http://journals.openedition.org/asterion/1485
"Comme nombre de ceux qui deviendront ensuite des contre-révolutionnaires, c’est avec un grand espoir de changement que Montlosier a accueilli la convocation des états généraux par le roi en 1789, et bien qu’il n’appartienne pas au milieu des nobles libéraux de Paris avant la Révolution, il est rapidement devenu proche du club monarchique et des monarchiens tout en gardant la grande indépendance d’esprit qui a marqué toute sa vie. Il défend alors l’idée d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise qui place la liberté à la base de tout gouvernement : « la liberté individuelle est le grand objet de tout gouvernement », « la liberté politique ne doit embrasser que les moyens nécessaires pour la conservation de la liberté individuelle », « la liberté individuelle n’est autre chose que le libre exercice des facultés naturelles », écrit-il dans son Essai sur l’art de constituer les peuples qui défend le principe des deux chambres. Cet essai fait l’objet de sévères critiques de la part de ceux qui souhaitent un retour à un ordre anté-révolutionnaire sans réforme d’aucune sorte.
L’idée de guerre civile apparaît dans les écrits de Montlosier au moment où celle de prendre appui militairement sur les armées étrangères pour rétablir Louis XVI dans tous ses droits, d’avant 1789, commence à se faire jour chez les défenseurs de l’Ancien Régime. Il l’explicite dans une brochure intitulée Des moyens d’opérer la contre-révolution publiée à la fin de 1791, laquelle poursuit De la nécessité d’une contre-révolution en France, pour rétablir les finances, la religion, les mœurs, la monarchie et la liberté, publiée au mois d’août de la même année. Cette dernière répond, d’après son Épître dédicatoire, à une demande d’explication sur les « intentions des Émigrans », et rétrospectivement selon les Mémoires, à l’élucidation d’une situation politique devenue obscure :
Nous avions voulu la grande innovation qui constituait l’ordre nouveau établi par les états-généraux, innovation que quelques personnes avaient appelée révolution [souligné dans le texte], nous n’avions aucun goût à laisser confondre cette révolution-là avec l’autre révolution de sang, de crimes et de brigandages qu’on venait de lui substituer.
Ces deux brochures, conjointement dirigées contre les textes violents du comte d’Antraigues selon l’historien Robert Griffiths16, sont des écrits de circonstance où Montlosier, qui se tient du côté de « ceux qui veulent avec la monarchie un ordre stable et non arbitraire de leur pays », bataille incessamment contre deux forces ennemies entre elles : celles qui soutiennent la Révolution d’une part, et celles des « partisans plus ou moins déguisés du despotisme » d’autre part.
La première brochure examine les raisons d’une contre-révolution en opposant le programme de réformes voulues par le roi à l’ouverture des états généraux, « cette révolution […] qui devait régénérer la France, en extirpant pour jamais tous les anciens abus » (p. 2), au « chaos d’innovations et de destructions opérées par l’Assemblée nationale dans toutes les parties de l’ordre fiscal, civil, politique et religieux » (p. 3) que sont les assignats, la réorganisation de l’armée, le nouvel ordre judiciaire, la liberté vue par les révolutionnaires, les mesures prises contre la noblesse et le clergé. L’Assemblée nationale a « dissous la conscience et les mœurs publiques ; […] relâché tous les liens de la société ; […] donné l’essor à tous les vices. […] la France a marché ainsi à pas précipités à l’état profond d’insociation et de barbarie » (p. 36-37). L’idée que la Révolution a accéléré la décomposition d’une société fragilisée fera l’objet de longs développements dans ses écrits postérieurs, ceux de 1815 et 1818 en particulier, qui mettent l’accent sur la nécessaire subordination des hommes les uns aux autres dans la vie familiale, civile et politique au sein d’une hiérarchie établie de longue date par les mœurs. Au nom de ses convictions profondes, Montlosier en appelle maintenant à la « contre-révolution », donnant à cette expression nouvelle une valeur positive18 :
Moi je ne suis point ami de cette révolution là et quoique je désire sincèrement la liberté de mon pays, je suis attaché à la distinction des rangs aussi bien qu’aux justes prérogatives du sacerdoce et du trône ; et comme, avec les principes actuels de la révolution, nous sommes arrivés à une dissolution entière des mœurs et de l’ordre public, je veux la contre-révolution ; j’avoue que je la désire sincèrement. (p. 5)
La deuxième brochure, Des moyens d’opérer la contre-révolution…, développe les conséquences de la première et elle établit des liens entre contre-révolution et guerre civile. Dans cette seconde brochure, la contre-révolution a pour mission, selon Montlosier, de rétablir l’ordre et la paix en enrayant le « grand mouvement donné au royaume dès long-tems, avant ce que l’on assigne communément comme l’époque de la révolution » (p. 12). Ce mouvement, très brièvement évoqué ici, fait référence aux leçons tirées des recherches historiques qui l’ont occupé avant la Révolution. Il sera explicité dans les trois premiers tomes de la Monarchie française, nous y reviendrons longuement, car la « lutte entre deux classes » en constitue l’une des composantes.
