https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Lepage_(%C3%A9conomiste)
http://www.quebecoislibre.org/030816-3.htm
https://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2011/02/Demain-le-capitalisme.pdf
« Il faut que l’on prenne conscience de l’intérêt que présente, dans les circonstances actuelles pour défendre les libertés individuelles les plus fondamentales, la maîtrise d’une certaine culture économique. » (p.15)
« Thomas Jefferson (le rival «libertarien» de George Washington au moment de l'élaboration de la Constitution américaine). » (p.29)
« Du fait de la présence d'un Etat fort, dominant et omniinterventionniste il devient plus avantageux pour les citoyens de chercher à manipuler (ou à s'emparer de l'appareil étatique) que de fonder leurs rapports sur des échanges réciproques, créateurs d'une plus-value sociale optimale. Or, la logique de l'Etat, qu'il soit de droite ou de gauche, ne peut être que « corporative » ; elle mène à l'exploitation de l'un par l'autre, quel que soit celui qui exploite ou celui qui est exploité. En devenant de plus en plus préseilt dans les moindres rouages de la vie économique et sociale, et cela notamment au nom des impératifs de « solidarité », l'Etat ne se renforce pas, il s'affaiblit en raison des conflits et de~ divisions qu'il contribue à renforcer pour le partage du gâteau collectif. C'est pourquoi la protection des citoyens contre toute forme d'exploitation, ou encore la préservation de la stabilité sociale passent non pas par un élargissement toujours plus grand des prérogatives publiques mais au contraire par l'affirmation d'une volonté qui vise à réduire au maximum technologiquement possible le poids de l'Etat dans la société, et donc à accroître l'aire du marché. » (p.54)
« Qui nous a précédés avec les yeux de Zola et de Dickens, de Marx ou d'Engels, et cela quelle que soit notre place dans la société. Mais cette vision correspond-elle à la vérité historique ? Reflète-t-elle vraiment ce que les contemporains ont vécu? Peut-elle valablement servir de base au procès de la société et de la logique capitalistes ? » (p.64)
« L'effort de l'Etat aboutit seulement à « déplacer » des ressources ; il stimule certaines activités, mais au prix d'un effet stérilisateur sur d'autres qui se seraient développées si l'Etat n'avait pas faussé à son profit le jeu de l'allocation des ressources. » (p.69-70)
« Sans l'Etat, il ne peut pas y avoir de cartels ou d'ententes ayant, sur le long terme, un rôle réellement antiéconomique. Quels sont donc les cartels les plus néfastes ? Ceux, par exemple, qui réglementent les professions libérales et qui donnent un bon exemple de la façon dont certains groupes d'intérêts corporatifs utilisent leur pouvoir politique pour obtenir que l'Etat serve d'abord leurs intérêts avant ceux de la collectivité. » (p.80)
"L'histoire de la croissance ne s'identifie pas, comme on le croit souvent, avec l'histoire du progrès technique, mais avec celle du droit conçu comme une technologie d'organisation des rapports humains, économiques ou sociaux. Elle est inséparable de la genèse de notre système moderne de droits de propriété et de celle du capitalisme.
Beaucoup d'ouvrages ont été consacrés à l'étude des causes de la Révolution industrielle, à la recherche des origines du capitalisme, ou encore à la compréhension des mécanismes de la croissance à long terme. Mais rares sont les historiens ayant jamais donné une vision précise et pleinement satisfaisante des mécanismes sociaux qui, à travers les siècles, ont réglé l'évolution du droit, l'ascension de la société capitaliste et l'apparition de la croissance." (p.94)
"Dans le cadre de la société médiévale, la force de déséquilibre qui perturbe le système, c'est la croissance de la population européenne. C'est elle qui modifie l'équilibre des coûts économiques relatifs, remet donc en cause l'équilibre institutionnel atteint, et provoque une réaction en chaîne dont l'effet va être de transformer progressivement et durablement le cadre des institutions médiévales, notamment celles relatives à l'utilisation du patrimoine foncier et agricole.
Comme nous l'avons déjà signalé, la régression du chaos prémédiéval relance la croissance démographique. De nouvelles terres sont mises en valeur.
