"Le sociologue marxiste John Bellamy Foster discerne en Lewis Mumford un précurseur de l'écosocialisme." (p.XVII)
-Jean-Pierre Garnier, préface à Lewis Mumford, La cité à travers l'histoire, Agone, coll. Mémoire sociales, 2011 (1961 pour la première édition américaine), 922 pages.
"Le hameau, le sanctuaire, le village sont antérieurs à la cité ; le campement, l'abri, la grotte, le tumulus ont précédé le village, et fort longtemps auparavant, existait l'instinct de la vie communautaire qui n'est pas, parmi les espèces animales, l'apanage exclusif de l'homme.
Nomadisme ou vie sédentaire, les modes d'existence humaine ont oscillé entre ces deux extrêmes." (p.5)
"Au cours de la rude période de nomadisation du paléolithique, la première résidence fixe dont nous retrouvons la trace est celle des morts: une faille dans la roche, un monticule de pierres, un tumulus communautaire. Les vivants revenaient vers ces points de repères pour évoquer l'âme des ancêtres ou leur apporter les offrandes qui apaiseraient leur courroux. L'occupation permanente d'un seul site n'était pas facilement conciliable avec les exigences de la chasse et de la cueillette, mais l'appel immatériel des morts lui donnait toute son importance. Les peuples juifs ont revendiqué comme leur, pendant des siècles, une terre qui renfermait les cendres de leur ancêtres ; et il s'agit là, semble-t-il, de la plus originaire des revendications. La cité des morts est antérieure à la cité des vivants. Elle paraît annoncer l'apparition de cette ville dont elle justifiera le rayonnement. La vie des cités, qui commence avec le tumulus funéraire du primitif, va s'achever dans le dernier cimetière -la nécropole, où, l'une suivant l'autre, vont se rejoindre les civilisations.
Ironie cruelle et renouvelée: le long des voies d'accès des villes grecques ou romaines, des rangées de tombeaux accueillaient le voyageur. En Égypte, tout ce qui peut rester d'une grande civilisation qui sut savourer la plénitude joyeuse de la vie est conservée dans les temples et les sarcophages." (p.7)
"Sans récipients étanches, le paysan néolithique ne pouvait conserver ni la bière et le vin ni l'huile ; sans jarres scellés, d'argile ou de pierre, son bien était à la merci des rongeurs et des insectes ; s'il n'avait eu ni silos ni grandes, comment aurait-il conservé les fruits de sa récolte d'une saison à l'autre ? La maison était devenue nécessaire pour abriter les enfants, les malades et les vieillards. [...] La mise en réserve d'une partie des récoltes pour parer aux conséquences des disettes devait favoriser l'esprit de prévoyance et la conscience de la durée. La part des graines que l'on réserve en vue des prochaines semailles est la première étape de l'accumulation de capitaux." (p.18-19)
"La structure embryonnaire de la cité existait déjà dans le village. La maison, l'autel, le puits, la rue, la place publique -qui n'était pas encore devenue le champ de foire- y ont trouvé leur première forme, avant d'être intégrés et utilisés dans une structure citadine plus complexe. Il allait en être de même dans le domaine des institutions. Le conseil des anciens du village se trouve être à l'origine de toutes les institutions de gouvernement, de droit, de justice et de moralité publique. Thorkild Jacobsen a apporté la preuve de l'existence de ce corps représentatif, gardien de la tradition et de la morale, juge de ce qui est bien et de ce qui est mal, au quatrième millénaire avant notre ère, en Mésopotamie ; mais ses origines remontent à une époque bien antérieure à celle des documents écrits. Dans toutes les communautés villageoises, quel que soit le lieu ou l'époque, on retrouve, semble-t-il, cette même forme rudimentaire de gouvernement. Elle a aussi bien influencé la mythologie religieuse que le fonctionnement pratique de la cité-Etat de Mésopotamie. Le "conseil des dieux" babylonien paraît avoir été calqué en effet sur la forme de l'archaïque institution villageoise qui existait depuis des millénaires." (p.22)
"Les premiers châteaux et forteresses n'ont pas été édifiés pour soutenir des opérations de guerre de deux communautés ennemies, mais à l'intérieur d'une même communauté, ils témoignent qu'un groupement minoritaire a l'intention d'affirmer une position dominante. L'oppression s'installe à l'intérieur d'un groupe avant de chercher à s'imposer par la force des armes aux communautés extérieures. Les seigneurs, en se réservant le privilège de manier les armes, ont pu pendant des siècles établir leur domination sur leurs propres communautés paysannes." (p.28)
