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    Gio, Critique Objectiviste de Descartes

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Descartes - Gio, Critique Objectiviste de Descartes Empty Gio, Critique Objectiviste de Descartes

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 11 Fév - 11:51

    https://objectivismefr.wordpress.com/2018/02/10/critique-objectiviste-de-descartes/

    L’intention de départ de Descartes est de ne rien prendre pour acquis, de tout remettre en question avant d’accepter n’importe quelle conclusion. D’après lui, c’est précisément grâce à cette méthode du doute systématique (le désormais célèbre doute cartésien) que l’on peut aboutir à la certitude, c’est-à-dire à des conclusions bien fondées. Il faut partir d’axiomes dont la certitude est indubitable et procéder rationnellement par déduction logique, comme en mathématiques, qui constitue la science dont le degré de certitude est le plus élevé. Ainsi, sur chaque idée, il faut se demander : Peut-on la mettre en doute ? Et s’il y a la moindre chance pour que cette idée puisse être remise en question, s’il y a la moindre possibilité pour le doute, alors la certitude n’est pas établie et il ne faut pas l’accepter, du moins jusqu’à ce qu’il n’y ait plus la moindre possibilité de douter. En d’autres termes, il pense que pour établir quoi que ce soit, il faut d’abord réfuter la possibilité que l’on se trompe.

    Cette approche est extrêmement spécieuse, car si elle peut sembler rationnelle en apparence, elle est en réalité parfaitement illogique. Ce que Descartes veut absolument éviter, et à juste titre, c’est le préjugé arbitraire. (« Arbitraire » signifiant : qui n’est fondé sur rien d’antérieur, sortant de nulle part, autrement dit accepté par la foi.) Cette simple précaution suffit à séduire les esprits qui se disent anti-mystique mais qui, ironiquement, se précipitent sans la moindre précaution. Quelle alternative propose Descartes pour éviter l’éceuil du préjugé arbitraire ? Le doute arbitraire. Descartes nous enferme dès le départ dans un faux dilemme où l’arbitraire demeure de chaque côté. Je vais expliciter en détail ce que j’entends par là.

    Le point crucial est que le doute cartésien est censé être un a priori, c’est-à-dire que Descartes pense, et il le dit très clairement, qu’il faut commencer par douter avant d’établir quoi que ce soit. Pourquoi le pense t-il ? À cause de la possibilité de l’erreur. Et toute la contradiction est là.

    Pour pouvoir savoir que l’erreur existe, il faut évidemment avoir identifié des erreurs ; or ce à quoi Descartes ne semble pas prêter attention c’est qu’avoir identifié des erreurs implique d’avoir préalablement identifié des vérités, sans quoi on ne pourrait jamais identifier la moindre erreur. Le concept d’erreur suppose le concept de vérité, sans lequel l’erreur est inintelligible. Il est absolument impossible d’identifier une erreur si on a absolument rien établi comme vrai au préalable.

    C’est le point essentiel, je le répète : il est impossible d’identifier la moindre erreur sans vérité préalablement identifiées. Savoir que l’on s’est trompé, c’est déjà savoir quelque chose. Lorsque vous identifiez une erreur, vous le faites nécessairement à partir d’un certain critère, quel qu’il soit, que vous devez considérer comme vrai. Vous ne pouvez pas à identifier une erreur à partir de l’ignorance. C’est tout simplement illogique.

    C’est une contradiction dans les termes d’affirmer : « A priori je ne sais rien, donc il faut que je doute. » parce que tout ceci suppose nécessairement que l’on sait quelque chose. C’est la même contradiction que de dire : « Je sais que je ne sais rien. ». En effet, il est impossible de « savoir que l’on ne sait rien », parce que si l’on ne sait rien, alors on ne peut même pas le savoir. Quelqu’un qui aurait toujours été fou ne peut jamais savoir qu’il est fou. Quelqu’un qui rêverait de façon permanente ne pourrait jamais savoir qu’il rêve. La notion d’ignorance est inintelligible sans la notion de connaissance qui doit nécessairement venir avant. Nous nous retrouvons ici de plein pied dans le sophisme du vol de concept.

    avt_rene-descartes_8669Comme je le disais précédemment, Descartes pense qu’il faut commencer par douter avant d’établir quoi que ce soit ; alors même que pour que le moindre doute puisse être légitime, il faut avoir préalablement établi quelque chose. En d’autres termes, on doute parce qu’on a des raisons de douter. Descartes, quant à lui nous exhorte à douter sans raison puisqu’on doit douter avant d’établir quoi que ce soit… et d’un autre côté, son doute est basé sur la possibilité de l’erreur, laquelle ne peut avoir été identifiée que par rapport à l’établissement préalable d’une vérité. Voici la contradiction fondamentale du doute cartésien.

