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    Yves Vargas, Jean-Jacques Rousseau, l'avortement du capitalisme

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Yves Vargas, Jean-Jacques Rousseau, l'avortement du capitalisme Empty Yves Vargas, Jean-Jacques Rousseau, l'avortement du capitalisme

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 16 Juil - 14:34

    "Rousseau est encore une fois un disciple de Descartes. Descartes posait deux substances radicalement distinctes, la matière et l'esprit, puis il se demandait comment ces deux substances sans commune mesure pouvaient interagir dans l'homme. Pour les mettre en relation, on pouvait en appeler à Dieu, comme le fait Malebranche et s'installer dans un miracle continu, mais Descartes préfère une option matérialiste et il inscrit dans le corps lui-même un élément matériel -la "glande pinéale"- qui sera chargé d'assurer la relation. Eh bien Rousseau adopte la même attitude, posant que l'homme n'est pas sociable et en même temps qu'il doit le devenir, il se trouve ainsi devant deux substances à souder, l'anthropologie naturelle et l'anthropologie sociale, et comme Descartes, plutôt que d'en appeler au miracle, il introduit dans le cœur même de l'anthropologie naturelle, au sein de la nature humaine, un élément ambigu qui se charge de la relation. La femme est la glande pinéale de l'homme, en elle s'établit la continuité de l'incommensurable." (p.20)

    "Si, d'aventure, le secteur industriel devenait trop important, il faudrait établir sur l'île [de Corse] une dictature de la paysannerie sur les villes [...] Rousseau manifeste à l'égard des villes, et notamment des capitales une haine invincible." (p.65)

    "Ayant supprimé l'argent, Rousseau propose d'une part que les revenus de l'Etat soient le produit de ses terres cultivées (son domaine) et que d'autre part les impôts soient prélevés en nature sur les récoltes et en travail (en "corvées") [...]
    La Constitution pour la Corse n'est pas tirée de la réalité corse mais de la tête de Jean-Jacques Rousseau
    ." (p.66-67)

    "Rousseau se félicite de la disparition de la noblesse féodale et prône une société axée sur une classe moyenne. [...]
    Ce programme est celui du
    Contrat Social: "Rapprochez les degrés extrêmes autant qu'il est possible: ne souffrez ni des gens opulents ni des gueux". Programme déjà présent en 1755 dans l'article de l'Encyclopédie: "Un ordre économique qui [...] rapprocherait insensiblement toutes les fortunes de cette médiocrité qui fait la véritable force d'un Etat"." (p.67)

    "A la différence des hommes socialisés et corrompus qui ont perdu à jamais leur figure humaine naturelle, les Corses ont conservé cette figure, ils ne sont pas défigurés mais plutôt grimés, masqués. Et cette nature masquée sera "facile à rétablir et à conserver" grâce à la position de l'île, protégée des influences étrangères, "par leur position isolée"." (p.75)

    "Quelles sont les traditions familiales corses ? Rousseau ne se le demande pas et avance des lois sur le mariage sans se soucier des coutumes. Quel rapport les Corses ont-ils à leur village natal ? Même chose, Rousseau pense qu'on pourra imposer à la population une répartition uniforme sur tout le territoire." (p.77)

    "Concernant Rousseau, on sait qu'il ne reconnaît pas la légitimité des gouvernements en place, qu'il les qualifie de "tyranniques" ou "despotiques", ce qui laisse à penser qu'il existe pour lui des lois supérieures aux lois positives. Mais d'un côté, il affirme que la loi décrétée par chaque peuple est la seule loi fondamentale, ce qui laisse à penser que chaque peuple peut se donner la loi qu'il veut sans qu'aucune loi supérieure ne puisse intervenir. On a pu imaginer, alors, un Rousseau, adversaire de la tyrannie des rois et favorable à la tyrannie des peuples, un Rousseau fondateur du "totalitarisme", en songeant à certaines dictatures révolutionnaires." (p.85)

    "Hobbes, qui rejette l'idée de Loi naturelle et fonde la société sur le seul pouvoir politique positif, conserve à la force une vraie légitimité et une légitimité fondée sur la nature. [...] C'est pourquoi chez Hobbes, une insurrection, même si elle est menée par un groupe de malfaiteurs, si elle surpasse la force du chef, est légitime, fondée sur le Droit naturel." (p.102)

    "Rousseau affirme [...] que les Évangiles sont un guide sublime pour la morale, mais il considère en même temps qu'un peuple de chrétiens serait la perte de la république: c'est dire si la vertu morale et la vertu politique s'accordent mal ; on ne doit pas s'étonner, après cela qu'il existe une Loi naturelle morale et que toute loi politique soit positive et rien d'autre, ces deux mondes sont étanches." (p.114)