"La cité manifeste dès l'origine cette aptitude à créer et à diffuser tous les produits de la "civilisation", elle concentre dans un espace restreint une énorme réserve de force productrice ou destructrice, mais elle peut aussi étendre ses constructions et son emprise à la mesure des besoins nouveaux d'une société sans cesse plus complexe, et de son héritage historique qui ne cesse de s'accroître et de se développer. L'usage des documents écrits, des archives, des bibliothèques, l'organisation de l'enseignement font partie de ses premières et de ses plus caractéristiques réalisations. […]
La cité allait devenir un moyen d'expression de toutes les possibilités humaines." (p.37)
"Ainsi la culture céréalière, l'invention de la charrue, le tour du potier, la navigation à voile, le métier à tisser, l'usage du cuivre, l'abstraction mathématique, l'observation des astres, le calendrier, l'écriture et autres procédés de fixation de la parole, toutes ces découvertes seraient presque contemporaines, et nous pouvons les situer, peu ou prou, aux environs du troisième millénaire avant l'ère chrétienne. A l'exception de Jéricho, les plus anciens vestiges urbains qui nous soient connus appartiennent à cette même période. L'étonnante fécondité de cette expansion technologique ne fut égalée qu'à l'époque moderne. Dans l'un et l'autre cas, on a pu voir des hommes, poussés par leur idéal, réaliser une œuvre surhumaine, sans tenir compte des faiblesses et des limitations de leur propre nature, et sans s'apercevoir peut-être que l'œuvre d'une foi orgueilleuse pouvait avoir des conséquences néfastes ou criminelles." (p.40)
"C'est un phénomène inverse qui devait marquer la première grande période d'expansion de la civilisation: au lieu d'un éclatement de puissance, on vit se produire une brusque concentration. Les communautés essaimées autour de vallées fluviales, ou venues parfois de régions plus lointaines, furent mobilisées et poussées en masse derrière les solides murailles de la cité. Les forces naturelles elles-mêmes furent contraintes de se plier à la volonté des hommes: des travailleurs par dizaines de milliers, fonctionnant comme un mécanisme gigantesque sous un commandement hiérarchisé, creusaient fossés et canaux d'irrigation, bâtissaient remparts, ziggourats, temples, palais, pyramides. Le nombre et les dimensions de ces édifices dépassaient l'imagination. Moyen d'action au service du mythe de la force, la machine venait ainsi d'être inventée. Les archéologues ont mis fort longtemps à s'en apercevoir, car les corps périssables qui la composaient ont été disjoints et leurs débris dispersés. La cité fut le réceptacle de cette concentration de forces nouvelles, le lieu de leurs réactions intenses, de leurs progrès, de leurs grandioses réalisations.
Cette concentration se produisait au moment même où, par la piraterie et le commerce, les rapts et les levées d'hommes, les collectes d'impôts et la mobilisation de la main-d'œuvre, les relations entre les groupes s'intensifiaient. La royauté devenue l'institution dominante allait polariser les particules sociales séparées, indépendantes, voire antagonistes, et les rassembler dans l'étroit périmètre de la cité. Comme dans un mélange gazeux maintenu sous pression, les molécules se trouvaient brassées dans ce réservoir limité et, dans le temps d'une génération, les réactions y étaient plus fréquentes qu'au cours des siècles de dispersion dans l'espace sans limites des habitats d'origine." (p.41)
"
(pp.42-44)
"A la différence du village, la première cité se compose d'un ensemble de castes au service d'une minorité dirigeante, et non pas d'une humble réunion de familles coopérant sur une base égalitaire." (p.45)
"Le développement de l'agriculture du néolithique avait amené un accroissement de la population et les communautés proto-urbaines étaient de plus en plus dépendantes des éléments naturels qui échappaient à leur contrôle. L'inondation, une nuée de sauterelles pouvaient être cause de dommages, de souffrances et de morts innombrables dans les centres où la population ne pouvait être ni évacuée ni ravitaillée de l'extérieur. Les groupements urbains bénéficiaient d'un accroissement du confort et du bien-être à mesure que leur structuration devenait plus complexe, mais leur population devait d'autant plus redouter les événements qui étaient susceptibles de la priver de ces avantages. [...]
L'homme des cités entendait imposer sa loi à une nature dont les primitifs ancêtres acceptaient le comportement avec une muette révérence." (p.43)
"La guerre, institutionnalisée, était entrée dans les mœurs,
(p.52)
-Lewis Mumford, La cité à travers l'histoire, Agone, coll. Mémoire sociales, 2011 (1961 pour la première édition américaine), 922 pages.
