« Au début du XVIe siècle, le Portugal, peuplé tout au plus de 800 000 habitants, n’a ni les moyens ni les ambitions de construire un empire colonial au sens contemporain du terme. […] En Orient, les Portugais se son heurtés à des Etats dotés de fortes capacités de résistance. Leur hégémonie s’est donc imposée par la guerre et a nécessité la mise en place de « l’Etat de l’Inde » (Estado da India), avec une capitale, Goa, et un vice-roi doté d’amples prérogatives militaires. Les commerçants et les missionnaires portugais ont pu ainsi s’établir jusqu’en Chine et au Japon. » (p.27)
« En février 1532, Martin Afonso de Sousa fonde la première ville portugaise au Brésil, la vila de Sao Vicente, au lieu-dit « le port aux esclaves », sur un îlot côtier du littoral pauliste actuel. Dans la monarchie portugaise, une vila (ville) dispose de son gouvernement, exercé par une chambre (câmara) sur un territoire précis (termo). » (p.31)
« Le pays est divisé en quinze « capitaineries héréditaires ». Chacune possède environ 350 kilomètres de littoral et s’étend théoriquement vers l’intérieur jusqu’au méridien de Tordesillas. […] Les « capitaines donataires » doivent coloniser leur immense domaine dans un délai de cinq ans et disposent pour cela du pouvoir de concéder des terres (sesmarias) aux colons qu’ils auront réussi à faire venir au Brésil. Dom Joao III ordonne aussi en 1535 que les condamnés de droit commun, qu’on envoyait jusqu’alors en Afrique ou à Sao Tomé e Principe, soient déportés au Brésil. » (p.32)
« En 1551, la ville [de Sao Salvador] devient aussi le siège d’un évêché, dont le premier titulaire, dom Pedro Fernandes Sardinha, est pris, tué et mangé par les Indiens caetés. » (p.34)
-Armelle Enders, Nouvelle Histoire du Brésil, Éditions Chandeigne, 2008, 287 pages, chapitre 2 « Dans le sillage de la route des Indes (1530-1580) », p.27-39.
« Pour comprendre l’évolution de ce territoire entre le XVIe siècle et la première moitié du XXe siècle, il faut oublier les cartes contemporaines, la silhouette massive en forme de harpe, et imaginer des zones de peuplement discontinues et pour la plupart concentrées le long du littoral. Il faut se représenter des établissements aux caractéristiques divers plutôt qu’une seule colonie unifiée. De plus, entre 1621 et 1772, le Nord amazonien ne fait pas partie du « Brésil », mais compose une unité distincte, l’Etat du Maranhao et Grao Para. » (p.8-9)
« Le « Brésil » fait alors partie […] d’une monarchie qui s’étend sur le pourtour de toutes les mers du globe et sur tous les continents. Il s’agit d’un chapelet de « colonies » portugaises, au sens où les conquérants et les migrants venus de la péninsule Ibérique y ont fait souche et font respecter l’autorité du roi du Portugal, au besoin par le fer et par le feu. » (p.9)
« Au temps de l’Ancien Régime portugais –ce que l’on nomme communément la « période coloniale », -la société est en effet stratifiée selon la couleur de la peau en fonction de quatre catégories principales : Blanc, Indiens, « Nègres » (negros, pretos), « Gris » (pardos). Alors que la catégorie « nègre » est directement associée à l’esclavage, celle des pardos désigne en gros la population libre de couleur, y compris les métis (mulatos, mesticos…). A l’époque coloniale, « métis » renvoie donc moins à l’idée d’un brassage qu’à une couleur de peau, laquelle est quasiment un statut civique et assigne une position sociale précise, plus favorable que celle du Noir, moins enviable que celle du Blanc. Dans les milices, Blancs et hommes de couleur servent dans des unités distinctes. Le métissage porte également la marque du genre : si l’homme blanc peut épouser une femme de couleur, l’inverse est impensable. » (p.10)
« En 1578, le roi dom Sebastiao est tué à la bataille d’El-ksar el-kébir, au cours d’une croisade entreprise contre le sultan du Maroc. […] La dynastie d’Avis, qui régnait sur le pays depuis 1385, étant éteinte, six candidats revendiquent la couronne portugaise, mais Philippe II d’Espagne, petit-fils de dom Manuel, possède à la fois les arguments généalogiques et la puissance pour faire valoir ses droits. La menace d’une invasion castillane achève de convaincre la noblesse portugaise de se rallier à lui et de le faire proclamer roi sous le nom de Felipe I par les Cortes (état généraux du Portugal), réunies à Tomar en avril 1581.
