"Héloïse et Abélard vécurent essentiellement sous le règne du roi de France Louis VI, de la fin du XIe à la première moitié du XIIe siècle. L'Histoire les a ainsi nommément associés, alors qu'Héloïse n'est que le prénom de la jeune fille et Abélard le surnom de son amoureux qui se nomme en réalité Pierre du Pallet ou Pierre le Palatin." (p.13)
"Héloïse est probablement née en Ile-de-France, vraisemblablement en 1095. De l'enfance à l'adolescence, elle a été élevée au monastère d'Argenteuil, d'où l'identité qu'on lui attribue parfois: Héloïse d'Argenteuil. Elle est très vraisemblablement apparentée à la puissante famille de Garlande proche du roi Louis VI. Héloïse a donc une origine noble, y compris par sa mère, Hersende, qui est aussi d'extraction noble, sans doute de la lignée de l'illustre famille de Montmorency." (p.14)
"Pierre est né en 1079 en Bretagne, plus exactement en Haute Bretagne, dans le petit village du Pallet, situé à environ quinze kilomètres au sud-est de Nantes." (p.14)
"Philosophe glorieux, Abélard possédait, en plus de sa beauté, des talents de rhétoricien, de poète et de chanteur de l'amour qui ont fait chavirer le cœur des femmes: celui d'Héloïse n'y a pas résisté. Son esprit purement conceptualiste et sa vanité l'ont fait apparaître comme froid, voire calculateur, d'autant qu'il ne dévoilait pas spontanément ses sentiments affectifs et amoureux, prisonnier qu'il était du caractère abstractif de la pensée. Par contre, il savait parfaitement exprimer ses émotions de façon impersonnelle, par le biais d'un art qu'il pratiquait à la perfection: l'écriture." (p.15)
"Les maîtres féodaux du Pallet sont les vassaux des comtes d'Anjou qui ont édifié là, à la place de celui construit en bois un peu plus haut sur la butte du mont Pallet, un puissant donjon fait en pierre du pays. Face aux ambitions des comtes nantais, les Angevins affirmaient ainsi leur apanage sur la châtellenie.
Cependant, au milieu du XIe siècle, les seigneurs palatins se sont alliés aux comtes de Nantes, et depuis cette époque, le Pallet est lié à la Bretagne." (p.17)
"La Petite Bretagne est un duché qui ne fait pas partie du royaume de France, les ducs de Bretagne étant vassaux du roi d'Angleterre et non du roi de France." (p.17)
"En côtoyant les meilleurs professeurs bretons qui sont des religieux, Pierre montre une incroyable soif d'apprendre. Il se distingue aussi par un remarquable sens critique et de réelles capacités à théoriser. S'il a la foi, comme tout le monde au demeurant, il n'a pas la vocation religieuse. Pas plus que ses parents ne l'envisagent, il ne souhaite pas d'embrasser une carrière ecclésiastique. Non, il se voit plutôt professeur laïc de philosophie et son ambition de rayonnement va au-delà de la Petite Bretagne." (p.20)
"Béranger envoie Pierre à peine âge de douze ans dans les meilleurs écoles épiscopales de Nantes et d'Angers. Puis, c'est à Tours et à Chartres que son fils poursuit sa formation." (p.21)
"A Loches [ville distante d'environ vingt-cinq lieues du Pallet], il rejoint comme élève, un maître en la personne de Roscelin de Compiègne, le scolastique, fondateur, sans l'avoir inventé tout entier, de ce qu'on appellera le nominalisme, une doctrine logique, philosophique et théologique. D'après cette doctrine, les noms abstraits, tel que vertu, humanité, liberté... n'ont aucune existence réelle, matérielle: ce sont de simples sons, des souffles de la voix, flatus vocis. La doctrine de Roscelin qui soutient la réalité des noms abstraits (d'où la doctrine du réalisme), ou de ce qu'on appelle alors les universaux, a été condamnée en 1092 par le concile de Soissons, comme fausse en elle-même et incompatible avec le dogme de la Trinité: ou bien Dieu existe réellement et il est un et indivisible, ou bien seules les trois personnes existent réellement et le nom de Dieu n'est, à toutes fins utiles, qu'un nom collectif ne désignant aucune réalité distincte." (p.22)
"Le jeune élève n'hésite pas à contester la pensée de [son maître], et même à la juger insensée." (p.23)
"La philosophie, et plus particulièrement la science de la dialectique, cet art de la guerre intellectuelle, a alors ses chevaliers errants marchant de controverse en controverse, et renouvelant ainsi sous une autre forme l'art de discuter en se promenant." (p.24)
"En 1100, de Tours, Pierre le Palatin prend donc le chemin de Paris, via Orléans." (p.25)
"L’Angleterre, l'Italie et l'Allemagne commencent à envoyer leur jeunesse à Paris qui semble destinée à devenir "l'Athènes de la philosophie"." (p.29)
"Paris où rayonne Guillaume de Champeaux, le maître incontesté du réalisme. [...]