La contre-révolution n’en déplaise aux souhaits de certains à Coblence, explique Montlosier, ne consiste pas à revenir à l’Ancien Régime, lequel a laissé se développer ce « grand mouvement », mais à restaurer « la monarchie et […] la religion de nos pères » (p. 24) en retournant à l’ancienne constitution française et en la protégeant du despotisme. Cette constitution, qui a fait l’objet de l’Essai sur l’art de constituer les peuples, se définit par « un roi, un clergé, une noblesse, un corps représentatif du peuple » (p. 34) :
Ce n’est donc pas, comme on le dit, l’ancien régime avec ses abus, que les françois émigrans veulent ramener […] mais c’est la constitution françoise qu’ils veulent rétablir ; c’est cette ancienne constitution qu’ils veulent placer désormais sur des bases invariables, pour qu’elle ne soit plus, comme autrefois, à la discrétion des hommes puissans qui pouvoient, au gré de leur caprice ou de leur intérêt, la changer, la modifier, ou l’anéantir.
Cependant du moment que la contre-révolution ne peut plus s’exercer par l’opinion publique, car les « républicains » ont mis en leur pouvoir les autorités établies, les soldats, le peuple et jusqu’au roi qui vient de prêter serment, bref, l’ensemble des forces de l’État, l’emploi de la force se présente comme une nécessité :
Je pense donc qu’il ne faut pas espérer par l’opinion seule un ouvrage aussi difficile que la contre-révolution. Je pense pourtant que l’opinion peut-être très utile si on sait la concerter avec les volontés ; mais pour cela, il faut […] intimider […] les volontés ennemies ; et comment intimider les volontés ennemies autrement que par la force ? Je viens de parler de force. J’ai prononcé là un mot terrible, car la force, destinée à agir contre la force, établit aussi-tôt un état de guerre ; et c’est une guerre, une guerre civile que j’appellerois au secours de ma patrie ! Ici je ne veux pas dissimuler que les républicains cherchent de toutes forces à l’éviter."
"Face aux pratiques violentes des révolutionnaires, les émigrés défendent l’idée d’une entrée en France des armées étrangères. Montlosier combat énergiquement cette idée, au principe qu’en s’appuyant sur la « vanité nationale », les républicains feront tous leurs efforts pour qu’une telle guerre apparaisse alors comme une guerre de conquête du royaume par des étrangers, et transformeront à leur profit la nature même d’un conflit intérieur. D’une manière plus générale, il importe pour Montlosier de toujours respecter la dimension interne du conflit, car il s’agit sur le fond des seuls « intérêts » des Français, qu’il faut savoir sauvegarder, et lorsque « des étrangers arrivent et entrent dans nos différends, il est évident qu’ils n’ont plus le même intérêt, et par conséquent, qu’ils peuvent ne pas avoir les mêmes vues » (p. 25) :
Il me paraît donc essentiel de faire en sorte que nos voisins n’entrent dans nos différends que sous le titre de forces protectrices et auxiliaires, qu’ils n’y prennent jamais une action dominante et principale, afin que cette guerre de François contre des François demeure ce qu’elle est, et que de pures dissensions domestiques ne prennent jamais la couleur d’une guerre étrangère. (p. 26)
La dimension politique de la guerre civile que précisent ces distinctions, Montlosier ajoute celle que l’on pourrait dire psychologique.
