta la campagne de collectivisation de la période stalinienne, Gomulka avait présentes à l'esprit ses expériences de jeune néophyte en Ukraine où il avait vu de ses yeux les massacres en masse et la famine vingt ans plus tôt. Il ne souhaitait pas de semblables désastres à son pays. Les fermes collectives ne furent maintenues que dans les rares régions où elles constituaient la meilleure solution -comme dans les immenses propriétés des territoires repris à l'Allemagne. Un peu plus de 80% des terres cultivées revinrent aux exploitations privées des familles paysannes. Là encore comme dans le cas de leur politique religieuse, les communistes estimaient qu'ils avaient le temps pour eux. Certes, ils n'éprouvaient aucune sympathie pour les cultivateurs considérés comme des anachronismes aux tendances "antisociales" ; mais une fois encore les experts pensaient qu'en une génération ou deux cette classe périrait par extinction. Inutile de l'écraser par la force à la russe si sa position pouvait être progressivement érodée par le monopole de l'Etat sur les prix et les attributions de machines agricoles, les ventes d'engrais, les chicanes administratives concernant les actes de propriété et les investissements massifs dans le secteur public. Seulement, dans la réalité, cette politique se révéla catastrophique. En persécutant la classe qui nourrissait le pays, elle ôta au secteur privé les moyens d'adopter des méthodes modernes, sans pour autant élever le rendement dérisoire des fermes d'Etat. Après quarante ans de ce système, la Pologne est au bord de la famine. Elle qui possède des terres arables parmi les plus étendues et les plus fertiles d'Europe, où devraient couler le lait et le miel, connaît le fléau de la disette. Le manque de pain a provoqué des désordres répétés qui ont à leur tour déclenché des crises politiques. e rationnement et les queues font désormais partie de la vie quotidienne -mais la paysannerie indépendante survit." (p.30-33)
"C'est seulement après une longue période de déceptions accumulées que Gomulka et son successeur Edward Gierek en convainquirent leurs sujet: le régime communiste faisait semblant d'évoluer vers la libération politique et n'avait aucune intention d'accorder des concessions durables. Une opposition active resurgie pour la première fois en mars 1968, explosa de nouveau en 1970, 1976 et -de façon décisive cette fois- en 1980 avec l'apparition de Solidarité qui annonçait l'effondrement imminent du système établi.
Pendant les vingt-quatre années qui suivirent l'établissement du régime communiste national par Gomulka, les fortunes du PZPR connurent deux grandes vagues de flux et de reflux -la première associée au gouvernement de Gomulka lui-même jusqu'en décembre 1970, la seconde avec celui de Gierek de décembre 1970 à septembre 1980, la carrière des deux dirigeants suivant d'ailleurs une courbe remarquablement semblable. L'un comme l'autre, vécut d'abord une lune de miel pendant laquelle il parut avoir honorablement sauvé le pays d'un sort pire que la mort (une invasion soviétique). Pour le premier, elle dura trois ou quatre ans, pour le second, peut-être deux. Ensuite ce fut pour chacun une période où les espoirs d'une nouvelle politique économique compensaient les déceptions sur le front politique. Gomulka réussit sa "petite stabilisation" entre 1960 et 1967 ; Gierek lança son audacieux plan de modernisation en 1972, alors que se multipliaient les signes de prospérité grandissante. Ensuite, ils survécurent à un violent défi porté à leur autorité, le premier aux événements de 1968, le second à ceux de juin 1976 -puis se prolongèrent pendant une saison au milieu des ruines de leurs plans jusqu'à ce qu'un autre choc brutal mît fin à leurs souffrances. Gomulka fut éjecté par les émeutes de décembre 1970 sur la côte balte ; Gierek, par les grèves de 1980." (p.34-35)
"Avec près de dix millions de membres, Solidarité représentait presque chacune des familles polonaises et exprimait donc la volonté de l'écrasante majorité du pays. Ensuite, le mouvement resta fidèle à son idéal de non-violence. Rien n'avait été fait pour lui donner les moyens de se défendre. Quand, le 13 décembre 1981, les forces de sécurité communistes l'attaquèrent avec chars, canons et matraques, il n'avait ni armes, ni réseau de communications indépendant, ni plan de campagne. C'est de là que découle son impérissable victoire morale." (p.39-40)
"Il est probable que l'invasion soviétique dont la menace plana en décembre 1980 fut annulée en échange de la promesse d'une intervention polonaise qui ferait le travail à sa place.
La première mesure fut prise en février 1981 quand le général Wojciech Jaruzelski, ministre de la Défense, devint Premier ministre, la deuxième -en septembre- avec l'éviction de Kania, symbole vivant de la paralysie du Parti et la nouvelle promotion de Jaruzelski au poste suprême de secrétaire du Parti." (p.42)
"Le coup du général Jaruzelski, le 13 décembre 1981, prit presque tout le monde par surprise: les experts occidentaux, qui avaient prétendu à de rares exceptions près que la structure du système soviétique excluait la prise du pouvoir par les militaires, les membres du conseil d'Etat qui n'eurent guère que deux heures pour légaliser l' "état de guerre", les dirigeants de Solidarité qui furent pour la plupart arrêtés dans leur lit pendant la première nuit. La majorité des Polonais trouva en s'éveillant au matin du 13 décembre des chars dans les rues, des postes de contrôle militaire à tous les carrefours routiers et la proclamation de la loi martiale (imprimée à l'avance en Union soviétique) placardée dans tous les coins. Pendant la semaine suivante, la plupart des grèves de protestation qui éclatèrent spontanément dans les mines, les chantiers navals et les usines à travers tout le pays furent brisées par des brigades mobiles de ZOMO [brigades paramilitaires] opérant derrière des cordons de troupes régulières." (p.44)
"Pendant toute l'année 1982, la Pologne fut officiellement gouvernée par un Conseil national de salut public (WRON) [...] Le général Jaruzelski présidait un groupe exclusivement composé, selon ses propres termes, d'officiers en activité. Des dizaines de milliers d'innocents furent arrêtés sans motif et 10 000 environ, internés dans 49 camps. On parla de sévices et de morts. D'innombrables citoyens furent contraints de signer des "engagements de loyalisme" (c'est-à-dire de déloyauté envers Solidarité) sous peine de perdre leur gagne-pain, voire leur vie. Tous les organismes et institutions officiels depuis les ministères jusqu'aux gares en passant par les bibliothèques publiques furent soumis aux ordres d'un commissaire militaire et épurés des éléments peu sûrs, les principales industries, nationalisées, les travailleurs, soumis à la discipline militaire. Les dispositions de la loi martiale permettant aux autorités d'imposer le couvre-feu, de limiter tous les déplacements, d'enregistrer toutes les communications téléphoniques, d'interdire tous les réunions et de sanctionner la moindre velléité d'opposition par des amendes ou des arrestations immédiates. Des aveux implicites contenus dans ses propres déclarations, il ressort que le WRON avait déclaré la guerre à la société polonaise." (p.44-45)
"Peut-être le WRON crut-il attaquer la crise à ses racines ; en fait il ne faisait qu'gratiner la surface. Aucun secteur important de la société polonaise ne fut gagné à la cause du communisme." (p.46)
"La situation économique continuait de se dégrader. Contrairement aux assertions de la propagande officielle qui avait rejeté tout le blâme sur Solidarnosc, la disparition de celui-ci n'apporta aucune amélioration. En fait malgré une modeste augmentation dans un ou deux secteurs comme la production charbonnière, la productivité industrielle baissa. Pour la quatrième année consécutive, le PNB polonais subit une baisse catastrophique de plus de 15%, tandis que le montant de la dette extérieure approchait des 30 milliards de dollars, obligeant à rééchelonner le paiement des intérêts courants eux-mêmes. La demande de denrées alimentaires diminua sous le choc d'augmentations allant jusqu'à 300%, en février, mais la plupart des Polonais continuèrent à faire les queues qui étaient désormais partie intégrante de la vie quotidienne. Le gouvernement exprima l'espoir d'arriver à l'équilibre dans ce domaine en 1990. Le niveau de vie chuta de façon vertigineuse. L'écart entre le pouvoir d'achat d'une famille moyenne et les marchandises disponibles continua à s'élargir, bien que les revenus réels eussent baissé de plus de 25%. Avec un déficit budgétaire qui galopait dans les centaines de milliards de zlotys, les finances de l'Etat échappaient à tout contrôle. Seule la brutale réduction des importations permit de limiter le déséquilibre du commerce extérieur, ces importations dont l'industrie avait un besoin vital pour se moderniser. La Pologne qui est un pays riche, doté de ressources naturelles considérables, sombra dans une pauvreté abjecte, sans exemple en Europe." (p.47)
"Les citoyens moyens d'un Etat communiste sont tellement empêtrés dans les mailles d'une réglementation tatillonne que l'humble soumission envers les autorités est le seul moyen d'être tranquille. Permis, licences et tampons officiels sont exigés pour la plupart des démarches de la vie courante. [...] L'individu est contraint de limiter ses habitudes et ses aspirations aux normes étroites établies par les autorités régnantes." (p.56)
"Le système économique polonais n'a pas la moindre autonomie. Organisé sur la base de la planification centralisée, selon le modèle soviétique, il était destiné à maintenir tous les moyens de production et de distribution sous le contrôle monopolistique du Parti. En outre, depuis que les commissions au plan des membres du Comecon sont obligées de suivre les directives élaborées par celui-ci et qu'il a adopté une stratégie de spécialisation des tâches économiques assignées à chacun, seule l'URSS peut espérer suffire un jour à ses besoins. (La Roumanie a bien tenté de résister à l'intégration totale vers 1960, mais elle a été peu à peu obligée de céder). Chose étrange, la crise polonaise parviendra peut-être à disloquer les économies intégrées de tout le bloc soviétique. On a constaté que les insuffisances dans sa production et ses livraisons avaient des répercutions étendues. En revanche, alors que les deux tiers de son commerce extérieur se font dans la sphère du Comecon, que 80% de son pétrole et de son minerai de fer viennent de l'URSS, il serait inconcevable qu'elle pût poursuivre longtemps une politique économique divergente sans le soutien et l'approbation préalable du Kremlin." (p.59)
"Les commentateurs occidentaux qui regardent le monde soviétique se trouvent en face de murs d'incompréhension. Ils ont peine à imaginer un système où l'absence de loi officielle est la norme et non l'exception et plus de peine encore à convaincre un auditoire sceptique, conditionné pendant des siècles par des postulats opposés.
Ils comprennent bien l'état de nature (tout le monde a droit à tout) qui selon Hobbes a précédé la formation des gouvernements, mais non pas un gouvernement qui fonctionne sans la fiction hobbesienne d'un contrat social entre gouvernants et gouvernés. Après tout, disent-ils, le philosophe anglais a inventé celui-ci pour justifier l'absolutisme et non la démocratie (comme si jamais quelqu'un avait prêté attention à Hobbes en Russie). Ils se cabrent à l'idée d'un régime dont les gardiens peuvent changer les règles de leur idéologie d'un jour à l'autre, selon leurs convenances et à la stupéfaction générale. Ils voient les structures rigides des transmission, mais non pas l'infinie flexibilité du centre. Peut-être manquent-ils tout simplement du vocabulaire nécessaire pour décrire ce qu'ils voient (tout comme la destitution d'un président américain et la perspective d'un impeachment dans le bon vieux style cromwellien laissèrent les commentateurs russes littéralement sans mots pour en rendre compte).
