https://books.google.fr/books?id=BRj56jBqibwC&pg=PA78&lpg=PA78&dq=Henri+Vaugeois+Nietzsche&source=bl&ots=WKL0n1Jio-&sig=thdfg9dQ4gXF4LSydvu53DoPTTo&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiS8trFv5rfAhUMQRoKHa1BDx84ChDoATAPegQIAhAB#v=onepage&q=Nietzsche&f=false
"L'image de Jacques Bainville est d'abord celle, un peu convenue, d'une référence éminente de l'Action française, journaliste et historien de talent, brillant analyste de la situation internationale de l'entre-deux-guerres. Né à Vincennes en 1879 dans une famille de souche lorraine, républicaine depuis le Second Empire, il étudie au lycée Henri IV et fréquente brièvement la Faculté de Droit de Paris. Les questions financières le passionnent déjà, mais aussi l'Allemagne, qu'il découvre dans les écrits d'Heinrich Heine ou de Nietzsche, avant de voyager outre-Rhin dès l'été 1897. La conscience du danger allemand, en même temps que l’influence prégnante de Barrès, le conduit au nationalisme. Lorsqu'éclate l'affaire Dreyfus, il soutient dans une premier temps le capitaine, par souci de justice, mais ne tarde pas à rejoindre le camp adverse, par réflexe conservateur, contre Zola et pour la défense de l'armée.
En mars 1900, il rencontre Charles Maurras au café de Flore, qui le séduit tout autant par la qualité de sa critique littéraire que par la cohérence de sa doctrine, son empirisme et son absence de préjugé religieux. Convaincu de la supériorité du modèle politique allemand, Bainville est déjà gagnée aux idées monarchistes. Il est l'un des premiers à répondre dans la Gazette de France à l'Enquête sur la monarchie. Avec Maurras, il collabore à la revue traditionaliste Minerva, fondée en 1902 par Réné-Marc Ferry, et enseigne les relations internationales à l'Institut d'Action française, tout en assurant nombre de chroniques dans le journal du mouvement: vie parlementaire, diplomatie, économie, bourse et même vie théâtrale, rien n'échappe à sa plume.
Il s'engage en 1914, mais, réformé par Poincaré, il est envoyé en mission dans la Russie de 1916, où il est témoin des derniers soubresauts du régime tsariste. Hostile au traité de Versailles, il publie en 1920 Les Conséquences politiques de la paix, ouvrage prophétique où il dénonce en une formule célèbre "une paix trop douce pour ce qu'elle a de dur", déjà lourde des tensions internationales à venir. Son audience s'étend alors bien au-delà des cercles monarchistes. Il écrit sans relâche, dans La Liberté, Le Capital, Le Petit Journal, Le Petit Parisien, la Revue des deux Mondes, fonde La Revue Universelle en 1920 et collabore à Candide en 1924. Quand à son œuvre historique, elle lui vaut aussi la notoriété. Il avait débuté en 1900 avec une biographie de Louis II de Bavière ; ce furent ensuite Bismarck et la France en 1907 et plusieurs ouvrages sur l'Allemagne, avant une Histoire de France exaltant l’œuvre capétienne, largement diffusée en 1924. Napoléon en 1931, puis La Troisième République en 1935 retiennent son attention. Mais lorsqu'il se consacre aux Dictateurs, se font jour les limites de son analyse, tout autant que l'ambiguïté de son admiration pour les "grands hommes". Sur le fascisme naissant en Italie, sa réflexion sait se montrer mesurée, loin de l'exaltation d'un Georges Valois ; il se montre lucide sur la gravité de la menace hitlérienne, mais n'en mesure pas -à l'instar de Maurras- la spécificité, alors même qu'il est devenu aux yeux du public l'oracle incontesté des tourmentes internationales des années trente. Un "cercle d'études Jacques Bainville", réunissant entre Paul Valéry, Henry Bordeaux ou Abel Bonnard, atteste de sa renommée.
Bainville meurt d'un cancer le 9 février 1936, trois mois après avoir été reçu à l'Académie française, au fauteuil de Raymond Poincaré. Ses obsèques, le 13 février, sont marquées par l'épisode bien connu de l'agression de Léon Blum par les Camelots du Roi sur le trajet du cortège. Conséquence directe de ces troubles, l'Action française est dissoute par décret dès le lendemain, en application d'une loi contre les ligues votées un mois plus tôt." (p.29 et 32)
-Agnès Callu & Patricia Gillet, "Jacques Bainville (1879-1936)", in Agnès Callu & Patricia Gillet (éds), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres autographes (1898-1952), Presse Universitaires du Septentrion, 2008, 259 pages.