L’unification de la péninsule Ibérique par la réunion de toutes les couronnes sur la tête du roi d’Espagne semble s’achever. « Au temps des Philippe », l’organisation coutumière du Portugal est conservée et le royaume n’est en rien incorporé dans une Espagne elle-même très composite. Il en va de même pour les possessions ultramarines dont l’administration n’est guère modifiée pendant l’Union ibérique et reste entre des mains portugaises.
Avoir un souverain qui réside à Madrid a pourtant des conséquences sur l’Etat du Brésil. Certaines sont heureuses, comme le développement des relations entre le Brésil et les Indes espagnoles. D’autres sont hautement préjudiciables. Le Portugal doit en effet épouser les querelles de son roi. La longue guerre que mènent Philippe II et ses successeurs contre les Provinces-Unies, qui ont proclamé leur indépendance vis-à-vis de l’Espagne en 1581, perturbe fortement les intérêts portugais. […]
Dans les années 1630, les Hollandais se lancent à l’assaut des comptoirs portugais d’Asie, des précieuses régions sucrières du Brésil et des ports négriers d’Afrique. Ces atteintes à l’intégrité des possessions et du commerce portugais pèsent leur poids dans la rupture de l’Union ibérique et la sécession du Portugal, consommé en 1640, et l’avènement de dom Joao IV, chef de la maison de Bragance. » (p.40-41)
« La canne à sucre fait son apparition dans les établissements portugais du Brésil dès les premières années du XVIe siècle, mais elle trouve sa terre et son climat d’élection sur le littoral du Nord-Est, autour d’Olinda au Pernambouc et de la baie de Tous-les-saints, où abonde une terre noire et fertile, le massapê. Elle bénéfice aussi de l’initiative des donataires, désireux de mettre en valeurs leurs possessions, comme Duarte Coelho au Pernambouc. L’essor de la production brésilienne commence donc dans le dernier tiers du XVIe siècle. Celle-ci connaît une croissance presque ininterrompue pendant un siècle. Vers 1570, le littoral brésilien compte une soixantaine d’engenhos, localisés pour la plupart au Pernambouc et à Bahia. Quinze ans plus tard, le nombre de moulins a doublé et renforce la prééminence de ces deux capitaineries. En 1689, 528 engenhos fonctionnent dans le Nord-Est, mais aussi à Rio de Janeiro, devenu entre-temps un gros producteur. » (p.41-42)
« [La transformation de la canne] se fait dans le cadre de l’engenho de açucar (moulin à sucre), lequel a d’abord désigné stricto sensu les machines destinées à extraire le jus de canne, mais a fini par recouvrir l’ensemble de la plantation (ce mot, d’origine anglaise, n’apparaît que bien plus tard) : le moulin lui-même, la maison du maître, la chapelle, les logements des esclaves (senzala), les champs de canne, les cultures vivrières, les étables et les écuries. Les meilleurs sites, pour implanter un engenho, sont les berges d’une rivière dont les eaux font tourner les roues des moulins et facilitent le transport des marchandises.
Les premiers moulins ont été installés par les personnages les plus éminents de la colonie, seuls capables d’avoir du crédit à Lisbonne. Les engenhos suivant sont montés par des colons dont les origines sont parfois assez modestes, mais qui ont pu se faire concéder des sesmarias et s’enrichir suffisamment pour se lancer dans la production de sucre. Ces derniers accèdent ainsi à la caste enviée des « maîtres des moulins » (senhores de engenho) qui constituent les premières grosses fortunes de la colonie. Ces « seigneurs » ou « Messieurs », propriétaires de terres et fabricants de sucre, tous blancs, se piquent de hauteur aristocratique et d’honneurs et exercent sur les affaires du pays une influence déterminante. » (p.42-43)
« Le roi du Portugal se garde d’anoblir ses « vassaux d’outre-mer », mais les senhores de engenho se considèrent et sont considérés comme la « noblesse du pays » (nobreza da terra). » (p.43)
« Immédiatement après […] dans la hiérarchie sociale des capitaineries sucrières, viennent des « laboureurs de la canne » (lavradores de cana). Ces « laboureurs », blancs eux aussi, font pousser la canne, mais ne possèdent pas les installations nécessaires à la production du sucre. Certains ont reçu des sesmarias et peuvent payer les services du moulin. D’autres sont liés aux « Messieurs » par des contrats de métayage qui font peser sur eux une partie des risques dus aux aléas agricoles. Les plus riches des « laboureurs de la canne » sont proches des senhores de engenho auxquels ils sont parfois apparentés.