-Jean-Pierre Garnier, préface à Lewis Mumford, La cité à travers l'histoire, Agone, coll. Mémoire sociales, 2011 (1961 pour la première édition américaine), 922 pages.
"Le hameau, le sanctuaire, le village sont antérieurs à la cité ; le campement, l'abri, la grotte, le tumulus ont précédé le village, et fort longtemps auparavant, existait l'instinct de la vie communautaire qui n'est pas, parmi les espèces animales, l'apanage exclusif de l'homme.
Nomadisme ou vie sédentaire, les modes d'existence humaine ont oscillé entre ces deux extrêmes." (p.5)
"Au cours de la rude période de nomadisation du paléolithique, la première résidence fixe dont nous retrouvons la trace est celle des morts: une faille dans la roche, un monticule de pierres, un tumulus communautaire. Les vivants revenaient vers ces points de repères pour évoquer l'âme des ancêtres ou leur apporter les offrandes qui apaiseraient leur courroux. L'occupation permanente d'un seul site n'était pas facilement conciliable avec les exigences de la chasse et de la cueillette, mais l'appel immatériel des morts lui donnait toute son importance. Les peuples juifs ont revendiqué comme leur, pendant des siècles, une terre qui renfermait les cendres de leur ancêtres ; et il s'agit là, semble-t-il, de la plus originaire des revendications. La cité des morts est antérieure à la cité des vivants. Elle paraît annoncer l'apparition de cette ville dont elle justifiera le rayonnement. La vie des cités, qui commence avec le tumulus funéraire du primitif, va s'achever dans le dernier cimetière -la nécropole, où, l'une suivant l'autre, vont se rejoindre les civilisations.
Ironie cruelle et renouvelée: le long des voies d'accès des villes grecques ou romaines, des rangées de tombeaux accueillaient le voyageur. En Égypte, tout ce qui peut rester d'une grande civilisation qui sut savourer la plénitude joyeuse de la vie est conservée dans les temples et les sarcophages." (p.7)
"Sans récipients étanches, le paysan néolithique ne pouvait conserver ni la bière et le vin ni l'huile ; sans jarres scellés, d'argile ou de pierre, son bien était à la merci des rongeurs et des insectes ; s'il n'avait eu ni silos ni grandes, comment aurait-il conservé les fruits de sa récolte d'une saison à l'autre ? La maison était devenue nécessaire pour abriter les enfants, les malades et les vieillards. [...] La mise en réserve d'une partie des récoltes pour parer aux conséquences des disettes devait favoriser l'esprit de prévoyance et la conscience de la durée. La part des graines que l'on réserve en vue des prochaines semailles est la première étape de l'accumulation de capitaux." (p.18-19)
"La structure embryonnaire de la cité existait déjà dans le village. La maison, l'autel, le puits, la rue, la place publique -qui n'était pas encore devenue le champ de foire- y ont trouvé leur première forme, avant d'être intégrés et utilisés dans une structure citadine plus complexe. Il allait en être de même dans le domaine des institutions. Le conseil des anciens du village se trouve être à l'origine de toutes les institutions de gouvernement, de droit, de justice et de moralité publique. Thorkild Jacobsen a apporté la preuve de l'existence de ce corps représentatif, gardien de la tradition et de la morale, juge de ce qui est bien et de ce qui est mal, au quatrième millénaire avant notre ère, en Mésopotamie ; mais ses origines remontent à une époque bien antérieure à celle des documents écrits. Dans toutes les communautés villageoises, quel que soit le lieu ou l'époque, on retrouve, semble-t-il, cette même forme rudimentaire de gouvernement. Elle a aussi bien influencé la mythologie religieuse que le fonctionnement pratique de la cité-Etat de Mésopotamie. Le "conseil des dieux" babylonien paraît avoir été calqué en effet sur la forme de l'archaïque institution villageoise qui existait depuis des millénaires." (p.22)
"Les premiers châteaux et forteresses n'ont pas été édifiés pour soutenir des opérations de guerre de deux communautés ennemies, mais à l'intérieur d'une même communauté, ils témoignent qu'un groupement minoritaire a l'intention d'affirmer une position dominante. L'oppression s'installe à l'intérieur d'un groupe avant de chercher à s'imposer par la force des armes aux communautés extérieures. Les seigneurs, en se réservant le privilège de manier les armes, ont pu pendant des siècles établir leur domination sur leurs propres communautés paysannes." (p.28)
