https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Vesperini
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/11/15/si-l-allemagne-a-ete-la-grande-beneficiaire-de-l-euro_1439281_3232.html
Le Monde.fr | 15.11.2010 à 09h10 • Mis à jour le 16.11.2010 à 09h18 | Par Jean-Pierre Vesperini, professeur des universités membre du CAE
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Dans un article publié dans Le Monde du 28 octobre 2010, M. Hans-Werner Sinn, président d'un Institut de recherche économique allemand, a engagé une polémique avec notre ministre de l'économie, madame Lagarde, qui avait récemment critiqué l'Allemagne coupable à ses yeux de réaliser des excédents commerciaux excessif vis-à-vis des autres pays de la zone euro.
L'article de M. Sinn commence par asséner trois contrevérités sans aucun argument pour les étayer.
Première contrevérité, l'euro aurait protégé les pays membres contre les turbulences monétaires. En fait, l'euro a évolué au cours de son existence entre 0,9 dollar et 1,60 dollar, soit une variation de près de 80 % et cette année, en passant de 1,45 dollar à 1,20 dollar, puis à 1,40 dollar, il a connu des variations de – 17 % et + 17 %. Où est la protection contre les turbulences ?
Deuxième contrevérité, grâce à l'euro le taux d'inflation a été plus bas qu'au cours des cinquante ans d'existence du deutsche mark. Comment M. Sinn, économiste compétent, peut-il ignorer que les cinquante ans d'existence du deutsche mark se sont situés dans un environnement mondial de très forte croissance et d'inflation élevée qui n'a rien à voir avec l'environnement qu'a connu l'euro, caractérisé par une faible croissance et une quasi-absence d'inflation ?
Troisième contrevérité, l'euro a été un pas important vers l'intégration politique de l'Europe. En fait, jamais les tensions entre les gouvernements et les peuples européens n'ont été aussi fortes. M. Sinn a-t-il déjà oublié la couverture d'un grand hebdomadaire allemand représentant une Vénus de Milo réinterprétée d'une manière qui n'était ni très élégante, ni très amicale envers le peuple grec ?
Après cette entrée en matière, M. Sinn retrace l'existence de l'euro en deux phases. La première va de la naissance de l'euro en 1999 à la crise de 2008 et la seconde commence avec la crise.
Au cours de la première phase, M. Sinn, indique que l'Allemagne a effectivement enregistré des excédents, mais les a investis dans les pays de la zone euro. Ces capitaux ont déclanché une forte expansion dans ces pays tandis qu'ils ont manqué à l'Allemagne. C'est la raison pour laquelle au cours de cette première phase, l'Allemagne a connu une croissance plus faible que celle de ses partenaires. Loin d'être la grande bénéficiaire de l'euro, dans cette phase, elle en a été au contraire la victime.
Au cours de la seconde phase, en réaction à la crise des pays endettés de la zone euro, les capitaux allemands se sont retirés de ces pays pour s'investir en Allemagne où ils créent une forte expansion, mais aussi de l'inflation. L'Allemagne sera alors moins compétitive et les excédents allemands seront réduits. Madame Lagarde n'a donc rien à craindre des excédents allemands actuels.
M. Sinn est un parfait scénariste qui sait mettre en valeur certains faits et en occulter d'autres pour produire l'effet qu'il désire obtenir. En réalité, son scénario en deux phases omet le phénomène central qui caractérise l'existence de l'euro depuis sa naissance : la croissance prodigieuse des excédents allemands sur pratiquement tous les pays de la zone euro et notamment sur les plus grands. L'année précédant la création de l'euro, en 1998, la France et l'Italie avaient une balance commerciale équilibrée à l'égard de l'Allemagne avec des taux de couverture des importations par les exportations respectivement égaux à 97,4 % et 98,5 %. L'Espagne était déjà déséquilibrée avec un taux de couverture de 71,7 %. Dix ans plus tard, en 2008, les taux de couverture de ces trois pays étaient tombés à respectivement 76,2 %, 78,6 % et 50,3 %. Chacun a perdu 20 points en dix ans dans son taux de couverture. Inversement, l'Allemagne a augmenté son taux de couverture à l'égard de la zone euro de 114,2 % en 1998 à 132,2 % en 2008.