La diversité des densités de population (rapport travail / capital), la variété des conditions naturelles et climatiques favorisent un début de spécialisation des productions agricoles et contribuent à l'apparition des premiers courants d'échanges commerciaux, dont l'essor est favorisé par le retour à une plus grande sécurité des communications (baisse des « coûts de transaction ») et dont le développement rétroagit sur le mouvement de spécialisation (en augmentant la « rentabilité » des efforts de spécialisation menés par les communautés villageoises et les seigneurs qui essaient d'innover par rapport aux habitudes de culture ancestrales). Naissent les premières villes, les premiers marchés. C'est la boule de neige. L'apparition des premiers services urbains réduit encore davantage le coût des activités commerciales et accroit les perspectives de gains de ceux qui s'y spécialisent. Une économie d'échange se reconstitue qui entraine notamment une vague d'innovation technologique que lés images d'Epinal de la société médiévale ont généralement escamotée de nos livres d'histoire." (p.104-105)
(pp.105-111)
"L'Europe ne peut plus nourrir ses 73 millions d'habitants. Conséquences : d'abord la famine (la plus sévère étant celle de 1315-1317) ; puis les grandes épidémies (marquées notamment par la fameuse Peste noire des années 1350). Villes et campagnes sont décimées : en moins d'un· demi-siècle la population européenne diminue... d'un tiers ! En l'an 1400, l'Europe ne compte pas plus de 45 millions d'habitants. Un siècle plus tard, en 1500, elle n'en comptera encore que 60 millions." (p.111)
"C'est au cours de la seconde moitié du XVI siècle que la population européenne se remet réellement à croître, lançant l'économie sur un nouveau cycle malthusien d'expansion (XVIe) puis de régression (XVIIè)." (p.112)
"C'est la « révolution agricole » qui fut en fait la première étape de la révolution industrielle. Aux Pays-Bas d'abord, puis ensuite en Angleterre, la hausse des rendements permet pour la première fois dans l'histoire de l'humanité de mieux nourrir et de protéger des famines traditionnelles une population en plein accroissement démographique.
Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui explique la différence entre ces deux périodes ? Pourquoi la « révolution agricole » n'est-elle pas apparue lors de la première vague d'innovations ? Est-ce que cela ne tient qu'aux caractéristiques du progrès technique, ou n'y aurait-il pas une autre raison, beaucoup plus importante, tenant à l'évolution de la structure des droits de propriété enregistrée entre les deux périodes ?
L'analyse que nous avons suivie jusqu'ici suggère une réponse très simple : la différence de réaction entre les deux périodes n'est pas due au fait qu'au XVIIIe les paysans européens auraient fait preuve d'un génie inventif supérieur à celui de leurs ancêtres, mais au fait que la structure des droits de propriété était alors beaucoup plus favorable que précédemment à un phénomène de diffusion massive des innovations. Autrement dit, ce n'est pas le génie inventif, ni la « quantité » d'innovations qui est en cause, mais la structure juridique du système foncier. La « révolution agricole » n'est pas en soi un phénomène technologique, c'est la conséquence de l'évolution du droit de propriété.
Au XIe siècle, on assiste effectivement à une vague de nombreuses innovations dans la technologie agricole. Mais ces innovations se font dans un cadre social qui reste essentiellement collectif et communautaire: c'est la communauté villageoise qui détermine collectivement le choix des cultures, l'affectation des sols, le moment des semailles, etc. Dans ce contexte, toute innovation technique se heurte, dans sa diffusion, à deux obstacles : d'abord, pour la mettre en pratique, il faut réunir un « consensus » communautaire très « coûteux » à obtenir (notion de « coûts d'organisation» prohibitifs dans la structure sociale de l'époque); ensuite, les bénéfices économiques dégagés par cette innovation seront collectivement partagés par tous les membres de la communauté, que ceux-ci aient participé activement aux efforts (coûts) d'innovation, ou qu'ils en retirent les fruits « gratuitement » du seul fait de leur appartenance à la communauté. Dans un tel contexte, l'incitation à innover, à utiliser ces nouvelles techniques, et à les diffuser est sérieusement réduite par rapport à ce qui serait le cas dans une société où (comme dans les sociétés modernes) le droit de l' « inventeur» (qu'il soit individuel ou collectif) est protégé, de telle sorte -que ce dernier est assuré de capter personnellement l'essentiel des gains que son innovation permet.