Quelques années plus tard, en 1796, il publie en effet à Londres une brochure Vues sommaires sur les moyens de paix pour la France, pour l’Europe, pour les émigrés, qui traite de la manière de faire cesser ensemble la Révolution et la guerre, car « sous tous les rapports, une paix qui laisseroit subsister la révolution françoise, seroit aussi fâcheuse que la guerre » (p. 28). Cette brochure, l’une des plus violentes à l’encontre des émigrés – « s’il m’étoit permis de dire ici toute ma pensée, j’ajouterois même que le plus grand obstacle que je vois à la royauté, ce sont les royalistes. … leur mal-adresse à l’intérieur et à l’extérieur, a plus nui à la cause, que tous les efforts de leurs ennemis. » (p. 54) –, s’interroge sur la supériorité militaire de la France dans ses guerres actuelles de conquête, et Montlosier en voit la cause la plus importante dans « l’enthousiasme » : « On est bien faible quand on s’obstine à demeurer aux moyens lents et routiniers d’une guerre ordinaire contre une guerre toute de fureur et d’enthousiasme » (p. 2). Ce sentiment, inhérent aux peuples nouveaux26, propre aussi à ceux qui savent sacrifier leurs intérêts de partis aux intérêts communs, demeure malheureusement étranger aux émigrés animés du seul désir de vengeance, nuisible à la cause de la monarchie qu’en principe ils défendent. Ils « ne s’occupent que de leurs intérêts opposés » (p. 1). Pourtant, si la « guerre civile est certainement un grand fléau » (p. 13) comme il le rappelle et le rappellera encore plus tard, dès lors que pour sauver la nation on est contraint de l’employer, il faut pouvoir « la diriger avec l’art et le génie dont elle est susceptible » (p. 13) et donc savoir mobiliser un grand nombre d’hommes autour du noyau d’idées et d’intérêts qui les rassemble sur l’essentiel. Sous une formule étonnamment moderne qui puise son élément lexical pivot, le mot masse, dans le lexique politique de la Révolution, cette difficulté constitue le premier point de ce qu’il nomme la « théorie des guerres civiles » :
Le premier point de la théorie des guerres civiles, c’est qu’il faut savoir mettre en mouvement des masses contre des masses. Ce n’est que de cette manière qu’on peut espérer de grandes choses, de grandes collisions, et par conséquent de grands résultats."
"L’examen des « loix anciennes de sa patrie », auquel il a travaillé avant la Révolution durant quinze ans, a bouleversé d’après ses Mémoires la piètre idée qu’il avait eue jusqu’alors des institutions féodales. Ces études ont orienté sa pensée politique du côté d’un libéralisme aristocratique qui nourrit, au nom de la tradition et des usages anciens, une critique sévère de l’arbitraire, du « despotisme » exercé par les derniers monarques, et elles l’ont probablement conduit à appréhender les événements en cours dans une certaine perspective dès leurs débuts."
"Dans le pouvoir de la monarchie tel qu’il se renforcera sous les Capétiens, Montlosier voit une monarchie « nouvelle et absolue, faite pour un peuple d’affranchis » où ce dernier, grâce à l’appui royal, peut s’emparer de la magistrature de l’État, imposer une nouvelle législation, limiter les droits de la noblesse : droit de guerre, droit d’impôt, usage des fêtes guerrières (joutes, tournois), droit de battre monnaie, droit d’être jugée par ses pairs (t. 1, p. 181), et faire émerger son propre système de valeurs et de références : propriétés mobilières, argent, villes, sciences, esprit, commerce, industrie, droit écrit romain. Pour cette attention portée dans les trois premiers volumes de la Monarchie française aux forces économiques dans la transformation des sociétés, Montlosier sera considéré par Charles Dunoyer, le fondateur du journal libéral Le Censeur, comme un des premiers, avec Benjamin Constant et Jean-Baptiste Say, à avoir aperçu le rôle de l’industrie chez les peuples modernes."
"Ce peuple souverain, qu’on ne le blâme pas avec trop d’amertume : il n’a fait que consommer l’œuvre des souverains ses prédécesseurs. Il a suivi de point en point la route qui lui était tracée depuis deux siècles par les rois, par les parlemens, par les hommes de lois, par les savans. […] Il n’a fait que mettre en exercice cette haine de nos temps passés, que les uns avaient pris tant de soins de lui inspirer. […] De cette manière, on peut dire qu’il a moins fait une révolution, qu’il n’a manifesté des révolutions déjà faites. On l’accuse d’avoir abattu un édifice ; il n’a fait qu’ouvrir un sépulcre. (t. 2, p. 209)
Cette histoire profonde trouvera en 1821 son expression dans la formule « une lutte entre deux classes »"
"Pour Montlosier une guerre civile aurait peut-être permis, entre 1791 et 1793 tout particulièrement, la défaite des forces républicaines et autorisé une définition nouvelle d’un pouvoir monarchique dégagé du despotisme."