Mais en réalité, les analystes occidentaux ont bel et bien la terminologie voulue. L'absence de lois, qu'il ne faut pas confondre avec la transgression de la loi, n'est pas inconnue dans les sociétés occidentales. Peut-être est-elle étrangère à leurs théories politiques, à leurs notions (romaines) du droit, et à leurs pratiques démocratiques ; mais c'était assurément la base de l'ordre social sur la vieille "frontière" américaine et le phénomène est devenu familier, trop familier dans les faubourgs les plus "chauds" des grandes villes occidentales. Le milieu, avec ses parrains et ses cousins, ses syndicats et ses alliances, ses rackets et ses pots de vin, ses voyous et ses hommes de main répond à une culture politique où l'illégalité est un mode de vie et où les honnêtes gens protestent à leurs risques et périls. Pour le mafioso comme pour le léniniste, la puissance de Cosa Nostra est le dieu suprême auquel tous les autres principes doivent être subordonnés." (p.63-64)
"La nature même du système communiste alimente les mécanismes de la sélection négative. Premièrement la condition essentielle pour toutes les recrues étant une soumission aveugle à la discipline du Parti, il s'ensuit que les personnalités entreprenantes, imaginatives ou excentriques sont désavantagées dès le départ. Même si ces sujets entrent au Parti, ils n'ont pas beaucoup de chance d'y monter en grade. Deuxièmement, les dogmes de l'idéologie officielle ne pouvant être contestés par les jeunes camarades, il y a peu de place pour les esprits ouverts, curieux, ou portés à l'intellectualisme. Un excès d'intelligence risque fort d'être récompensé par l'exclusion. Troisièmement, le système des promotions se fondant sur les recommandations des instances supérieures aux inférieures, l'avancement dépend moins de l'attachement aux beaux principes que de l'habileté à se plier aux caprices d'un patron. Les scrupules ont tendance à enchaîner aux échelons les plus bas de l'échelle." (p.68)
"Le processus de sélection négative entretenu pendant plus d'une génération a abouti à faire gouverner le pays par ses éléments les plus médiocres." (p.69)
"Le niveau moyen de culture, d'intelligence et de probité dans la nomemklatura polonaise est très inférieur aux normes qui prévalent partout ailleurs chez ses compatriotes instruits -Église, arts, sciences et professions libérales. On peut reprocher, même aux pays démocratiques, de ne pas toujours se donner des dirigeants dotés de talents les plus éminents (et le reproche est grave). Mais qu'un pays soit gouverné à perpétuité et sans espoir de redressement par des hommes notoirement inférieurs -voilà qui est une vivante insulte." (p.69)
"En l'espace de vingt ans, le Parti s'aliéna presque tous les intellectuels en vue qui avaient essayé de le servir." (p.71)
"L'influence de l'Église sur les masses est forte ; or elle a toujours prêché la voie de la souffrance spirituelle de préférence à celle de la revanche. Traditionnellement les classes instruites, devenues beaucoup plus nombreuses, trouvent une consolation dans la littérature nationale, avec son monde de rêves tout faits pour ceux qui cherchent l'évasion." (p.76)
"En un quart de siècle, à partir de 1945, une société essentiellement rurale est devenue surtout urbaine -52% en 1971- et cela à une époque où un taux de natalité sans précédent, atteignant 30.7 pour mille en 1950, remplissait les foyers d'enfants. En d'autres termes, la famille typique des années 50 et 60 était composée de jeunes couples travaillant l'un et l'autre pendant de longues heures, luttant sans l'aide des grands-parents pour élever deux ou trois enfants dans les logements exigus et primitifs d'un lotissement à moitié achevé, au milieu d'une ville ou d'un faubourg où ils n'étaient qu'à moitié acclimatés. Dans un tel environnement, il s'agissait non pas de se plaindre ou de se rebeller, mais de livrer une bataille héroïque pour survivre. C'est seulement vers les années 70, alors que les Terres occidentales avaient été repeuplées, que le taux de natalité et l'exode rural diminuaient et que des salaires plus élevés apportaient une relative prospérité, que la génération d'après-guerre put réfléchir à sa situation. Et c'est seulement à la fin de cette période, quand la crise frappa de plein fouet, qu'elle découvrit combien de ses sacrifices avaient été vains." (p.76)
"Personne dans une société communiste ne peut échapper à la tyrannie de la devise non convertible. Ces mêmes planificateurs du Parti fixent les salaires et les prix, donc le niveau de vie, ont également décrété que la monnaie polonaise ne pourrait ni circuler au dehors, ni être librement échangée. Les autorités achètent le travail des ouvriers à bas prix en zloty ; mais ils ont toute latitude pour vendre les produits de ce travail sur les marchés mondiaux contre des monnaies fortes -dollar, mark, livre sterling ou yen. Ils peuvent ainsi déterminer non seulement les taux de change officiels -manipulable à l'infini- mais le coût réel du travail. Le mineur silésien dont le charbon est exporté en Allemagne de l'Ouest contre des marks n'est pas payé en monnaie convertible dans cette devise. Même s'il s'échine pendant cinquante ans, il n'aura jamais de quoi s'acheter une Volkswagen en échange du charbon qu'il a extrait pour la RFA. Les travailleurs polonais rétribués en monnaie d'Etat qui ne peut être dépensée que pour des biens produits et distribués par l'Etat au prix fixé par l'Etat sont victimes d'une immense escroquerie. Selon les manuels, ce genre de troc a été l'une des pratiques les plus vicieuses du capitalisme primitif. L'Angleterre l'a dénoncé comme une forme d'exploitation éhontée avant de l'interdire par une loi votée en 1831. C'est maintenant un des piliers de la politique des salaires dans les Etats communistes. Quand les mineurs silésiens entraînés par Solidarité ont demandé à être payés en dollars, ils faisaient une suggestion tout à fait raisonnable, mais ils ébranlaient aussi les fondations d'un système qui exploite ses travailleurs jusque dans les moindres détails." (p.78)
"Là ou la différence entre les valeurs reconnues par la société et celles que propage un Etat monopolistique est si extrême, l'individu ne peut qu'être soumis à des pressions morales également extrêmes. Il faut une bien grande force de caractère dans un Etat communiste pour rester fidèle à ses amis et à ses principes aux dépens de sa propre carrière, pour ne pas piller les biens publics, alors que les officiels du Parti donnent un si bel exemple, ou pour résister aux normes admises de la convivialité arrosée et de l'alcoolisme.
A tous les tournants, la tentation est là: obtenir de l'avancement en dénonçant les collègues, remédier à la pénurie de logement en glissant une enveloppe au conducteur des travaux du chantier de construction (à l'Etat) ou s'abandonner au désespoir en compagnie d'une bouteille de wodka. Même les admirateurs de la Pologne sont obligés d'admettre que toutes les formes mineures de la traîtrise, de la corruption et de l'irresponsabilité sociale prolifèrent. Dans une atmosphère aussi débilitante, une personne honnête a du mal à savoir où se trouve le devoir. Si un mari souhaite assurer de meilleures conditions de vie à sa famille, il sait qu'il ne peut le faire qu'en s'inscrivant au Parti et en oubliant tout ce que sa pieuse mère lui a enseigné sur son âme et sa conscience. Si une épouse veut aider son conjoint, elle sait où elle doit se faire bien voir. Si les professeurs veulent conserver leur poste, ils sont souvent amenés à donner des informations qu'ils savent être fausses, ou à taire ce qu'ils savent. Si les étudiants veulent passer leurs examens, ils doivent limiter leurs remarques à ce que les examinateurs sont autorisés à accepter. Si un ouvrier a envie de produire plus que le minimum requis, il doit accepter que le profit aille non pas à lui mais au chef d'atelier, ou au directeur de l'usine. Si le permanent était sincèrement désireux de servir ses semblables et les idéaux du socialisme, quand il s'est inscrit, il doit abandonner toute expression de ces nobles intentions dans l'intérêt de la discipline du Parti.
Quel monde cruel ! Et qui croire ? Dans certaines dictatures où toutes les sources d'informations sont efficacement contrôlées, ou bien encore où un consensus social est réalisé, les gens ne souffrent pas autant du conflit entre autorités opposées. Mais en Pologne où l'Église enseigne une chose et l'Etat une autre, où la grand-mère contredit inévitablement le professeur, où les parents cachent les opinions de leur employeur à leurs enfants -chacun est replacé devant le problème du bien et du mal beaucoup plus souvent et plus brutalement. Du fait de leur tragique histoire, ils se trouvent affrontés à des choix moraux beaucoup plus nombreux et plus cruels que les habitants des pays démocratiques, mais aussi que ceux des autres pays communistes. La torture morale de la Pologne vient moins de la dictature elle-même que du fait que le type soviétique de communisme est conçu pour l'arracher à toutes les valeurs et les traditions qu'elle chérit le plus. C'est sans aucun doute pour cela que le pays a produit une riche moisson de filous et de gredins, avec certains êtres d'élite tels qu'on ne peut espérer en rencontrer de plus remarquables." (p.82-83)
"L'essence de l'expérience polonaise moderne est l'humiliation." (p.83)
"Proportionnellement à ses dimensions, la Pologne subit beaucoup plus de pertes en vies humaines et de dommages matériels que n'importe quel autre pays du globe.
La mort de plus de 6 millions d'habitants sur un total de 35 millions en 1939 représentait une proportion de 18% contre 0.2 pour les USA, 0.9 pour la Grande-Bretagne, 2.5 pour le Japon, 7.4 pour l'Allemagne, 11.1 pour la Yougoslavie, et 11.2 pour l'URSS. La Pologne devint le nouveau Golgotha de l'Europe. Et même en 1945, la paix ne fut pas totalement restaurée et les combats continuèrent dans les forêts pendant encore deux ans: le dernier coup de feu fut tiré pendant l'été de 1947." (p.86)
"Le déclenchement de la guerre fut rendu possible par un protocole secret du pacte de non-agression signé à Moscou par Molotov et Ribbentrop, le 23 août 1939. Selon ses termes, les deux parties contractantes envisageaient une attaque conjointe contre la Pologne et les Etats baltes, ainsi que le partage de ces territoires entre elles. Sans l'assurance de la collusion soviétique, la Wehrmacht n'aurait pas pu risquer une intervention unilatérale. Quels qu'eussent été ses motifs à l'époque, Staline n'a donc pas été moins responsable de la guerre que Hitler.
La campagne de septembre en Pologne fut féroce mais brève. Coupée de l'aide directe de ses alliés français et britannique, encerclée de tous côtés par les forces allemandes en Prusse orientale, en Slovaquie et à l'ouest, très inférieure en nombre et en matériel, l'armée polonaise ne pouvait pas espérer la victoire. Menacée de surcroît, comme les événements allaient le prouver, par les forces soviétiques à l'est, elle ne pouvait pas opposer une résistance prolongée. Mais même ainsi, elle se comporta fort bien, dépassant son objectif primitif: tenir la Wehrmacht en échec pendant quatorze jours pour que la France ait le temps de mobiliser ses divisions sur la ligne Maginot et de lancer une offensive en Rhénanie. Dans bien des cas, comme au fort de Westerplatte, près de Dantzig, le siège de dix-neuf jours soutenu par Varsovie, ou la bataille d'arrière-garde à Kutno, elle se battit avec habileté et héroïsme. Les histoires hautes en couleur de cavaliers chargeant sabre au clair les Panzer d'acier ne lui rendent pas justice. Elle fit perdre plus de 50 000 hommes à la Wehrmacht et se battait encore avec acharnement quand l'entrée en lice de la Russie, le 17 septembre, scella son destin. Elle fit assurément mieux que les forces britanniques et françaises quand elles affrontèrent à leur tour la blitzkrieg, huit mois après. Pendant ce temps, en septembre, les Alliés occidentaux n'avaient pas tiré un coup de fusil pour la défendre et ses dernières unités capitulèrent à Kock, le 6 octobre." (p.87)
"Pendant cette période d'étroite collaboration soviéto-nazie, les deux partenaires poursuivirent la même politique envers les populations à leur merci. L'un comme l'autre commirent des atrocités. Les Allemands fusillèrent 20 000 otages civils rien qu'à Bydgoszcz et brulèrent des synagogues ; les Russes massacrèrent des prisonniers dans la prison de Vinnitsa. [...]
Hitler se garda d'intervenir dans les attaques de Staline contre la Finlande, les Etats baltes et la Roumanie, Staline se montrant aussi réservé quand Hitler conquit le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique, le Luxembourg et la France." (p.88)
"Sur les quelque deux millions de civils polonais déportés dans la Russie arctique, la Sibérie et le Kazakhstan par les terribles convois ferroviaires de 1939-1940, la moitié au moins mourut dans l'année suivant l'arrestation." (p.89)
"L'opération Barbarossa (attaque de l'URSS par Hitler) lancée depuis les positions de la Wehrmacht en Pologne, le 22 juin 1941, mit fin au pacte germano-soviétique d'un seul coup, puissant et traître. Elle chassa les Soviétiques de la Pologne orientale en moins de deux semaines et porta les limites du Reich jusque dans les profondeurs de la Russie." (p.90)
"La résistance s'organisa lentement dans le pays. Si les fondations en furent posées avant la fin de la campagne de septembre 1939, ses branches militaires et civiles ne commencèrent à fonctionner sur une grande échelle qu'à la fin de 1942. Pour les premières, l'armée de l'Intérieur (AK) avec ses principaux alliés, les Bataillons paysans (BCH) et les Organisations militaires nationales (NOW) arriva à compter quelque 400 000 soldats bien entraînés et armés, dépassant ainsi de très loin sa minuscule rivale communiste, la Garde du Peuple (GL). La fréquence croissante des embuscades, déraillements et sabotages finit par provoquer des affrontements directs avec les forces militaires allemandes sur un terrain où d'immenses étendues de collines et de forêts étaient tenues par les partisans. Du côté des civils, un délégué plénipotentiaire du gouvernement polonais coordonnait l'action de représentants politiques et dirigeait les efforts d'organismes chargés de l'assistance sociale, de l'enseignement, de la propagande et du renseignement. La Pologne organisa ainsi une manière d'Etat clandestin remarquable, sous le nez de l'occupant. La presse était florissante, les habitants nécessiteux recevaient de l'aide, soit en nature, soit grâce à des cartes de rationnement supplémentaires ; le Conseil d'assistance aux juifs (RPZ) fut crée en septembre 1942. Les leçons de polonais, interdites dans les écoles au-dessus du niveau élémentaire, étaient une Organisation secrète d'enseignement (TON), des cours d'université, donnés dans des classes "volantes" et des diplômes, décernés. Des tribunaux clandestins jugeaient collaborateurs et profiteurs, les sentences étant ensuite exécutées par une gendarmerie secrète. Les trésors d'art disparurent dans des cachettes sûres, des proclamations patriotiques étaient peintes sur les murs, des renseignements, transmis à Londres ; la production industrielle était continuellement interrompue et des agents secrets parvenaient même à pénétrer dans les camps pour diffuser les informations et préparer les coups de main. Sans contact avec les lignes de ravitaillement alliées, la résistance polonaise pouvait justement prétendre être le plus important et le plus structuré des mouvements de ce type en Europe." (p.94-95)
"Les Anglo-Américains furent contraints par les circonstances d'appuyer la Russie dans son différend avec la Pologne. A une époque où le second front n'avait pas encore été ouvert en Europe et où l'armée Rouge supportait le poids principal de la lutte contre l'Allemagne, Churchill et Roosevelt ne pouvaient pas se permettre une rupture avec Staline dans cette affaire. [...] Lors de la première conférence des Trois Grands à Téhéran, en novembre 1943, il fut convenu qu'après la guerre l'Europe serait divisée en "zones d'influence" -à l'ouest et au sud pour les Anglo-Américains, à l'est pour les Russes. Cela voulait dire que la Pologne passerait sous l'occupation et le contrôle soviétique.