Dans les ports –Recife, Salvador, puis Rio de Janeiro- se forme aussi un milieu de négociants qui se chargent de l’exportation du sucre et sont à même de fournir un peu de crédit aux senhores de engenho et aux lavradores. » (p.43)
« Dans les rares noyaux citadins du Brésil au XVIIe siècle –Salvador, Olinda,- les us et coutumes cherchent à reproduire au plus près ceux du Portugal. Les femmes portugaises vivent en recluses, ne quittant l’espace domestique que pour l’église. Les habitudes alimentaires des classes aisées restent fidèles à la trilogie importée du blée, du vin et de l’huile d’olive, aux fruits et légumes d’Europe cultivés sur place. » (p.44)
« Les bovins sont […] nécessaires comme force motrices des moulins et des charrettes, pour l’alimentation des populations littorales. Le cuir fait en outre travailler les tanneries et constitue un élément non négligeable des exportations vers le Portugal. Les troupeaux de bœufs, nuisibles aux cultures, sont repoussés dans l’intérieur et, le long des rivières, conquièrent de maigres mais immenses pâtures. Une poignée de propriétaires se partagent ainsi des sesmarias gigantesques dans l’intérieur du Nord-Est. […] L’extension de la colonisation dans l’intérieur, de Bahia au Ceara […] provoque de nouveaux affrontements avec les populations indigènes qui y résident, pour la plupart tapuias et moins familières aux Européens que les Tupis de la côte. » (p.45)
« Pour faire du sucre, il faut donc des cannes, de l’eau et du bois de chauffage. Il faut surtout des hommes. Un grand engenho s’appuie sur un contingent moyen d’une soixantaine d’esclaves, occupés pour moitié aux tâches agricoles –planter et couper la canne-, l’autre moitié étant spécialisée dans divers métiers artisanaux nécessaires à la fabrication du sucre ou à la vie de l’exploitation. Une toute petite partie des esclaves, quelques femmes en général, servent aux travaux domestiques. Des travailleurs libres, qualifiés et salariés, se mêlent aux esclaves dans le processus complexe de fabrication du sucre. La dureté des conditions de travail, dans les champs et surtout dans la chaleur infernale du moulin, abrège de nombreuses vies. Le taux de mortalité parmi les esclaves des plantations de canne est très élevé et se situe entre 5 et 10% par an. Comme le taux de natalité parmi les esclaves importés au Brésil reste très bas –en raison, notamment, d’un très fort déséquilibre entre les sexes-, le solde naturel est négatif et le maintien de la force de travail servile dépend de la régularité de son approvisionnement. » (p.45-46)
« Les premiers esclaves africains débarquent au Brésil dans les années 1530, mais ils restent longtemps peu nombreux, tant leur prix est plus élevé que celui des « nègres du pays » [indigènes]. […] A qualités égales, un Africain vaut en moyenne trois fois le prix d’un esclave indien. Le remplacement des Indiens par les Africains prend une cinquantaine d’années et donne une impulsion décisive au développement de la traite négrière vers les Amériques. » (p.46)
« Les négriers portugais obtiennent […] de la couronne d’Espagne les asientos, les contrats pour la fourniture d’esclaves pour toute l’Amérique espagnole à partir de 1595. Ils conserveront ce monopole de fait jusqu’à la sécession du Portugal en 1640. » (p.46-47)
« Au XVIIème siècle, 560 000 Africains, soit 42% de la traite atlantique globale pour cette période, sont débarqués au Brésil, principalement dans les régions sucrières. » (p.48)
« La seule forme d’association possible pour les esclaves est celle des confréries dédiées à une dévotion ou à une mission particulières. Ces confréries sont fondées sur des statuts (compromissos) approuvées par l’Église, lesquels précisent leur finalité et leur organisation. Les confréries d’esclaves exercent la charité vis-à-vis de leurs membres et leur assurent, le moment venu, un service funéraire décent. Elles ont pour saints patrons préférés Notre-Dame du Rosaire –sous laquelle s’était placée la première confrérie de Noirs à Lisbonne-, ou bien d’anciens esclaves canonisés comme Iphigénie ou Benoît de Palerme. […] Elles s’organisent de manière exclusive, en fonction de la couleur de la peau –noire, brune- ou des « nations ». Elles sont d’autant plus nécessaires que les confréries laïques réservées aux Blancs, comme la Santa Casa de Misericordia, la plus importante des institutions charitables du monde portugais et aussi la plus sélecte, répugnent à prêter assistance aux gens de couleur. » (p.50)
« Dans l’Atlantique Sud se joue un des épisodes de la guerre de Quatre-Vingts ans (1568-1648) qui oppose Philippe II d’Espagne et ses successeurs aux provinces sécessionnistes des Pays-Bas espagnols sur tous les continents et toutes les mers du globe. A cause de l’Union ibérique, le Portugal devient aussi la proie des attaques hollandaises, en Asie, mais aussi en Afrique et en Amérique. Bien que le Portugal ait recouvré son indépendance en 1640 et soit à son tour en guerre contre l’Espagne, le conflit luso-hollandais perdure jusqu’à la signature d’un traité en 1663.