"Comme nombre de ceux qui deviendront ensuite des contre-révolutionnaires, c’est avec un grand espoir de changement que Montlosier a accueilli la convocation des états généraux par le roi en 1789, et bien qu’il n’appartienne pas au milieu des nobles libéraux de Paris avant la Révolution, il est rapidement devenu proche du club monarchique et des monarchiens tout en gardant la grande indépendance d’esprit qui a marqué toute sa vie. Il défend alors l’idée d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise qui place la liberté à la base de tout gouvernement : « la liberté individuelle est le grand objet de tout gouvernement », « la liberté politique ne doit embrasser que les moyens nécessaires pour la conservation de la liberté individuelle », « la liberté individuelle n’est autre chose que le libre exercice des facultés naturelles », écrit-il dans son Essai sur l’art de constituer les peuples qui défend le principe des deux chambres. Cet essai fait l’objet de sévères critiques de la part de ceux qui souhaitent un retour à un ordre anté-révolutionnaire sans réforme d’aucune sorte.
L’idée de guerre civile apparaît dans les écrits de Montlosier au moment où celle de prendre appui militairement sur les armées étrangères pour rétablir Louis XVI dans tous ses droits, d’avant 1789, commence à se faire jour chez les défenseurs de l’Ancien Régime. Il l’explicite dans une brochure intitulée Des moyens d’opérer la contre-révolution publiée à la fin de 1791, laquelle poursuit De la nécessité d’une contre-révolution en France, pour rétablir les finances, la religion, les mœurs, la monarchie et la liberté, publiée au mois d’août de la même année. Cette dernière répond, d’après son Épître dédicatoire, à une demande d’explication sur les « intentions des Émigrans », et rétrospectivement selon les Mémoires, à l’élucidation d’une situation politique devenue obscure :
Nous avions voulu la grande innovation qui constituait l’ordre nouveau établi par les états-généraux, innovation que quelques personnes avaient appelée révolution [souligné dans le texte], nous n’avions aucun goût à laisser confondre cette révolution-là avec l’autre révolution de sang, de crimes et de brigandages qu’on venait de lui substituer.
Ces deux brochures, conjointement dirigées contre les textes violents du comte d’Antraigues selon l’historien Robert Griffiths16, sont des écrits de circonstance où Montlosier, qui se tient du côté de « ceux qui veulent avec la monarchie un ordre stable et non arbitraire de leur pays », bataille incessamment contre deux forces ennemies entre elles : celles qui soutiennent la Révolution d’une part, et celles des « partisans plus ou moins déguisés du despotisme » d’autre part.
La première brochure examine les raisons d’une contre-révolution en opposant le programme de réformes voulues par le roi à l’ouverture des états généraux, « cette révolution […] qui devait régénérer la France, en extirpant pour jamais tous les anciens abus » (p. 2), au « chaos d’innovations et de destructions opérées par l’Assemblée nationale dans toutes les parties de l’ordre fiscal, civil, politique et religieux » (p. 3) que sont les assignats, la réorganisation de l’armée, le nouvel ordre judiciaire, la liberté vue par les révolutionnaires, les mesures prises contre la noblesse et le clergé. L’Assemblée nationale a « dissous la conscience et les mœurs publiques ; […] relâché tous les liens de la société ; […] donné l’essor à tous les vices. […] la France a marché ainsi à pas précipités à l’état profond d’insociation et de barbarie » (p. 36-37). L’idée que la Révolution a accéléré la décomposition d’une société fragilisée fera l’objet de longs développements dans ses écrits postérieurs, ceux de 1815 et 1818 en particulier, qui mettent l’accent sur la nécessaire subordination des hommes les uns aux autres dans la vie familiale, civile et politique au sein d’une hiérarchie établie de longue date par les mœurs. Au nom de ses convictions profondes, Montlosier en appelle maintenant à la « contre-révolution », donnant à cette expression nouvelle une valeur positive18 :
Moi je ne suis point ami de cette révolution là et quoique je désire sincèrement la liberté de mon pays, je suis attaché à la distinction des rangs aussi bien qu’aux justes prérogatives du sacerdoce et du trône ; et comme, avec les principes actuels de la révolution, nous sommes arrivés à une dissolution entière des mœurs et de l’ordre public, je veux la contre-révolution ; j’avoue que je la désire sincèrement. (p. 5)
La deuxième brochure, Des moyens d’opérer la contre-révolution…, développe les conséquences de la première et elle établit des liens entre contre-révolution et guerre civile. Dans cette seconde brochure, la contre-révolution a pour mission, selon Montlosier, de rétablir l’ordre et la paix en enrayant le « grand mouvement donné au royaume dès long-tems, avant ce que l’on assigne communément comme l’époque de la révolution » (p. 12). Ce mouvement, très brièvement évoqué ici, fait référence aux leçons tirées des recherches historiques qui l’ont occupé avant la Révolution. Il sera explicité dans les trois premiers tomes de la Monarchie française, nous y reviendrons longuement, car la « lutte entre deux classes » en constitue l’une des composantes.