Il fut convenu aussi que la frontière polono-soviétique suivrait la ligne proposée en 1920 par l'ancien secrétaire au Foreign Office, lord Curzon, et oubliée depuis longtemps. Peu d'observateurs firent mine de remarquait qu'elle correspondait pour l'essentiel à la ligne de démarcation soviéto-nazie de 1939 et à l'ancienne limite séparant l'empire tsariste du royaume du Congrès. C'est ainsi, en l'absence de tout représentant du pays intéressé, que Staline persuada les puissances alliées d'adopter les vues de la Russie impériale sur le territoire national de la Pologne." (p.97)
"La capitale, Varsovie, était le seul lieu où un gouvernement indépendant aurait pu être établi, car là, le haut-commandement de l'armée de l'Intérieur disposait d'une force clandestine concentrée, 150 000 hommes armés environ, cachés par population fanatiquement patriote et rongeant leur frein en attendant l'ordre de se battre. En juillet 1944, devant le flot de cette même offensive qui amenait le Comité de libération nationale à Lublin et les avant-gardes de l'Armée rouge sur les rives de la Vistule, le général Bor-Komorovski, chef de l'AK, pesait le pour et le contre de la décision la plus tragique de la guerre en Pologne. Tous ses conseillers voulaient que la capitale fût libérée par une action militaire nationale, il le savait et tout le monde voulait voir la ville libérée aux mains d'une administration fidèle au gouvernement national, il le savait. Il savait aussi que dans l'ambiance enfiévrée du moment, les habitants risquaient de se soulever de leur propre initiative contre les Allemands haïs.
Tout était une question de date. S'il donnait l'ordre trop tôt, les Allemands auraient encore la force d'écraser l'insurrection ; s'il le donnait trop tard, les Soviétiques entreraient sans opposition dans la ville [...] Le seul moment propice se situerait dans l'intervalle de deux ou trois jours, après une nouvelle avance des Soviétiques obligeant la garnison allemande à se replier, mais avant leur arrivée en force. Le 20 juillet, l'annonce de l'attentat contre Hitler à son QG de Rastenberg dans la Prusse orientale voisine fit penser que la Wehrmacht se disloquait, cependant que l'évacuation des services civils allemands de Varsovie paraissait être le signal de la retraite. Le 19, Radio Moscou appela les Varsoviens à se soulever, une division blindée soviétique franchit la Vistule pour établir une tête de pont à Magnuszew, à 60 km au sud-est et le 31, quand une patrouille de T34 fut aperçue de Praga dans les faubourgs est de la capitale, il sembla inconcevable que l'heure décisive n'eût pas sonné. A 17h30, Bor-Komorovski lança son ordre: "Demain à 17h vous engagerez l'opération Tempête à Varsovie".
Résultat: l'horreur intégrale. Au moment même où l'AK sortait ses canons de leurs cachettes et se rassemblait dans les caves et les entrepôts, la 9ème armée allemande franchissait les ponts de la Vistule pour lancer une contre-attaque. La garnison de Varsovie était renforcée par l'envoi de la division SS Viking, le régiment SS Hermann Göring, des unités de la police militaire, ainsi que les infâmes brigades Dirlanger et Rona. Ces forces, commandées par le général von dem Bach-Zalewski et comprenant un fort contingent de bataillons disciplinaires, de bagnards, et d'anciens volontaires soviétiques acculés au désespoir, eut la possibilité d'écraser la rébellion en vase clos. Staline dénonça les chefs de l'AK comme une "poignée de criminels avides de pouvoir" et refusa l'aide de ses troupes.
Pendant soixante-trois jours, la bataille fit rage avec une sauvagerie sans précédent, tandis que l'armée Rouge à 1500 mètres au-delà du fleuve restait pratiquement passive. Quelque 250 000 civils moururent sous les bombardements, ou furent massacrés en masse. Des parachutages sporadiques de matériel effectués par des appareils britanniques et américains venus d'Italie n'apportèrent pas grand soulagement [...] Immeuble par immeuble, rue par rue, égout par égout, l'AK fut refoulée avec des pertes effrayantes dans une minuscule enclave au cœur de la ville. Le 2 octobre, Bor-Komorovski capitula, les survivants furent évacués, Hitler ordonna que Varsovie fût "rasée sans laisser de traces". C'était la fin de l'ordre ancien en Pologne. Après cela, l'AK brisée, il ne resta plus personne pour lutter efficacement contre le communisme. Les nazis avaient fait le travail des Soviétiques." (p.99-100)
"La plupart de ses hommes qui ne voulaient "ni Hitler, ni Staline" payèrent ce refus de leur vie. [...]
On peut donc dire qu'en Pologne les conférences de Yalta et de Postdam ne mirent pas fin à la Seconde Guerre mondiale. Elle s'acheva sur le terrain, dans les bois et les montagnes où elle avait fait rage avec une violence sporadique depuis 1939. Le dernier coup de feu ne fut tiré que près de trois ans après la réoccupation des ruines de Varsovie." (p.103)
"Les pillages et démantèlements brutaux qui avaient caractérisé la libération, furent remplacé par une exploitation plus systématique. Au terme du désastreux accord sur les frontières et les réparations du 16 août 1945 [...] la Pologne dut livrer treize millions de tonnes de charbon par an sur la période 1946-1950 au prix de 1.3 dollars la tonne, c'est-à-dire un dixième du cours mondial. Ce tribut était imposé à un pays qui avait perdu 60% de sa capacité industrielle." (p.103)
"Lors de la bataille d'Angleterre à l'automne de 1940, les pilotes de chasse polonais finirent par constituer 20% des effectifs de la RAF. A elles seules deux escadrilles exclusivement polonaises [...] abattirent 109 appareils allemands (12% du total), soit une perte pour neuf victoires, rapport inégalé." (p.109)
"Personne ne peut mettre en doute que les forces armées polonaises, totalisant 228 000 hommes sous les armes en 1945, eussent donné un exemple éclatant de courage et d'abnégation dans la lutte contre l'Allemagne nazie." (p.110)
"En juin 1945, au milieu des festivités entourant la création des Nations Unies, à la veille de la dernière réunion des Trois Grands à Potsdam, les chefs de la résistance polonaise furent jugés à Moscou comme criminels de guerre. Des hommes qui avaient combattu les nazis plus longtemps que n'importe lequel des Alliés, dans des conditions d'une extrême dureté, furent publiquement flétris comme fauteurs de diversion et de subversion, accusés d'avoir collaboré avec les nazis et de s'être opposés au combat des Alliés contre l'Allemagne. Lors du procès de Moscou, seize dirigeants parmi les partisans du gouvernement polonais, y compris le dernier commandant en chef de l'armée de l'Intérieur le général Okulicki, le dernier délégué, J. S. Jankowski, ainsi que des personnalités en vue des partis socialistes, paysan, travailliste et nationaliste furent condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement et de travaux forcés. Plusieurs devaient mourir dans les geôles soviétiques.
Parmi toutes les abdications morales exigées par la Grande Alliance des démocraties occidentales avec l'URSS, aucune ne fut plus honteuse que celle-là." (p.119-120)
"Le gouvernement polonais lui-même resta à Londres, mais perdit toutes ses grandes accréditations diplomatiques dès que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis reconnurent le TRJN d'obédience soviétique à Varsovie en juin 1945." (p.121)
"L'attachement d'un peuple à son sol natal n'est pas déterminé par l'amour des statistiques. La perte d'un territoire n'est pas qu'un phénomène géographique, un changement sur la carte. C'est une atteinte au corps de la nation, à ses amarres et à ses traditions établies. Quant elle est accompagnée, comme dans le cas de la Pologne, par des transferts massifs de populations, elle entraîne une douloureuse rupture avec tout ce que l'on tenait pour le plus cher. [...]
Arracher les racines d'une famille pour les replanter ailleurs, laisse dans la meilleure des hypothèses des traces indélébiles ; multipliées des millions de fois, l'opération infligea au pays une secousse qui en ébranla la société pour des décennies." (p.125)
"Les Polonais qui avaient choisi de rester à l'Ouest furent traités en parias et les contacts voire la correspondance avec les émigrés devinrent un crime." (p.128)
"Pendant les douze années écoulées entre 1944 et 1956, alors que la Pologne était gouvernée par des satrapes rouges résidents, le souvenir de son rôle dans toutes les composantes de la victoire n'ayant pas de liens directs avec le camp soviétique fut systématiquement effacé des annales." (p.129)
"Quant, en août 1914, l'Europe entra dans le temps de l'épreuve, la Pologne n'existait pas. On ne trouvait pas son nom sur les cartes, vingt à trente millions d'hommes qui auraient pu se dire polonais étaient sujets du tsar russe, du kaiser allemand ou de l'empereur-roi autrichien et aucun vivant ne pouvait se rappeler le temps où la Pologne avait été un Etat indépendant. [...] La "question polonaise" continuellement remise sur le tapis au XIXème siècle avait pratiquement disparu de l'agenda diplomatique. Pourtant, la Grande Guerre allait la tirer de l'oubli en transformant la carte de l'Europe. Les bouleversements dans l'est du continent furent aussi rapides qu'inattendus. En jetant les trois grands empires les uns contre les autres, la guerre provoqua leur mutuelle destruction. En cinq ans, une Pologne indépendante avait resurgi, en sept ans elle avait repoussé une série d'attaques de ses voisins méfiants et fixé ses frontières -vingt-cinq ans plus tard, elle était morte. Toute l'expérience d'une indépendance moderne avait duré le temps d'une génération." (p.133)
"On oublie souvent que les pertes en vies humaines et en biens sur le front oriental furent presque aussi grandes en 1914-1918 qu'en 1939-1945. Il était pourtant inévitable qu'avec quelque 2 millions de soldats servant dans les armées russe, allemande et autrichienne à n'importe quel moment de la guerre, alors que les plus grandes batailles faisaient rage au cœur du pays -à Tannenberg, Lodz, Gorlice, Przemysl, sans compter l'offensive de Broussilov en direction des Carpates- les pertes polonaises fussent considérables: plus de 550 000 blessés et 50 000 morts chez les militaires et bien davantage chez les civils." (p.136)
"Tout comme Lénine expédié en Russie dans un wagon plombé dix-huit mois auparavant, Pilsudski fut expédié à Varsovie pour y servir un dessein bien précis. Comme le bolchevique, il "trouva le pouvoir dans la rue" et n'eut qu'à le ramasser.
On peut pardonner aux Polonais de croire qu'en 1918, ils ont "arraché l'indépendance à la pointe de l'épée", mais tel ne fut pas le cas. Ils se sont effectivement beaucoup battu pendant la Grande Guerre et ils ont effectivement gagné leur indépendance, mais sans qu'il y eût relation de cause à effet. La grande majorité de leurs soldats avait été engagée dans l'une ou l'autre des armées antagonistes sur le front est, et leurs efforts n'ont servi les intérêts polonais que dans la mesure où ils contribuaient à l'épuisement mutuel des puissances occupantes. Les seules formations ayant des objectifs politiques nationaux les légions de Pilsudski, furent dissoutes avant de les avoir atteints. L'indépendance a été due à un concours de circonstances échappant dans une large mesure au contrôle des intéressés. Beaucoup y virent un miracle, voire un coup du hasard." (p.138-139)
"La république dont Pilsudski prit le contrôle le 11 novembre 1918, avant d'être nommé chef d'Etat le 14, n'avait ni frontières, ni territoire délimité, ni gouvernement, ni constitution, ni statut international. Elle n'existait, mais personne ne pouvait définir nettement ni sa nature, ni sa superficie. Pourtant, la plupart des Polonais voyaient en elle la réincarnation de celle qui avait été détruire à la fin du XVIIIème siècle, aussi l'appelèrent-ils la "Deuxième République". [...]