Au XVIIe siècle, la situation est tout autre. Il existe déjà une population de propriétaires-exploitants, dont la liberté est encore entravée partiellement par certaines coutumes communautaires (notamment en matière de pâtures), mais qui ont un début de pouvoir de décision autonome pour mettre en culture leurs terres. Cette transformation signifie une chose très simple : à savoir que le « coût » social de l'innovation est fortement réduit. Le paysan-exploitant n'a plus à demander à ses voisins de s'associer à lui pour développer, par exemple, une nouvelle production. Il peut prendre la décision lui-même. Par ailleurs, comme il est l'usufruitier exclusif des produits de ses activités, un lien direct est établi entre la décision d'innover, les coûts économiques d'investissement par exemple) qu'elle implique, et les bénéfices qu'elle permettra de dégager. L'innovation du propriétaire-exploitant joue alors un rôle de stimulation dans son environnement. Les gains qu'il retire de son effort personnel d'invention sont un exemple pour les paysans, même ceux qui continuent de fonctionner dans le cadre d'une organisation plus communautaire. On va chercher à l'imiter." (pp.114-116)
"La diffusion d'une économie de marché encourage un nombre croissant de barons à racheter leurs obligations militaires de type féodal moyennant le versement d'une indemnité monétaire versée à leurs suzerains. Ces indemnités sont utilisées par ces derniers pour embaucher des mercenaires salariés. Ce
qui a pour conséquence d'accroître leur pouvoir sur leurs vassaux, et donc de favoriser un début de concentration de l'autorité ; mais a aussi pour effet de
modifier complètement les conditions de la technologie militaire. L'apparition des premières armées professionnelles révèle, en effet, d'importantes possibilités d'économies d'échelles qui renforcent les pressions en faveur d'une plus grande concentration du pouvoir politique.
Résultat : si, d'un côté, les besoins du commerce poussent à l'élargissement « spatial» des responsabilités politiques, de l'autre, l'essor du commerce suscite l'apparition d'un certain nombre de forces qui, parallèlement, conduisent spontanément à une plus grande concentration du pouvoir et de l'autorité. Nous avons là un exemple de la façon dont les mécanismes économiques résolvent les problèmes d'ajustement entre la «demande» et l' « offre. ». Les mêmes phénomènes qui entraînent l'apparition d'une demande nouvelle, créent les conditions d'une mutation technologique qui . favorise la solution des problèmes créés par cette demande. L'ère du « fief» féodal est donc terminée. Arrive l'heure de l' « Etat-Nation »." (p.129)
"Même de nos jours, l'Etat n'est pas autre chose qu'une construction « institutionnelle » dont la fonction est de produire et de vendre un « produit» social déterminé : la sécurité et la justice. Il remplit cette mission en se voyant confier le monopole de déterminer les droits et les devoirs des citoyens eh ce qui concerne l'acquisition, l'usage et le transfert des ressources rares de la société. Comment peut-on en effet garantir l'ordre, la justice et la sécurité si, auparavant, on ne confie pas à quelqu'un le pouvoir de définir les droits et les devoirs de chacun ? Pour faire ce qu'on lui demande, l'Etat se voit donc doté du monopole du Droit, c'est-à-dire le monopole de la définition et de la protection des « droits de propriété » qui caractérisent l'organisation interne du corps social. Mais, pour fonctionner, il a besoin de ressources. Son activité n'est pas gratuite. Il lui faut payer des fonctionnaires, des juges, des militaires. Et c'est le rôle de la fiscalité et des impôts que de lui procurer ces ressources." (p.134)
"La modification des rapports fondamentaux de coûts et prix relatifs, résultat du fonctionnement même des mécanismes économiques et sociaux, crée des possibilités de « gains » qui ne peuvent être captés par les individus et le corps social dans son ensemble que si l'édifice juridique existant est modifié, et si de nouveaux « droits» sont créés au profit de ceux qui sont prêts à prendre les initiatives nécessaires pour, précisément, permettre l'exploitation de ces possibilités de gains (mécanisme d'internalisation des externalités). L'Etat ayant le monopole du droit, il est logique qu'il tente de monnayer son intervention auprès de ceux qui en seront les bénéficiaires." (p.135)
"
(p.139-140)
-Henri Lepage, Demain le capitalisme, Éditions le Livre de Poche, coll. Pluriel, 1978, 448 pages.