    Au lieu de vouloir fonder son doute sur quelque chose, Descartes veut douter a priori de toute chose. Ce qui est dénué de sens. Ainsi, en voulant poser le doute comme point de départ épistémologique sans aucune base antérieure, son intention constitue une inversion du processus de la raison. Vous allez observer les conséquences désastreuses de cette approche dans ce qui va suivre.

    La première chose dont doute Descartes est de la validité de ses sens, puisque toutes les idées qu’il a eu viennent des sens.

    En effet, tout savoir, toute connaissance, toute idée, y compris les axiomes, proviennent ultimement de l’expérience sensorielle. Par conséquent, ce n’est que grâce au sens que Descartes a pu « quelquefois éprouver que ces sens étaient trompeurs ». Si nos sens nous induisaient toujours en erreur quels que soient les circonstances, nous ne pourrions jamais savoir qu’ils nous induisent en erreur, puisque nos sens sont notre seul contact avec l’extérieur. Et tous les exemples de tromperie des sens que Descartes donnera par la suite sont eux-même inconcevables sans la validité d’une expérience sensorielle. Ainsi que le rappelle Ayn Rand au début de Introduction to Objectivist Epistemology, tous les arguments cherchant à réfuter la validité des sens ne sont, une fois encore, que des variantes du sophisme du vol de concept. Nous reviendrons probablement sur ce point de façon plus détaillée à l’occasion d’autres articles. Revenons à la question essentielle : Pourquoi Descartes doute t-il de la validité des sens ? Sur quelle base ? Pour quelle raison ?

    Comme je l’expliquais plus haut, et ainsi que vous le voyez dans l’extrait que j’ai cité, son doute n’est pas fondé sur autre chose que la possibilité de l’erreur. Ainsi, Descartes envisage successivement plusieurs hypothèses : Il est possible je sois fou. Il est possible que je dorme et que tout cela ne soit qu’un rêve, ou une hallucination. Il est possible que le Dieu auquel je crois ait décidé de m’induire en erreur. Et enfin, dernière hypothèse, la plus célèbre, celle sur laquelle Descartes va se fixer puisqu’elle est la plus susceptible de le tromper : Il est possible que Dieu soit en réalité un malin génie qui a décidé de faire en sorte que je me trompe en tout point. Même sur des choses comme 2 + 3 = 5 …

    En dehors de ce « Il est possible que…», a t-il quelque chose, une base, des éléments quelconques en particulier, pour étayer ces hypothèses ? Des raisons de croire qu’il est fou ? Des raisons de croire qu’il rêve ? Des raisons de croire que c’est une hallucination ? Des raisons de croire qu’un Dieu l’induit systématiquement en erreur ? Des raisons de croire au malin génie ?

    Non, il n’a aucune raison de croire tout ça, aucun élément particulier, aucune base pour ça. Simplement : « C’est possible. », voilà tout. On le voit, pour combler un vide, à savoir son absence de raison particulière de douter, il est obligé de supposer des hypothèses arbitraires, y compris les plus fantasques. À partir du moment où les sens peuvent parfois être trompeurs, alors la possibilité est toujours là ; et pour Descartes, la possibilité de n’importe quelle explication alternative à une explication quelle qu’elle soit doit être éliminée avant d’établir cette dernière ; même lorsque la première ne s’appuie sur aucun élément particulier.

    [...] Je ne peux affirmer, ou même soupçonner mon frère d’avoir été sur la lune qu’à condition d’avoir un minimum d’élément qui me permettent de le penser. Sans quoi, mes soupçons sont purement arbitraires. Idem si je le soupçonnais de courir cent mètre en moins de dix secondes, ou si je le soupçonnais d’être coupable d’un crime. Si je l’accusais gratuitement de meurtre, la justice exigerait, à juste titre, un minimum de preuve pour étayer mes accusations avant d’ouvrir la moindre enquête.

    Donc pour revenir à Descartes, celui-ci, on l’a vu, imagine des hypothèses arbitraires qu’il considère comme étant « possibles » en faisant abstraction de tout contexte cognitif, et cherche à les réfuter. Or c’est absurde : comme une théorie arbitraire n’a aucun statut cognitif, elle ne peut pas être réfutée, et elle n’a pas à l’être. [...] Voilà très exactement ce que Descartes fait et pourquoi sa méthode est désastreuse : Comme il ne peut douter sans raison, il est obligé d’imaginer des hypothèses arbitraires qu’il cherche à réfuter. Or réfuter ce qui est gratuit, ce qui ne s’appuie sur rien, équivaut à vouloir prouver une négation. Il s’agit d’une inversion de la charge de la preuve.