C'est dire que nous sommes arrivés aujourd'hui à une situation de déséquilibre qui ne sera pas tenable longtemps car l'accroissement des excédents allemands correspond à des gains de parts de marché de l'Allemagne au détriment notamment de la France, de l'Italie et de l'Espagne et ces gains correspondent eux-mêmes à des pertes d'emploi dans ces pays. Si l'on veut, comme M. Sinn, découper en phases l'existence de l'euro, le vrai découpage doit s'opérer en 2005 car c'est à cette date que l'Allemagne a "semé" ses concurrents de la zone : depuis 2005, l'Allemagne est le seul grand pays qui ait réussi à augmenter l'emploi industriel alors qu'il a baissé dans les trois autres pays (de 5,1% en Italie, 8,5% en France et 15,4% en Espagne, source OCDE). Madame Lagarde a donc tout à fait raison de s'inquiéter des excédents allemands et d'affirmer que l'Allemagne est la grande bénéficiaire de l'euro.
En revanche, ses déclarations ont été à la fois, maladroites et injustes. Maladroites à deux titres : d'abord, parce qu'il est absurde de demander à l'Allemagne d'être moins compétitive en augmentant ses salaires. Autant demander à Rafael Nadal de mettre du plomb dans ses chaussures pour faciliter la tâche de ses adversaires. Ensuite, parce que l'Allemagne est une économie de marché et que le gouvernement ne peut pas imposer une augmentation des salaires aux entreprises. Il n'y a qu'en France qu'un gouvernement ait pu avoir par un raisonnement économique cette étrange idée de forcer les entreprises à réduire le temps de travail, c'est-à-dire d'imposer une hausse autoritaire du coût du travail. Mais aussi injustes parce que l'Allemagne a gagné ses excédents d'une manière tout à fait régulière par les qualités de son économie et aussi par les erreurs de ses concurrents . La nature des excédents de l'Allemagne est ainsi fort différente de celle des excédents de la Chine.
Dans cette singulière polémique qui les oppose où ils semblent enfermés dans des logiques étrangères, curieusement, Madame Lagarde et M. Sinn s'obstinent à ne pas nommer le véritable coupable des déséquilibres dont l'Europe est aujourd'hui le théâtre, qui n'est ni l'Allemagne, ni les pays qui se sont endettés auprès d'elle, mais qui est l'euro. L'euro est la cause du piège dans lequel se trouve pris tous les pays de la zone avec des écarts de compétitivité, donc des excédents et des déficits, devenus insupportables, mais qui ne peuvent plus être comblés car il interdit de faire les ajustements qui permettraient de les réduire. Souhaitons qu'un jour Madame Lagarde et M. Sinn le reconnaissent et œuvrent chacun pour ce qui le concerne à une réforme radicale du système monétaire de l'Europe.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/11/15/si-l-allemagne-a-ete-la-grande-beneficiaire-de-l-euro_1439281_3232.html
Le Monde.fr | 15.11.2010 à 09h10 • Mis à jour le 16.11.2010 à 09h18 | Par Jean-Pierre Vesperini, professeur des universités membre du CAE
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Dans un article publié dans Le Monde du 28 octobre 2010, M. Hans-Werner Sinn, président d'un Institut de recherche économique allemand, a engagé une polémique avec notre ministre de l'économie, madame Lagarde, qui avait récemment critiqué l'Allemagne coupable à ses yeux de réaliser des excédents commerciaux excessif vis-à-vis des autres pays de la zone euro.
L'article de M. Sinn commence par asséner trois contrevérités sans aucun argument pour les étayer.
Première contrevérité, l'euro aurait protégé les pays membres contre les turbulences monétaires. En fait, l'euro a évolué au cours de son existence entre 0,9 dollar et 1,60 dollar, soit une variation de près de 80 % et cette année, en passant de 1,45 dollar à 1,20 dollar, puis à 1,40 dollar, il a connu des variations de – 17 % et + 17 %. Où est la protection contre les turbulences ?
Deuxième contrevérité, grâce à l'euro le taux d'inflation a été plus bas qu'au cours des cinquante ans d'existence du deutsche mark. Comment M. Sinn, économiste compétent, peut-il ignorer que les cinquante ans d'existence du deutsche mark se sont situés dans un environnement mondial de très forte croissance et d'inflation élevée qui n'a rien à voir avec l'environnement qu'a connu l'euro, caractérisé par une faible croissance et une quasi-absence d'inflation ?
Troisième contrevérité, l'euro a été un pas important vers l'intégration politique de l'Europe. En fait, jamais les tensions entre les gouvernements et les peuples européens n'ont été aussi fortes. M. Sinn a-t-il déjà oublié la couverture d'un grand hebdomadaire allemand représentant une Vénus de Milo réinterprétée d'une manière qui n'était ni très élégante, ni très amicale envers le peuple grec ?
Après cette entrée en matière, M. Sinn retrace l'existence de l'euro en deux phases. La première va de la naissance de l'euro en 1999 à la crise de 2008 et la seconde commence avec la crise.
