http://books.openedition.org/enseditions/2524?lang=fr
relire le début
"Dès 1920, la propension à se mobiliser pour les partis diminua de nouveau et elle atteignit son niveau le plus bas à la fin des années 1920, sauf en ce qui concerne les partis extrémistes, le NSDAP et le KPD." (p.28)
"Grâce à la faculté de Gustav Stresemann de rallier son parti, le DVP, à la République tout en s’adressant à des électeurs libéraux-conservateurs, il puisa la plupart de ses effectifs, autant qu’il était possible, dans le réservoir libéral. Il alla même jusqu`à rallier des électeurs qui ne se seraient jamais rangés derrière le républicanisme démocratique résolu du DDP, a fortiori parce que ce parti disposait d’une aile gauche.
Il faut pourtant faire la restriction suivante : le DDP était un parti d’intellectuels bourgeois ; c’était un parti du centre et des forces modérées, et non un parti de la bohème intellectuelle ou bien du radicalisme de gauche – Mühsam, Toller, Eisner, Tucholsky, eux, auraient tous refusé d’y adhérer car, à leurs yeux, le DDP était un parti trop bourgeois, trop établi, trop « parti d’État » ou même « parti de fonctionnaires » – de fonctionnaires supérieurs ayant fait des études de droit ou des études philologiques, bien entendu.
Tout en tenant compte de cette restriction, on peut constater que se rassemblait au sein et autour du DDP un nombre impressionnant d’intellectuels et de personnalités issues des milieux établis ou plutôt fonctionnarisés. On y retrouve, outre Friedrich Naumann, surtout Max Weber, Alfred Weber, Hugo Preuß, Friedrich Meinecke, Ernst Troeltsch, Carl Heinrich Becker, Willy Hellpach, Gertrud Bäumer et les grands journalistes Theodor Wolff, Georg Bernhard, Ernst Feder – pour n’en citer que quelques-uns. Et ce n’est pas par hasard que les grands journaux de l’époque – le Vossische Zeitung, le Berliner Tageblatt, le Frankfurter Zeitung – étaient des journaux libéraux, des journaux proches de l’aile gauche du libéralisme formée par le Bildungsbürgertum, la bourgeoisie cultivée.
Il ne faut pas oublier que le DDP était le parti des membres des professions libérales et des savants dans la mesure où ils étaient démocrates. Certes, il y avait des leaders du DDP qui arrivaient à réunir en eux-mêmes l’esprit des intellectuels et la mentalité des économistes – le plus connu parmi eux était Walter Rathenau, le ministre des Affaires étrangères assassiné par des extrémistes de droite, qui était le fils d’Emil Rathenau, le fondateur de la société AEG, une grande entreprise de l’industrie électrique, et qui, pendant un certain temps, fut lui-même le patron de l’AEG. Il fut l’un des grands organisateurs de l’économie d’armement de l’Allemagne pendant la première guerre mondiale, et un homme empreint du pathos national – c’est parce qu’il était juif qu’il fut attaqué. Il constituait peut-être une exception en tant qu’écrivain qui réunissait en lui l’esprit intellectuel et le sens des affaires, mais, comme homme politique écrivant aussi des livres, il était, au sein du DDP, plutôt ordinaire. Les vrais écrivains, pourtant, ne le considéraient tout de même pas comme leur confrère, ce que montra plus tard la caricature mordante de Rathenau que rédigea un grand écrivain : il s’agit de L’homme sans qualités de Robert Musil.
C’est une espèce de « libéralisme des savants » que représente aussi Theodor Heuss. Il avait rejoint le libéralisme de gauche en tant qu’intellectuel, mais il conservait plus fortement que la plupart de ses camarades de parti son penchant pour l’art, pour toute activité artistique. Toute sa vie il fut un dessinateur passionné, toute sa vie il resta un amateur d’architecture et des beaux-arts et consacra une biographie à son ami l’architecte Hans Poelzig (Heuss, 1939). Heuss assumait aussi la fonction de gérant du Deutscher Werkbund, une association d’artistes, d’industriels et d’artisans fondée en 1907 qui a marqué l’évolution du design moderne et la création de maisons d’habitation et de mobilier de qualité ; cette association fut dissoute en 1933 par les nationaux-socialistes. Hermann Muthesius et Henry van de Velde comptaient parmi ses membres les plus connus.
Par ailleurs, Heuss fut tout au long de son existence un biographe, portraitiste, essayiste et écrivain politique extrêmement productif. Sa bibliographie de 1954, encore incomplète, comprend environ 1 800 titres, entre autres des biographies aussi importantes que celle de Friedrich Naumann en 1937, puis celle du grand zoologue Anton Dohrn en 1940, et enfin celle de l’entrepreneur le plus important de l’industrie électrotechnique Robert Bosch en 1946 (Heuss, 1949, 1991, 1986). Ses souvenirs de jeunesse, publiés sous le titre Vorspiele des Lebens (Préliminaires de la vie) restent certainement sa plus belle œuvre littéraire (Heuss, 1954). Du point de vue politique, ses œuvres les plus importantes sont ses Souvenirs 1905-1933 (1963), avec les chapitres posthumes sur la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes, puis son ouvrage intitulé Hitlers Weg (Le chemin de Hitler), paru en 1932, qui fournit des analyses lucides mais montre aussi clairement les limites politiques d’antan, ainsi que de nombreux essais politiques rédigés dans les années 1920 (Heuss, 1963, 1932)." (p.29-34)
relire le début
"Dès 1920, la propension à se mobiliser pour les partis diminua de nouveau et elle atteignit son niveau le plus bas à la fin des années 1920, sauf en ce qui concerne les partis extrémistes, le NSDAP et le KPD." (p.28)
"Grâce à la faculté de Gustav Stresemann de rallier son parti, le DVP, à la République tout en s’adressant à des électeurs libéraux-conservateurs, il puisa la plupart de ses effectifs, autant qu’il était possible, dans le réservoir libéral. Il alla même jusqu`à rallier des électeurs qui ne se seraient jamais rangés derrière le républicanisme démocratique résolu du DDP, a fortiori parce que ce parti disposait d’une aile gauche.