Pierre du Pallet apprend que de Champeaux, archidiacre de Paris, s'est rangé dans un parti opposé à la nomination d'Étienne de Garlande comme évêque de Beauvais. Ce dernier a en effet été nommé à cette fonction par le roi Philippe Ier, et si la querelle des Investitures fait rage dans le Saint-Empire germanique, la question de la nomination des évêques par le pouvoir temporel n'est pas moins problématique en France. Comme le Breton compte bien abattre cet ennemi intellectuel en le défiant, il espère, par la même occasion, s'attirer les grâces du puissant Étienne de Garlande, un proche du roi. Pour cela, il doit encore fourbir ses armes et jauger son adversaire en devenant l'un de ses élèves auxquels il se mêle d'abord discrètement." (p.31)
"Ce sont essentiellement des femmes de l'aristocratie qui s'associent, plus par curiosité que par intérêt, à tous ces gens qui viennent apprendre en groupe." (p.33)
"Parmi les écoliers de Paris, Pierre du Pallet se distingue effectivement, il étonne par sa mémoire surprenante, par son instruction précoce, par sa rare subtilité, par son don de la parole que rehaussent en lui sa singulière beauté de son visage, la suavité de sa voix et la grâce de sa personne. Il se fait admirer, aimer, et ce faisant envier." (p.33)
"En dehors de ces aptitudes intellectuelles, il manque de spontanéité émotionnelle, il intellectualise et théorise tout, y compris les sentiments et les rapports humains. Là est son talon d'Achille qui va lui causer bien des malheurs dans ses relations aux autres." (p.35)
"Abélard entreprend de devenir chef d'école sur la base d'un système différent à la fois du nominalisme de Jean Roscelin et du réalisme de Guillaume de Champeaux. [...]
Malgré l'opposition de son maître parisien, c'est à Melun, cité royale d'où l'on rejoint facilement Paris, qu'Abélard passe du statut d'élève à celui de maître et aqcuiert un début de renom. En combattant Guillaume de Champeaux alors âgé de trente-deux ans, il a attiré sur lui l'attention bienveillante d'Étienne de Garlande qui lui apporte discrètement son soutien. C'est d'ailleurs ce proche du roi qui a permis au jeune maître de vingt-trois ans de venir professer ici." (p.36)
"Un évènement lui porte un coup fatal: la disgrâce royale vient de frapper Étienne de Garlande.
En cette année 1105, Pierre est contraint de quitter la France pour regagner la Haute Bretagne où il compte se ressourcer." (p.38)
-Élie Durel, Héloïse et Abélard. La gloire, l'amour et la spiritualité, Geste Éditions, 2015, 291 pages.
"Mon père, avant de ceindre le baudrier du soldat, avait quelques teintures des lettres ; et, plus tard, il se prit pour elles d'une telle passion, qu'il voulut que tous ses fils fussent instruits des lettres avant de l'être du métier des armes. Et ainsi fut-il réalisé. J'étais son premier ; plus je lui étais cher à ce titre, plus il s'occupa de mon instruction. Moi, de mon côté, les progrès que je fis dans l'étude m'y attachèrent avec une ardeur croissante, et tel fut bientôt le charme qu'elle exerça sur mon esprit, que, renonçant à l'éclat de la gloire des armes, à ma part d'héritage, à mes privilèges de droit d'aînesse, j'abandonnais définitivement la cour de Mars pour me réfugier dans le sein de Minerve. Préférant à tous les enseignements de la philosophie la dialectique et son arsenal, j'échangeai les armes de la guerre contre celle de la logique et sacrifiai les trophées des batailles aux assauts de la dispute. C'est pourquoi je parcourus les provinces en disputant, me transportant partout où j'entendais dire que l'étude de cet art était en honneur, en véritable émule des péripatéticiens." -Pierre Abélard.