Les instruments expansionnistes des Provinces-Unies sont la Compagnie des Indes orientales (VOC), créée en 1602 pour opérer entre le cap de Bonne-Espérance et le détroit de Magellan, et la Compagnie des Indes occidentales (WIC), forgée en 1621 sur le même modèle, pour l’Atlantique. » (p.52)
« En janvier 1654, les Hollandais capitulent, mettant un terme final à leur expérience coloniale au Brésil. » (p.54)
« La cité de Rio de Janeiro a été fondée en 1565 et refondée en 1567 pour des raisons stratégiques. Elle joue un rôle de citadelle à l’extrême sud de la domination portugaise, mais aussi de plaque tournante où s’articulent les trafics avec les possessions espagnoles. Entre l’immense vice-royauté du Pérou et les capitaineries brésiliennes, la frontière n’est pas tracée. Dans une vaste région intermédiaire, des territoires entiers échappent à la domination des deux Couronnes, réunies sur la même tête pendant soixante ans. Entre le Pérou et le Brésil, selon leur acceptation géographique d’alors, s’est constitué une sorte d’Etat jésuite indépendant, la province du Paraguay. Là, la compagnie de Jésus regroupe et acculture les Guanaris dans un chapelet de villages, les « réductions ». » (p.55)
« L’Asiento, la fourniture d’esclaves concédée aux traficants portugais par la Couronne d’Espagne, est une aubaine pour Rio de Janeiro, à cinquante jours de mer des côtes angolaises. » (p.56)
« Capitainerie modeste et périphérique au début du XVIIe siècle, Rio de Janeiro est devenu vers 1650 une colonie dynamique grâce au commerce avec le Rio de la Plata et au développement des moulins à sucre dans la zone littorale. Elle a consolidé aussi son autorité sur les capitaineries voisines et conduit l’expansion portugaise en direction du sud. » (p.59)
-Armelle Enders, Nouvelle Histoire du Brésil, Éditions Chandeigne, 2008, 287 pages, chapitre 3 « Un archipel de colonies (XVIIe siècle) », p.40-68.
« A partir de 1550 la Couronne encouragea le départ vers le Brésil d’habitants des Açores déjà en manques de terres disponibles. […] De même que les marginaux de toute espèce, à l’affût de la chance : ce fut l’origine d’une classe dangereuse, ce dont se lamentaient les donataires. » (p.44)
-Bartolomé Bennassar & Richard Marin, Histoire du Brésil (1500-2000), Fayard, 2000, 629 pages, Chapitre III « Les balbutiements de la colonisation », p.31-44.
« Pendant près d’un siècle, le Brésil a été le premier des producteurs de sucre intégrés dans le commerce européen (la Chine et l’Inde sont exclues), et selon Paul Bairoch, il aurait fourni, au milieu au XVIIe siècle, les neuf-dixièmes de la consommation totale de sucre du monde occidental. » (p.10)
« Le Brésil autour de 1600 est petite chose : 100 000 habitants dans la région contrôlée par les Portugais. Mais Pierre Chaunu a calculé qu’il représente alors en valeur ajoutée 10% des Nouveaux Mondes. » (p.10)
« Après le sucre, l’or : des placers sont découverts en 1698 dans le Minas (mais on en a trouvé dans d’autres régions ensuite), ce qui déclencha la première des ruées vers l’or de l’époque moderne. La production augmenta très rapidement et, d’après Michel Morineau, que l’on tend aujourd’hui à suivre, elle aurait culminé dans les années 1726-1730, à 15 tonnes par an ; elle déclina ensuite, n’étant plus que de 4 tonnes à la fin du siècle.
Au total, le Brésil aurait produit, au XVIIIe siècle, 860 à 950 tonnes d’or. Ceci représenterait plus de la moitié de la production d’or en Amérique pendant ce siècle (51% ou 55% selon les estimations), et plus de 40% de la production mondiale. » (p.11)
« Malgré les interdits de l’Etat portugais et par une contrebande intense dans le port de Lisbonne, une bonne partie de l’or qui y arrivait était sur-le-champ transbordée clandestinement sur des navires en partance pour l’Angleterre. On peut estimer que 30% environ de la production d’or du Brésil parvenait en Angleterre, qui en aurait reçu, de 1700 à 1760, pour 25 millions de livres sterling. » (p.11)
« Fisher conclut de son côté que le commerce avec l’ensemble luso-brésilien (dont plus de la moitié était en fait avec le Brésil) a contribué au développement de l’économie anglaise d’un certain nombre de façons importantes, surtout avant 1740, quand la croissance anglaise globale était lente. » (p.13)
-François Crouzet, « Le Brésil dans l’économie internationale, XVIe-XXe siècle », in Katia de Queiros Mattoso, Idelette Muzart-Fronseca dos Santos & Denis Rolland (dir.), Le Brésil, l’Europe et les équilibres internationaux. XVIe-XXe siècles, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, mars 1999, 338 pages.