http://www.quebecoislibre.org/030816-3.htm
https://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2011/02/Demain-le-capitalisme.pdf
« Il faut que l’on prenne conscience de l’intérêt que présente, dans les circonstances actuelles pour défendre les libertés individuelles les plus fondamentales, la maîtrise d’une certaine culture économique. » (p.15)
« Thomas Jefferson (le rival «libertarien» de George Washington au moment de l'élaboration de la Constitution américaine). » (p.29)
« Du fait de la présence d'un Etat fort, dominant et omniinterventionniste il devient plus avantageux pour les citoyens de chercher à manipuler (ou à s'emparer de l'appareil étatique) que de fonder leurs rapports sur des échanges réciproques, créateurs d'une plus-value sociale optimale. Or, la logique de l'Etat, qu'il soit de droite ou de gauche, ne peut être que « corporative » ; elle mène à l'exploitation de l'un par l'autre, quel que soit celui qui exploite ou celui qui est exploité. En devenant de plus en plus préseilt dans les moindres rouages de la vie économique et sociale, et cela notamment au nom des impératifs de « solidarité », l'Etat ne se renforce pas, il s'affaiblit en raison des conflits et de~ divisions qu'il contribue à renforcer pour le partage du gâteau collectif. C'est pourquoi la protection des citoyens contre toute forme d'exploitation, ou encore la préservation de la stabilité sociale passent non pas par un élargissement toujours plus grand des prérogatives publiques mais au contraire par l'affirmation d'une volonté qui vise à réduire au maximum technologiquement possible le poids de l'Etat dans la société, et donc à accroître l'aire du marché. » (p.54)
« Qui nous a précédés avec les yeux de Zola et de Dickens, de Marx ou d'Engels, et cela quelle que soit notre place dans la société. Mais cette vision correspond-elle à la vérité historique ? Reflète-t-elle vraiment ce que les contemporains ont vécu? Peut-elle valablement servir de base au procès de la société et de la logique capitalistes ? » (p.64)
« L'effort de l'Etat aboutit seulement à « déplacer » des ressources ; il stimule certaines activités, mais au prix d'un effet stérilisateur sur d'autres qui se seraient développées si l'Etat n'avait pas faussé à son profit le jeu de l'allocation des ressources. » (p.69-70)
« Sans l'Etat, il ne peut pas y avoir de cartels ou d'ententes ayant, sur le long terme, un rôle réellement antiéconomique. Quels sont donc les cartels les plus néfastes ? Ceux, par exemple, qui réglementent les professions libérales et qui donnent un bon exemple de la façon dont certains groupes d'intérêts corporatifs utilisent leur pouvoir politique pour obtenir que l'Etat serve d'abord leurs intérêts avant ceux de la collectivité. » (p.80)
"L'histoire de la croissance ne s'identifie pas, comme on le croit souvent, avec l'histoire du progrès technique, mais avec celle du droit conçu comme une technologie d'organisation des rapports humains, économiques ou sociaux. Elle est inséparable de la genèse de notre système moderne de droits de propriété et de celle du capitalisme.
Beaucoup d'ouvrages ont été consacrés à l'étude des causes de la Révolution industrielle, à la recherche des origines du capitalisme, ou encore à la compréhension des mécanismes de la croissance à long terme. Mais rares sont les historiens ayant jamais donné une vision précise et pleinement satisfaisante des mécanismes sociaux qui, à travers les siècles, ont réglé l'évolution du droit, l'ascension de la société capitaliste et l'apparition de la croissance." (p.94)
"Dans le cadre de la société médiévale, la force de déséquilibre qui perturbe le système, c'est la croissance de la population européenne. C'est elle qui modifie l'équilibre des coûts économiques relatifs, remet donc en cause l'équilibre institutionnel atteint, et provoque une réaction en chaîne dont l'effet va être de transformer progressivement et durablement le cadre des institutions médiévales, notamment celles relatives à l'utilisation du patrimoine foncier et agricole.
Comme nous l'avons déjà signalé, la régression du chaos prémédiéval relance la croissance démographique. De nouvelles terres sont mises en valeur.