"L'arrivée d'un Lucien Moreau avait quelque chose de spectaculaire. Espoir du clan Larousse non baptisé et se déclarant vers 1900 "pas chrétien du tout", il était héritier d'une tradition progressiste, et avait même incliné, adolescent, pour l'anarchisme libertaire. Toutefois, ce n'est pas dans cette évolution, au reste point exceptionnelle, qu'il faut chercher l'originalité du personnage. Elle réside plutôt dans trois caractéristiques.
Premièrement, Moreau était le seul chef à avoir été un ami personnel de Charles Maurras depuis 1892. Il était alors secrétaire de rédaction de la Revue encyclopédique Larousse. [...] La conversion au royalisme fut définitivement acquise en 1903, en même temps que celle de Louis Dimier. Au sein du petit monde où régnaient l'émulation intellectuelle et la ferveur militante, mais aussi la suspicion et le goût du secret, Moreau devint l'un des disciples préférés.
"Grand rectificateur" (Daudet), Moreau avait en revanche peu d'appétence pour le coup d'Etat, ou simplement le coup de poing. Il paraissait voué surtout aux tâches d'organisation, et sa grande affaire fut la propagation de la doctrine. Il imagina d'abord l'Institut d'Action française. Rue Serpente, puis rue Saint-André-des-Arts, celui-ci relevait à la fois des conférences mondaines et de l'école des cadres du parti. Titulaire de la chaire de nationalisme français, Moreau sut y "recadrer le débat en expliquant la politique d'AF face aux catholiques libéraux, aux nietzschéens et à Barrès". Le même souci d'organiser méthodiquement une contre-société intellectuelle poussa Moreau à devenir avec Rivain, à partir d'avril 1908, l'un des piliers de la Revue critique des idées et des livres, sorte de NRF des nationalistes. Les jeunes s'activaient en ordre dispersé ? Moreau, président des Étudiants d'Action française depuis 1906, créa le 16 novembre 1908, avec Pujo, les Camelots du Roi. En 1920, c'est encore lui qui prit l'initiative de ramifier l'Institut en province. Enfin, de 1927 à 1932, il fut directeur de la Société de librarie, d'enseignement et de publicité d'Action française.
Dernière caractéristique notable: la volonté de plier les canons esthétiques à l'idéologie. Là où Daudet faisait montre d'une certaine ouverture et d'indépendance d'esprit, révélant Kessel et Céline, honorant Zola et Proust en "emm... la Patrie" au besoin, Moreau poussa toujours Maurras à préciser la doctrine littéraire d'Action française. Du reste, cette vision politico-littéraire du monde, qui contrastait sauf exceptions, au sein de l'Action française, avec l'ignorance voire le dédain pour l'analyse "scientifique" des faits économiques et sociaux, est sans doute, par-delà la figure de Lucien Moreau, l'un des traits marquants du mouvement." (p.45-47)
-Laurent Ferri, "Lucien Moreau (1872-1935)", in Agnès Callu & Patricia Gillet (éds), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres autographes (1898-1952), Presse Universitaires du Septentrion, 2008, 259 pages.
"Mon cher ami,
Ergal m'a dit aujourd'hui au téléphone que la note sur le livre de Rebatet n'avait pas encore été envoyée à Vichy parce que vous estimiez qu'elle n'était pas au point. Je crois cependant important qu'elle soit faite avant votre départ et c'est pourquoi je vous écris tout de suite sans attendre notre rencontre de vendredi qui risque d'être trop courte.
Je crois vous avoir déjà dit mon point de vue. Nous sommes tenus de faire quelque chose sans quoi on penserait que nous sommes intimidés par ce sale bouquin. Je pense d'ailleurs que, s'il ne faut pas cacher qu'il s'agit d'un ancien collaborateur, il n'y a aucune nécessité de donner son nom ni le titre du livre: mais je pense aussi qu'il faut faire de ce livre, entre nos mains, une arme offensive. Rebatet est un énervé sans importance, mais ce qu'il faut marquer, c'est que cet insulteur de l'armée française (officiers et soldats) et de tout le peuple français -le traître qui jette au vent les secrets militaires- déshonore avec lui son équipe de Je suis partout, la presse de Paris et la cause collaborationniste elle-même. Il déshonore aussi ceux qui ont permis la publication du livre et le laissent vendre en zone libre: ne perdrons pas l'occasion de provoquer un certain redressement.