« En février 1532, Martin Afonso de Sousa fonde la première ville portugaise au Brésil, la vila de Sao Vicente, au lieu-dit « le port aux esclaves », sur un îlot côtier du littoral pauliste actuel. Dans la monarchie portugaise, une vila (ville) dispose de son gouvernement, exercé par une chambre (câmara) sur un territoire précis (termo). » (p.31)
« Le pays est divisé en quinze « capitaineries héréditaires ». Chacune possède environ 350 kilomètres de littoral et s’étend théoriquement vers l’intérieur jusqu’au méridien de Tordesillas. […] Les « capitaines donataires » doivent coloniser leur immense domaine dans un délai de cinq ans et disposent pour cela du pouvoir de concéder des terres (sesmarias) aux colons qu’ils auront réussi à faire venir au Brésil. Dom Joao III ordonne aussi en 1535 que les condamnés de droit commun, qu’on envoyait jusqu’alors en Afrique ou à Sao Tomé e Principe, soient déportés au Brésil. » (p.32)
« En 1551, la ville [de Sao Salvador] devient aussi le siège d’un évêché, dont le premier titulaire, dom Pedro Fernandes Sardinha, est pris, tué et mangé par les Indiens caetés. » (p.34)
-Armelle Enders, Nouvelle Histoire du Brésil, Éditions Chandeigne, 2008, 287 pages, chapitre 2 « Dans le sillage de la route des Indes (1530-1580) », p.27-39.
« Pour comprendre l’évolution de ce territoire entre le XVIe siècle et la première moitié du XXe siècle, il faut oublier les cartes contemporaines, la silhouette massive en forme de harpe, et imaginer des zones de peuplement discontinues et pour la plupart concentrées le long du littoral. Il faut se représenter des établissements aux caractéristiques divers plutôt qu’une seule colonie unifiée. De plus, entre 1621 et 1772, le Nord amazonien ne fait pas partie du « Brésil », mais compose une unité distincte, l’Etat du Maranhao et Grao Para. » (p.8-9)
« Le « Brésil » fait alors partie […] d’une monarchie qui s’étend sur le pourtour de toutes les mers du globe et sur tous les continents. Il s’agit d’un chapelet de « colonies » portugaises, au sens où les conquérants et les migrants venus de la péninsule Ibérique y ont fait souche et font respecter l’autorité du roi du Portugal, au besoin par le fer et par le feu. » (p.9)
« Au temps de l’Ancien Régime portugais –ce que l’on nomme communément la « période coloniale », -la société est en effet stratifiée selon la couleur de la peau en fonction de quatre catégories principales : Blanc, Indiens, « Nègres » (negros, pretos), « Gris » (pardos). Alors que la catégorie « nègre » est directement associée à l’esclavage, celle des pardos désigne en gros la population libre de couleur, y compris les métis (mulatos, mesticos…). A l’époque coloniale, « métis » renvoie donc moins à l’idée d’un brassage qu’à une couleur de peau, laquelle est quasiment un statut civique et assigne une position sociale précise, plus favorable que celle du Noir, moins enviable que celle du Blanc. Dans les milices, Blancs et hommes de couleur servent dans des unités distinctes. Le métissage porte également la marque du genre : si l’homme blanc peut épouser une femme de couleur, l’inverse est impensable. » (p.10)
« En 1578, le roi dom Sebastiao est tué à la bataille d’El-ksar el-kébir, au cours d’une croisade entreprise contre le sultan du Maroc. […] La dynastie d’Avis, qui régnait sur le pays depuis 1385, étant éteinte, six candidats revendiquent la couronne portugaise, mais Philippe II d’Espagne, petit-fils de dom Manuel, possède à la fois les arguments généalogiques et la puissance pour faire valoir ses droits. La menace d’une invasion castillane achève de convaincre la noblesse portugaise de se rallier à lui et de le faire proclamer roi sous le nom de Felipe I par les Cortes (état généraux du Portugal), réunies à Tomar en avril 1581.
L’unification de la péninsule Ibérique par la réunion de toutes les couronnes sur la tête du roi d’Espagne semble s’achever. « Au temps des Philippe », l’organisation coutumière du Portugal est conservée et le royaume n’est en rien incorporé dans une Espagne elle-même très composite. Il en va de même pour les possessions ultramarines dont l’administration n’est guère modifiée pendant l’Union ibérique et reste entre des mains portugaises.