Au cours de la première phase, M. Sinn, indique que l'Allemagne a effectivement enregistré des excédents, mais les a investis dans les pays de la zone euro. Ces capitaux ont déclanché une forte expansion dans ces pays tandis qu'ils ont manqué à l'Allemagne. C'est la raison pour laquelle au cours de cette première phase, l'Allemagne a connu une croissance plus faible que celle de ses partenaires. Loin d'être la grande bénéficiaire de l'euro, dans cette phase, elle en a été au contraire la victime.
Au cours de la seconde phase, en réaction à la crise des pays endettés de la zone euro, les capitaux allemands se sont retirés de ces pays pour s'investir en Allemagne où ils créent une forte expansion, mais aussi de l'inflation. L'Allemagne sera alors moins compétitive et les excédents allemands seront réduits. Madame Lagarde n'a donc rien à craindre des excédents allemands actuels.
M. Sinn est un parfait scénariste qui sait mettre en valeur certains faits et en occulter d'autres pour produire l'effet qu'il désire obtenir. En réalité, son scénario en deux phases omet le phénomène central qui caractérise l'existence de l'euro depuis sa naissance : la croissance prodigieuse des excédents allemands sur pratiquement tous les pays de la zone euro et notamment sur les plus grands. L'année précédant la création de l'euro, en 1998, la France et l'Italie avaient une balance commerciale équilibrée à l'égard de l'Allemagne avec des taux de couverture des importations par les exportations respectivement égaux à 97,4 % et 98,5 %. L'Espagne était déjà déséquilibrée avec un taux de couverture de 71,7 %. Dix ans plus tard, en 2008, les taux de couverture de ces trois pays étaient tombés à respectivement 76,2 %, 78,6 % et 50,3 %. Chacun a perdu 20 points en dix ans dans son taux de couverture. Inversement, l'Allemagne a augmenté son taux de couverture à l'égard de la zone euro de 114,2 % en 1998 à 132,2 % en 2008.
C'est dire que nous sommes arrivés aujourd'hui à une situation de déséquilibre qui ne sera pas tenable longtemps car l'accroissement des excédents allemands correspond à des gains de parts de marché de l'Allemagne au détriment notamment de la France, de l'Italie et de l'Espagne et ces gains correspondent eux-mêmes à des pertes d'emploi dans ces pays. Si l'on veut, comme M. Sinn, découper en phases l'existence de l'euro, le vrai découpage doit s'opérer en 2005 car c'est à cette date que l'Allemagne a "semé" ses concurrents de la zone : depuis 2005, l'Allemagne est le seul grand pays qui ait réussi à augmenter l'emploi industriel alors qu'il a baissé dans les trois autres pays (de 5,1% en Italie, 8,5% en France et 15,4% en Espagne, source OCDE). Madame Lagarde a donc tout à fait raison de s'inquiéter des excédents allemands et d'affirmer que l'Allemagne est la grande bénéficiaire de l'euro.
En revanche, ses déclarations ont été à la fois, maladroites et injustes. Maladroites à deux titres : d'abord, parce qu'il est absurde de demander à l'Allemagne d'être moins compétitive en augmentant ses salaires. Autant demander à Rafael Nadal de mettre du plomb dans ses chaussures pour faciliter la tâche de ses adversaires. Ensuite, parce que l'Allemagne est une économie de marché et que le gouvernement ne peut pas imposer une augmentation des salaires aux entreprises. Il n'y a qu'en France qu'un gouvernement ait pu avoir par un raisonnement économique cette étrange idée de forcer les entreprises à réduire le temps de travail, c'est-à-dire d'imposer une hausse autoritaire du coût du travail. Mais aussi injustes parce que l'Allemagne a gagné ses excédents d'une manière tout à fait régulière par les qualités de son économie et aussi par les erreurs de ses concurrents . La nature des excédents de l'Allemagne est ainsi fort différente de celle des excédents de la Chine.
Dans cette singulière polémique qui les oppose où ils semblent enfermés dans des logiques étrangères, curieusement, Madame Lagarde et M. Sinn s'obstinent à ne pas nommer le véritable coupable des déséquilibres dont l'Europe est aujourd'hui le théâtre, qui n'est ni l'Allemagne, ni les pays qui se sont endettés auprès d'elle, mais qui est l'euro. L'euro est la cause du piège dans lequel se trouve pris tous les pays de la zone avec des écarts de compétitivité, donc des excédents et des déficits, devenus insupportables, mais qui ne peuvent plus être comblés car il interdit de faire les ajustements qui permettraient de les réduire. Souhaitons qu'un jour Madame Lagarde et M. Sinn le reconnaissent et œuvrent chacun pour ce qui le concerne à une réforme radicale du système monétaire de l'Europe.