https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2006-2-page-285.htm
"L’expression « échelle d’analyse » peut avoir deux sens différents. Dans le premier sens, on considère qu’une échelle est un rapport entre la réalité et une représentation figurée, comme dans les échelles des cartes géographiques par exemple (l’échelle du 1/100 000). C’est l’option choisie par exemple par Dominique Desjeux dans un ouvrage récent (Desjeux, 2004). Dans le second sens, on considère une suite de degrés ou de niveaux qui constitue une seule échelle (l’échelle de Richter, par exemple). C’est ce second sens que j’ai choisi d’utiliser. Une échelle est constituée d’un ensemble de niveaux. La définition de l’échelle d’analyse comme ensemble hiérarchisé de niveaux permet de définir des échelles de nature différente et de sortir de la classique opposition micro-macro (avec plus ou moins de méso entre les deux) et d’introduire d’autres échelles, en particulier celles des durées.
De quelles échelles s’agit-il ? Des échelles d’observation, d’analyse, ou d’action ? Les échelles d’observation, qu’évoque l’historien Jacques Revel en introduction d’un ouvrage sur la micro-histoire , sont des niveaux de collecte de données. Ils peuvent être associés à des niveaux d’analyse très différents. Des données collectées à un niveau très micro peuvent concerner analytiquement des niveaux beaucoup plus massifs (par exemple lorsque l’on repère des références culturelles très générales dans les interactions), et réciproquement (lorsque l’on modélise des comportements individuels à partir de régularités statistiques). Les niveaux d’observation et d’analyse peuvent donc différer dans une étude concrète, même s’il est possible de les qualifier à partir des mêmes échelles. On peut dire la même chose des niveaux d’action, c’est-à-dire des niveaux que l’on considère comme pertinents pour définir les entités agissantes (individus, familles, organisations, États, etc.)."
"Les chercheurs peuvent faire évoluer la focale de leur analyse, partant d’observations micros (sur l’une ou l’autre des trois échelles) puis cherchant à généraliser, ou au contraire essayant de spécifier à un niveau plus restreint des énoncés généraux. Les phénomènes qu’ils étudient peuvent eux-mêmes changer de niveau : des mouvements sociaux amorcés par un petit nombre de personnes peuvent gagner de grandes masses. Des situations éphémères peuvent devenir plus durables. Des activités très spécialisées peuvent acquérir plus de généralité. Un conflit spécifique peut se transformer en affrontements de principes généraux. Les opérateurs d’échelles sont des processus par lesquels ces déplacements s’effectuent. Les acteurs sociaux ne sont jamais complètement enfermés dans un niveau donné. Ils consacrent beaucoup d’efforts à tenter de modifier leur environnement et sont parfaitement capables pour cela de jouer eux aussi sur les différentes échelles. Toutes les tentatives pour se poser en porte-parole (montée en masse), pour rendre des choix irréversibles (montée en durée), pour diffuser des objets techniques ou des pratiques au-delà de leur sphère d’apparition (généralisation) sont des actions jouant sur les mêmes échelles, qui deviennent alors des échelles d’action (ou d’activité). Les opérations de changement de niveau (extension/réduction) sont mises en œuvre, volontairement ou non, par les acteurs eux-mêmes. Les opérateurs d’échelle ne sont pas seulement méthodologiques. Ce sont aussi des opérateurs d’action."
-Michel Grossetti, « Trois échelles d'action et d'analyse. L'abstraction comme opérateur d'échelle », L'Année sociologique, 2006/2 (Vol. 56), p. 285-307.
"L’expression « échelle d’analyse » peut avoir deux sens différents. Dans le premier sens, on considère qu’une échelle est un rapport entre la réalité et une représentation figurée, comme dans les échelles des cartes géographiques par exemple (l’échelle du 1/100 000). C’est l’option choisie par exemple par Dominique Desjeux dans un ouvrage récent (Desjeux, 2004). Dans le second sens, on considère une suite de degrés ou de niveaux qui constitue une seule échelle (l’échelle de Richter, par exemple). C’est ce second sens que j’ai choisi d’utiliser. Une échelle est constituée d’un ensemble de niveaux. La définition de l’échelle d’analyse comme ensemble hiérarchisé de niveaux permet de définir des échelles de nature différente et de sortir de la classique opposition micro-macro (avec plus ou moins de méso entre les deux) et d’introduire d’autres échelles, en particulier celles des durées.
De quelles échelles s’agit-il ? Des échelles d’observation, d’analyse, ou d’action ? Les échelles d’observation, qu’évoque l’historien Jacques Revel en introduction d’un ouvrage sur la micro-histoire , sont des niveaux de collecte de données. Ils peuvent être associés à des niveaux d’analyse très différents. Des données collectées à un niveau très micro peuvent concerner analytiquement des niveaux beaucoup plus massifs (par exemple lorsque l’on repère des références culturelles très générales dans les interactions), et réciproquement (lorsque l’on modélise des comportements individuels à partir de régularités statistiques). Les niveaux d’observation et d’analyse peuvent donc différer dans une étude concrète, même s’il est possible de les qualifier à partir des mêmes échelles. On peut dire la même chose des niveaux d’action, c’est-à-dire des niveaux que l’on considère comme pertinents pour définir les entités agissantes (individus, familles, organisations, États, etc.)."
"Les chercheurs peuvent faire évoluer la focale de leur analyse, partant d’observations micros (sur l’une ou l’autre des trois échelles) puis cherchant à généraliser, ou au contraire essayant de spécifier à un niveau plus restreint des énoncés généraux. Les phénomènes qu’ils étudient peuvent eux-mêmes changer de niveau : des mouvements sociaux amorcés par un petit nombre de personnes peuvent gagner de grandes masses. Des situations éphémères peuvent devenir plus durables. Des activités très spécialisées peuvent acquérir plus de généralité. Un conflit spécifique peut se transformer en affrontements de principes généraux. Les opérateurs d’échelles sont des processus par lesquels ces déplacements s’effectuent. Les acteurs sociaux ne sont jamais complètement enfermés dans un niveau donné. Ils consacrent beaucoup d’efforts à tenter de modifier leur environnement et sont parfaitement capables pour cela de jouer eux aussi sur les différentes échelles. Toutes les tentatives pour se poser en porte-parole (montée en masse), pour rendre des choix irréversibles (montée en durée), pour diffuser des objets techniques ou des pratiques au-delà de leur sphère d’apparition (généralisation) sont des actions jouant sur les mêmes échelles, qui deviennent alors des échelles d’action (ou d’activité). Les opérations de changement de niveau (extension/réduction) sont mises en œuvre, volontairement ou non, par les acteurs eux-mêmes. Les opérateurs d’échelle ne sont pas seulement méthodologiques. Ce sont aussi des opérateurs d’action."
-Michel Grossetti, « Trois échelles d'action et d'analyse. L'abstraction comme opérateur d'échelle », L'Année sociologique, 2006/2 (Vol. 56), p. 285-307.