La contre-révolution n’en déplaise aux souhaits de certains à Coblence, explique Montlosier, ne consiste pas à revenir à l’Ancien Régime, lequel a laissé se développer ce « grand mouvement », mais à restaurer « la monarchie et […] la religion de nos pères » (p. 24) en retournant à l’ancienne constitution française et en la protégeant du despotisme. Cette constitution, qui a fait l’objet de l’Essai sur l’art de constituer les peuples, se définit par « un roi, un clergé, une noblesse, un corps représentatif du peuple » (p. 34) :
Ce n’est donc pas, comme on le dit, l’ancien régime avec ses abus, que les françois émigrans veulent ramener […] mais c’est la constitution françoise qu’ils veulent rétablir ; c’est cette ancienne constitution qu’ils veulent placer désormais sur des bases invariables, pour qu’elle ne soit plus, comme autrefois, à la discrétion des hommes puissans qui pouvoient, au gré de leur caprice ou de leur intérêt, la changer, la modifier, ou l’anéantir.
Cependant du moment que la contre-révolution ne peut plus s’exercer par l’opinion publique, car les « républicains » ont mis en leur pouvoir les autorités établies, les soldats, le peuple et jusqu’au roi qui vient de prêter serment, bref, l’ensemble des forces de l’État, l’emploi de la force se présente comme une nécessité :
Je pense donc qu’il ne faut pas espérer par l’opinion seule un ouvrage aussi difficile que la contre-révolution. Je pense pourtant que l’opinion peut-être très utile si on sait la concerter avec les volontés ; mais pour cela, il faut […] intimider […] les volontés ennemies ; et comment intimider les volontés ennemies autrement que par la force ? Je viens de parler de force. J’ai prononcé là un mot terrible, car la force, destinée à agir contre la force, établit aussi-tôt un état de guerre ; et c’est une guerre, une guerre civile que j’appellerois au secours de ma patrie ! Ici je ne veux pas dissimuler que les républicains cherchent de toutes forces à l’éviter."
"Face aux pratiques violentes des révolutionnaires, les émigrés défendent l’idée d’une entrée en France des armées étrangères. Montlosier combat énergiquement cette idée, au principe qu’en s’appuyant sur la « vanité nationale », les républicains feront tous leurs efforts pour qu’une telle guerre apparaisse alors comme une guerre de conquête du royaume par des étrangers, et transformeront à leur profit la nature même d’un conflit intérieur. D’une manière plus générale, il importe pour Montlosier de toujours respecter la dimension interne du conflit, car il s’agit sur le fond des seuls « intérêts » des Français, qu’il faut savoir sauvegarder, et lorsque « des étrangers arrivent et entrent dans nos différends, il est évident qu’ils n’ont plus le même intérêt, et par conséquent, qu’ils peuvent ne pas avoir les mêmes vues » (p. 25) :
Il me paraît donc essentiel de faire en sorte que nos voisins n’entrent dans nos différends que sous le titre de forces protectrices et auxiliaires, qu’ils n’y prennent jamais une action dominante et principale, afin que cette guerre de François contre des François demeure ce qu’elle est, et que de pures dissensions domestiques ne prennent jamais la couleur d’une guerre étrangère. (p. 26)
La dimension politique de la guerre civile que précisent ces distinctions, Montlosier ajoute celle que l’on pourrait dire psychologique.