"Héloïse est probablement née en Ile-de-France, vraisemblablement en 1095. De l'enfance à l'adolescence, elle a été élevée au monastère d'Argenteuil, d'où l'identité qu'on lui attribue parfois: Héloïse d'Argenteuil. Elle est très vraisemblablement apparentée à la puissante famille de Garlande proche du roi Louis VI. Héloïse a donc une origine noble, y compris par sa mère, Hersende, qui est aussi d'extraction noble, sans doute de la lignée de l'illustre famille de Montmorency." (p.14)
"Pierre est né en 1079 en Bretagne, plus exactement en Haute Bretagne, dans le petit village du Pallet, situé à environ quinze kilomètres au sud-est de Nantes." (p.14)
"Philosophe glorieux, Abélard possédait, en plus de sa beauté, des talents de rhétoricien, de poète et de chanteur de l'amour qui ont fait chavirer le cœur des femmes: celui d'Héloïse n'y a pas résisté. Son esprit purement conceptualiste et sa vanité l'ont fait apparaître comme froid, voire calculateur, d'autant qu'il ne dévoilait pas spontanément ses sentiments affectifs et amoureux, prisonnier qu'il était du caractère abstractif de la pensée. Par contre, il savait parfaitement exprimer ses émotions de façon impersonnelle, par le biais d'un art qu'il pratiquait à la perfection: l'écriture." (p.15)
"Les maîtres féodaux du Pallet sont les vassaux des comtes d'Anjou qui ont édifié là, à la place de celui construit en bois un peu plus haut sur la butte du mont Pallet, un puissant donjon fait en pierre du pays. Face aux ambitions des comtes nantais, les Angevins affirmaient ainsi leur apanage sur la châtellenie.
Cependant, au milieu du XIe siècle, les seigneurs palatins se sont alliés aux comtes de Nantes, et depuis cette époque, le Pallet est lié à la Bretagne." (p.17)
"La Petite Bretagne est un duché qui ne fait pas partie du royaume de France, les ducs de Bretagne étant vassaux du roi d'Angleterre et non du roi de France." (p.17)
"En côtoyant les meilleurs professeurs bretons qui sont des religieux, Pierre montre une incroyable soif d'apprendre. Il se distingue aussi par un remarquable sens critique et de réelles capacités à théoriser. S'il a la foi, comme tout le monde au demeurant, il n'a pas la vocation religieuse. Pas plus que ses parents ne l'envisagent, il ne souhaite pas d'embrasser une carrière ecclésiastique. Non, il se voit plutôt professeur laïc de philosophie et son ambition de rayonnement va au-delà de la Petite Bretagne." (p.20)
"Béranger envoie Pierre à peine âge de douze ans dans les meilleurs écoles épiscopales de Nantes et d'Angers. Puis, c'est à Tours et à Chartres que son fils poursuit sa formation." (p.21)
"A Loches [ville distante d'environ vingt-cinq lieues du Pallet], il rejoint comme élève, un maître en la personne de Roscelin de Compiègne, le scolastique, fondateur, sans l'avoir inventé tout entier, de ce qu'on appellera le nominalisme, une doctrine logique, philosophique et théologique. D'après cette doctrine, les noms abstraits, tel que vertu, humanité, liberté... n'ont aucune existence réelle, matérielle: ce sont de simples sons, des souffles de la voix, flatus vocis. La doctrine de Roscelin qui soutient la réalité des noms abstraits (d'où la doctrine du réalisme), ou de ce qu'on appelle alors les universaux, a été condamnée en 1092 par le concile de Soissons, comme fausse en elle-même et incompatible avec le dogme de la Trinité: ou bien Dieu existe réellement et il est un et indivisible, ou bien seules les trois personnes existent réellement et le nom de Dieu n'est, à toutes fins utiles, qu'un nom collectif ne désignant aucune réalité distincte." (p.22)
"Le jeune élève n'hésite pas à contester la pensée de [son maître], et même à la juger insensée." (p.23)
"La philosophie, et plus particulièrement la science de la dialectique, cet art de la guerre intellectuelle, a alors ses chevaliers errants marchant de controverse en controverse, et renouvelant ainsi sous une autre forme l'art de discuter en se promenant." (p.24)
"En 1100, de Tours, Pierre le Palatin prend donc le chemin de Paris, via Orléans." (p.25)
"L’Angleterre, l'Italie et l'Allemagne commencent à envoyer leur jeunesse à Paris qui semble destinée à devenir "l'Athènes de la philosophie"." (p.29)
"Paris où rayonne Guillaume de Champeaux, le maître incontesté du réalisme. [...]