Malgré les assertions de nombreux manuels, la conférence de la paix à Paris ne joua qu'un rôle secondaire. Bien plus, la majeure partie du territoire polonais fut conquise par les armes au cours d'une série de guerres locales livrées au mépris des injonctions de celle-ci." (p.139)
"Sur les dix guerres de frontières livrées pendant ces trois années -contre l'Allemagne (Posnanie et Silésie) la Tchécoslovaquie, la Lituanie, l'Ukraine occidentale et la Russie soviétique- seule cette dernière (1919-1920) présentait une importance dépassant le plan local. Elle commença presque par défaut, les deux armées pénétrant dans de vastes territoires évacués depuis peu par les Allemands ; mais il était évident que l'avenir de ces confins orientaux n'était pas qu'une affaire de possessions territoriales. Pour les bolcheviques dans toute l'exaltation de leur enthousiasme révolutionnaire, avancer vers l'ouest était une nécessité idéologique afin d'assurer la survie de leur mouvement en Russie. Ils considéraient la Pologne comme le pont à franchir pour relier la Russie à l'Allemagne et aux autres pays industrialisés d'Europe où la révolution aurait dû être déclenchée en premier.
Aux Polonais et à Pilsudski en particulier, ce conflit fournissait un test, le moyen de savoir si l'empire tsariste pouvait être reconstruit par les bolcheviques et si les pays limitrophes étaient en mesure de résister à l'impérialisme russe sous sa forme "socialiste". [...]
L'armée soviétique subit là [aux portes de Varsovie] la seule défaite qui ne fut pas vengée dans toute son histoire fort distinguée. Lénine, reconnaissant l'erreur d'avoir cru que ses troupes seraient les bienvenues en Pologne, demanda la paix et des négociations s'ouvrirent à Riga, dans la Lettonie neutre. Le 18 octobre [1920], juste avant la fin des combats, Pilsudski arracha sa chère Wilno aux Lituaniens. Le traité de Riga, signé le 18 mars 1921, divisait les confins entre la Pologne et les Républiques socialistes, établissait des relations diplomatiques et achevait ces luttes territoriales de façon assez satisfaisante." (p.141-142)
"Durant les années qui suivirent 1918, les pays européens tombèrent les uns après les autres dans les rets de dictature aux types divers. Depuis la "marche sur Rome" de Mussolini en 1922, jusqu'à l'invasion de l'Espagne républicaine par Franco en 1936, les démocraties du Vieux Continent s'écroulèrent comme des quilles devant l'assaut des dictateurs. En Europe centrale et orientale, le régime parlementaire dura jusqu'en mars 1939 en Tchécoslovaquie, soit vingt ans, le record ; en Autriche, il ne dura que dix-neuf ans, en Allemagne, seize, en Yougoslavie, neuf et en Pologne, tout juste sept." (p.146)
"Les finances publiques étaient dans un état chaotique, la Pologne connaissant, comme l'Allemagne et la Hongrie, plusieurs années d' "hyperflation" catastrophique [...] Un minimum de stabilité ne fut atteint qu'en 1923 grâce aux réformes de Wladyslaw Grabski et à la création du zloty sous le contrôle d'une nouvelle Banque de Pologne ; quant à l'équilibre du budget, il dut attendre 1926 pour être réalisé. Jusqu'à ce moment, impossible d'espérer des investissements étrangers ou l'expansion de l'infrastructure économique si primitive. Plus inquiétant encore, l'armée répugnait à soumettre ses affaires au contrôle des civils. Avec Pilsudski remâchant ses rancœurs sous la tente, et les officiers qui affichaient leur mépris devant les chamailleries des politiciens impuissants, le décor était planté pour une mutinerie." (p.147)
"Le coup d'Etat de mai 1926 ébranla le pays jusque dans le tréfonds. Huit ans seulement après avoir arraché l'indépendance aux oppresseurs étrangers, des Polonais avaient pris les armes contre leurs frères. L'armée, orgueil de la nation, avait été cassée en deux. Pilsudski violemment critiqué par nombre de ses anciens associés, comme le général Sikorski et le président Wojciechowski, était soutenu par la gauche, y compris les communistes qui craignaient un coup de force des nationalistes. Dans l'ensemble, la balance ne penchait pas en sa faveur, puisque le gros de l'armée et la plupart des citoyens restaient fidèles au président et au gouvernement, mais une grève du syndicat socialiste des cheminots fut décisive. Ayant perdu un certain nombre de points d'appui dans le centre de Varsovie, dont l'aéroport et la gare, le gouvernement ne put amener des renforts et au bout de trois jours les hommes de Pilsudski avaient pris tous les édifices clefs, ainsi que les principales personnalités officielles. Le 14 mai, président et Premier ministre durent capituler et démissionner. Pendant les 9 ans qui lui restaient à vivre, Jozef Pilsudski allait être le maître absolu du pays.
Le régime mis en place après le mois de mai est bien difficile à classer. [...] Elle n'était en tout cas nulle fascisant puisque les seuls sympathisants de cette doctrine en Pologne se trouvaient parmi les adversaires du maréchal, ni dictatoriale en ce sens que parlement, partis politiques et opposition continuaient à fonctionner. Pilsudski se contentait de diriger les affaires depuis les coulisses, de camoufler son pouvoir personnel derrière une façade parlementaire et d'intimider l'opposition par des méthodes policières et un harcèlement musclé." (p.149)
"La Pologne de Pilsudski ne manquait pas d'aspects positifs. En apparence au moins, elle rayonnait de confiance débonnaire. Sa vie culturelle connaissait une véritable explosion de talents littéraires et artistiques. La vie économique, si elle n'était pas vraiment prospère, avait au moins une certaine stabilité. Le zloty restait attaché à l'étalon-or. La répression ne touchait pas la masse de la population. Il n'y avait pas d'idéologie imposée. Le grand maréchal était très admiré et sincèrement aimé.
Pourtant le système, comme son chef lui-même, était sérieusement malade. Dans les campagnes, la misère était grande ; le chômage atteignit 40% dans l'industrie lors de la dépression [...] Une nouvelle constitution dévoilée en avril 1935 allait dans le sens d'un autoritarisme accru. Les maux de la société étaient mis sous le boisseau et non pas traités. Quand le maréchal mourut d'un cancer un mois plus tard, le chagrin de la nation se teinta indiscutablement d'appréhension." (p.150-151)
"[Le colonel] Beck ne se montra pas moins inébranlable dans son refus des propositions allemandes pour une attaque conjointe contre l'Union soviétique que dans son opposition à celles des Occidentaux qui lui demandaient de laisser entrer les troupes russes en Pologne pour contenir l'Allemagne." (p.152)
"Un pacte de non-agression entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique fut officiellement signé à Moscou par Ribbentrop et Molotov le 23 août 1939 -un protocole secret prévoyait des arrangements territoriaux comportant le partage de la Pologne le long d'une ligne Narew-Vistule-San. C'était un arrêt de mort pour elle." (p.153)
"Après la destruction de la vieille république polonaise en 1795, ses anciens citoyens se trouvèrent dans un monde qui leur était étranger. Leur involontaire sujétion aux puissances copartageantes était cruellement ressentie en particulier par la noblesse dirigeante, mais c'était une réalité que nul ne pouvait modifier. Par un traité additionnel de 1797, elles étaient même convenues de supprimer le nom de "Pologne" et bien que plusieurs tentatives eussent été faites ultérieurement pour rétablir un Etat, aucune des créations éphémères de la diplomatie napoléonienne et postnapoléonienne ne jouit d'une véritable souveraineté, ni ne réussit à réunir tout le peuple sous une seule autorité." (p.182)
"Durant cinq longues générations, l'écrasante majorité des Polonais ne connut que la domination étrangère et l'oppression politique. Une de ces métaphores religieuses si aimées des poètes romantique décrit le pays crucifié et son corps descendu au tombeau où il attend la résurrection." (p.184)
"L'histoire du pays au XIXème siècle ne peut être abordée avec les méthodes que l'on applique à celles de la Grande-Bretagne, de la France ou de la Russie, ni à celles des pays plus heureux qui se forgèrent eux-mêmes leur identité, comme l'Allemagne et l'Italie. Pendant la majeure partie de cette période, la "Pologne" ne fut qu'une idée -souvenir du passé ou espoir pour l'avenir." (p.184)
-Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986 (1984 pour l'édition britannique), 542 pages.
"En 1945, sept ans seulement s'étaient écoulés depuis la liquidation totale du KPP (Parti communiste polonais) ainsi que l'exécution de 5000 environ de ses militants ordonnée par Staline et trois ans seulement depuis la formation du PPR (Parti des travailleurs polonais) qui l'avait remplacé. Même si à ce stade les communistes polonais avaient voulu prendre le pouvoir, ils étaient bin trop peu nombreux pour y parvenir." (p.25)
"Le premier gouvernement élu entre en fonction le 6 février 1947, dans des circonstances que la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis dénoncèrent comme incompatibles avec l'accord de Potsdam sur des "élections libres et sans entraves". A sa tête, un candidat du Bloc démocratique d'obédience soviétique, le socialiste ancien détenu d'Auschwitz, Jozef Cyrankiewicz. Ce fut lui qui présida un temps voulu à la transformation de son gouvernement pseudo-démocratique en un Etat de style purement soviétique avec parti unique. Il fut récompensé par une carrière qui dura vingt-cinq ans." (p.25)
"La constitution promulguée le 22 juillet 1952, huitième anniversaire de la domination russe sur la Pologne, semblait instaurer une démocratie modèle, avec garantie des libertés civiles, suffrage universel, gouvernement parlementaire comprenant conseil d'Etat, autour du président, Sejm ou diète formée de députés élus, et conseil des ministres responsable devant elle. En pratique, cette "démocratie populaire" était une fiction légalisée. Les "travailleurs de la ville et de la campagne" désignés par la constitution comme détenteurs du pouvoir politique, étaient en fait ses victimes impuissantes. Ils n'avaient ni le droit de présenter leurs propres candidats au gouvernement central et local, ni celui de donner leur avis sur le fonctionnement du Parti qui s'était arrogé la prérogative de diriger l'Etat en leur nom. Toute la puissance réelle était détenue par le bureau politique du Parti, son premier secrétaire et l'élite privilégiée de la nomenklatura qu'il nommait [...] La réalité, c'était la dictature du Parti sur le peuple.
Le moteur de la politique stalinienne était alimenté par la paranoïa émanant des plus hautes sphères à Moscou, née de la conviction que le bloc soviétique allait être attaquée par les forces déchaînées de l'impérialisme américain, doté de la bombe H. Résultat: une frénésie de réarmement et des projets de construction gigantesques. La conscription porta les effectifs de l'armée polonaise permanente à 400 000 hommes et le corps des officiers fut politisé grâce à l'Académie militaire politique (WAP) fondée en 1951: après quoi, en 1955, la Pologne devint membre fondateur du pacte de Varsovie, riposte du bloc soviétique à l'OTAN." (p.27)
"Sur le front économique, le Conseil de l'aide économique mutuelle (Comecon) qui allait répondre au Marché commun, avait été crée dès 1949 pour faciliter l'harmonisation des plans. Il donnait priorité absolue à l'industrie lourde -charbon, fer et acier surtout- ainsi qu'aux fabrications d'armements. De nouvelles villes et de nouveaux faubourgs construits à la hâte durent loger l'afflux des travailleurs venus de la campagne. Pour assurer une production alimentaire suffisante, l'agriculture fut collectivisée de force et la paysannerie, arrachée à ses terres puis livrée aux "Entreprises agricoles polonaises" (PGR) qui ne se différenciaient des kolkhozes que par le nom. Pour rompre l'attachement traditionnel du peuple à la religion, des attaques directes visèrent l'Église catholique." (p.28)
"Même ainsi, le stalinisme n'atteignit jamais un degré de férocité égal à celui dont souffraient les pays voisins. Les procès politiques ne se transformèrent ni en représentations à grand spectacle ni en purges massives ; la classe moyenne et les intellectuels, bien que harcelés, ne furent liquidés. On n'osa pas supprimer l'Église ; les paysans ne furent ni déportés ni réduits à la famine, la collectivisation, fort lente, demeura incomplète." (p.29)
"Le défi lancé par Gomulka à l'Union soviétique en octobre 1956 créa un volant de vapeur qui allait faire tourner les roues de la vie politique polonaise pendant les vingt-cinq années suivantes. Il prouva que les communistes de ce pays pouvaient diriger leurs affaires sans la supervision directe de leurs conseillers soviétiques -tout en restant fidèles à l'URSS. Suivant en cela la tendance dominante dans le reste du monde communiste, Gomulka soutenait que "de nombreuses voies menaient au socialisme". Il rejetait toute imitation servile du modèle soviétique et croyait fermement que les traditions particulières de la Pologne exigeaient un type particulier de communisme national. Dans le même temps, témoin du sort réservé à son camarade Imre Nagy et autorisé à assister personnellement à un essai nucléaire en Russie, il était bien conscient de ses limites. De plus, malgré l'élan de popularité qui l'avait porté au départ, il avait trop d'expérience pour croire que ses compatriotes aimaient vraiment leurs communistes. Un "rouge" du cru pouvait être jugé préférable à un communiste russe, mais en dernière analyse tout le monde savait parfaitement que le régime reposait sur la puissance du grand voisin. D'où le marché: un type de communisme national autonome contre la poursuite de la subordination envers l'URSS. D'Etat fantoche, la République populaire de Pologne devenait Etat client.