Il faut pourtant faire la restriction suivante : le DDP était un parti d’intellectuels bourgeois ; c’était un parti du centre et des forces modérées, et non un parti de la bohème intellectuelle ou bien du radicalisme de gauche – Mühsam, Toller, Eisner, Tucholsky, eux, auraient tous refusé d’y adhérer car, à leurs yeux, le DDP était un parti trop bourgeois, trop établi, trop « parti d’État » ou même « parti de fonctionnaires » – de fonctionnaires supérieurs ayant fait des études de droit ou des études philologiques, bien entendu.
Tout en tenant compte de cette restriction, on peut constater que se rassemblait au sein et autour du DDP un nombre impressionnant d’intellectuels et de personnalités issues des milieux établis ou plutôt fonctionnarisés. On y retrouve, outre Friedrich Naumann, surtout Max Weber, Alfred Weber, Hugo Preuß, Friedrich Meinecke, Ernst Troeltsch, Carl Heinrich Becker, Willy Hellpach, Gertrud Bäumer et les grands journalistes Theodor Wolff, Georg Bernhard, Ernst Feder – pour n’en citer que quelques-uns. Et ce n’est pas par hasard que les grands journaux de l’époque – le Vossische Zeitung, le Berliner Tageblatt, le Frankfurter Zeitung – étaient des journaux libéraux, des journaux proches de l’aile gauche du libéralisme formée par le Bildungsbürgertum, la bourgeoisie cultivée.
Il ne faut pas oublier que le DDP était le parti des membres des professions libérales et des savants dans la mesure où ils étaient démocrates. Certes, il y avait des leaders du DDP qui arrivaient à réunir en eux-mêmes l’esprit des intellectuels et la mentalité des économistes – le plus connu parmi eux était Walter Rathenau, le ministre des Affaires étrangères assassiné par des extrémistes de droite, qui était le fils d’Emil Rathenau, le fondateur de la société AEG, une grande entreprise de l’industrie électrique, et qui, pendant un certain temps, fut lui-même le patron de l’AEG. Il fut l’un des grands organisateurs de l’économie d’armement de l’Allemagne pendant la première guerre mondiale, et un homme empreint du pathos national – c’est parce qu’il était juif qu’il fut attaqué. Il constituait peut-être une exception en tant qu’écrivain qui réunissait en lui l’esprit intellectuel et le sens des affaires, mais, comme homme politique écrivant aussi des livres, il était, au sein du DDP, plutôt ordinaire. Les vrais écrivains, pourtant, ne le considéraient tout de même pas comme leur confrère, ce que montra plus tard la caricature mordante de Rathenau que rédigea un grand écrivain : il s’agit de L’homme sans qualités de Robert Musil.
C’est une espèce de « libéralisme des savants » que représente aussi Theodor Heuss. Il avait rejoint le libéralisme de gauche en tant qu’intellectuel, mais il conservait plus fortement que la plupart de ses camarades de parti son penchant pour l’art, pour toute activité artistique. Toute sa vie il fut un dessinateur passionné, toute sa vie il resta un amateur d’architecture et des beaux-arts et consacra une biographie à son ami l’architecte Hans Poelzig (Heuss, 1939). Heuss assumait aussi la fonction de gérant du Deutscher Werkbund, une association d’artistes, d’industriels et d’artisans fondée en 1907 qui a marqué l’évolution du design moderne et la création de maisons d’habitation et de mobilier de qualité ; cette association fut dissoute en 1933 par les nationaux-socialistes. Hermann Muthesius et Henry van de Velde comptaient parmi ses membres les plus connus.
Par ailleurs, Heuss fut tout au long de son existence un biographe, portraitiste, essayiste et écrivain politique extrêmement productif. Sa bibliographie de 1954, encore incomplète, comprend environ 1 800 titres, entre autres des biographies aussi importantes que celle de Friedrich Naumann en 1937, puis celle du grand zoologue Anton Dohrn en 1940, et enfin celle de l’entrepreneur le plus important de l’industrie électrotechnique Robert Bosch en 1946 (Heuss, 1949, 1991, 1986). Ses souvenirs de jeunesse, publiés sous le titre Vorspiele des Lebens (Préliminaires de la vie) restent certainement sa plus belle œuvre littéraire (Heuss, 1954). Du point de vue politique, ses œuvres les plus importantes sont ses Souvenirs 1905-1933 (1963), avec les chapitres posthumes sur la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes, puis son ouvrage intitulé Hitlers Weg (Le chemin de Hitler), paru en 1932, qui fournit des analyses lucides mais montre aussi clairement les limites politiques d’antan, ainsi que de nombreux essais politiques rédigés dans les années 1920 (Heuss, 1963, 1932)." (p.29-34)