Pour le reste vous savez mieux que moi ce qu'il y a à dire. J'ai été frappé du fait qu'il lance toutes ses infamies et tous ses blasphèmes au nom de l'intelligence. Je vous rappelle, vous, Maurras, à l'intelligence que vous avez sacrifiée aux [pires] préjugés. Il faudrait peut-être lui dire qu'il est un imbécile, que l'intelligence n'est pas cette frénésie, cette "épilepsie juive" (c'est son expression qui [cabriole] au-dessus du réel sans en prendre grand chose, et qu'il est allé à reculons en revenant de Maurras à ce Nietzsche que vers 1892, le jeune Robert Dreyfus, premier traducteur du Cas Wagner révélait à notre jeunesse française, soutenus par ses copains juifs du Banquet et de la Revue blanche.
Je voulais aussi vous faire remarquer que ce Rebatet qui se pique de tout dire, de ne reculer devant aucune vérité, de mettre les pieds dans tous les plats, a pourtant un personnage tout conventionné, et c'est lui-même qu'il peint en rose, héros attardé malgré lui dans les embuscades où il prenait des notes sur la lâcheté de l'armée française, mais qui disait à Laubreaux: "Ils sont capables de m'envoyer au front !"
A vendredi,
Affectueusement à vous,
Maurice Pujo.
Ps: Non pour l'article mais pour votre édification, je vous recommande deux passages qui montrent jusqu'à quels tréfonds le malheureux est pénétré de germanisme: p.21 le passage où il invoque le patronage de Nietzsche à côté de celui de Racine et p.562, celui où il appelle une nouvelle Réforme religieuse opérée par l'Allemagne."
-Maurice Pujo, Lettre à Charles Maurras, mardi 1er septembre 1942, in Agnès Callu & Patricia Gillet (éds), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres autographes (1898-1952), Presse Universitaires du Septentrion, 2008, 259 pages, p.157-158.
"L'image de Jacques Bainville est d'abord celle, un peu convenue, d'une référence éminente de l'Action française, journaliste et historien de talent, brillant analyste de la situation internationale de l'entre-deux-guerres. Né à Vincennes en 1879 dans une famille de souche lorraine, républicaine depuis le Second Empire, il étudie au lycée Henri IV et fréquente brièvement la Faculté de Droit de Paris. Les questions financières le passionnent déjà, mais aussi l'Allemagne, qu'il découvre dans les écrits d'Heinrich Heine ou de Nietzsche, avant de voyager outre-Rhin dès l'été 1897. La conscience du danger allemand, en même temps que l’influence prégnante de Barrès, le conduit au nationalisme. Lorsqu'éclate l'affaire Dreyfus, il soutient dans une premier temps le capitaine, par souci de justice, mais ne tarde pas à rejoindre le camp adverse, par réflexe conservateur, contre Zola et pour la défense de l'armée.
En mars 1900, il rencontre Charles Maurras au café de Flore, qui le séduit tout autant par la qualité de sa critique littéraire que par la cohérence de sa doctrine, son empirisme et son absence de préjugé religieux. Convaincu de la supériorité du modèle politique allemand, Bainville est déjà gagnée aux idées monarchistes. Il est l'un des premiers à répondre dans la Gazette de France à l'Enquête sur la monarchie. Avec Maurras, il collabore à la revue traditionaliste Minerva, fondée en 1902 par Réné-Marc Ferry, et enseigne les relations internationales à l'Institut d'Action française, tout en assurant nombre de chroniques dans le journal du mouvement: vie parlementaire, diplomatie, économie, bourse et même vie théâtrale, rien n'échappe à sa plume.
