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    Éric Vial, Guerres, sociétés et mentalités. L’Italie au premier XXe siècle

    Johnathan R. Razorback
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    Éric Vial, Guerres, sociétés et mentalités. L’Italie au premier XXe siècle Empty Éric Vial, Guerres, sociétés et mentalités. L’Italie au premier XXe siècle

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Mai - 13:35

    « La victoire du Japon, pauvre comme l’Italie, mais soudé par le militarisme, fournit un modèle. La guerre semble un antidote au socialisme, car elle porte la lutte des classes au plan international (l’Italie comme « nation prolétaire » face aux autres puissance), elle soude la nation, et promet d’intégrer les masses grâce à un débouché colonial. » (p.26)
    « La guerre [contre la Libye, en 1911] est plus difficile que prévu […] Les populations arabes apprécient peu la prétendue délivrance du joug turc. Les militaires se seraient contentés d’une démonstration de force et d’un chantage, mais Giolitti a voulu multiplier les combats pour souder les Italiens au spectacle des batailles. Résultat, il faut passer de 35 000 à 100 000 soldats, dégarnir la métropole, irriter les rappelés, mater même une révolte à Forli, et, sur place, gérer des troupes mal logées et mal utilisées. Même après la paix d’Ouchy en octobre 1912, la guérilla continue, aidée en sous-main par Londres –du fait entre autres de l’occupation du Dodécanèse. » (p.27)
    « Mussolini intègre en 1921 l’impérialisme à l’idéologie fasciste, puis clame que « les peuples qui s’enferment chez eux s’acheminent vers la mort ». » (p.119)
    « Lancée avant le fascisme par Amendola, la reconquête de la Libye, abandonnée de fait aux autochtones dans le cadre d’une domination indirecte, occupe les années 1920. En Cyrénaïque, la guerre contre les bédouins rebelles dure sept ans. En 1930, pour les isoler, le général Rodolfo Graziani appuyé par Badoglio fait interner de 60 à 100 000 personnes dans des camps, soit plus d’un quart ou presque la moitié de la population. Entre marches forcées, maladies et faim, 40 000 meurent avant la fermeture des camps en 1932. S’y ajoute le massacre de plus de 90% des ovins et 80% des chevaux, chameaux ou bovins, qui ruine l’économie locale. En Somalie, le ras piémontais De Vecchi, nommé gouverneur en 1923, veut l’illustrer, ordonne de désarmer des populations paisibles mais par tradition armées, les pousse à la révolte et lance en mars 1924 une série de bombardements, incendies de villages et expéditions punitives comme pour égaler plus tard et ailleurs les exploits d’autres ras, car le squadrisme n’avait guère pu sévir à Turin. […]
    En un sens, la société cautionne l’opération et en bénéficie, mais elle ne manifeste ni enthousiasme ni intérêt, y compris dans les milieux militaires. » (p.122)
    « Les fascistes mettent en valeur le soldat de 1915-1917, autant dire eux-mêmes. » (p.125)
    « Le culte de la romanité […] fédère fascistes, monarchistes et catholiques conservateurs autour d’un rêve impérial et d’un rejet de la démocracie. » (p.126)
    « La normalisation passe par l’institutionnalisation du sqadrisme dans la milice. Cela l’officialise comme défenseur de la « révolution fasciste » et gardien de l’ordre public, et offre une situation à au moins 200 000 déclassés et chômeurs dont beaucoup avaient pu survivre grâce à l’exercice de la violence. Mais ils ne colonisent pas l’appareil d’Etat : équipés et payés par lui et non plus par des ras ou des agrariens locaux, ils lui sont subordonnés. Leurs plus hauts gradés sont officiers de métier, souvent non inscrits au parti. En cas de guerre, l’armée les absorbe et les encadre. Dès 1923, ils ont interdiction de « faire de la politique ». A partir de 1924, ils prêtent sermen au roi. Toute organisation saquadriste autonome est dissoute en 1925. L’envoi de De Vecchi en Somalie ou la refonte du parti qui met à l’écart les plus excités vont dans le même sens. […]
    Tension avec des éléments marginalisés, qui attendent confusément une « seconde vague » de la révolution, ou déplorent que « leur » Duce soit victime d’un entourage ministériel et bourgeois. » (p.127)