Avoir un souverain qui réside à Madrid a pourtant des conséquences sur l’Etat du Brésil. Certaines sont heureuses, comme le développement des relations entre le Brésil et les Indes espagnoles. D’autres sont hautement préjudiciables. Le Portugal doit en effet épouser les querelles de son roi. La longue guerre que mènent Philippe II et ses successeurs contre les Provinces-Unies, qui ont proclamé leur indépendance vis-à-vis de l’Espagne en 1581, perturbe fortement les intérêts portugais. […]
Dans les années 1630, les Hollandais se lancent à l’assaut des comptoirs portugais d’Asie, des précieuses régions sucrières du Brésil et des ports négriers d’Afrique. Ces atteintes à l’intégrité des possessions et du commerce portugais pèsent leur poids dans la rupture de l’Union ibérique et la sécession du Portugal, consommé en 1640, et l’avènement de dom Joao IV, chef de la maison de Bragance. » (p.40-41)
« La canne à sucre fait son apparition dans les établissements portugais du Brésil dès les premières années du XVIe siècle, mais elle trouve sa terre et son climat d’élection sur le littoral du Nord-Est, autour d’Olinda au Pernambouc et de la baie de Tous-les-saints, où abonde une terre noire et fertile, le massapê. Elle bénéfice aussi de l’initiative des donataires, désireux de mettre en valeurs leurs possessions, comme Duarte Coelho au Pernambouc. L’essor de la production brésilienne commence donc dans le dernier tiers du XVIe siècle. Celle-ci connaît une croissance presque ininterrompue pendant un siècle. Vers 1570, le littoral brésilien compte une soixantaine d’engenhos, localisés pour la plupart au Pernambouc et à Bahia. Quinze ans plus tard, le nombre de moulins a doublé et renforce la prééminence de ces deux capitaineries. En 1689, 528 engenhos fonctionnent dans le Nord-Est, mais aussi à Rio de Janeiro, devenu entre-temps un gros producteur. » (p.41-42)
« [La transformation de la canne] se fait dans le cadre de l’engenho de açucar (moulin à sucre), lequel a d’abord désigné stricto sensu les machines destinées à extraire le jus de canne, mais a fini par recouvrir l’ensemble de la plantation (ce mot, d’origine anglaise, n’apparaît que bien plus tard) : le moulin lui-même, la maison du maître, la chapelle, les logements des esclaves (senzala), les champs de canne, les cultures vivrières, les étables et les écuries. Les meilleurs sites, pour implanter un engenho, sont les berges d’une rivière dont les eaux font tourner les roues des moulins et facilitent le transport des marchandises.
Les premiers moulins ont été installés par les personnages les plus éminents de la colonie, seuls capables d’avoir du crédit à Lisbonne. Les engenhos suivant sont montés par des colons dont les origines sont parfois assez modestes, mais qui ont pu se faire concéder des sesmarias et s’enrichir suffisamment pour se lancer dans la production de sucre. Ces derniers accèdent ainsi à la caste enviée des « maîtres des moulins » (senhores de engenho) qui constituent les premières grosses fortunes de la colonie. Ces « seigneurs » ou « Messieurs », propriétaires de terres et fabricants de sucre, tous blancs, se piquent de hauteur aristocratique et d’honneurs et exercent sur les affaires du pays une influence déterminante. » (p.42-43)
« Le roi du Portugal se garde d’anoblir ses « vassaux d’outre-mer », mais les senhores de engenho se considèrent et sont considérés comme la « noblesse du pays » (nobreza da terra). » (p.43)
« Immédiatement après […] dans la hiérarchie sociale des capitaineries sucrières, viennent des « laboureurs de la canne » (lavradores de cana). Ces « laboureurs », blancs eux aussi, font pousser la canne, mais ne possèdent pas les installations nécessaires à la production du sucre. Certains ont reçu des sesmarias et peuvent payer les services du moulin. D’autres sont liés aux « Messieurs » par des contrats de métayage qui font peser sur eux une partie des risques dus aux aléas agricoles. Les plus riches des « laboureurs de la canne » sont proches des senhores de engenho auxquels ils sont parfois apparentés.
