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    Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence

    Johnathan R. Razorback
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    Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence Empty Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 19 Juin - 20:31

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Montesquieu
    http://fr.wikisource.org/wiki/Montesquieu

    [Chapitre VIII]

    "Ceux qui obéissent à un roi sont moins tourmentés d’envie et de jalousie que ceux qui vivent dans une aristocratie héréditaire. Le prince est si loin de ses sujets qu’il n’en est presque pas vu ; et il est si fort au-dessus d’eux qu’ils ne peuvent imaginer aucun rapport qui puisse les choquer ; mais les nobles qui gouvernent sont sous les yeux de tous et ne sont pas si élevés que des comparaisons odieuses ne se fassent sans cesse. Aussi a-t-on vu de tout temps, et le voit-on encore, le peuple détester les sénateurs. Les républiques, où la naissance ne donne aucune part au gouvernement, sont à cet égard les plus heureuses : car le peuple peut moins envier une autorité qu’il donne à qui il veut, et qu’il reprend à sa fantaisie."

    "Il y a de mauvais exemples qui sont pires que les crimes, et plus d’États ont péri parce qu’on a violé les mœurs, que parce qu’on a violé les lois."

    "Le gouvernement d’Angleterre est plus sage, parce qu’il y a un corps qui l’examine continuellement, et qui s’examine continuellement lui-même, et telles sont ses erreurs qu’elles ne sont jamais longues, et que, par l’esprit d’attention qu’elles donnent à la Nation, elles sont souvent utiles."

    [Chapitre XI]

    "Lorsque la domination de Rome était bornée dans l’Italie, la République pouvait facilement subsister. Tout soldat était également citoyen : chaque consul levait une armée, et d’autres citoyens allaient à la guerre sous celui qui succédait. Le nombre des troupes n’étant pas excessif, on avait attention à ne recevoir dans la milice que des gens qui eussent assez de bien pour avoir intérêt à la conservation de la ville. Enfin le Sénat voyait de près la conduite des généraux et leur ôtait la pensée de rien faire contre leur devoir.

    Mais, lorsque les légions passèrent les Alpes et la mer, les gens de guerre, qu’on était obligé de laisser pendant plusieurs campagnes dans les pays que l’on soumettait, perdirent peu à peu l’esprit de citoyens, et les généraux, qui disposèrent des armées et des royaumes, sentirent leur force et ne purent plus obéir.

    Les soldats commencèrent donc à ne reconnaître que leur général, à fonder sur lui toutes leurs espérances, et à voir de plus loin la ville[3]. Ce ne furent plus les soldats de la République, mais de Sylla, de Marius, de Pompée, de César. Rome ne put plus savoir si celui qui était à la tête d’une armée, dans une province, était son général ou son ennemi
    ."

    "Ce qui fait que les États libres durent moins que les autres, c’est que les malheurs et les succès qui leur arrivent, leur font presque toujours perdre la liberté ; au lieu que les succès et les malheurs d’un État où le peuple est soumis, confirment également sa servitude. Une république sage ne doit rien hasarder qui l’expose à la bonne ou à la mauvaise fortune : le seul bien auquel elle doit aspirer, c’est à la perpétuité de son État."

    "Rome ne fut plus cette ville dont le peuple n’avait eu qu’un même esprit, un même amour pour la liberté, une même haine pour la tyrannie, où cette jalousie du pouvoir du sénat et des prérogatives des grands, toujours mêlée de respect, n’était qu’un amour de l’égalité. Les peuples d’Italie étant devenus ses citoyens, chaque ville y apporta son génie, ses intérêts particuliers, et sa dépendance de quelque grand protecteur. La ville, déchirée, ne forma plus un tout ensemble, et, comme on n’en était citoyen que par une espèce de fiction, qu’on n’avait plus les mêmes magistrats, les mêmes murailles, les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sépultures, on ne vit plus Rome des mêmes yeux, on n’eut plus le même amour pour la patrie, et les sentiments romains ne furent plus.

    Les ambitieux firent venir à Rome des villes et des nations entières pour troubler les suffrages ou se les faire donner ; les assemblées furent de véritables conjurations ; on appela comices une troupe de quelques séditieux ; l’autorité du peuple, ses lois, lui-même, devinrent des choses chimériques, et l’anarchie fut telle qu’on ne put plus savoir si le peuple avait fait une ordonnance, ou s’il ne l’avait point faite.
    "

    "Il y a des gens qui ont regardé le gouvernement de Rome comme vicieux, parce qu’il était un mélange de la monarchie, de l’aristocratie et de l’état populaire. Mais la perfection d’un gouvernement ne consiste pas à se rapporter à une des espèces de police qui se trouvent dans les livres des politiques, mais à répondre aux vues que tout législateur doit avoir, qui sont la grandeur d’un peuple ou sa félicité."

    "Rome, épuisée par tant de guerres civiles et étrangères, se fit tant de nouveaux citoyens, ou par brigue, ou par raison, qu’à peine pouvait-elle se reconnaître elle-même parmi tant d’étrangers qu’elle avait naturalisés. Le sénat se remplissait de barbares ; le sang romain se mêlait ; l’amour de la patrie, par lequel Rome s’était élevée au-dessus de tous les peuples du monde, n’était pas naturel à ces citoyens venus de dehors ; et les autres se gâtaient par le mélange. [...] Les grands ambitieux et les misérables qui n’ont rien à perdre aiment toujours le changement. Ces deux genres de citoyens prévalaient dans Rome ; et l’état mitoyen, qui seul tient tout en balance dans les états populaires, étant le plus faible, il fallait que la république tombât."

    [Chapitre X]

    "Je crois que la secte d’Épicure, qui s’introduisit à Rome sur la fin de la République, contribua beaucoup à gâter le cœur et l’esprit des Romains. [...] Ceux qui avaient d’abord été corrompus par leurs richesses le furent ensuite par leur pauvreté ; avec des biens au-dessus d’une condition privée, il fut difficile d’être un bon citoyen ; avec les désirs et les regrets d’une grande fortune ruinée, on fut prêt à tous les attentats ; et, comme dit Salluste[7], on vit une génération de gens qui ne pouvaient avoir de patrimoine, ni souffrir que d’autres en eussent. [...]
    Les citoyens romains regardaient le commerce et les arts comme des occupations d’esclaves : ils ne les exerçaient point.
    "
    -Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, 1734, édition de 1876.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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