"La cité manifeste dès l'origine cette aptitude à créer et à diffuser tous les produits de la "civilisation", elle concentre dans un espace restreint une énorme réserve de force productrice ou destructrice, mais elle peut aussi étendre ses constructions et son emprise à la mesure des besoins nouveaux d'une société sans cesse plus complexe, et de son héritage historique qui ne cesse de s'accroître et de se développer. L'usage des documents écrits, des archives, des bibliothèques, l'organisation de l'enseignement font partie de ses premières et de ses plus caractéristiques réalisations. […]
La cité allait devenir un moyen d'expression de toutes les possibilités humaines." (p.37)
"Ainsi la culture céréalière, l'invention de la charrue, le tour du potier, la navigation à voile, le métier à tisser, l'usage du cuivre, l'abstraction mathématique, l'observation des astres, le calendrier, l'écriture et autres procédés de fixation de la parole, toutes ces découvertes seraient presque contemporaines, et nous pouvons les situer, peu ou prou, aux environs du troisième millénaire avant l'ère chrétienne. A l'exception de Jéricho, les plus anciens vestiges urbains qui nous soient connus appartiennent à cette même période. L'étonnante fécondité de cette expansion technologique ne fut égalée qu'à l'époque moderne. Dans l'un et l'autre cas, on a pu voir des hommes, poussés par leur idéal, réaliser une œuvre surhumaine, sans tenir compte des faiblesses et des limitations de leur propre nature, et sans s'apercevoir peut-être que l'œuvre d'une foi orgueilleuse pouvait avoir des conséquences néfastes ou criminelles." (p.40)
"C'est un phénomène inverse qui devait marquer la première grande période d'expansion de la civilisation: au lieu d'un éclatement de puissance, on vit se produire une brusque concentration. Les communautés essaimées autour de vallées fluviales, ou venues parfois de régions plus lointaines, furent mobilisées et poussées en masse derrière les solides murailles de la cité. Les forces naturelles elles-mêmes furent contraintes de se plier à la volonté des hommes: des travailleurs par dizaines de milliers, fonctionnant comme un mécanisme gigantesque sous un commandement hiérarchisé, creusaient fossés et canaux d'irrigation, bâtissaient remparts, ziggourats, temples, palais, pyramides. Le nombre et les dimensions de ces édifices dépassaient l'imagination. Moyen d'action au service du mythe de la force, la machine venait ainsi d'être inventée. Les archéologues ont mis fort longtemps à s'en apercevoir, car les corps périssables qui la composaient ont été disjoints et leurs débris dispersés. La cité fut le réceptacle de cette concentration de forces nouvelles, le lieu de leurs réactions intenses, de leurs progrès, de leurs grandioses réalisations.
Cette concentration se produisait au moment même où, par la piraterie et le commerce, les rapts et les levées d'hommes, les collectes d'impôts et la mobilisation de la main-d'œuvre, les relations entre les groupes s'intensifiaient. La royauté devenue l'institution dominante allait polariser les particules sociales séparées, indépendantes, voire antagonistes, et les rassembler dans l'étroit périmètre de la cité. Comme dans un mélange gazeux maintenu sous pression, les molécules se trouvaient brassées dans ce réservoir limité et, dans le temps d'une génération, les réactions y étaient plus fréquentes qu'au cours des siècles de dispersion dans l'espace sans limites des habitats d'origine." (p.41)
"
(pp.42-44)
"A la différence du village, la première cité se compose d'un ensemble de castes au service d'une minorité dirigeante, et non pas d'une humble réunion de familles coopérant sur une base égalitaire." (p.45)
"Le développement de l'agriculture du néolithique avait amené un accroissement de la population et les communautés proto-urbaines étaient de plus en plus dépendantes des éléments naturels qui échappaient à leur contrôle. L'inondation, une nuée de sauterelles pouvaient être cause de dommages, de souffrances et de morts innombrables dans les centres où la population ne pouvait être ni évacuée ni ravitaillée de l'extérieur. Les groupements urbains bénéficiaient d'un accroissement du confort et du bien-être à mesure que leur structuration devenait plus complexe, mais leur population devait d'autant plus redouter les événements qui étaient susceptibles de la priver de ces avantages. [...]
L'homme des cités entendait imposer sa loi à une nature dont les primitifs ancêtres acceptaient le comportement avec une muette révérence." (p.43)
"La guerre, institutionnalisée, était entrée dans les mœurs,
(p.52)
-Lewis Mumford, La cité à travers l'histoire, Agone, coll. Mémoire sociales, 2011 (1961 pour la première édition américaine), 922 pages.