Dans les ports –Recife, Salvador, puis Rio de Janeiro- se forme aussi un milieu de négociants qui se chargent de l’exportation du sucre et sont à même de fournir un peu de crédit aux senhores de engenho et aux lavradores. » (p.43)
« Dans les rares noyaux citadins du Brésil au XVIIe siècle –Salvador, Olinda,- les us et coutumes cherchent à reproduire au plus près ceux du Portugal. Les femmes portugaises vivent en recluses, ne quittant l’espace domestique que pour l’église. Les habitudes alimentaires des classes aisées restent fidèles à la trilogie importée du blée, du vin et de l’huile d’olive, aux fruits et légumes d’Europe cultivés sur place. » (p.44)
« Les bovins sont […] nécessaires comme force motrices des moulins et des charrettes, pour l’alimentation des populations littorales. Le cuir fait en outre travailler les tanneries et constitue un élément non négligeable des exportations vers le Portugal. Les troupeaux de bœufs, nuisibles aux cultures, sont repoussés dans l’intérieur et, le long des rivières, conquièrent de maigres mais immenses pâtures. Une poignée de propriétaires se partagent ainsi des sesmarias gigantesques dans l’intérieur du Nord-Est. […] L’extension de la colonisation dans l’intérieur, de Bahia au Ceara […] provoque de nouveaux affrontements avec les populations indigènes qui y résident, pour la plupart tapuias et moins familières aux Européens que les Tupis de la côte. » (p.45)
« Pour faire du sucre, il faut donc des cannes, de l’eau et du bois de chauffage. Il faut surtout des hommes. Un grand engenho s’appuie sur un contingent moyen d’une soixantaine d’esclaves, occupés pour moitié aux tâches agricoles –planter et couper la canne-, l’autre moitié étant spécialisée dans divers métiers artisanaux nécessaires à la fabrication du sucre ou à la vie de l’exploitation. Une toute petite partie des esclaves, quelques femmes en général, servent aux travaux domestiques. Des travailleurs libres, qualifiés et salariés, se mêlent aux esclaves dans le processus complexe de fabrication du sucre. La dureté des conditions de travail, dans les champs et surtout dans la chaleur infernale du moulin, abrège de nombreuses vies. Le taux de mortalité parmi les esclaves des plantations de canne est très élevé et se situe entre 5 et 10% par an. Comme le taux de natalité parmi les esclaves importés au Brésil reste très bas –en raison, notamment, d’un très fort déséquilibre entre les sexes-, le solde naturel est négatif et le maintien de la force de travail servile dépend de la régularité de son approvisionnement. » (p.45-46)
« Les premiers esclaves africains débarquent au Brésil dans les années 1530, mais ils restent longtemps peu nombreux, tant leur prix est plus élevé que celui des « nègres du pays » [indigènes]. […] A qualités égales, un Africain vaut en moyenne trois fois le prix d’un esclave indien. Le remplacement des Indiens par les Africains prend une cinquantaine d’années et donne une impulsion décisive au développement de la traite négrière vers les Amériques. » (p.46)
« Les négriers portugais obtiennent […] de la couronne d’Espagne les asientos, les contrats pour la fourniture d’esclaves pour toute l’Amérique espagnole à partir de 1595. Ils conserveront ce monopole de fait jusqu’à la sécession du Portugal en 1640. » (p.46-47)
« Au XVIIème siècle, 560 000 Africains, soit 42% de la traite atlantique globale pour cette période, sont débarqués au Brésil, principalement dans les régions sucrières. » (p.48)
« La seule forme d’association possible pour les esclaves est celle des confréries dédiées à une dévotion ou à une mission particulières. Ces confréries sont fondées sur des statuts (compromissos) approuvées par l’Église, lesquels précisent leur finalité et leur organisation. Les confréries d’esclaves exercent la charité vis-à-vis de leurs membres et leur assurent, le moment venu, un service funéraire décent. Elles ont pour saints patrons préférés Notre-Dame du Rosaire –sous laquelle s’était placée la première confrérie de Noirs à Lisbonne-, ou bien d’anciens esclaves canonisés comme Iphigénie ou Benoît de Palerme. […] Elles s’organisent de manière exclusive, en fonction de la couleur de la peau –noire, brune- ou des « nations ». Elles sont d’autant plus nécessaires que les confréries laïques réservées aux Blancs, comme la Santa Casa de Misericordia, la plus importante des institutions charitables du monde portugais et aussi la plus sélecte, répugnent à prêter assistance aux gens de couleur. » (p.50)
« Dans l’Atlantique Sud se joue un des épisodes de la guerre de Quatre-Vingts ans (1568-1648) qui oppose Philippe II d’Espagne et ses successeurs aux provinces sécessionnistes des Pays-Bas espagnols sur tous les continents et toutes les mers du globe. A cause de l’Union ibérique, le Portugal devient aussi la proie des attaques hollandaises, en Asie, mais aussi en Afrique et en Amérique. Bien que le Portugal ait recouvré son indépendance en 1640 et soit à son tour en guerre contre l’Espagne, le conflit luso-hollandais perdure jusqu’à la signature d’un traité en 1663.