    "[Pour Rousseau] la loi n'a pas besoin de garantie supérieure parce qu'avant le peuple il n'y a rien et il n'y a rien non plus au-dessus de lui: la loi de nature, même si elle existait, ne serait pas au-dessus du peuple puisque c'est par le peuple que l'homme acquiert sa nature." (p.120)

    "Rousseau préconise une éducation civique sous contrôle d'une école nationale et cette éducation est fondée sur la connaissance de la patrie, son histoire, sa géographie, ses grands hommes, et par l'organisation de fréquentes fêtes où les citoyens se côtoient, se rencontrent et apprennent à s'aimer comme au sein d'une grande famille. [...]
    Ainsi l'amour de la patrie peut surmonter, "à la longue" l'esprit de corporation, de chapelle ou de clocher. [...]
    On aura remarqué au passage que ce peuple patriote ne s'auto-éduque pas, il est éduqué par le gouvernement.
    " (p.128-129)

    "Ce que Rousseau condamne, ce n'est pas la propriété, c'est la trop grande différence des richesses car cette différence excessive met en péril la vie civile." (p.129)

    "Le gouvernement devra établir la médiocrité par le moyen d'impôts progressifs, de taxe sur les produits de luxe, de restriction sur l'héritage et ainsi, peu à peu, sans douleur, il rétablira une moyenne et chacun jouira de l'abondance par son travail sans que personne ne s'enrichisse aux dépens des autres. [...] Un tel programme suppose pour le moins que les membres du gouvernement ne soient pas eux-mêmes dans la "classe des riches" (comme les appelle Rousseau), ou même alliés à cette classe. Or, c'est bien le cas et Rousseau ne manque pas de le déplorer." (p.130)

    "Ce qui dépasse les besoins vitaux n'est pas protégé par la volonté générale, et la conduite luxueuse du riche est une affaire individuelle et abusive. Dans sa Réponse à Bordes, en annexe du Discours sur les sciences et les arts, Rousseau déclarait déjà le luxe "punissable", car "tout est source de mal au-delà du nécessaire physique", dans l'article "Économie politique", il affirme de même que l'Etat peut mettre la richesse à l'amende sous forme d'impôt. Chez Locke la nature fonde la propriété, chez Rousseau elle la limite puisque c'est au nom de la nature, du droit de vivre que Rousseau supprime le luxe." (p.148)

    "Après avoir radicalement rejeté le droit naturel de propriété et le libéralisme qui l'accompagne [...] Pourquoi Rousseau n'établit-il pas un Etat fondé sur la propriété commune, à la manière de Platon ou de Thomas More ?" (p.153)

    "Marx voit [...] donc en Rousseau, et notamment son texte sur l'économie politique, un bon analyse de la société civile, c'est-à-dire des rapports de classes, des scandales de l'exploitation." (p.228)

    "Les solutions que Rousseau préconise -le développement de l'agriculture au détriment des manufactures, la promotion de la campagne contre la ville- sont de nature à détourner Marx de s'y intéresser, qui voit dans la concentration ouvrière urbaine un gage d'efficacité." (p.235)

    "Rousseau a cherché à établir une société anti-financière." (p.279)

    "But de l'opération rousseauiste: en ramenant la dislocation entre la production et la consommation: le paysan consomme ce qu'il produit, la consommation n'est pas une sphère autonome qui marche à la monnaie, elle est la suite naturelle du travail. Le luxe et le commerce sont donc bannis. Ils ne trouvent plus leur place dans le "vrai système économique". Le producteur n'est pas un misérable qui fabrique du luxe, c'est un travailleur qui consomme les produits de son travail ; il n'est plus besoin de forcer les pauvres à travailler ni de les assister. Le recentrage de l'économie sur l'agriculture n'est pas une nostalgie bucolique, c'est un combat anticapitaliste." (p.285)

    "La vraie politique, celle du peuple souverain, suppose, bien sûr, l'égalité juridique. Mais cette égalité formelle et proclamée ne suffit pas pour que tous soient réellement égaux devant la loi: il faut d'abord établir la "médiocrité" des richesses, c'est-à-dire une société où "il faut que tout le monde vive et personne ne s'enrichisse"." (p.288)

    "Marx rêvait d'être le fossoyeur du capitalisme, Rousseau d'en être l'avorteur." (p.305)
    -Yves Vargas, Jean-Jacques Rousseau, l'avortement du capitalisme, Éditions Delga, 2014, 306 pages.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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