A la suite de son entente avec les Soviétiques -scellée pendant sa visite à Moscou en novembre 1956- Gomulka fut autorisé à faire une série de concessions stratégiques aux revendications populaires et à laisser subsister les trois éléments spécifiques de l'ordre polonais -une Église catholique indépendante, une paysannerie libre et une curieuse espèce de pluralisme politique factice. Avec le recul du temps, on voit qu'elles étaient conçues comme des mesures provisoires, destinées à être abrogées dès que le PZPR se sentirait assez fort pour progresser vers le modèle orthodoxe de la société socialiste. Pas un communiste convaincu n'aurait admis que le but ultime était de laisser une Pologne catholique avec des paysans libres et une arène politique ouverte. Ce qui se passa en réalité, bien entendu, c'est que le PZPR ne disposa jamais ni de la force, ni de la confiance nécessaires pour dépasser le niveau des compromis. Au contraire, tandis que le Parti pataugeait au milieu de crises sans cesse plus rapprochées, l'Église, les paysans et les dissidents politiques se renforçaient toujours davantage. Finalement, après vingt-cinq ans de stratégie, ce fut le Parti qui s'effondra et non pas ses adversaires.
Après la Deuxième Guerre mondiale la position de l'Église catholique se révéla plus forte qu'à n'importe quelle période de sa mission millénaire. On peut l'expliquer en partie par les souffrances des années de conflit qui avaient incité à rechercher les consolations de la religion, en partie par l'esprit de contradiction inhérent à l'espèce humaine qui renforçait la fidélité à l'Église justement parce que le gouvernement l'interdisait, mais surtout par le remodelage ethnique et culturel de la société pendant et après la guerre. Lors du premier partage en 1773, les catholiques représentaient à peine 50% de la population totale ; en 1921, à l'intérieur des nouvelles frontières, ils étaient 66% ; en 1946, à la suite du massacre des juifs par les nazis et de l'expulsion des Allemands ainsi que des Ukrainiens, la proportion atteignait 96%. Pour la première fois de son histoire, la Pologne était un pays vraiment et même massivement catholique et c'est à lui qu'on imposa un gouvernement communiste athée ! [...] [Le Parti] choisit donc la voie de la discrétion et proposa un compromis qui se résumait à ceci: il s'abstiendrait d'attaquer l'Église si celle-ci s'abstenait de miner l'Etat. Elle fut exclue des écoles et des média, mais autorisée à entretenir librement des relations avec le Vatican, à garder le contrôle total des nominations ecclésiastiques, de ses propriétés et de ses finances, enfin une liberté absolue dans l'exercice du culte. Elle conservait ses séminaires, ses organismes sociaux et culturels et son université à Lublin (KUL). C'est l'unique Église vraiment indépendante dans tout le bloc soviétique.
L'accord décisif de décembre 1956 fut confirmé dans le détail par la constitution apostolique du 26 juin 1972. Évidemment, en concluant ce marché, les communistes pensaient que le temps travaillerait pour eux. Les sociologues avaient prédit que l'industrialisation rapide et l'urbanisation briseraient les structures traditionnelles de la société et les liens de la population avec son Église. Or ils se trompaient. Le nouveau prolétariat ouvrier se révéla tout aussi ardemment catholique que la vieille paysannerie l'avait été. Le pays n'a pas suivi la voie de l'indifférence religieuse si commune en Europe occidentale. L'inlassable lutte menée pendant vingt ans par la population de Nowa Huta pour construire son église dans un faubourg industriel modèle, officiellement conçu sans édifice du culte, symbolise le triomphe de l'Église dans la société polonaise moderne tout entière. L'élection en 1978 du cardinal Wojtyla au pontificat sous le nom de Jean-Paul II la marqua du sceau suprême.
La survie de la paysannerie a également fait mentir les prévisions. Quant il arrêta la campagne de collectivisation de la période stalinienne, Gomulka avait présentes à l'esprit ses expériences de jeune néophyte en Ukraine où il avait vu de ses yeux les massacres en masse et la famine vingt ans plus tôt. Il ne souhaitait pas de semblables désastres à son pays. Les fermes collectives ne furent maintenues que dans les rares régions où elles constituaient la meilleure solution -comme dans les immenses propriétés des territoires repris à l'Allemagne. Un peu plus de 80% des terres cultivées revinrent aux exploitations privées des familles paysannes. Là encore comme dans le cas de leur politique religieuse, les communistes estimaient qu'ils avaient le temps pour eux. Certes, ils n'éprouvaient aucune sympathie pour les cultivateurs considérés comme des anachronismes aux tendances "antisociales" ; mais une fois encore les experts pensaient qu'en une génération ou deux cette classe périrait par extinction. Inutile de l'écraser par la force à la russe si sa position pouvait être progressivement érodée par le monopole de l'Etat sur les prix et les attributions de machines agricoles, les ventes d'engrais, les chicanes administratives concernant les actes de propriété et les investissements massifs dans le secteur public. Seulement, dans la réalité, cette politique se révéla catastrophique. En persécutant la classe qui nourrissait le pays, elle ôta au secteur privé les moyens d'adopter des méthodes modernes, sans pour autant élever le rendement dérisoire des fermes d'Etat. Après quarante ans de ce système, la Pologne est au bord de la famine. Elle qui possède des terres arables parmi les plus étendues et les plus fertiles d'Europe, où devraient couler le lait et le miel, connaît le fléau de la disette. Le manque de pain a provoqué des désordres répétés qui ont à leur tour déclenché des crises politiques. e rationnement et les queues font désormais partie de la vie quotidienne -mais la paysannerie indépendante survit." (p.30-33)
"C'est seulement après une longue période de déceptions accumulées que Gomulka et son successeur Edward Gierek en convainquirent leurs sujet: le régime communiste faisait semblant d'évoluer vers la libération politique et n'avait aucune intention d'accorder des concessions durables. Une opposition active resurgie pour la première fois en mars 1968, explosa de nouveau en 1970, 1976 et -de façon décisive cette fois- en 1980 avec l'apparition de Solidarité qui annonçait l'effondrement imminent du système établi.
Pendant les vingt-quatre années qui suivirent l'établissement du régime communiste national par Gomulka, les fortunes du PZPR connurent deux grandes vagues de flux et de reflux -la première associée au gouvernement de Gomulka lui-même jusqu'en décembre 1970, la seconde avec celui de Gierek de décembre 1970 à septembre 1980, la carrière des deux dirigeants suivant d'ailleurs une courbe remarquablement semblable. L'un comme l'autre, vécut d'abord une lune de miel pendant laquelle il parut avoir honorablement sauvé le pays d'un sort pire que la mort (une invasion soviétique). Pour le premier, elle dura trois ou quatre ans, pour le second, peut-être deux. Ensuite ce fut pour chacun une période où les espoirs d'une nouvelle politique économique compensaient les déceptions sur le front politique. Gomulka réussit sa "petite stabilisation" entre 1960 et 1967 ; Gierek lança son audacieux plan de modernisation en 1972, alors que se multipliaient les signes de prospérité grandissante. Ensuite, ils survécurent à un violent défi porté à leur autorité, le premier aux événements de 1968, le second à ceux de juin 1976 -puis se prolongèrent pendant une saison au milieu des ruines de leurs plans jusqu'à ce qu'un autre choc brutal mît fin à leurs souffrances. Gomulka fut éjecté par les émeutes de décembre 1970 sur la côte balte ; Gierek, par les grèves de 1980." (p.34-35)
"Avec près de dix millions de membres, Solidarité représentait presque chacune des familles polonaises et exprimait donc la volonté de l'écrasante majorité du pays. Ensuite, le mouvement resta fidèle à son idéal de non-violence. Rien n'avait été fait pour lui donner les moyens de se défendre. Quand, le 13 décembre 1981, les forces de sécurité communistes l'attaquèrent avec chars, canons et matraques, il n'avait ni armes, ni réseau de communications indépendant, ni plan de campagne. C'est de là que découle son impérissable victoire morale." (p.39-40)
"Il est probable que l'invasion soviétique dont la menace plana en décembre 1980 fut annulée en échange de la promesse d'une intervention polonaise qui ferait le travail à sa place.
La première mesure fut prise en février 1981 quand le général Wojciech Jaruzelski, ministre de la Défense, devint Premier ministre, la deuxième -en septembre- avec l'éviction de Kania, symbole vivant de la paralysie du Parti et la nouvelle promotion de Jaruzelski au poste suprême de secrétaire du Parti." (p.42)
"Le coup du général Jaruzelski, le 13 décembre 1981, prit presque tout le monde par surprise: les experts occidentaux, qui avaient prétendu à de rares exceptions près que la structure du système soviétique excluait la prise du pouvoir par les militaires, les membres du conseil d'Etat qui n'eurent guère que deux heures pour légaliser l' "état de guerre", les dirigeants de Solidarité qui furent pour la plupart arrêtés dans leur lit pendant la première nuit. La majorité des Polonais trouva en s'éveillant au matin du 13 décembre des chars dans les rues, des postes de contrôle militaire à tous les carrefours routiers et la proclamation de la loi martiale (imprimée à l'avance en Union soviétique) placardée dans tous les coins. Pendant la semaine suivante, la plupart des grèves de protestation qui éclatèrent spontanément dans les mines, les chantiers navals et les usines à travers tout le pays furent brisées par des brigades mobiles de ZOMO [brigades paramilitaires] opérant derrière des cordons de troupes régulières." (p.44)
"Pendant toute l'année 1982, la Pologne fut officiellement gouvernée par un Conseil national de salut public (WRON) [...] Le général Jaruzelski présidait un groupe exclusivement composé, selon ses propres termes, d'officiers en activité. Des dizaines de milliers d'innocents furent arrêtés sans motif et 10 000 environ, internés dans 49 camps. On parla de sévices et de morts. D'innombrables citoyens furent contraints de signer des "engagements de loyalisme" (c'est-à-dire de déloyauté envers Solidarité) sous peine de perdre leur gagne-pain, voire leur vie. Tous les organismes et institutions officiels depuis les ministères jusqu'aux gares en passant par les bibliothèques publiques furent soumis aux ordres d'un commissaire militaire et épurés des éléments peu sûrs, les principales industries, nationalisées, les travailleurs, soumis à la discipline militaire. Les dispositions de la loi martiale permettant aux autorités d'imposer le couvre-feu, de limiter tous les déplacements, d'enregistrer toutes les communications téléphoniques, d'interdire tous les réunions et de sanctionner la moindre velléité d'opposition par des amendes ou des arrestations immédiates. Des aveux implicites contenus dans ses propres déclarations, il ressort que le WRON avait déclaré la guerre à la société polonaise." (p.44-45)
"Peut-être le WRON crut-il attaquer la crise à ses racines ; en fait il ne faisait qu'gratiner la surface. Aucun secteur important de la société polonaise ne fut gagné à la cause du communisme." (p.46)
"La situation économique continuait de se dégrader. Contrairement aux assertions de la propagande officielle qui avait rejeté tout le blâme sur Solidarnosc, la disparition de celui-ci n'apporta aucune amélioration. En fait malgré une modeste augmentation dans un ou deux secteurs comme la production charbonnière, la productivité industrielle baissa. Pour la quatrième année consécutive, le PNB polonais subit une baisse catastrophique de plus de 15%, tandis que le montant de la dette extérieure approchait des 30 milliards de dollars, obligeant à rééchelonner le paiement des intérêts courants eux-mêmes. La demande de denrées alimentaires diminua sous le choc d'augmentations allant jusqu'à 300%, en février, mais la plupart des Polonais continuèrent à faire les queues qui étaient désormais partie intégrante de la vie quotidienne. Le gouvernement exprima l'espoir d'arriver à l'équilibre dans ce domaine en 1990. Le niveau de vie chuta de façon vertigineuse. L'écart entre le pouvoir d'achat d'une famille moyenne et les marchandises disponibles continua à s'élargir, bien que les revenus réels eussent baissé de plus de 25%. Avec un déficit budgétaire qui galopait dans les centaines de milliards de zlotys, les finances de l'Etat échappaient à tout contrôle. Seule la brutale réduction des importations permit de limiter le déséquilibre du commerce extérieur, ces importations dont l'industrie avait un besoin vital pour se moderniser. La Pologne qui est un pays riche, doté de ressources naturelles considérables, sombra dans une pauvreté abjecte, sans exemple en Europe." (p.47)
"Les citoyens moyens d'un Etat communiste sont tellement empêtrés dans les mailles d'une réglementation tatillonne que l'humble soumission envers les autorités est le seul moyen d'être tranquille. Permis, licences et tampons officiels sont exigés pour la plupart des démarches de la vie courante. [...] L'individu est contraint de limiter ses habitudes et ses aspirations aux normes étroites établies par les autorités régnantes." (p.56)
"Le système économique polonais n'a pas la moindre autonomie. Organisé sur la base de la planification centralisée, selon le modèle soviétique, il était destiné à maintenir tous les moyens de production et de distribution sous le contrôle monopolistique du Parti. En outre, depuis que les commissions au plan des membres du Comecon sont obligées de suivre les directives élaborées par celui-ci et qu'il a adopté une stratégie de spécialisation des tâches économiques assignées à chacun, seule l'URSS peut espérer suffire un jour à ses besoins. (La Roumanie a bien tenté de résister à l'intégration totale vers 1960, mais elle a été peu à peu obligée de céder). Chose étrange, la crise polonaise parviendra peut-être à disloquer les économies intégrées de tout le bloc soviétique. On a constaté que les insuffisances dans sa production et ses livraisons avaient des répercutions étendues. En revanche, alors que les deux tiers de son commerce extérieur se font dans la sphère du Comecon, que 80% de son pétrole et de son minerai de fer viennent de l'URSS, il serait inconcevable qu'elle pût poursuivre longtemps une politique économique divergente sans le soutien et l'approbation préalable du Kremlin." (p.59)
"Les commentateurs occidentaux qui regardent le monde soviétique se trouvent en face de murs d'incompréhension. Ils ont peine à imaginer un système où l'absence de loi officielle est la norme et non l'exception et plus de peine encore à convaincre un auditoire sceptique, conditionné pendant des siècles par des postulats opposés.