    « Les patrons ont voulu et applaudi la fin de l’appareil de la Mobilisation industrielle et des contraintes qu’elle imposait, mais ils apprécient le retour à une législation qui met au pas le salarié, l’interdition des grèves, les possibilités disciplinaires, la réduction drastique de la place du syndicat (unique et fasciste). […] En réponse à la crise mondiale [de 1929], le dirigisme s’accentue, un énorme secteur public est créé, des consortiums par branche sont imposés en 1932. Sous la bannière du corporatisme, l’Etat se fait régulateur, fixe des priorités, limite la concurrence, répartit les matières premières, autorise ou non les nouvelles usines. » (p.128)
    « Fin 1934, 30 soldats italiens sont tués à Ual-Ual, à la frontière entre Éthiopie et Somalie. […] L’Éthiopie ne peut capituler et Rome veut sa guerre. L’agression commence le 39 octobre 1935, piétine un peu, mais aboutit à la prise de la capitale, Addis-Abeda, le 5 mai 1936, et à la proclamation de l’Empire le 9. » (p.134)
    « Il s’agit surtout de mobiliser le pays, soit, selon une formule de Pierre Milza, de « sceller dans une entreprise commune, et au prix du sang versé, cette communauté de la nation, transcendant les clivages sociaux, [qu’il] avait prétendu forger », et de faire des Italiens un peuple de héros et d’aventuriers. Selon Graziani, « la passion des colonies est la plus masculine, la plus fière et la plus puissante qu’un Italien puisse nourrir. ». » (p.135)
    « Le pays est surtout présenté comme un Eldorado, un débouché migratoire, un espace de développement qui va fournir du travail et du café. Cela touche une opinion qui redoute une guerre […] Pour certains jeunes, élevés dans le discours fasciste, c’est l’occasion d’égaler leurs aînés de 1915-1918 ou de 1922, de participer à l’Histoire. » (p.136)
    « C’est l’apogée du régime, la seule guerre italienne vraiment populaire. […] Le consensus fasciste triomphe jusque dans les quartiers ouvriers et dans une citadelle « rouge » comme Empoli. […] Le clergé est entousiaste à l’idée de convertir des Éthiopiens souvent chrétiens mais non catholiques. » (p.137)
    « Il y a certes des pertes côté italien, mais limitées : 9000 blessés, 3000 à 4500 tués, de quoi affliger des familles mais non marquer la société.
    Côté éthiopien, au contraire, c’est un massacre : il est question de 275 000 morts. […] Des villages sont brûlés, des unités en retraite pilonnées. Vittorio Mussolini raconte avec complaisance un lâcher de bombes incendiaires organisé pour combler une « lacune de [s]on éducation » parce qu’il n’avait « jamais vu un grand incendie » ; « entourés d’un cercle de flammes, quatre à cinq mille Abyssins sont arrivés à leur fin par aphyxie. ». » (p.138-139)
    « La nouvelle pax romana est un mythe. Huit jours après la prise d’Addis-Abeda, la moitié de sa population a fui dans les collines. Forte de traditions locales et des facilités du terrain, la guérilla, même divisée entre chefs féodaux, tient le pays, sauf, de jour, les grandes villes et les principales routes. Elle immobilise 200 000 soldats, mais entre censure et éloignement, cela intéresse peu l’opinion en métropole. Sur place, la situation explique le recours à la terreur, d’autant que Graziani, nommé gouverneur, est un paranoïaque mégalomane qui a cultivé en Libye un profond mépris des indigènes. » (p.140)
    « Mussolini, lecteur d’Oswald Spengler, s’alarmait en 1933 d’une « submersion » des Blancs par les peuples de couleur. En 1936, il fait interdire à tout Italien de passer plus de six mois en Éthiopie sans son épouse « pour parer dès le début aux terribles et proches effets du métissage », propos inconnus en Italie avant 1922 et rares ensuites. […] Treize ans avant l’Afrique du Sud, un apartheid est instauré dans les quartiers d’habitation, les établissements publics ou les transports, avec l’idée que le dernier des Italiens doit être supérieur au premier des indigènes. » (p.141)
    « Il était question de deux millions de colons ; en 1940, sont installés au plus 3550 familles, riches ou pauvres, soit 31 000 personnes. » (p.142)
    -Éric Vial, Guerres, sociétés et mentalités. L’Italie au premier XXe siècle, Éditions Seli Arslan, coll. Histoire, cultures et sociétés, 2003, 285.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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