Quelques années plus tard, en 1796, il publie en effet à Londres une brochure Vues sommaires sur les moyens de paix pour la France, pour l’Europe, pour les émigrés, qui traite de la manière de faire cesser ensemble la Révolution et la guerre, car « sous tous les rapports, une paix qui laisseroit subsister la révolution françoise, seroit aussi fâcheuse que la guerre » (p. 28). Cette brochure, l’une des plus violentes à l’encontre des émigrés – « s’il m’étoit permis de dire ici toute ma pensée, j’ajouterois même que le plus grand obstacle que je vois à la royauté, ce sont les royalistes. … leur mal-adresse à l’intérieur et à l’extérieur, a plus nui à la cause, que tous les efforts de leurs ennemis. » (p. 54) –, s’interroge sur la supériorité militaire de la France dans ses guerres actuelles de conquête, et Montlosier en voit la cause la plus importante dans « l’enthousiasme » : « On est bien faible quand on s’obstine à demeurer aux moyens lents et routiniers d’une guerre ordinaire contre une guerre toute de fureur et d’enthousiasme » (p. 2). Ce sentiment, inhérent aux peuples nouveaux26, propre aussi à ceux qui savent sacrifier leurs intérêts de partis aux intérêts communs, demeure malheureusement étranger aux émigrés animés du seul désir de vengeance, nuisible à la cause de la monarchie qu’en principe ils défendent. Ils « ne s’occupent que de leurs intérêts opposés » (p. 1). Pourtant, si la « guerre civile est certainement un grand fléau » (p. 13) comme il le rappelle et le rappellera encore plus tard, dès lors que pour sauver la nation on est contraint de l’employer, il faut pouvoir « la diriger avec l’art et le génie dont elle est susceptible » (p. 13) et donc savoir mobiliser un grand nombre d’hommes autour du noyau d’idées et d’intérêts qui les rassemble sur l’essentiel. Sous une formule étonnamment moderne qui puise son élément lexical pivot, le mot masse, dans le lexique politique de la Révolution, cette difficulté constitue le premier point de ce qu’il nomme la « théorie des guerres civiles » :
Le premier point de la théorie des guerres civiles, c’est qu’il faut savoir mettre en mouvement des masses contre des masses. Ce n’est que de cette manière qu’on peut espérer de grandes choses, de grandes collisions, et par conséquent de grands résultats."
"L’examen des « loix anciennes de sa patrie », auquel il a travaillé avant la Révolution durant quinze ans, a bouleversé d’après ses Mémoires la piètre idée qu’il avait eue jusqu’alors des institutions féodales. Ces études ont orienté sa pensée politique du côté d’un libéralisme aristocratique qui nourrit, au nom de la tradition et des usages anciens, une critique sévère de l’arbitraire, du « despotisme » exercé par les derniers monarques, et elles l’ont probablement conduit à appréhender les événements en cours dans une certaine perspective dès leurs débuts."
"Dans le pouvoir de la monarchie tel qu’il se renforcera sous les Capétiens, Montlosier voit une monarchie « nouvelle et absolue, faite pour un peuple d’affranchis » où ce dernier, grâce à l’appui royal, peut s’emparer de la magistrature de l’État, imposer une nouvelle législation, limiter les droits de la noblesse : droit de guerre, droit d’impôt, usage des fêtes guerrières (joutes, tournois), droit de battre monnaie, droit d’être jugée par ses pairs (t. 1, p. 181), et faire émerger son propre système de valeurs et de références : propriétés mobilières, argent, villes, sciences, esprit, commerce, industrie, droit écrit romain. Pour cette attention portée dans les trois premiers volumes de la Monarchie française aux forces économiques dans la transformation des sociétés, Montlosier sera considéré par Charles Dunoyer, le fondateur du journal libéral Le Censeur, comme un des premiers, avec Benjamin Constant et Jean-Baptiste Say, à avoir aperçu le rôle de l’industrie chez les peuples modernes."
"Ce peuple souverain, qu’on ne le blâme pas avec trop d’amertume : il n’a fait que consommer l’œuvre des souverains ses prédécesseurs. Il a suivi de point en point la route qui lui était tracée depuis deux siècles par les rois, par les parlemens, par les hommes de lois, par les savans. […] Il n’a fait que mettre en exercice cette haine de nos temps passés, que les uns avaient pris tant de soins de lui inspirer. […] De cette manière, on peut dire qu’il a moins fait une révolution, qu’il n’a manifesté des révolutions déjà faites. On l’accuse d’avoir abattu un édifice ; il n’a fait qu’ouvrir un sépulcre. (t. 2, p. 209)
Cette histoire profonde trouvera en 1821 son expression dans la formule « une lutte entre deux classes »"
"Pour Montlosier une guerre civile aurait peut-être permis, entre 1791 et 1793 tout particulièrement, la défaite des forces républicaines et autorisé une définition nouvelle d’un pouvoir monarchique dégagé du despotisme."