Ils comprennent bien l'état de nature (tout le monde a droit à tout) qui selon Hobbes a précédé la formation des gouvernements, mais non pas un gouvernement qui fonctionne sans la fiction hobbesienne d'un contrat social entre gouvernants et gouvernés. Après tout, disent-ils, le philosophe anglais a inventé celui-ci pour justifier l'absolutisme et non la démocratie (comme si jamais quelqu'un avait prêté attention à Hobbes en Russie). Ils se cabrent à l'idée d'un régime dont les gardiens peuvent changer les règles de leur idéologie d'un jour à l'autre, selon leurs convenances et à la stupéfaction générale. Ils voient les structures rigides des transmission, mais non pas l'infinie flexibilité du centre. Peut-être manquent-ils tout simplement du vocabulaire nécessaire pour décrire ce qu'ils voient (tout comme la destitution d'un président américain et la perspective d'un impeachment dans le bon vieux style cromwellien laissèrent les commentateurs russes littéralement sans mots pour en rendre compte).
Mais en réalité, les analystes occidentaux ont bel et bien la terminologie voulue. L'absence de lois, qu'il ne faut pas confondre avec la transgression de la loi, n'est pas inconnue dans les sociétés occidentales. Peut-être est-elle étrangère à leurs théories politiques, à leurs notions (romaines) du droit, et à leurs pratiques démocratiques ; mais c'était assurément la base de l'ordre social sur la vieille "frontière" américaine et le phénomène est devenu familier, trop familier dans les faubourgs les plus "chauds" des grandes villes occidentales. Le milieu, avec ses parrains et ses cousins, ses syndicats et ses alliances, ses rackets et ses pots de vin, ses voyous et ses hommes de main répond à une culture politique où l'illégalité est un mode de vie et où les honnêtes gens protestent à leurs risques et périls. Pour le mafioso comme pour le léniniste, la puissance de Cosa Nostra est le dieu suprême auquel tous les autres principes doivent être subordonnés." (p.63-64)
"La nature même du système communiste alimente les mécanismes de la sélection négative. Premièrement la condition essentielle pour toutes les recrues étant une soumission aveugle à la discipline du Parti, il s'ensuit que les personnalités entreprenantes, imaginatives ou excentriques sont désavantagées dès le départ. Même si ces sujets entrent au Parti, ils n'ont pas beaucoup de chance d'y monter en grade. Deuxièmement, les dogmes de l'idéologie officielle ne pouvant être contestés par les jeunes camarades, il y a peu de place pour les esprits ouverts, curieux, ou portés à l'intellectualisme. Un excès d'intelligence risque fort d'être récompensé par l'exclusion. Troisièmement, le système des promotions se fondant sur les recommandations des instances supérieures aux inférieures, l'avancement dépend moins de l'attachement aux beaux principes que de l'habileté à se plier aux caprices d'un patron. Les scrupules ont tendance à enchaîner aux échelons les plus bas de l'échelle." (p.68)
"Le processus de sélection négative entretenu pendant plus d'une génération a abouti à faire gouverner le pays par ses éléments les plus médiocres." (p.69)
"Le niveau moyen de culture, d'intelligence et de probité dans la nomemklatura polonaise est très inférieur aux normes qui prévalent partout ailleurs chez ses compatriotes instruits -Église, arts, sciences et professions libérales. On peut reprocher, même aux pays démocratiques, de ne pas toujours se donner des dirigeants dotés de talents les plus éminents (et le reproche est grave). Mais qu'un pays soit gouverné à perpétuité et sans espoir de redressement par des hommes notoirement inférieurs -voilà qui est une vivante insulte." (p.69)
"En l'espace de vingt ans, le Parti s'aliéna presque tous les intellectuels en vue qui avaient essayé de le servir." (p.71)
"L'influence de l'Église sur les masses est forte ; or elle a toujours prêché la voie de la souffrance spirituelle de préférence à celle de la revanche. Traditionnellement les classes instruites, devenues beaucoup plus nombreuses, trouvent une consolation dans la littérature nationale, avec son monde de rêves tout faits pour ceux qui cherchent l'évasion." (p.76)
"En un quart de siècle, à partir de 1945, une société essentiellement rurale est devenue surtout urbaine -52% en 1971- et cela à une époque où un taux de natalité sans précédent, atteignant 30.7 pour mille en 1950, remplissait les foyers d'enfants. En d'autres termes, la famille typique des années 50 et 60 était composée de jeunes couples travaillant l'un et l'autre pendant de longues heures, luttant sans l'aide des grands-parents pour élever deux ou trois enfants dans les logements exigus et primitifs d'un lotissement à moitié achevé, au milieu d'une ville ou d'un faubourg où ils n'étaient qu'à moitié acclimatés. Dans un tel environnement, il s'agissait non pas de se plaindre ou de se rebeller, mais de livrer une bataille héroïque pour survivre. C'est seulement vers les années 70, alors que les Terres occidentales avaient été repeuplées, que le taux de natalité et l'exode rural diminuaient et que des salaires plus élevés apportaient une relative prospérité, que la génération d'après-guerre put réfléchir à sa situation. Et c'est seulement à la fin de cette période, quand la crise frappa de plein fouet, qu'elle découvrit combien de ses sacrifices avaient été vains." (p.76)
"Personne dans une société communiste ne peut échapper à la tyrannie de la devise non convertible. Ces mêmes planificateurs du Parti fixent les salaires et les prix, donc le niveau de vie, ont également décrété que la monnaie polonaise ne pourrait ni circuler au dehors, ni être librement échangée. Les autorités achètent le travail des ouvriers à bas prix en zloty ; mais ils ont toute latitude pour vendre les produits de ce travail sur les marchés mondiaux contre des monnaies fortes -dollar, mark, livre sterling ou yen. Ils peuvent ainsi déterminer non seulement les taux de change officiels -manipulable à l'infini- mais le coût réel du travail. Le mineur silésien dont le charbon est exporté en Allemagne de l'Ouest contre des marks n'est pas payé en monnaie convertible dans cette devise. Même s'il s'échine pendant cinquante ans, il n'aura jamais de quoi s'acheter une Volkswagen en échange du charbon qu'il a extrait pour la RFA. Les travailleurs polonais rétribués en monnaie d'Etat qui ne peut être dépensée que pour des biens produits et distribués par l'Etat au prix fixé par l'Etat sont victimes d'une immense escroquerie. Selon les manuels, ce genre de troc a été l'une des pratiques les plus vicieuses du capitalisme primitif. L'Angleterre l'a dénoncé comme une forme d'exploitation éhontée avant de l'interdire par une loi votée en 1831. C'est maintenant un des piliers de la politique des salaires dans les Etats communistes. Quand les mineurs silésiens entraînés par Solidarité ont demandé à être payés en dollars, ils faisaient une suggestion tout à fait raisonnable, mais ils ébranlaient aussi les fondations d'un système qui exploite ses travailleurs jusque dans les moindres détails." (p.78)
"Là ou la différence entre les valeurs reconnues par la société et celles que propage un Etat monopolistique est si extrême, l'individu ne peut qu'être soumis à des pressions morales également extrêmes. Il faut une bien grande force de caractère dans un Etat communiste pour rester fidèle à ses amis et à ses principes aux dépens de sa propre carrière, pour ne pas piller les biens publics, alors que les officiels du Parti donnent un si bel exemple, ou pour résister aux normes admises de la convivialité arrosée et de l'alcoolisme.
A tous les tournants, la tentation est là: obtenir de l'avancement en dénonçant les collègues, remédier à la pénurie de logement en glissant une enveloppe au conducteur des travaux du chantier de construction (à l'Etat) ou s'abandonner au désespoir en compagnie d'une bouteille de wodka. Même les admirateurs de la Pologne sont obligés d'admettre que toutes les formes mineures de la traîtrise, de la corruption et de l'irresponsabilité sociale prolifèrent. Dans une atmosphère aussi débilitante, une personne honnête a du mal à savoir où se trouve le devoir. Si un mari souhaite assurer de meilleures conditions de vie à sa famille, il sait qu'il ne peut le faire qu'en s'inscrivant au Parti et en oubliant tout ce que sa pieuse mère lui a enseigné sur son âme et sa conscience. Si une épouse veut aider son conjoint, elle sait où elle doit se faire bien voir. Si les professeurs veulent conserver leur poste, ils sont souvent amenés à donner des informations qu'ils savent être fausses, ou à taire ce qu'ils savent. Si les étudiants veulent passer leurs examens, ils doivent limiter leurs remarques à ce que les examinateurs sont autorisés à accepter. Si un ouvrier a envie de produire plus que le minimum requis, il doit accepter que le profit aille non pas à lui mais au chef d'atelier, ou au directeur de l'usine. Si le permanent était sincèrement désireux de servir ses semblables et les idéaux du socialisme, quand il s'est inscrit, il doit abandonner toute expression de ces nobles intentions dans l'intérêt de la discipline du Parti.
Quel monde cruel ! Et qui croire ? Dans certaines dictatures où toutes les sources d'informations sont efficacement contrôlées, ou bien encore où un consensus social est réalisé, les gens ne souffrent pas autant du conflit entre autorités opposées. Mais en Pologne où l'Église enseigne une chose et l'Etat une autre, où la grand-mère contredit inévitablement le professeur, où les parents cachent les opinions de leur employeur à leurs enfants -chacun est replacé devant le problème du bien et du mal beaucoup plus souvent et plus brutalement. Du fait de leur tragique histoire, ils se trouvent affrontés à des choix moraux beaucoup plus nombreux et plus cruels que les habitants des pays démocratiques, mais aussi que ceux des autres pays communistes. La torture morale de la Pologne vient moins de la dictature elle-même que du fait que le type soviétique de communisme est conçu pour l'arracher à toutes les valeurs et les traditions qu'elle chérit le plus. C'est sans aucun doute pour cela que le pays a produit une riche moisson de filous et de gredins, avec certains êtres d'élite tels qu'on ne peut espérer en rencontrer de plus remarquables." (p.82-83)
"L'essence de l'expérience polonaise moderne est l'humiliation." (p.83)
"Proportionnellement à ses dimensions, la Pologne subit beaucoup plus de pertes en vies humaines et de dommages matériels que n'importe quel autre pays du globe.
La mort de plus de 6 millions d'habitants sur un total de 35 millions en 1939 représentait une proportion de 18% contre 0.2 pour les USA, 0.9 pour la Grande-Bretagne, 2.5 pour le Japon, 7.4 pour l'Allemagne, 11.1 pour la Yougoslavie, et 11.2 pour l'URSS. La Pologne devint le nouveau Golgotha de l'Europe. Et même en 1945, la paix ne fut pas totalement restaurée et les combats continuèrent dans les forêts pendant encore deux ans: le dernier coup de feu fut tiré pendant l'été de 1947." (p.86)
"Le déclenchement de la guerre fut rendu possible par un protocole secret du pacte de non-agression signé à Moscou par Molotov et Ribbentrop, le 23 août 1939. Selon ses termes, les deux parties contractantes envisageaient une attaque conjointe contre la Pologne et les Etats baltes, ainsi que le partage de ces territoires entre elles. Sans l'assurance de la collusion soviétique, la Wehrmacht n'aurait pas pu risquer une intervention unilatérale. Quels qu'eussent été ses motifs à l'époque, Staline n'a donc pas été moins responsable de la guerre que Hitler.
