Alain de Libera, La philosophie médiévale + La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Age
Johnathan R. Razorback- Admin
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Alain de Libera, La philosophie médiévale + La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Age
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« La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).
« Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.
« Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".
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Re: Alain de Libera, La philosophie médiévale + La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Age
"La philosophie n'est pas morte en 529 avec la fermeture de la dernière école philosophique païenne par l'empereur romain d'Orient Justinien, elle a entamé un long transfert, une longue migration (translatio) vers l'Orient musulman d'abord, vers l'Occident chrétien ensuite. Dans ces voyages successifs où s'égrènent les capitales du savoir et les centres d'études (studia) d'Athènes à Bagbad, de Bagdad à Cordoue, de Cordoue à Tolède, puis à Paris, à Oxford, à Cologne ou à Prague, la philosophie grecque a, de traduction en traduction, parlé arabe et latin ; quelque chose a demeuré, beaucoup de choses se sont perdues, d'autres sont venues qui n'avaient jamais été dites." (p.11)
"On peut évidemment définir ce qu'est le nominalisme pour tel philosophe contemporain -on dira par exemple que, pour tel philosophe contemporain, c'est "le refus d'admettre toute entité autre qu'individuelle". On peut ensuite facilement répartir les philosophies médiévales à partir d'un tel refus. Ce n'est pas notre problème." (p.12)
"Avant que les médiévaux se demandent si les "universaux" étaient des choses, des concepts ou des mots, les néoplatoniciens [de l'Antiquité tardive] se sont demandé si les Catégories d'Aristote étaient des étants [...] des noèmes [...] ou des sons vocaux. La question qui se pose est de savoir comment [...] cette grille est passée des catégories aux universaux. [...]
La réponse est simple: parce qu'un philosophe néoplatonicien né à Tyr en 232 ou 233 de l'ère chrétienne, Porphyre le Phénicien, élève de Plotin, a rédigé un petit traité intitulé Isagoge, qui [...] était une préface à ces Catégories, alors placées en tête du cours de logique d'Aristote. [...] "On peut dire, en toute vérité, que c'est grâce à Porphyre", par l'intermédiaire de son second traducteur latin, Boèce (le premier étant Marius Victorinus, mort en 370), "que les principes de la logique ont pénétré dès le Ve siècle, et bien avant la renaissance de la philosophie d'Aristote, dans le courant de la pensée occidentale". [...] [Mais le terme d'universaux] ne figure pas dans le texte de Porphyre." (pp.13-14)
"Si l'on pressent qu'il est nécessaire de savoir ce que sont le genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident pour aborder l'étude des catégories, on ne voit pas en quoi cette connaissance est plus nécessaire qu'une autre -comme de savoir ce que signifie "être prédiqué" ou ce qu'est un nom, un terme, un sujet logique ou ontologique ou, last but not least, un individu. Autrement dit, la nature du lien entre théorie des universaux et théories des catégories n'est pas problématisée." (p.16)
"Situation décrite par [P.V.] Spade: j'ai devant moi deux stylos à bille noirs. Le point crucial est: combien de couleurs vois-je ? Deux réponses s'offrent. La première : je vois une seule couleur -la noirceur (blackness) qui est "simultanément partagée par les deux stylos ou communes aux deux"- une seule et même couleur donc, bien qu'inhérente à deux choses distinctes et présente en même temps en deux endroits différents. Cette position, ce que Spade appelle "croire aux universaux", est le réalisme: admettre que des "entités universelles" comme la noirceur sont partagées par toutes les choses qui présentent une même propriété (ici, être noires) et qu'à ce titre elles leurs sont communes. A l'opposé, évidemment, le nominaliste est caractérisé comme celui qui voit deux noirceurs, autant de noirceurs que de stylos. Deux noirceurs qui sont "semblables", certes; mais qu' "il suffit de regarder pour voir qu'elles ne sont et n'en restent pas moins deux noirceurs". [...] Y a-t-il ou non deux couleurs dans les stylos de P.V. Spade ? [...]
Selon nous,
(pp.18-21)
-Alain de Libera, La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Age, Seuil et Points, 2014 (1996 pour la première édition), 679 pages.
"On peut évidemment définir ce qu'est le nominalisme pour tel philosophe contemporain -on dira par exemple que, pour tel philosophe contemporain, c'est "le refus d'admettre toute entité autre qu'individuelle". On peut ensuite facilement répartir les philosophies médiévales à partir d'un tel refus. Ce n'est pas notre problème." (p.12)
"Avant que les médiévaux se demandent si les "universaux" étaient des choses, des concepts ou des mots, les néoplatoniciens [de l'Antiquité tardive] se sont demandé si les Catégories d'Aristote étaient des étants [...] des noèmes [...] ou des sons vocaux. La question qui se pose est de savoir comment [...] cette grille est passée des catégories aux universaux. [...]
La réponse est simple: parce qu'un philosophe néoplatonicien né à Tyr en 232 ou 233 de l'ère chrétienne, Porphyre le Phénicien, élève de Plotin, a rédigé un petit traité intitulé Isagoge, qui [...] était une préface à ces Catégories, alors placées en tête du cours de logique d'Aristote. [...] "On peut dire, en toute vérité, que c'est grâce à Porphyre", par l'intermédiaire de son second traducteur latin, Boèce (le premier étant Marius Victorinus, mort en 370), "que les principes de la logique ont pénétré dès le Ve siècle, et bien avant la renaissance de la philosophie d'Aristote, dans le courant de la pensée occidentale". [...] [Mais le terme d'universaux] ne figure pas dans le texte de Porphyre." (pp.13-14)
"Si l'on pressent qu'il est nécessaire de savoir ce que sont le genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident pour aborder l'étude des catégories, on ne voit pas en quoi cette connaissance est plus nécessaire qu'une autre -comme de savoir ce que signifie "être prédiqué" ou ce qu'est un nom, un terme, un sujet logique ou ontologique ou, last but not least, un individu. Autrement dit, la nature du lien entre théorie des universaux et théories des catégories n'est pas problématisée." (p.16)
"Situation décrite par [P.V.] Spade: j'ai devant moi deux stylos à bille noirs. Le point crucial est: combien de couleurs vois-je ? Deux réponses s'offrent. La première : je vois une seule couleur -la noirceur (blackness) qui est "simultanément partagée par les deux stylos ou communes aux deux"- une seule et même couleur donc, bien qu'inhérente à deux choses distinctes et présente en même temps en deux endroits différents. Cette position, ce que Spade appelle "croire aux universaux", est le réalisme: admettre que des "entités universelles" comme la noirceur sont partagées par toutes les choses qui présentent une même propriété (ici, être noires) et qu'à ce titre elles leurs sont communes. A l'opposé, évidemment, le nominaliste est caractérisé comme celui qui voit deux noirceurs, autant de noirceurs que de stylos. Deux noirceurs qui sont "semblables", certes; mais qu' "il suffit de regarder pour voir qu'elles ne sont et n'en restent pas moins deux noirceurs". [...] Y a-t-il ou non deux couleurs dans les stylos de P.V. Spade ? [...]
Selon nous,
(pp.18-21)
-Alain de Libera, La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Age, Seuil et Points, 2014 (1996 pour la première édition), 679 pages.
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