La diversité des densités de population (rapport travail / capital), la variété des conditions naturelles et climatiques favorisent un début de spécialisation des productions agricoles et contribuent à l'apparition des premiers courants d'échanges commerciaux, dont l'essor est favorisé par le retour à une plus grande sécurité des communications (baisse des « coûts de transaction ») et dont le développement rétroagit sur le mouvement de spécialisation (en augmentant la « rentabilité » des efforts de spécialisation menés par les communautés villageoises et les seigneurs qui essaient d'innover par rapport aux habitudes de culture ancestrales). Naissent les premières villes, les premiers marchés. C'est la boule de neige. L'apparition des premiers services urbains réduit encore davantage le coût des activités commerciales et accroit les perspectives de gains de ceux qui s'y spécialisent. Une économie d'échange se reconstitue qui entraine notamment une vague d'innovation technologique que lés images d'Epinal de la société médiévale ont généralement escamotée de nos livres d'histoire." (p.104-105)
(pp.105-111)
"L'Europe ne peut plus nourrir ses 73 millions d'habitants. Conséquences : d'abord la famine (la plus sévère étant celle de 1315-1317) ; puis les grandes épidémies (marquées notamment par la fameuse Peste noire des années 1350). Villes et campagnes sont décimées : en moins d'un· demi-siècle la population européenne diminue... d'un tiers ! En l'an 1400, l'Europe ne compte pas plus de 45 millions d'habitants. Un siècle plus tard, en 1500, elle n'en comptera encore que 60 millions." (p.111)
"C'est au cours de la seconde moitié du XVI siècle que la population européenne se remet réellement à croître, lançant l'économie sur un nouveau cycle malthusien d'expansion (XVIe) puis de régression (XVIIè)." (p.112)
"C'est la « révolution agricole » qui fut en fait la première étape de la révolution industrielle. Aux Pays-Bas d'abord, puis ensuite en Angleterre, la hausse des rendements permet pour la première fois dans l'histoire de l'humanité de mieux nourrir et de protéger des famines traditionnelles une population en plein accroissement démographique.
Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui explique la différence entre ces deux périodes ? Pourquoi la « révolution agricole » n'est-elle pas apparue lors de la première vague d'innovations ? Est-ce que cela ne tient qu'aux caractéristiques du progrès technique, ou n'y aurait-il pas une autre raison, beaucoup plus importante, tenant à l'évolution de la structure des droits de propriété enregistrée entre les deux périodes ?
L'analyse que nous avons suivie jusqu'ici suggère une réponse très simple : la différence de réaction entre les deux périodes n'est pas due au fait qu'au XVIIIe les paysans européens auraient fait preuve d'un génie inventif supérieur à celui de leurs ancêtres, mais au fait que la structure des droits de propriété était alors beaucoup plus favorable que précédemment à un phénomène de diffusion massive des innovations. Autrement dit, ce n'est pas le génie inventif, ni la « quantité » d'innovations qui est en cause, mais la structure juridique du système foncier. La « révolution agricole » n'est pas en soi un phénomène technologique, c'est la conséquence de l'évolution du droit de propriété.
Au XIe siècle, on assiste effectivement à une vague de nombreuses innovations dans la technologie agricole. Mais ces innovations se font dans un cadre social qui reste essentiellement collectif et communautaire: c'est la communauté villageoise qui détermine collectivement le choix des cultures, l'affectation des sols, le moment des semailles, etc. Dans ce contexte, toute innovation technique se heurte, dans sa diffusion, à deux obstacles : d'abord, pour la mettre en pratique, il faut réunir un « consensus » communautaire très « coûteux » à obtenir (notion de « coûts d'organisation» prohibitifs dans la structure sociale de l'époque); ensuite, les bénéfices économiques dégagés par cette innovation seront collectivement partagés par tous les membres de la communauté, que ceux-ci aient participé activement aux efforts (coûts) d'innovation, ou qu'ils en retirent les fruits « gratuitement » du seul fait de leur appartenance à la communauté. Dans un tel contexte, l'incitation à innover, à utiliser ces nouvelles techniques, et à les diffuser est sérieusement réduite par rapport à ce qui serait le cas dans une société où (comme dans les sociétés modernes) le droit de l' « inventeur» (qu'il soit individuel ou collectif) est protégé, de telle sorte -que ce dernier est assuré de capter personnellement l'essentiel des gains que son innovation permet.