La campagne de septembre en Pologne fut féroce mais brève. Coupée de l'aide directe de ses alliés français et britannique, encerclée de tous côtés par les forces allemandes en Prusse orientale, en Slovaquie et à l'ouest, très inférieure en nombre et en matériel, l'armée polonaise ne pouvait pas espérer la victoire. Menacée de surcroît, comme les événements allaient le prouver, par les forces soviétiques à l'est, elle ne pouvait pas opposer une résistance prolongée. Mais même ainsi, elle se comporta fort bien, dépassant son objectif primitif: tenir la Wehrmacht en échec pendant quatorze jours pour que la France ait le temps de mobiliser ses divisions sur la ligne Maginot et de lancer une offensive en Rhénanie. Dans bien des cas, comme au fort de Westerplatte, près de Dantzig, le siège de dix-neuf jours soutenu par Varsovie, ou la bataille d'arrière-garde à Kutno, elle se battit avec habileté et héroïsme. Les histoires hautes en couleur de cavaliers chargeant sabre au clair les Panzer d'acier ne lui rendent pas justice. Elle fit perdre plus de 50 000 hommes à la Wehrmacht et se battait encore avec acharnement quand l'entrée en lice de la Russie, le 17 septembre, scella son destin. Elle fit assurément mieux que les forces britanniques et françaises quand elles affrontèrent à leur tour la blitzkrieg, huit mois après. Pendant ce temps, en septembre, les Alliés occidentaux n'avaient pas tiré un coup de fusil pour la défendre et ses dernières unités capitulèrent à Kock, le 6 octobre." (p.87)
"Pendant cette période d'étroite collaboration soviéto-nazie, les deux partenaires poursuivirent la même politique envers les populations à leur merci. L'un comme l'autre commirent des atrocités. Les Allemands fusillèrent 20 000 otages civils rien qu'à Bydgoszcz et brulèrent des synagogues ; les Russes massacrèrent des prisonniers dans la prison de Vinnitsa. [...]
Hitler se garda d'intervenir dans les attaques de Staline contre la Finlande, les Etats baltes et la Roumanie, Staline se montrant aussi réservé quand Hitler conquit le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique, le Luxembourg et la France." (p.88)
"Sur les quelque deux millions de civils polonais déportés dans la Russie arctique, la Sibérie et le Kazakhstan par les terribles convois ferroviaires de 1939-1940, la moitié au moins mourut dans l'année suivant l'arrestation." (p.89)
"L'opération Barbarossa (attaque de l'URSS par Hitler) lancée depuis les positions de la Wehrmacht en Pologne, le 22 juin 1941, mit fin au pacte germano-soviétique d'un seul coup, puissant et traître. Elle chassa les Soviétiques de la Pologne orientale en moins de deux semaines et porta les limites du Reich jusque dans les profondeurs de la Russie." (p.90)
"La résistance s'organisa lentement dans le pays. Si les fondations en furent posées avant la fin de la campagne de septembre 1939, ses branches militaires et civiles ne commencèrent à fonctionner sur une grande échelle qu'à la fin de 1942. Pour les premières, l'armée de l'Intérieur (AK) avec ses principaux alliés, les Bataillons paysans (BCH) et les Organisations militaires nationales (NOW) arriva à compter quelque 400 000 soldats bien entraînés et armés, dépassant ainsi de très loin sa minuscule rivale communiste, la Garde du Peuple (GL). La fréquence croissante des embuscades, déraillements et sabotages finit par provoquer des affrontements directs avec les forces militaires allemandes sur un terrain où d'immenses étendues de collines et de forêts étaient tenues par les partisans. Du côté des civils, un délégué plénipotentiaire du gouvernement polonais coordonnait l'action de représentants politiques et dirigeait les efforts d'organismes chargés de l'assistance sociale, de l'enseignement, de la propagande et du renseignement. La Pologne organisa ainsi une manière d'Etat clandestin remarquable, sous le nez de l'occupant. La presse était florissante, les habitants nécessiteux recevaient de l'aide, soit en nature, soit grâce à des cartes de rationnement supplémentaires ; le Conseil d'assistance aux juifs (RPZ) fut crée en septembre 1942. Les leçons de polonais, interdites dans les écoles au-dessus du niveau élémentaire, étaient une Organisation secrète d'enseignement (TON), des cours d'université, donnés dans des classes "volantes" et des diplômes, décernés. Des tribunaux clandestins jugeaient collaborateurs et profiteurs, les sentences étant ensuite exécutées par une gendarmerie secrète. Les trésors d'art disparurent dans des cachettes sûres, des proclamations patriotiques étaient peintes sur les murs, des renseignements, transmis à Londres ; la production industrielle était continuellement interrompue et des agents secrets parvenaient même à pénétrer dans les camps pour diffuser les informations et préparer les coups de main. Sans contact avec les lignes de ravitaillement alliées, la résistance polonaise pouvait justement prétendre être le plus important et le plus structuré des mouvements de ce type en Europe." (p.94-95)
"Les Anglo-Américains furent contraints par les circonstances d'appuyer la Russie dans son différend avec la Pologne. A une époque où le second front n'avait pas encore été ouvert en Europe et où l'armée Rouge supportait le poids principal de la lutte contre l'Allemagne, Churchill et Roosevelt ne pouvaient pas se permettre une rupture avec Staline dans cette affaire. [...] Lors de la première conférence des Trois Grands à Téhéran, en novembre 1943, il fut convenu qu'après la guerre l'Europe serait divisée en "zones d'influence" -à l'ouest et au sud pour les Anglo-Américains, à l'est pour les Russes. Cela voulait dire que la Pologne passerait sous l'occupation et le contrôle soviétique.
Il fut convenu aussi que la frontière polono-soviétique suivrait la ligne proposée en 1920 par l'ancien secrétaire au Foreign Office, lord Curzon, et oubliée depuis longtemps. Peu d'observateurs firent mine de remarquait qu'elle correspondait pour l'essentiel à la ligne de démarcation soviéto-nazie de 1939 et à l'ancienne limite séparant l'empire tsariste du royaume du Congrès. C'est ainsi, en l'absence de tout représentant du pays intéressé, que Staline persuada les puissances alliées d'adopter les vues de la Russie impériale sur le territoire national de la Pologne." (p.97)
"La capitale, Varsovie, était le seul lieu où un gouvernement indépendant aurait pu être établi, car là, le haut-commandement de l'armée de l'Intérieur disposait d'une force clandestine concentrée, 150 000 hommes armés environ, cachés par population fanatiquement patriote et rongeant leur frein en attendant l'ordre de se battre. En juillet 1944, devant le flot de cette même offensive qui amenait le Comité de libération nationale à Lublin et les avant-gardes de l'Armée rouge sur les rives de la Vistule, le général Bor-Komorovski, chef de l'AK, pesait le pour et le contre de la décision la plus tragique de la guerre en Pologne. Tous ses conseillers voulaient que la capitale fût libérée par une action militaire nationale, il le savait et tout le monde voulait voir la ville libérée aux mains d'une administration fidèle au gouvernement national, il le savait. Il savait aussi que dans l'ambiance enfiévrée du moment, les habitants risquaient de se soulever de leur propre initiative contre les Allemands haïs.
Tout était une question de date. S'il donnait l'ordre trop tôt, les Allemands auraient encore la force d'écraser l'insurrection ; s'il le donnait trop tard, les Soviétiques entreraient sans opposition dans la ville [...] Le seul moment propice se situerait dans l'intervalle de deux ou trois jours, après une nouvelle avance des Soviétiques obligeant la garnison allemande à se replier, mais avant leur arrivée en force. Le 20 juillet, l'annonce de l'attentat contre Hitler à son QG de Rastenberg dans la Prusse orientale voisine fit penser que la Wehrmacht se disloquait, cependant que l'évacuation des services civils allemands de Varsovie paraissait être le signal de la retraite. Le 19, Radio Moscou appela les Varsoviens à se soulever, une division blindée soviétique franchit la Vistule pour établir une tête de pont à Magnuszew, à 60 km au sud-est et le 31, quand une patrouille de T34 fut aperçue de Praga dans les faubourgs est de la capitale, il sembla inconcevable que l'heure décisive n'eût pas sonné. A 17h30, Bor-Komorovski lança son ordre: "Demain à 17h vous engagerez l'opération Tempête à Varsovie".
Résultat: l'horreur intégrale. Au moment même où l'AK sortait ses canons de leurs cachettes et se rassemblait dans les caves et les entrepôts, la 9ème armée allemande franchissait les ponts de la Vistule pour lancer une contre-attaque. La garnison de Varsovie était renforcée par l'envoi de la division SS Viking, le régiment SS Hermann Göring, des unités de la police militaire, ainsi que les infâmes brigades Dirlanger et Rona. Ces forces, commandées par le général von dem Bach-Zalewski et comprenant un fort contingent de bataillons disciplinaires, de bagnards, et d'anciens volontaires soviétiques acculés au désespoir, eut la possibilité d'écraser la rébellion en vase clos. Staline dénonça les chefs de l'AK comme une "poignée de criminels avides de pouvoir" et refusa l'aide de ses troupes.
Pendant soixante-trois jours, la bataille fit rage avec une sauvagerie sans précédent, tandis que l'armée Rouge à 1500 mètres au-delà du fleuve restait pratiquement passive. Quelque 250 000 civils moururent sous les bombardements, ou furent massacrés en masse. Des parachutages sporadiques de matériel effectués par des appareils britanniques et américains venus d'Italie n'apportèrent pas grand soulagement [...] Immeuble par immeuble, rue par rue, égout par égout, l'AK fut refoulée avec des pertes effrayantes dans une minuscule enclave au cœur de la ville. Le 2 octobre, Bor-Komorovski capitula, les survivants furent évacués, Hitler ordonna que Varsovie fût "rasée sans laisser de traces". C'était la fin de l'ordre ancien en Pologne. Après cela, l'AK brisée, il ne resta plus personne pour lutter efficacement contre le communisme. Les nazis avaient fait le travail des Soviétiques." (p.99-100)
"La plupart de ses hommes qui ne voulaient "ni Hitler, ni Staline" payèrent ce refus de leur vie. [...]
On peut donc dire qu'en Pologne les conférences de Yalta et de Postdam ne mirent pas fin à la Seconde Guerre mondiale. Elle s'acheva sur le terrain, dans les bois et les montagnes où elle avait fait rage avec une violence sporadique depuis 1939. Le dernier coup de feu ne fut tiré que près de trois ans après la réoccupation des ruines de Varsovie." (p.103)
"Les pillages et démantèlements brutaux qui avaient caractérisé la libération, furent remplacé par une exploitation plus systématique. Au terme du désastreux accord sur les frontières et les réparations du 16 août 1945 [...] la Pologne dut livrer treize millions de tonnes de charbon par an sur la période 1946-1950 au prix de 1.3 dollars la tonne, c'est-à-dire un dixième du cours mondial. Ce tribut était imposé à un pays qui avait perdu 60% de sa capacité industrielle." (p.103)
"Lors de la bataille d'Angleterre à l'automne de 1940, les pilotes de chasse polonais finirent par constituer 20% des effectifs de la RAF. A elles seules deux escadrilles exclusivement polonaises [...] abattirent 109 appareils allemands (12% du total), soit une perte pour neuf victoires, rapport inégalé." (p.109)
"Personne ne peut mettre en doute que les forces armées polonaises, totalisant 228 000 hommes sous les armes en 1945, eussent donné un exemple éclatant de courage et d'abnégation dans la lutte contre l'Allemagne nazie." (p.110)
"En juin 1945, au milieu des festivités entourant la création des Nations Unies, à la veille de la dernière réunion des Trois Grands à Potsdam, les chefs de la résistance polonaise furent jugés à Moscou comme criminels de guerre. Des hommes qui avaient combattu les nazis plus longtemps que n'importe lequel des Alliés, dans des conditions d'une extrême dureté, furent publiquement flétris comme fauteurs de diversion et de subversion, accusés d'avoir collaboré avec les nazis et de s'être opposés au combat des Alliés contre l'Allemagne. Lors du procès de Moscou, seize dirigeants parmi les partisans du gouvernement polonais, y compris le dernier commandant en chef de l'armée de l'Intérieur le général Okulicki, le dernier délégué, J. S. Jankowski, ainsi que des personnalités en vue des partis socialistes, paysan, travailliste et nationaliste furent condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement et de travaux forcés. Plusieurs devaient mourir dans les geôles soviétiques.