Il s'engage en 1914, mais, réformé par Poincaré, il est envoyé en mission dans la Russie de 1916, où il est témoin des derniers soubresauts du régime tsariste. Hostile au traité de Versailles, il publie en 1920 Les Conséquences politiques de la paix, ouvrage prophétique où il dénonce en une formule célèbre "une paix trop douce pour ce qu'elle a de dur", déjà lourde des tensions internationales à venir. Son audience s'étend alors bien au-delà des cercles monarchistes. Il écrit sans relâche, dans La Liberté, Le Capital, Le Petit Journal, Le Petit Parisien, la Revue des deux Mondes, fonde La Revue Universelle en 1920 et collabore à Candide en 1924. Quand à son œuvre historique, elle lui vaut aussi la notoriété. Il avait débuté en 1900 avec une biographie de Louis II de Bavière ; ce furent ensuite Bismarck et la France en 1907 et plusieurs ouvrages sur l'Allemagne, avant une Histoire de France exaltant l’œuvre capétienne, largement diffusée en 1924. Napoléon en 1931, puis La Troisième République en 1935 retiennent son attention. Mais lorsqu'il se consacre aux Dictateurs, se font jour les limites de son analyse, tout autant que l'ambiguïté de son admiration pour les "grands hommes". Sur le fascisme naissant en Italie, sa réflexion sait se montrer mesurée, loin de l'exaltation d'un Georges Valois ; il se montre lucide sur la gravité de la menace hitlérienne, mais n'en mesure pas -à l'instar de Maurras- la spécificité, alors même qu'il est devenu aux yeux du public l'oracle incontesté des tourmentes internationales des années trente. Un "cercle d'études Jacques Bainville", réunissant entre Paul Valéry, Henry Bordeaux ou Abel Bonnard, atteste de sa renommée.
Bainville meurt d'un cancer le 9 février 1936, trois mois après avoir été reçu à l'Académie française, au fauteuil de Raymond Poincaré. Ses obsèques, le 13 février, sont marquées par l'épisode bien connu de l'agression de Léon Blum par les Camelots du Roi sur le trajet du cortège. Conséquence directe de ces troubles, l'Action française est dissoute par décret dès le lendemain, en application d'une loi contre les ligues votées un mois plus tôt." (p.29 et 32)
-Agnès Callu & Patricia Gillet, "Jacques Bainville (1879-1936)", in Agnès Callu & Patricia Gillet (éds), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres autographes (1898-1952), Presse Universitaires du Septentrion, 2008, 259 pages.
"L'arrivée d'un Lucien Moreau avait quelque chose de spectaculaire. Espoir du clan Larousse non baptisé et se déclarant vers 1900 "pas chrétien du tout", il était héritier d'une tradition progressiste, et avait même incliné, adolescent, pour l'anarchisme libertaire. Toutefois, ce n'est pas dans cette évolution, au reste point exceptionnelle, qu'il faut chercher l'originalité du personnage. Elle réside plutôt dans trois caractéristiques.
Premièrement, Moreau était le seul chef à avoir été un ami personnel de Charles Maurras depuis 1892. Il était alors secrétaire de rédaction de la Revue encyclopédique Larousse. [...] La conversion au royalisme fut définitivement acquise en 1903, en même temps que celle de Louis Dimier. Au sein du petit monde où régnaient l'émulation intellectuelle et la ferveur militante, mais aussi la suspicion et le goût du secret, Moreau devint l'un des disciples préférés.
"Grand rectificateur" (Daudet), Moreau avait en revanche peu d'appétence pour le coup d'Etat, ou simplement le coup de poing. Il paraissait voué surtout aux tâches d'organisation, et sa grande affaire fut la propagation de la doctrine. Il imagina d'abord l'Institut d'Action française. Rue Serpente, puis rue Saint-André-des-Arts, celui-ci relevait à la fois des conférences mondaines et de l'école des cadres du parti. Titulaire de la chaire de nationalisme français, Moreau sut y "recadrer le débat en expliquant la politique d'AF face aux catholiques libéraux, aux nietzschéens et à Barrès". Le même souci d'organiser méthodiquement une contre-société intellectuelle poussa Moreau à devenir avec Rivain, à partir d'avril 1908, l'un des piliers de la Revue critique des idées et des livres, sorte de NRF des nationalistes. Les jeunes s'activaient en ordre dispersé ? Moreau, président des Étudiants d'Action française depuis 1906, créa le 16 novembre 1908, avec Pujo, les Camelots du Roi. En 1920, c'est encore lui qui prit l'initiative de ramifier l'Institut en province. Enfin, de 1927 à 1932, il fut directeur de la Société de librarie, d'enseignement et de publicité d'Action française.