    En effet, en logique, la charge de la preuve incombe toujours à celui qui affirme positivement quelque chose. On ne peut pas prouver une négation, c’est-à-dire une inexistence. On peut et on doit prouver que ce que l’on avance est vrai, mais on a pas à prouver que l’on ne se trompe pas si l’on a utilisé une bonne méthode et qu’aucun élément probant indiquant une erreur n’a été trouvé. C’est exactement le même principe que la présomption d’innocence dans le domaine de la justice : un accusé n’a pas à prouver son innocence si on a pas la moindre preuve à son encontre. (Notez en passant que le renversement de la charge de la preuve dans le domaine de la justice fut appliqué à bien des égards dans les systèmes soviétiques.)

    Lorsque quelqu’un fournit des arguments auquel on a rien de particulier à opposer, et qu’on lui demande de prouver une négation en disant: « J’ai n’ai rien à redire. Mais prouve moi que tu n’as pas fait d’erreur. », on rejette alors le contexte cognitif et on part d’une prémisse mystique, à savoir l’idée que l’omniscience — et non la raison — serait la norme épistémologique. Les mystiques prétendent y avoir accès tandis que les sceptiques déplorent que l’homme n’y a pas accès, mais la prémisse fondamentale est toujours la même, et correspond à un rejet de la raison, où le sentiment remplace les preuves et la logique. Pour les mystiques : « J’ai le sentiment d’avoir accès à une vérité révélée, même si je n’ai aucune preuve ou argument logique particulier à cet égard. » ; pour les sceptiques : « J’ai le sentiment que les hommes se trompent toujours, même si je n’ai pas la moindre preuve ou argument particulier à opposer à telle idée qui, elle, s’appuie sur des preuves et des arguments logiques. » C’est pourquoi je disais plus haut que Descartes ne fait que remplacer le préjugé arbitraire par le doute arbitraire. En somme, il n’est pas moins mystique que les mystiques auquel il prétend s’opposer, comme la suite le confirmera.

    J’attire votre attention sur le fait que les adeptes contemporains des thèses conspirationnistes pourraient à très juste titre se revendiquer de l’héritage de Descartes : la méthode qu’ils utilisent est rigoureusement la même, à savoir un doute a priori qui n’est alimenté que par la « possibilité » d’une hypothèse arbitraire, parfois totalement fantasque. Le caractère gratuit de l’hypothèse de départ étant grossièrement camouflé par des raisonnements circulaires sous la forme de biais de confirmation. (Ceci ne doit pas être confondu avec des preuves, mais nous y reviendrons à une autre occasion.) [...]

    Le point de départ épistémologique de Descartes est la possibilité de l’erreur, qu’il cherche à éliminer pour établir la certitude. Il veut partir d’un axiome absolument indubitable. Or la possibilité de se tromper, c’est-à-dire la possibilité que ses pensées soient fausses d’une manière ou d’une autre, suppose dans tous les cas de figures qu’il pense. Ainsi pose t-il son célèbre axiome : Cogito ergo sum, traduit en français : « Je pense, donc je suis. » Descartes croit avoir trouvé la certitude première dans le cogito, c’est-à-dire en fait, dans la conscience. [...]

    La conscience est inintelligible si elle n’est pas conscience de quelque chose, et de quelque chose qui soit autre qu’elle-même. Sans quoi, on ne peut jamais savoir (donc affirmer) que l’on pense. L’identification de la conscience implique donc l’existence, cette dernière devant nécessairement être établie avant la première. C’est ce que dans le langage Objectiviste on appelle la primauté de l’existence.

    Enfin ajoutons un dernier point : Si l’on accepte l’hypothèse du malin génie telle que Descartes l’a conçue, il n’y a aucune raison d’accepter le cogito et tout ce qui s’ensuit. Descartes explique que le malin génie est censé pouvoir nous tromper en tout, même sur les vérités logiques et mathématiques les plus élémentaires tel que 2 + 3 = 5 ou encore le fait que le carré n’ait pas plus de quatre côtés. On ne voit donc pas pourquoi il ne pourrait pas nous tromper sur « Je pense donc je suis ». Si on prend l’hypothèse du malin génie au sérieux, il n’y a en fait aucune idée sur laquelle on puisse compter, aussi évidente et logique soit-elle. On est contraint de retourner au pur scepticisme."



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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