Parmi toutes les abdications morales exigées par la Grande Alliance des démocraties occidentales avec l'URSS, aucune ne fut plus honteuse que celle-là." (p.119-120)
"Le gouvernement polonais lui-même resta à Londres, mais perdit toutes ses grandes accréditations diplomatiques dès que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis reconnurent le TRJN d'obédience soviétique à Varsovie en juin 1945." (p.121)
"L'attachement d'un peuple à son sol natal n'est pas déterminé par l'amour des statistiques. La perte d'un territoire n'est pas qu'un phénomène géographique, un changement sur la carte. C'est une atteinte au corps de la nation, à ses amarres et à ses traditions établies. Quant elle est accompagnée, comme dans le cas de la Pologne, par des transferts massifs de populations, elle entraîne une douloureuse rupture avec tout ce que l'on tenait pour le plus cher. [...]
Arracher les racines d'une famille pour les replanter ailleurs, laisse dans la meilleure des hypothèses des traces indélébiles ; multipliées des millions de fois, l'opération infligea au pays une secousse qui en ébranla la société pour des décennies." (p.125)
"Les Polonais qui avaient choisi de rester à l'Ouest furent traités en parias et les contacts voire la correspondance avec les émigrés devinrent un crime." (p.128)
"Pendant les douze années écoulées entre 1944 et 1956, alors que la Pologne était gouvernée par des satrapes rouges résidents, le souvenir de son rôle dans toutes les composantes de la victoire n'ayant pas de liens directs avec le camp soviétique fut systématiquement effacé des annales." (p.129)
"Quant, en août 1914, l'Europe entra dans le temps de l'épreuve, la Pologne n'existait pas. On ne trouvait pas son nom sur les cartes, vingt à trente millions d'hommes qui auraient pu se dire polonais étaient sujets du tsar russe, du kaiser allemand ou de l'empereur-roi autrichien et aucun vivant ne pouvait se rappeler le temps où la Pologne avait été un Etat indépendant. [...] La "question polonaise" continuellement remise sur le tapis au XIXème siècle avait pratiquement disparu de l'agenda diplomatique. Pourtant, la Grande Guerre allait la tirer de l'oubli en transformant la carte de l'Europe. Les bouleversements dans l'est du continent furent aussi rapides qu'inattendus. En jetant les trois grands empires les uns contre les autres, la guerre provoqua leur mutuelle destruction. En cinq ans, une Pologne indépendante avait resurgi, en sept ans elle avait repoussé une série d'attaques de ses voisins méfiants et fixé ses frontières -vingt-cinq ans plus tard, elle était morte. Toute l'expérience d'une indépendance moderne avait duré le temps d'une génération." (p.133)
"On oublie souvent que les pertes en vies humaines et en biens sur le front oriental furent presque aussi grandes en 1914-1918 qu'en 1939-1945. Il était pourtant inévitable qu'avec quelque 2 millions de soldats servant dans les armées russe, allemande et autrichienne à n'importe quel moment de la guerre, alors que les plus grandes batailles faisaient rage au cœur du pays -à Tannenberg, Lodz, Gorlice, Przemysl, sans compter l'offensive de Broussilov en direction des Carpates- les pertes polonaises fussent considérables: plus de 550 000 blessés et 50 000 morts chez les militaires et bien davantage chez les civils." (p.136)
"Tout comme Lénine expédié en Russie dans un wagon plombé dix-huit mois auparavant, Pilsudski fut expédié à Varsovie pour y servir un dessein bien précis. Comme le bolchevique, il "trouva le pouvoir dans la rue" et n'eut qu'à le ramasser.
On peut pardonner aux Polonais de croire qu'en 1918, ils ont "arraché l'indépendance à la pointe de l'épée", mais tel ne fut pas le cas. Ils se sont effectivement beaucoup battu pendant la Grande Guerre et ils ont effectivement gagné leur indépendance, mais sans qu'il y eût relation de cause à effet. La grande majorité de leurs soldats avait été engagée dans l'une ou l'autre des armées antagonistes sur le front est, et leurs efforts n'ont servi les intérêts polonais que dans la mesure où ils contribuaient à l'épuisement mutuel des puissances occupantes. Les seules formations ayant des objectifs politiques nationaux les légions de Pilsudski, furent dissoutes avant de les avoir atteints. L'indépendance a été due à un concours de circonstances échappant dans une large mesure au contrôle des intéressés. Beaucoup y virent un miracle, voire un coup du hasard." (p.138-139)
"La république dont Pilsudski prit le contrôle le 11 novembre 1918, avant d'être nommé chef d'Etat le 14, n'avait ni frontières, ni territoire délimité, ni gouvernement, ni constitution, ni statut international. Elle n'existait, mais personne ne pouvait définir nettement ni sa nature, ni sa superficie. Pourtant, la plupart des Polonais voyaient en elle la réincarnation de celle qui avait été détruire à la fin du XVIIIème siècle, aussi l'appelèrent-ils la "Deuxième République". [...]
Malgré les assertions de nombreux manuels, la conférence de la paix à Paris ne joua qu'un rôle secondaire. Bien plus, la majeure partie du territoire polonais fut conquise par les armes au cours d'une série de guerres locales livrées au mépris des injonctions de celle-ci." (p.139)
"Sur les dix guerres de frontières livrées pendant ces trois années -contre l'Allemagne (Posnanie et Silésie) la Tchécoslovaquie, la Lituanie, l'Ukraine occidentale et la Russie soviétique- seule cette dernière (1919-1920) présentait une importance dépassant le plan local. Elle commença presque par défaut, les deux armées pénétrant dans de vastes territoires évacués depuis peu par les Allemands ; mais il était évident que l'avenir de ces confins orientaux n'était pas qu'une affaire de possessions territoriales. Pour les bolcheviques dans toute l'exaltation de leur enthousiasme révolutionnaire, avancer vers l'ouest était une nécessité idéologique afin d'assurer la survie de leur mouvement en Russie. Ils considéraient la Pologne comme le pont à franchir pour relier la Russie à l'Allemagne et aux autres pays industrialisés d'Europe où la révolution aurait dû être déclenchée en premier.
Aux Polonais et à Pilsudski en particulier, ce conflit fournissait un test, le moyen de savoir si l'empire tsariste pouvait être reconstruit par les bolcheviques et si les pays limitrophes étaient en mesure de résister à l'impérialisme russe sous sa forme "socialiste". [...]
L'armée soviétique subit là [aux portes de Varsovie] la seule défaite qui ne fut pas vengée dans toute son histoire fort distinguée. Lénine, reconnaissant l'erreur d'avoir cru que ses troupes seraient les bienvenues en Pologne, demanda la paix et des négociations s'ouvrirent à Riga, dans la Lettonie neutre. Le 18 octobre [1920], juste avant la fin des combats, Pilsudski arracha sa chère Wilno aux Lituaniens. Le traité de Riga, signé le 18 mars 1921, divisait les confins entre la Pologne et les Républiques socialistes, établissait des relations diplomatiques et achevait ces luttes territoriales de façon assez satisfaisante." (p.141-142)
"Durant les années qui suivirent 1918, les pays européens tombèrent les uns après les autres dans les rets de dictature aux types divers. Depuis la "marche sur Rome" de Mussolini en 1922, jusqu'à l'invasion de l'Espagne républicaine par Franco en 1936, les démocraties du Vieux Continent s'écroulèrent comme des quilles devant l'assaut des dictateurs. En Europe centrale et orientale, le régime parlementaire dura jusqu'en mars 1939 en Tchécoslovaquie, soit vingt ans, le record ; en Autriche, il ne dura que dix-neuf ans, en Allemagne, seize, en Yougoslavie, neuf et en Pologne, tout juste sept." (p.146)
"Les finances publiques étaient dans un état chaotique, la Pologne connaissant, comme l'Allemagne et la Hongrie, plusieurs années d' "hyperflation" catastrophique [...] Un minimum de stabilité ne fut atteint qu'en 1923 grâce aux réformes de Wladyslaw Grabski et à la création du zloty sous le contrôle d'une nouvelle Banque de Pologne ; quant à l'équilibre du budget, il dut attendre 1926 pour être réalisé. Jusqu'à ce moment, impossible d'espérer des investissements étrangers ou l'expansion de l'infrastructure économique si primitive. Plus inquiétant encore, l'armée répugnait à soumettre ses affaires au contrôle des civils. Avec Pilsudski remâchant ses rancœurs sous la tente, et les officiers qui affichaient leur mépris devant les chamailleries des politiciens impuissants, le décor était planté pour une mutinerie." (p.147)
"Le coup d'Etat de mai 1926 ébranla le pays jusque dans le tréfonds. Huit ans seulement après avoir arraché l'indépendance aux oppresseurs étrangers, des Polonais avaient pris les armes contre leurs frères. L'armée, orgueil de la nation, avait été cassée en deux. Pilsudski violemment critiqué par nombre de ses anciens associés, comme le général Sikorski et le président Wojciechowski, était soutenu par la gauche, y compris les communistes qui craignaient un coup de force des nationalistes. Dans l'ensemble, la balance ne penchait pas en sa faveur, puisque le gros de l'armée et la plupart des citoyens restaient fidèles au président et au gouvernement, mais une grève du syndicat socialiste des cheminots fut décisive. Ayant perdu un certain nombre de points d'appui dans le centre de Varsovie, dont l'aéroport et la gare, le gouvernement ne put amener des renforts et au bout de trois jours les hommes de Pilsudski avaient pris tous les édifices clefs, ainsi que les principales personnalités officielles. Le 14 mai, président et Premier ministre durent capituler et démissionner. Pendant les 9 ans qui lui restaient à vivre, Jozef Pilsudski allait être le maître absolu du pays.
Le régime mis en place après le mois de mai est bien difficile à classer. [...] Elle n'était en tout cas nulle fascisant puisque les seuls sympathisants de cette doctrine en Pologne se trouvaient parmi les adversaires du maréchal, ni dictatoriale en ce sens que parlement, partis politiques et opposition continuaient à fonctionner. Pilsudski se contentait de diriger les affaires depuis les coulisses, de camoufler son pouvoir personnel derrière une façade parlementaire et d'intimider l'opposition par des méthodes policières et un harcèlement musclé." (p.149)
"La Pologne de Pilsudski ne manquait pas d'aspects positifs. En apparence au moins, elle rayonnait de confiance débonnaire. Sa vie culturelle connaissait une véritable explosion de talents littéraires et artistiques. La vie économique, si elle n'était pas vraiment prospère, avait au moins une certaine stabilité. Le zloty restait attaché à l'étalon-or. La répression ne touchait pas la masse de la population. Il n'y avait pas d'idéologie imposée. Le grand maréchal était très admiré et sincèrement aimé.
Pourtant le système, comme son chef lui-même, était sérieusement malade. Dans les campagnes, la misère était grande ; le chômage atteignit 40% dans l'industrie lors de la dépression [...] Une nouvelle constitution dévoilée en avril 1935 allait dans le sens d'un autoritarisme accru. Les maux de la société étaient mis sous le boisseau et non pas traités. Quand le maréchal mourut d'un cancer un mois plus tard, le chagrin de la nation se teinta indiscutablement d'appréhension." (p.150-151)
"[Le colonel] Beck ne se montra pas moins inébranlable dans son refus des propositions allemandes pour une attaque conjointe contre l'Union soviétique que dans son opposition à celles des Occidentaux qui lui demandaient de laisser entrer les troupes russes en Pologne pour contenir l'Allemagne." (p.152)
"Un pacte de non-agression entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique fut officiellement signé à Moscou par Ribbentrop et Molotov le 23 août 1939 -un protocole secret prévoyait des arrangements territoriaux comportant le partage de la Pologne le long d'une ligne Narew-Vistule-San. C'était un arrêt de mort pour elle." (p.153)
"Après la destruction de la vieille république polonaise en 1795, ses anciens citoyens se trouvèrent dans un monde qui leur était étranger. Leur involontaire sujétion aux puissances copartageantes était cruellement ressentie en particulier par la noblesse dirigeante, mais c'était une réalité que nul ne pouvait modifier. Par un traité additionnel de 1797, elles étaient même convenues de supprimer le nom de "Pologne" et bien que plusieurs tentatives eussent été faites ultérieurement pour rétablir un Etat, aucune des créations éphémères de la diplomatie napoléonienne et postnapoléonienne ne jouit d'une véritable souveraineté, ni ne réussit à réunir tout le peuple sous une seule autorité." (p.182)
"Durant cinq longues générations, l'écrasante majorité des Polonais ne connut que la domination étrangère et l'oppression politique. Une de ces métaphores religieuses si aimées des poètes romantique décrit le pays crucifié et son corps descendu au tombeau où il attend la résurrection." (p.184)
"L'histoire du pays au XIXème siècle ne peut être abordée avec les méthodes que l'on applique à celles de la Grande-Bretagne, de la France ou de la Russie, ni à celles des pays plus heureux qui se forgèrent eux-mêmes leur identité, comme l'Allemagne et l'Italie. Pendant la majeure partie de cette période, la "Pologne" ne fut qu'une idée -souvenir du passé ou espoir pour l'avenir." (p.184)
-Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986 (1984 pour l'édition britannique), 542 pages.
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Dim 10 Déc - 7:58, édité 1 fois