Dernière caractéristique notable: la volonté de plier les canons esthétiques à l'idéologie. Là où Daudet faisait montre d'une certaine ouverture et d'indépendance d'esprit, révélant Kessel et Céline, honorant Zola et Proust en "emm... la Patrie" au besoin, Moreau poussa toujours Maurras à préciser la doctrine littéraire d'Action française. Du reste, cette vision politico-littéraire du monde, qui contrastait sauf exceptions, au sein de l'Action française, avec l'ignorance voire le dédain pour l'analyse "scientifique" des faits économiques et sociaux, est sans doute, par-delà la figure de Lucien Moreau, l'un des traits marquants du mouvement." (p.45-47)
-Laurent Ferri, "Lucien Moreau (1872-1935)", in Agnès Callu & Patricia Gillet (éds), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres autographes (1898-1952), Presse Universitaires du Septentrion, 2008, 259 pages.
"Mon cher ami,
Ergal m'a dit aujourd'hui au téléphone que la note sur le livre de Rebatet n'avait pas encore été envoyée à Vichy parce que vous estimiez qu'elle n'était pas au point. Je crois cependant important qu'elle soit faite avant votre départ et c'est pourquoi je vous écris tout de suite sans attendre notre rencontre de vendredi qui risque d'être trop courte.
Je crois vous avoir déjà dit mon point de vue. Nous sommes tenus de faire quelque chose sans quoi on penserait que nous sommes intimidés par ce sale bouquin. Je pense d'ailleurs que, s'il ne faut pas cacher qu'il s'agit d'un ancien collaborateur, il n'y a aucune nécessité de donner son nom ni le titre du livre: mais je pense aussi qu'il faut faire de ce livre, entre nos mains, une arme offensive. Rebatet est un énervé sans importance, mais ce qu'il faut marquer, c'est que cet insulteur de l'armée française (officiers et soldats) et de tout le peuple français -le traître qui jette au vent les secrets militaires- déshonore avec lui son équipe de Je suis partout, la presse de Paris et la cause collaborationniste elle-même. Il déshonore aussi ceux qui ont permis la publication du livre et le laissent vendre en zone libre: ne perdrons pas l'occasion de provoquer un certain redressement.
Pour le reste vous savez mieux que moi ce qu'il y a à dire. J'ai été frappé du fait qu'il lance toutes ses infamies et tous ses blasphèmes au nom de l'intelligence. Je vous rappelle, vous, Maurras, à l'intelligence que vous avez sacrifiée aux [pires] préjugés. Il faudrait peut-être lui dire qu'il est un imbécile, que l'intelligence n'est pas cette frénésie, cette "épilepsie juive" (c'est son expression qui [cabriole] au-dessus du réel sans en prendre grand chose, et qu'il est allé à reculons en revenant de Maurras à ce Nietzsche que vers 1892, le jeune Robert Dreyfus, premier traducteur du Cas Wagner révélait à notre jeunesse française, soutenus par ses copains juifs du Banquet et de la Revue blanche.
Je voulais aussi vous faire remarquer que ce Rebatet qui se pique de tout dire, de ne reculer devant aucune vérité, de mettre les pieds dans tous les plats, a pourtant un personnage tout conventionné, et c'est lui-même qu'il peint en rose, héros attardé malgré lui dans les embuscades où il prenait des notes sur la lâcheté de l'armée française, mais qui disait à Laubreaux: "Ils sont capables de m'envoyer au front !"
A vendredi,
Affectueusement à vous,
Maurice Pujo.
Ps: Non pour l'article mais pour votre édification, je vous recommande deux passages qui montrent jusqu'à quels tréfonds le malheureux est pénétré de germanisme: p.21 le passage où il invoque le patronage de Nietzsche à côté de celui de Racine et p.562, celui où il appelle une nouvelle Réforme religieuse opérée par l'Allemagne."
-Maurice Pujo, Lettre à Charles Maurras, mardi 1er septembre 1942, in Agnès Callu & Patricia Gillet (éds), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres autographes (1898-1952), Presse Universitaires du Septentrion, 2008, 259 pages, p.157-158.