Les instruments expansionnistes des Provinces-Unies sont la Compagnie des Indes orientales (VOC), créée en 1602 pour opérer entre le cap de Bonne-Espérance et le détroit de Magellan, et la Compagnie des Indes occidentales (WIC), forgée en 1621 sur le même modèle, pour l’Atlantique. » (p.52)
« En janvier 1654, les Hollandais capitulent, mettant un terme final à leur expérience coloniale au Brésil. » (p.54)
« La cité de Rio de Janeiro a été fondée en 1565 et refondée en 1567 pour des raisons stratégiques. Elle joue un rôle de citadelle à l’extrême sud de la domination portugaise, mais aussi de plaque tournante où s’articulent les trafics avec les possessions espagnoles. Entre l’immense vice-royauté du Pérou et les capitaineries brésiliennes, la frontière n’est pas tracée. Dans une vaste région intermédiaire, des territoires entiers échappent à la domination des deux Couronnes, réunies sur la même tête pendant soixante ans. Entre le Pérou et le Brésil, selon leur acceptation géographique d’alors, s’est constitué une sorte d’Etat jésuite indépendant, la province du Paraguay. Là, la compagnie de Jésus regroupe et acculture les Guanaris dans un chapelet de villages, les « réductions ». » (p.55)
« L’Asiento, la fourniture d’esclaves concédée aux traficants portugais par la Couronne d’Espagne, est une aubaine pour Rio de Janeiro, à cinquante jours de mer des côtes angolaises. » (p.56)
« Capitainerie modeste et périphérique au début du XVIIe siècle, Rio de Janeiro est devenu vers 1650 une colonie dynamique grâce au commerce avec le Rio de la Plata et au développement des moulins à sucre dans la zone littorale. Elle a consolidé aussi son autorité sur les capitaineries voisines et conduit l’expansion portugaise en direction du sud. » (p.59)
-Armelle Enders, Nouvelle Histoire du Brésil, Éditions Chandeigne, 2008, 287 pages, chapitre 3 « Un archipel de colonies (XVIIe siècle) », p.40-68.
« A partir de 1550 la Couronne encouragea le départ vers le Brésil d’habitants des Açores déjà en manques de terres disponibles. […] De même que les marginaux de toute espèce, à l’affût de la chance : ce fut l’origine d’une classe dangereuse, ce dont se lamentaient les donataires. » (p.44)
-Bartolomé Bennassar & Richard Marin, Histoire du Brésil (1500-2000), Fayard, 2000, 629 pages, Chapitre III « Les balbutiements de la colonisation », p.31-44.
« Pendant près d’un siècle, le Brésil a été le premier des producteurs de sucre intégrés dans le commerce européen (la Chine et l’Inde sont exclues), et selon Paul Bairoch, il aurait fourni, au milieu au XVIIe siècle, les neuf-dixièmes de la consommation totale de sucre du monde occidental. » (p.10)
« Le Brésil autour de 1600 est petite chose : 100 000 habitants dans la région contrôlée par les Portugais. Mais Pierre Chaunu a calculé qu’il représente alors en valeur ajoutée 10% des Nouveaux Mondes. » (p.10)
« Après le sucre, l’or : des placers sont découverts en 1698 dans le Minas (mais on en a trouvé dans d’autres régions ensuite), ce qui déclencha la première des ruées vers l’or de l’époque moderne. La production augmenta très rapidement et, d’après Michel Morineau, que l’on tend aujourd’hui à suivre, elle aurait culminé dans les années 1726-1730, à 15 tonnes par an ; elle déclina ensuite, n’étant plus que de 4 tonnes à la fin du siècle.
Au total, le Brésil aurait produit, au XVIIIe siècle, 860 à 950 tonnes d’or. Ceci représenterait plus de la moitié de la production d’or en Amérique pendant ce siècle (51% ou 55% selon les estimations), et plus de 40% de la production mondiale. » (p.11)
« Malgré les interdits de l’Etat portugais et par une contrebande intense dans le port de Lisbonne, une bonne partie de l’or qui y arrivait était sur-le-champ transbordée clandestinement sur des navires en partance pour l’Angleterre. On peut estimer que 30% environ de la production d’or du Brésil parvenait en Angleterre, qui en aurait reçu, de 1700 à 1760, pour 25 millions de livres sterling. » (p.11)
« Fisher conclut de son côté que le commerce avec l’ensemble luso-brésilien (dont plus de la moitié était en fait avec le Brésil) a contribué au développement de l’économie anglaise d’un certain nombre de façons importantes, surtout avant 1740, quand la croissance anglaise globale était lente. » (p.13)
-François Crouzet, « Le Brésil dans l’économie internationale, XVIe-XXe siècle », in Katia de Queiros Mattoso, Idelette Muzart-Fronseca dos Santos & Denis Rolland (dir.), Le Brésil, l’Europe et les équilibres internationaux. XVIe-XXe siècles, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, mars 1999, 338 pages.