Pierre du Pallet apprend que de Champeaux, archidiacre de Paris, s'est rangé dans un parti opposé à la nomination d'Étienne de Garlande comme évêque de Beauvais. Ce dernier a en effet été nommé à cette fonction par le roi Philippe Ier, et si la querelle des Investitures fait rage dans le Saint-Empire germanique, la question de la nomination des évêques par le pouvoir temporel n'est pas moins problématique en France. Comme le Breton compte bien abattre cet ennemi intellectuel en le défiant, il espère, par la même occasion, s'attirer les grâces du puissant Étienne de Garlande, un proche du roi. Pour cela, il doit encore fourbir ses armes et jauger son adversaire en devenant l'un de ses élèves auxquels il se mêle d'abord discrètement." (p.31)
"Ce sont essentiellement des femmes de l'aristocratie qui s'associent, plus par curiosité que par intérêt, à tous ces gens qui viennent apprendre en groupe." (p.33)
"Parmi les écoliers de Paris, Pierre du Pallet se distingue effectivement, il étonne par sa mémoire surprenante, par son instruction précoce, par sa rare subtilité, par son don de la parole que rehaussent en lui sa singulière beauté de son visage, la suavité de sa voix et la grâce de sa personne. Il se fait admirer, aimer, et ce faisant envier." (p.33)
"En dehors de ces aptitudes intellectuelles, il manque de spontanéité émotionnelle, il intellectualise et théorise tout, y compris les sentiments et les rapports humains. Là est son talon d'Achille qui va lui causer bien des malheurs dans ses relations aux autres." (p.35)
"Abélard entreprend de devenir chef d'école sur la base d'un système différent à la fois du nominalisme de Jean Roscelin et du réalisme de Guillaume de Champeaux. [...]
Malgré l'opposition de son maître parisien, c'est à Melun, cité royale d'où l'on rejoint facilement Paris, qu'Abélard passe du statut d'élève à celui de maître et aqcuiert un début de renom. En combattant Guillaume de Champeaux alors âgé de trente-deux ans, il a attiré sur lui l'attention bienveillante d'Étienne de Garlande qui lui apporte discrètement son soutien. C'est d'ailleurs ce proche du roi qui a permis au jeune maître de vingt-trois ans de venir professer ici." (p.36)
"Un évènement lui porte un coup fatal: la disgrâce royale vient de frapper Étienne de Garlande.
En cette année 1105, Pierre est contraint de quitter la France pour regagner la Haute Bretagne où il compte se ressourcer." (p.38)
-Élie Durel, Héloïse et Abélard. La gloire, l'amour et la spiritualité, Geste Éditions, 2015, 291 pages.
"Mon père, avant de ceindre le baudrier du soldat, avait quelques teintures des lettres ; et, plus tard, il se prit pour elles d'une telle passion, qu'il voulut que tous ses fils fussent instruits des lettres avant de l'être du métier des armes. Et ainsi fut-il réalisé. J'étais son premier ; plus je lui étais cher à ce titre, plus il s'occupa de mon instruction. Moi, de mon côté, les progrès que je fis dans l'étude m'y attachèrent avec une ardeur croissante, et tel fut bientôt le charme qu'elle exerça sur mon esprit, que, renonçant à l'éclat de la gloire des armes, à ma part d'héritage, à mes privilèges de droit d'aînesse, j'abandonnais définitivement la cour de Mars pour me réfugier dans le sein de Minerve. Préférant à tous les enseignements de la philosophie la dialectique et son arsenal, j'échangeai les armes de la guerre contre celle de la logique et sacrifiai les trophées des batailles aux assauts de la dispute. C'est pourquoi je parcourus les provinces en disputant, me transportant partout où j'entendais dire que l'étude de cet art était en honneur, en véritable émule des péripatéticiens." -Pierre Abélard.