Au XVIIe siècle, la situation est tout autre. Il existe déjà une population de propriétaires-exploitants, dont la liberté est encore entravée partiellement par certaines coutumes communautaires (notamment en matière de pâtures), mais qui ont un début de pouvoir de décision autonome pour mettre en culture leurs terres. Cette transformation signifie une chose très simple : à savoir que le « coût » social de l'innovation est fortement réduit. Le paysan-exploitant n'a plus à demander à ses voisins de s'associer à lui pour développer, par exemple, une nouvelle production. Il peut prendre la décision lui-même. Par ailleurs, comme il est l'usufruitier exclusif des produits de ses activités, un lien direct est établi entre la décision d'innover, les coûts économiques d'investissement par exemple) qu'elle implique, et les bénéfices qu'elle permettra de dégager. L'innovation du propriétaire-exploitant joue alors un rôle de stimulation dans son environnement. Les gains qu'il retire de son effort personnel d'invention sont un exemple pour les paysans, même ceux qui continuent de fonctionner dans le cadre d'une organisation plus communautaire. On va chercher à l'imiter." (pp.114-116)
"La diffusion d'une économie de marché encourage un nombre croissant de barons à racheter leurs obligations militaires de type féodal moyennant le versement d'une indemnité monétaire versée à leurs suzerains. Ces indemnités sont utilisées par ces derniers pour embaucher des mercenaires salariés. Ce
qui a pour conséquence d'accroître leur pouvoir sur leurs vassaux, et donc de favoriser un début de concentration de l'autorité ; mais a aussi pour effet de
modifier complètement les conditions de la technologie militaire. L'apparition des premières armées professionnelles révèle, en effet, d'importantes possibilités d'économies d'échelles qui renforcent les pressions en faveur d'une plus grande concentration du pouvoir politique.
Résultat : si, d'un côté, les besoins du commerce poussent à l'élargissement « spatial» des responsabilités politiques, de l'autre, l'essor du commerce suscite l'apparition d'un certain nombre de forces qui, parallèlement, conduisent spontanément à une plus grande concentration du pouvoir et de l'autorité. Nous avons là un exemple de la façon dont les mécanismes économiques résolvent les problèmes d'ajustement entre la «demande» et l' « offre. ». Les mêmes phénomènes qui entraînent l'apparition d'une demande nouvelle, créent les conditions d'une mutation technologique qui . favorise la solution des problèmes créés par cette demande. L'ère du « fief» féodal est donc terminée. Arrive l'heure de l' « Etat-Nation »." (p.129)
"Même de nos jours, l'Etat n'est pas autre chose qu'une construction « institutionnelle » dont la fonction est de produire et de vendre un « produit» social déterminé : la sécurité et la justice. Il remplit cette mission en se voyant confier le monopole de déterminer les droits et les devoirs des citoyens eh ce qui concerne l'acquisition, l'usage et le transfert des ressources rares de la société. Comment peut-on en effet garantir l'ordre, la justice et la sécurité si, auparavant, on ne confie pas à quelqu'un le pouvoir de définir les droits et les devoirs de chacun ? Pour faire ce qu'on lui demande, l'Etat se voit donc doté du monopole du Droit, c'est-à-dire le monopole de la définition et de la protection des « droits de propriété » qui caractérisent l'organisation interne du corps social. Mais, pour fonctionner, il a besoin de ressources. Son activité n'est pas gratuite. Il lui faut payer des fonctionnaires, des juges, des militaires. Et c'est le rôle de la fiscalité et des impôts que de lui procurer ces ressources." (p.134)
"La modification des rapports fondamentaux de coûts et prix relatifs, résultat du fonctionnement même des mécanismes économiques et sociaux, crée des possibilités de « gains » qui ne peuvent être captés par les individus et le corps social dans son ensemble que si l'édifice juridique existant est modifié, et si de nouveaux « droits» sont créés au profit de ceux qui sont prêts à prendre les initiatives nécessaires pour, précisément, permettre l'exploitation de ces possibilités de gains (mécanisme d'internalisation des externalités). L'Etat ayant le monopole du droit, il est logique qu'il tente de monnayer son intervention auprès de ceux qui en seront les bénéficiaires." (p.135)
"
(p.139-140)
-Henri Lepage, Demain le capitalisme, Éditions le Livre de Poche, coll. Pluriel, 1978, 448 pages.